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IDEES
SUR LA PHILOSOPHIE
DE
Ji'HISTOIRE DE L'HUIIANITB.
STRASBOURG, de rimprimerie de F. G. Leyraûlt.
miËM^
SUR LA PHILOSOPHIE
DE
L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ.
PAR HERDER.
OUVRAGS T&ADtrr DB L'ALLEMAND SI PRSCfi0É d'UNE IMTRODUCTfON
PAR EDGAR QUINET.
Quem te deus esse
Jussit, et hfunana qua parte locatus es in r»
Disce. . . . ^ T^ERS,
TOME PREMIER.
PARIS,
Chez F. G. Levraultj rue de la Harpe^ n.* 81,
et rue des Juifs ^ n.'' 33 y à Strasbourg.
1834.
lu. ' ,
UNiVERSlTY
A MONSIEUR
FRÉDÉRIC GREUZER,
AUTEUR
DE LA SYMBOLIQUE ET DE LA MYTHOLOGIE
DES PEUPLES ANCIENS,
HOMMAOB DnDIfB PBOFOIIDB BBOORRAISSANGB.
INTRODUCTION.
Une grande gloire pour les peuples modernes
est d'avoir conçu l'histoire universelle. Ce point
de vue transcendental est resté entièrement in-
connu des anciens^ ils se confiaient trop ferme-
ment dans l'état présent des choses, ils avaient
vu trop peu de ruines, pour penser jamais que
les annales du monde eussent à révéler d'autre
rente que le maintien de la loi contemporaine.
Au commencement, quand les nations, avec une
énergie naissante, s'établirent sur un sol jeune
comme elles , à peine si elles croyaient devoir
mourir un }our ^ et chacune d'elles , se faisant le
centre et le but de l'univers , se proposait elle-
même à rado|*ation du genre humain. Mais»
quand chacune de ces idoles eut péri à son tour,
le monde qui leur avait donné sa foi commença
à s'inquiéter et à chercher au-delà le prix du
sang versé et des travaux des générations qui les
avaient précédées : alors , pour tout achever , ap-;
parut une croyance nouvelle, qui transporta les
esprits par-delà les limites de Fespace et du temps,
ea sorte qu'en contemplant l'immuable et l'ab-
8 INTRODUCTION.
solu , on se mit à s'effrayer de tout ce qui n'est
pas éternel. De ce jour, on fut moins avare des
siècles : on comprit qu'ils pouvaieat être prodi-
gués sans danger, et les empires, qui jusque-là
semblaient si permanens, remplirent les âmes
d'épouvante par la brièveté de leur existence et
la rapidité de leur chute. La pensée ne se reposa
plus sur chacun d'eux isolément. Pour combler
le vide, on les ajouta les uns aux autres; on les
embrassa tous d'un même regard. Ce ne fiirent
plus des individus qui se succédèrent les uns aux
autres, mais des êtres collectifs qu'on resserra
dans d'étroites sphères. Puis, voyant que cela
encore ne servait qu'a manifester le néant , on
s'appliqua à chercher s'il n'y aurait pas du moins,
au sein de cette instabilité, une idée permanente,
un principe fixe autour duquel les accidens des
civilisations se succéderaient dans un ordre éter-
nel. Comme on avait ramené la vie individuelle,
ou la carrière d'un peuple, à une pensée domi-
nante, dont il était le développement, on s'étu-
dia à coordonner la succession des empires à une
seule et même loi. '
Et parce que le fait qui venait de donner cette
haute direction à l'histoire , près de tomber par
l'influence du despotisme sous la forme iniîom-
plète et dégradée de la biographie , était d'une
nature prodigieuse , l'univers resta promptement
INTRODUCTION. 9
tonraincu qae c^était là le but qu'il (Perchait et
la ^nde pensée qu'il avait à accomplir. On crut
s'apercevoir qu'une main mvisible poussait de
toutes parts les hommes et les empires à servir
les progrès de la loi du Christ; et qu'au-dessus
des circonstances locales et des développemens
individi^ls , une- destinée commune ramenait
tous les phénomènes du knonde civil à ce grand
œuvre de la Providence. Cette idée est la pre-
mière qui ait marqué l'histoire d'un caractère
philosophique, en donnant aux actions humai-
nes une carrière , un enchaînement et un élément
de fixité. On en découvre les traces dans les Médi-
tations de S. Augustin. Déjà elle est clairement
développée par EusèJ>e et par Sulpice- Sévère :
rien n'est plus fecile que d'en suivre les grossières^
applications dans toute la suite du moyen âge,
jusqu'à ce qu'elle vint tomber aux pieds de Bos-
suet. Comment il l'a recueillie, on le sait, tt par
quel art l'histoire du genre humaine devint ime
épopée qui a son commencement , ses péripéties ,
son unité , son merveilleux , et dont la manifes-
tation du dieu-homme est le dénouement uéces-
saire.
Ainsi , la même puissance qui avait agrandi la
sphère de l'histoire, se posa elle-même comme
centre de toutes les activités humaines; elle. pro-
posa le problème de la nouvelle science , et la
10 INTRODUCTIOK.
solution qu'elle en donna , fut le &it meioie de
son existence. Tant que la conscience admit ce
fait comme une conyictioù primitiye, essentielle,
inhérente à sa nature^ cette solution fut admira*
ble. Car quelle autre destinée se peut imaginer
digne de Tiuiivers, si ce n'est de voir Tétre éter-
nel, infini , s'associer à lui par quelques points,
influer stor ses formes et marcher avec lui ? Au-
jourd'hui même que le génie de l'analyse et le
scepticisme semblent avoir août changé, nous
n'avons pas dautre croyance historique. Seule-
Hient ce qui était particulier est devenu général ;
ce qui avait été touché au doigt est devenu im-
palpable; ce qui avait paru dans tel lieu, dans
tel siècle, est devenu Toeuvre de tous les lieux et
ide tous les siècles. Mais , nous aussi , nous croyons
que les tribus de Jacob , que les anci^is peuples
des bords de l'Euphrate, que les Ammonites et les
Moabites sont tous entraînés^ par une loi unique,
à la révélation de Dieu, c'est^-dire à la raison,
à la justice et à 1^ liberté, exprimées par des
formes. De plus, nous savons bien que la cou-
ronne d'épines , que l'hyssope et le fiel ne seront
point épargnés 3 cela fait-il qu'aucun de nous se
repose dans le sein de l'absolu, avec moins de
confiance que le disciple bien-aimé sur l'épaule
de celui qui allait être immolé?
De tous les êtres soumis aux pouvoirs organi-
ÏNTRODUCTIOW. 11
ques, l'homme seul a la conscienoe des temps qui
ont précédé son individualité ; avec lui vivent
sur la terre des millions de créatures pbur qui Ie9
amiales de l'univers remontent à un )Our, à une
heure d'antiquité. L'homme seul ne mesure pas
le développement des choses sur, la suecesMon
fugitive des impression» qui se sont multipliées
pour lui. En vain , dans le cerde étroit de sa pen--
sée, d'immortelles douleurs, d'infinis dàirs, ont
laissé dans son souvenir de longues , de brûlantes
empreintes; il classe, tout cela, selon ce que cela
vaut) dans réohelle immense des âges et des de»-
tinées. Dans sa nature complexe , il sesit en lui ,
il reconnaît en lui l'œuvre combinée des siècles.
Seul, il sait quWant qu'il soit né, des êtres sem^
blables à lui ont préparé, à leur insçu, la place
qu'il occupé aujourd'hui dans le temps. Seul, il
sait qu'il meurt, et que tout lui survit, et l'uni^
vers qui le repousse, et l'humanité dont il &jit
partie. Quelles seront les formes et les individua
qui se reproduiront après lui? il l'ignore. Mais^
il sait qu'au-^dessuis des formes qui passent s'élève
la puissance de la raison, de la justice et de la
liberté^ qui vont se grossissant de chaque année,
qui s'écoule , de chaque vertu qui s'exerce ^m
silence. Produit des âges, l'humamté , être iitipal*-
pable, toujours mouvant, toujours changeant,
supporte tout ^^ les existemces en les absorbant
^ f
12 INTRODUCTION.
toutes 3 et Fempire qui s'écroule, et le cœur qui
se brise , Tont Tun et l'autre se perdre ^^ns son
sein, et le modifier de leur substance. Ainsi la
mort n'est plus qu'une transformation ascendante ,
et la vie des peuples qu'un rapide moment dans
la vie universelle, une feuille d'un arbre, une
page d'un livre, où nous ndus efforçons de dé-
chiffrer l'instant présent à travers les révélations
du passé. ,
Avec cela c'était peu que d'avoir conçu l'his-
toire de l'humanité. Comme tout système qui n'est
pas renfermé, dans un fait primitif, l'histoire
considérée scientifi()uement, ne peut se servir à
elle-même de point de départ. Tant qu'elle se
présente isolée, sans connexion établie avec un
point fixe, une vérité éternelle, dont elle est le
dévdoppément externe, elle n'est qu'une collec-
tion de formes; pittoresque, éloquente, je le crois j
mais la plus frêle, la plus variable, la plus pré-
caire de toutes~i elle ne vit que de contradiction
et d'incertitudes , toujours prête à se récuser, si
ses témoignages éphémères viennent, à lui man-
quer, et à s'égarer, quoi qu'il arrive. Dans les
autres classes de faits , quelque contingens qu'ils
puissent être, on aperçoit du moins, dans quel-
que lieu de l'espace et du monde réel , des mani-
, ' festations présentes , qui ont avec eux des rapports
nécessaires. Mais, ici, où est le lieu des corps, où
INTRODUCTION. 13
est l'objet qu'on puisse toucher? Uhomme a con-
servé de ses anciennes années des souvenirs qu'il
raconte avec complaisance. Combien, peut-être,
de fsLUX leurres d'espérances fugitives ne prend-il
pas, a son insçu, pour des événemens réels! Ce
qui n'a jamais eu vie sur la terre, que sais- je,
un Êintôme éphémère, une image décevante, qui
on jour est apparue à la pensée, cela est égal à la
réalité, qui a le plus opprimé le monde de son
poids ^ et rien dans l'histoire ne distingue l'être
du non-être , et ils suivent dans l'immensité des
temps des espaces égaux; ils se rapprochent, se
mêlent, se confondent; tant nos passions les plus
brûlantes laissent de £siibles empreintes sur les
objets , et si promptement les traces de l'homme
sont efiacées par le souffle des âges ! C est un
monde qui ne m'instruit de sa présence que
par le bruit de sa chute ; sa loi est de changer,
son essence et de n'en avoir pas. Si ce reten-
tissement de ruines venait à s'arrêter , je ne sau-
çais plus rien de lui; bien plus, il aurait cessé
d'être : sous peine de disparaître il faut qu'il
ne conserve pas même une apparence de durée;
et, chose étrange, ce qui fait qu'il est, est ce
qui en £siit éclater l'illusion et le néant.
n restait donc à fonder la science en intro-
duisant dans l'histoire des élémens de fixité, et
en donnant uff caractère de consistance aux
14 INTHOBUCTIO».
phénonumès jusqtieJà éphémères et presque iA*-
saisissables , doBLt elie se composait Or, ce n'était
point du séinide l'instabilité, ni dti chaos des
âges, que pouvaient sortir rimmnable et Tëter-
nel. Le désordre né pouvait pas lui-même enjeei-
gner Tordre universel. 11 £iUait sortir du cercle
des vicissitudes, quitter les formes précaires des
empires et des Êiits traditionnels ^ remonter par--
delà les traces de la civilisation ,^ et devancer
Texpérience de l'humanité , jusqu'à ce que l'on
vint à rencontrer un être, un fait irrécusable qui
eût avec elle, même avant qu'elle ne fût, les
rapports que la loi conserve étemelk^ment avec
le phénomène, non encore existant, qui doit
, servir un jour à la manifesta:*. Ju$qué4à , flot-
tante au hasard, au milieu de la confusion des
scènes historiques, et des vaines images de la
tradition , à peine la pensée est-elle arrivée jus-
ques à l'essence des formes et des mouvemens
des peuples, qu'dile s'y arrête avec joie. Il Ue
s'agit point ici de quelques règles passagères que
l'humanité peut rejeter, quand le mouvement
prc^ressif a détruit l'harmonie qui existait entre
elles et la raison générale. Conséquences néces^^
saires d'un fait comme elles inaltérable , sans ja-
mais ni diminuer, ni grandir, elles étaient ayant
que ne fussent les empires , ni les langues ; par
dUes , les temps ont un lien j les générations une
INTRODUCTION.
15
carrière, et l'énigme du genre humain s'explique
à mesure que ces phénomènes, naguère si frêles ,
empruntent de leur concordance avec elles une
coimstance et une valeur réelle. La loi qu'ils ex^
priment dans l'univers visible, les marque.de ses
caractères j revêtue de leurs formes, elle péo
nètre au loin daps tout le système des actions
humaines, pour leur donner véritablement l'être.
Ce ne sont plus de purs symboles que les siècles
se renvoient en passant. Brisez-<lès, et vous trou--
Verez la loi 3 la loi qui les conserve intacts, et
qui répand en eux la force, la sagesse, l'ordre et
l'harmonie.
Je ne sais rien au monde des choses qui m'ont
précédé dans le temps.' Jamais ma pensée n'a re^
monté plus loin que les souvenirs de mon én-
once. Ce que fiu^ent mes pères , je l'ignore com-^
plétement. Jamais les noms de Rome , d'Athènes ^
de Jérusalem, n'ont frappé mes oreilles : ja-
mais mon cœur ne s'est ému pour Sydney , Jeanne
Gray , Thémistocle, Philopœmen. J'ai rencontré '
sur mon chemin des ruines, sans m'inquiètent
de dmnander à personne pourquoi elles sont là,
et qui les y a laissées. Sans doute j'aurais perdu
ainsi beaucoup de consolations dans mes mi-
sères, et d'imposantes leçons dans mes égare*
mens ; mais enfin, si, au sein de cette ignorance,
je connais la loi suprême des nations, le type
46 INTRODUCTION.
idéal de leurs diverses périodes , si je suis arrive
jusques à Tesseajce même des mouvemeas et des
formes ; si, en supposant que des empires m'aient
précédé dans la durée, je puis dire quelle est
la pensée, l'élément rationnel qu'ils ont ngLani-
festé, cette connaissance, la seule que j'aie, mais
étemelle,' immuable, qui m'est coexistante, et
qui sera encore quand je ne serai plus, est-
elle, au fond, moins parfaite que la vôtre, vous
qui avez prêté votre pensée à toutes les vicis-
situdes des âges, à tous les contours des images
les plus fugitives ,^qui avez composé votre science
de contingences éphémères , d'individualités tou-
jours défaillantes que ni vous ni moi ne pou-
vons ni rappeler, ni prolonger un seul instant.
Ainsi tombée dans les bornes du monde , la
science nouvelle dut en subir les lois. Jusque-là
errante, indécise, plus ou moins mêlée aux
questions du jour et du lendemain, il fallut que
l'esprit humain la revêtît de ses formes, et que,
fidèle à ses deux méthodes , il la marquât d'une
double empreinte. L'éternel débat de l'académie
et du lycée , du spiritualisme et de la sensation,
tétendit son cercle jusques à elle, et enferma
dans sa querelle un nouveau concours d'objets.
Deux hommes parurent alors, Vico et Herder, -
qui représentent chacun à sa manière les deux
écoles qui venaiait de tiaitre, et qu'ib avaienJt
INTRODUCTION. il
créées. Tous deux pleins de génie, zélés nova*
teurS) puissans par Famé et les convictions' : l'un
enthousiaste avec méthode, recueilli dans sa
force, concis, nerveux jusqu'à la rudesse; l'autre,
tout éclatant de poésie , tout brillant de jeunesse
et d'illusions, paré comme la nature qui le
séduit par les £6rmes, riche, abondant, sans
obscurités, sans mystères, mais non pas sans
profondeur, il était permis de penser que leur
cortège serait nombreux et leur influence im«
»
médiate. Mais, soit qu'ils eussent devancé le
monde de quelques pas, soit que l'aiicienne lutte,
venant alors à se réveiller , ait tout entraîné dans
sa sphère , il est certain qu'il ne leur resta qu'un
petit nond>re de disciples, et qu'aujé^d'hui
même leur gloire est loin d'être égale à' leur
génie.
Qu'a-t^il donc fait le Napolitain Oiambatista
Vico ? Le premier , il a posé les lois universelles
de l'humanité. De la représentation il s'est élevé
jiisqua l'idée, des phénomènes jusqu'à Tessènce*
Frappe du principe de la nature identique de
toutes les nations, il a rassemblé en un seul tout
les phénomènes qUi sont communs à chacune
d'elles , dans les diverses périodes de leur durée ;
et, leur ôtant leur couleur et leur, individualité,
il a composé de leur ensemble une histoire abs-
traite, une forme idéale, qui tient à tous les
I. 2
18 INTRODUCTION-
temps, qui se reproduit chez tous les peuples
sans en rappeler spécialement aucun. Ce qui
nous apparaît de la succession ^des nations y de
leur naissance , de leurs dévelop^emens , de leur
grandeur et de leur chute, n'est que rexpression du
rapport du monde avec cette indestructible cité.
Elle s abaisse vers lui et le marque de son ena-
preint^ ; de là , une suite indéfinie de ruines , d'em-
pires naissans, de trônes brisés, de changemens et
de débris qui tous ont leurs représentations dans
l'absolu. Les peuples , à mesure qu'ils se succèdent
dans l'ordre des âges , entrent en rapport avec elle ,
et s'établissent dans son enceinte ; ils la parent de
leurs couleurs, et, pendant qu'ils existent par
elle et en elle , ils lui commimiquent en retour
un mouvement apparent; ils la revêtent de tous
les emblèmes que les temps leur ont apportés ;
ils promènent quelque temps leur gloire ou leur
misère , dans ses immuables détours ; ils font en-
tendre en passant leurs voix sous ses voûtes si-
lencieuses; et quand ils périssent, elle ne pérît
point : elle se dégage de leurs ruines, et reparait
toute radieuse dans la région des idées.
Cependant, où trouver ces annales impéris-
sables qu'aucune main n'a écrites, qu'aucune
tradition n'a portées jusqu'à vous? — Dans le
fait de la Providence, manifesté sur la terre par
les lois de la pensée humaine. C'est dans ce sys-
INTRODUCTION, . 19
téme intelligent , partout identique à lui- même
dans son essence, que reposent les règles qui
domient aux nations leurs formas et leur mode
d'existence. Livrés tout au présent , que les peuples
et les civilisations s'agitent, se heurtent, se pré-
cipitent dans le temps ; pour elles , elles restent
immuables dans un inaltérable i^pos. Quand
tout disparaîtrait sur la terre , les empires , les
monumens , quelques noms épars , quelques traces
de sang, elles n'en existeraient pas moins; et
cette bistoire qui les renferme toutes ne serait
pas pour cela, ou moins remplie, ou plus im-
possible à tracer; car si les faits et l'expérience
sj introduisent, ce n'est que comme de purs
symboles, qui la confirment sans lui servir de
fondement.*
Imaginez quelque méthode contraire en tout
à celle qui à été suivie par Vico, ce sera celle de
Herder. Si le premier donne pour point d'appui
à la série des actions humaines , la pensée dans
sa plus sublime essence, le second s'élève de la .
manifestation la plus grossière de l'être matériel}
il enchaîne da*ns une seule idée, partout présente
et partout modifiée, l'espace qui renferme les
forces de la création, et le temps qui les per-
I ■ »■ ■■!■
1. Vico. Scienza nuova intorno alla comfnune natwa dfilh
naûoniy 1735,
20 INTRODUCTION.
' fecfionne en les développant. Depuis la plante
qui végète , depuis l'oiseau qui fait son nid , jus-
qu'au phénomène le plus élevé du corps social ,
il vit tout procéder à l'épanouissement de la
fieur de V humanité ^ les mondes se débrouiller du
chaos, et l'être organique préparer, par des mo-
difications successives, la substance dont les siècles
s'emparent pour l'élaborer à leur tour. Par quel
efichainement merveilleux toutes les formes se
préparent l'une l'autre! Dans cette série im-
mense, tous les intervalles sont remplis, et des
êtres mixtes servent de transition entre des na-
tures entièrement dissemblables. Chacun y rem-
• plit sa mission en développant ses germes, en
produisant ce qu'il peut produire. D'ailleurs , ce
mouvement des choses n'est pas un vain conflit
de forces, qui se limitent et s'altèrent sans que
de là ne ressorte une idée dominante, que cha-
que être accomplit dans sa sphère. Si aucune
activité n'est en repos , aucune n'est rétrograde.
Par une identité admirable elles s'avancent toutes
d'une forme inférieure à une forme supérieure ,
de la pierre à la plante , de la plaflte à l'animal.
En suivant ainsi la marche des^hoses , il recueille
en passant toutes les analogies que lui présentent
les divers degrés de la création ; et quand , enfin ,
il arrive sans se(^ousse , par une voie uniforme ,
jusqu'à l'homme , il n'a point à s'étouner de ses
INTRODUCTION. 21
liiénreilles : il reconnait en lui Têtre que prépa-
rait et qu'annonçait le concours des formes et
des instincts qui se sont succédé devant lui.
A peine s'est-on élevé jusqu'au premier élé-
ment de l'humanité, que le système prend un
caractère singulièrement neuf et hardi. La créa-
tion se divise dès -lors en deux mondes. Im-
mobile comme l'espace où il déploie ses pou-
voirs , Fiui a beau changer ses saisons , ses climats >
ses fléaux et ses bienfaits ; identique à lui-même,
ce mouvem^ent apparent n'est rien autre qu'un
éternel repos. L'autre , qui se meut dans le temps,,
n'est pas moins changeant que lui. Il fuit sur
son âjJe, il s'égare, il se brise, il se recompose, iF
grandit, il diminue. Variable à l'infini» le sui-
vez-vous dans "sa course, il vous épuise en vains,
détours, sans que vous sembliez approcher d'au-
cmi but ; détournez-vous, les yeux, bientôt vous
avez peine à le reconnaître, tant ses forcer pro<r
gres^ves. ont reçu de développement. Herder £iit
naître ces deux mondeSuFiui de l'autre, ou plutôt
il n'en fait qu'un seul et même être. Si les Lois?
phy^ques ont construit l'univers, les lois de^
Ihumanité ont construit le monde de l'histoire.
Ch-; oomme l'homme m'est dans sa- nature mul^
tîple que l'abrégé le plus complet, et, pour ainsi
dire^, le point central de toutes les forces orga^
niques, les. lois- de son espèce ne sont autres que^
22 INTRODUCTION-
celles de la création inerte, qui vont de toutes
parts se réunir en. lui, pour se manifester sous
des formes correspondantes. Si la nature s'efforce
à travers mille modifications, d'éleyer son ou-
vrage jusqu'à la puissance de la pensée, celle-
ci poursuit la voie du perfectionnement à travers
les vicissitudes des siècles et des civilisations;
et il y a dans cette chaîne non interrompue,
à la fois coirespondance dans les phénomènes
et unité dans la loi.
De là il ti'arrive point brusquement au mi-
lieu des mouvemens de l'histoire. Il commence
par étudier la scène avant qu'elle soit remplie,
et que le tumulte des événemens l'empêche de
marquer avec précision les accidens du sol. La
demeure de l'homme détermine* déjà , par les
circonstances du voisinage, des habitudes qui
deviennent des lois. Avant qu'aucune action
humaine eût paru dans le monde, les chaînes
des montagnes , les replis de terrain , les^ sinuo-
sités des rivières et des fleuves , marquaient
déjà en traits. ineffaçables la physionomie future
de rhistoii::e. Cest avec ua art prodigieux qu'il
suit le contour des rochei? et des fleuves, qu'il
s'égare dans les déserts, qu'il pénètre d'un re-
gard tout l'intérieur d'iine contrée, poiir re-
trouver dans la nature externe le premier mo-
bile des pcQchans et des déterminations des
INTRODUCTION. 23
peuples. Au milieu de cette nature toute nou-
telle, où aucun sentier ne^t encore tracé ^ sa
marclœ est si bien assurée, ses couleurs sont si
vives , si pénétrantes , que cela rappelle les pre-
miers jours du monde naissant , quand TEternel
montrait à Thomme sa demeure, et lui appre^
nait les noms des animaux qui l'entouraient et
des fleurs qu'aucun souffle n'avait encore flétries.
Un de nos plus illustres voyageurs^ cite ses des-,
criptions des zones comme des chefs-d'œuvre
inimitables de vérité et d'éloquence pittoresque.
On comprend , en effet , qu'il doit y avoir plus
Jmi rapport entre le génie qui pénètre la phy-
sionomie morale des peuples qui ne sont plus,
et celui qui pressent les convenances naturelles
et l'aspect d'une contrée qu'il n'a point visitée.
Mais où est-il , le personnage qui doit remplir
ce théâtre ? La terre est encore nue et désolée :
il &ut qu'il sorte du $ein de$ forces qu'elle ren-*
£9rme^ et cela sans que nous perdions de vue un
seul instant la chaîne qui le précède et qui nous
sert d'appui. Sans doute, il a en lui des principes
spéciaux, des lois propres qui expliquent ^-
vance le long drame qu'il est appelé à représen-
ter. Je ne puis dire quel intérêt le tableau phy-
siologique des capacités hupiaines emprunte d'un
1. M. de Humboldt.
24 INTRODUCTION.
pareil point de vue : les puissances de l'huma-
nité sont encore oisives , il est vrai ; mais déjà
on aperçoit de loin le mouvement confus et la
scène agitée qu'elles présagent 3 l'anatomie s'élève
par là à la plus haute philosophie et aux phis
grands effets d'éloquence. Cest avec une atten-
tion extrême que l'on écoute les hattemens du
cœur, que l'on suit la . direction des fibres et
tous les détails de ^organisme^, quand la corres-
pondance a été marquée ehtre ces faits , en appa-
rence si restreints , et les lois suprêmes qui ont
présidé aux révolutions des âges. Souvent, avant
Herder, on avait fait la description générale des
facultés natives de l'Homme. L'œuvre de génie,
la pensée à jamais originale qui survivra à toutes
les variations des sciences , a été de l'unir inti-
mement aux développemens de l'histoire pour
leur servir de base. C'est de là qu'il part pour
déterminer les limites de l'humanité et la sphère
de ses actions; il l'environne de caractères fixes,
îl la protège de lois générales qui doivent ré-
pondre à tous les cas ; il lui trace l'itinéraire de
sc^long voyage, puis il la suit des yeux sur
un sol ferme dont il connaît d'avance les acci^
dens et les détours.
Quelle que soit la hardiesse de ces méthodes,
comme déjà elles sont vaguement répandues dans
les esprits , et que le siècle est près de les pro-*
INTRODUCTION. 25
ckmer , nous nous étonnons moins aujourd'hui
de leur résultat que du peu de gloire qu*ont'
acquis parmi nous les génies qui les ont aper-
çues. Car telle est la marche des choses , quand
le temps est yenu ponr une grande idée : il se
trouve en avant des siècles comme égaré dans
sa rêverie, un homme qui la recueille dans sa
pensée , qui lui marque ses limites , qui lui élève
un monument dans le désert ; après quoi, il faut
qu il meure. Mais après lui , au-dessous de lui ,
arrive le monde, qui poursuit sa carrière avec
sérénité îusqu'à ce que ^ venant à rencontrer des
emipreintes inconnues là où il ne croyait laisser
que Jes siennes , il commence à s'étonner et à
se demander comment de telles puissances ont pu.
passer au milieu de lui sans qu'aucun bruit l'ait
averti ; et là-dessus il se livre à diverses conjec-
tures, semblàbleauvoyageur qui, perdudans une
ile déserte, se met à tressaillir s'il aperçoit siu*
le sable d'autres traces que les traces de ses pas.
Si le point de départ de Vico est plus solide que
celui de Herder, c'est une question qui rentre
dans le domaine de l'ontologie. Qu'il nous suffise
ici de montrer que le philosophe allemand n'a
pu, dans son système, résoudre; pleinement le
problème de l'histoire, et que ce génie conscien-
cieux a été obligé de dévier, à son insçu, de ses
propres principes. *
26 INTRODUCTION.
Quand , sorti des préparations successives de là
]iatui*e créatrice, le genre humain, semblable
à la statue de Pygmalion , commença à s animer
et à respirer , au sein des pouvoirs organicpies ,
il n'eut d abord, comme elle, ^'un sentiment
confus de son être, qu'il confondit avec tous les
objets environnanSy se soumettant à leurs lois
comme à sa loi , prenant leur destinée pour sa
destinée, leur essence pdur son essence, sans que
son regard encore troublé pût déterminer les
limites de sa nature. Ne s'étant point encore
distingué du reste des êtres , il n'avait pas d'his-
toire^ ou plutôt elle faisait partie de celle du
monde physique ; tout se réduisait à une des-
cription de l'individu, dans laqudle n'entraient
pour rien ^ ni la différence des temps , ni la suc-
cession des générations, ni divers accidens de
la vie primitive, des arts que le hasard , faisait
découvrir, et que le hasard faisait naître, des
luttes sanglantes, des associations fortuites. Or,
pour sortir de ces bornes, quelle est. la loi que
Herder a établie? U humanité n^est et ne fut
partout, conformément aux circonstances du
temps et du lieu, qu^ ce quelle pouiwt être ,
et rien que ce quelle pouvait être. Avec cette
loi , réduite à elle seule , le mouvement semble
impossible.
On conçoit, en effet, qu'à peine la destinée
INTRODUCTION. 21
de rhomme eut été séparée de celle de runivers,
par un acte, une pensée, non-seulement il se
trouYa sorti d'une sphère où il ne devait plus
rentrer , mais jusqu'à un certain point il ren-
ferma en lui la succession entière des tribus et
des empires. Arrivée sur ses traces, la ^nératipn
qui le suivit, empressée de recueillir son oeuvre y
sigoala un système différent de ceux qui l'avaient
précédée ; il y avait entre elle et ce qui n'était
pas elle une relation que ses prédécesseurs n'ayant
point co^nue n'avaient pu exprimer. Ce rapport
suffisait pour qu'elle fut nécessairement autre que
ce qui avait été avant elle. Du mélange de ses
ibroes propres avec la tradition , sortit un résul-
tat nouveau, qu'elle légua à ses descendans; ceul^
ci modifièrent à leur toiu* la combinaison qui
s'était présentée à eux, et la trace qu'ils laissèrent
ne fiit ni la tradition primitive, ni l'héritage de
leurs pères, mais un troisième résultat, qui se
composa des deux précédens.
Au contraire, avant que ce premier pas eût
été £ût>, quand l'humanité, sous la forme la
plus abjecte , n'existait pas encore, et que , captive
et enchaînée sous, le règne des sens , elle n'avait
fcit aucun effort pour sortir de cette sujétion,
lliomme, sans langage, sans religion, sans société,
avait pour toute tradition l'éternelle loi de la
création inerte, qu'il reproduisait incessamment.
28 INTRODUCTION.
sans avancer d'tin seul degré. Produit nécessaire
du monde matériel,, son action se bornait ii
en réfléchir l'image : comme lui , immobile au
sein d'un changement apparent, elle croissait
ou déax)issait, s'animait ou languissait avec lui.
Sans lui rien ajouter, sans lui rien retrancher,
elle était lui sous une autre forme. Qu'elle appa-
rut ou non , il n'y avait pas un seul système de;
plus ou de moins dans le système général des
choses. En la rencontrant, les générations sui-
vantes rencontraient le monde; ainsi, roulant
dans la même sphère, réduites à se multiplier
incessamment sans que la valeur augmentât ja-
mais , leurs obscures annales ne faisaient qu'ex-
primer un rapport toujours identique-
Cette première impulsion |ie vint pas de la
nature extérieure, elle ne vint pas de l'homme
qui lui était asservi y force est donc qu'elle sortit
d'une puissance étrangère à l'un et à l'autre. Telle
est, en effet , la conséquence où Herder a été con-
duit. Dans l'impossibilité de donner- le mouve-
ment à cet être qu'il a si profondément lié à
l'organisme, partout où il aperçoit un élément
de progrès, la parole encore grossière, des rites
religieux, un premier degré, de civilisation, il
prononce que la tradition a fait ces prodiges; non
pas une tradition locale que chaque peuple voit-
naître et se développer dans son s«n, qui lui
INTRODUCTION. 29
«|)partient en propre et n'appartient qu'à luî;
mais une révélation première, fondamentale, qui ,
donnée dans tel lieu, dans tel temps, s'est ré*
pandue de là , sous mille formes différentes , chez
toutes les jaations cultiTe^. Les peuples même les
plus grossiers en ont quelque connaissance, dès
qu'ils sont* parvenus à une loi morale, à une
sorte de langage et de culture : jusque-là leurs
capacités , quelque grandes • qu'elles puissent être,
ne sont point. éveillées, et l'image de la pensée
divine, vaguement répandue dans leur être,
s'efforcerait . en vain de se dégager et de se mani-
fester au dehors par une série d'actes perfectihles.
Ainsi y il faut qu'il y ait eu un point dans l'es-
pace, un moment dans le temps, où Dieu se
soit commupiqué à l'homme , pour apprendre à
cet enfant égaré le chemin qu'il devait suivre:
le trouvant confondu avec le reste des choses»
il l'a ramené dans ses voies, il l'a muni d'un lan-
gage, d'une forme de religion j il l'a élevé au pre-
mier degré de perfectionnement, laissant aux fa-
cultés dont il l'avait anciennement doué, le soin
de &ire le reste.
Or , voyez l'enchaînement des choses ! Si cette
première tradition est insuffisante, faudra -t- il
que la toute -puissance revienne incessamment
répandre un nouvel esprit de vie sur sa créature
toujours prête à languir, et l'humanité, rejetée
80 INTRODUCTION,
de nouyean dans la lice, perdra-t**elle ckafqûe
fois le souyenîr de son contact arec Fêtre su-
prême, sans qu'elle ait pour excuse, comme
dans les temps primitif, l'imbécillité de l'en-
fance ? dans tous les cas , que devient le système
des pouvoirs progressifs, qui s'élevaient, sans
concours étrangers , de la forme la plus grossière
à la manifestation la plus haute ? 1} n'est, disiez-
vous, qu'une loi, qu'une pensée, qu'un être qui
va, en se perfectionnant, par des voies succes-
sives; pourtant vient le moment où il faut dé-
clarer que le monde ne se suffit pas. Après une
série de transformations qui aboutissent à de
sublimes capacités, son impuissance est mise
au Jour ; il s'arrête et réclame un pouvoir qui ,
ne venant pas de son sein, qui n'y retournant
pa3, le tire de l'inertie et supplée à -ses forces
-épuisées ; et quel pouvoir \ sans bornes , sans
vicissitude, sans défaillance, qui n'a pas d'ex-
pression dans nos langues, qui confond et épou-
vante notre intelligence. Voilà ce qui s'est inter-
posé entre l'imivers organique et les premières
appariticms de l'humanité ! et ce milieu ne suf-
firait pas à faire de la création inerte et de la
création progressive deux mondes distincts I
Comment naîtraient- ils l'un de l'autre? il y a
l'infini entre eux.
Au contraire, qu'embrassant l'ordre entier
INTRODUCTION. SI
des laits , sans exclusion , on se confie dans cette
métapliysique qui est écrite sur les tombeaux
des peuples , et qu'on écoute jusqu'à la fin de la
lente argumentation des siècles, tout s'explique
sans mystères. Ce premier afFranchissement qui
semble si inexplicable, reparait sous mille faces
diverses dans toute la succession des âges. Loin
d'être une merveille dans l'humanité , c'est parce
qu'il n'a pas cessé, parce qu'il se répétait hier,
parce qu'il se répète aujourd'hui, que nous avons
des monumens, des traditions, des annales, qui
ont une suite et un sens. A cette heure, par quel
«ichantement ne vivons-nous pas sous la loi du
mojen âge, ou sous celle du grand roi de Ma-
cédoine? si ce n'est parce qu'à différentes pé-
riodes , le genre humain a déclaré que les éta-
blissemens qui Coffraient à lui, il voulait ou les
modifier, ou les renverser, et se faire à son gré,
à ses risques et périls , une- destinée nouvelle.
Toujours conforme à lui*méme , ce n'est pas au-^
trement qu'il a consommé la première . révolu*»
tien , alors qu'il avait à lutter contre l'univers ex-
téri^or qui l'opprimaijt tout entier de son poids.
Il brisa le joug de la nature sensible comme il
a bri^ depuis celui des Nemrod, des Antiochus,
des Hippias, des Denys , des Césars , de tous ceux
dont j'oublie le nom. Quand , pour se soustraire
à un monde qui n^ét^it pas le sien , Caton déchi«
$2, INTRODUCTION*
rait ses entrailles j- quand Thomas Morus/ lordl
Russel et tous les autres montaient sur Téchafaud
pour une cause qu'ils croyaient bonne et du prix
de leur sang , il y avait sans doute plus d'hé-^
roïsme dans ces actions que dans celle du premier
homme , qui , par sa yolonté, affronta , hors du
mouvement aveugle de la création externe, un ave^
nir qui n'appartint qu'à lui. Mais sous des formes
diverses , ces deux ordres de faits dérivaient d'un
principe commun. L'un et l'autre ils révèlent
une activité qui ne relève que de soi ; et cette
activité y nous la conAaissons, nous la sentons ,
nous savons comment on la nomi^e, et si c'est
un prodige que le ciel fait un Jour et ne renou-
.velle plus.
En un mot, l'histoire, dans son commen-
cement comme daîijs sa fîn, est le speetacle de
la liberté , la protestation du genre humain
contre le monde qui l'enchaîne , le triomphe de
l'infini spr le fini , rafTranchissement de^ l'esprit,
le règne de l'ame : le jour où la liberté man--
queràit au monde serstit celui oii l'histoire s'ar-
rêterait. Poissé par une main invisible, non^
seulement le genre humain a brisé le sceau de
l'univers et tenté une carrière inconnue jusquer
là, mais il triomphe, de lui-m.éme, .se dérobe a
ses propres voies, et changeant incessamment
de formes et d'idoles, chaque effort atteste que
INTROPUCTION. 3S
l'univers lembarrassè et le gêne. En vain ÏOne^t,
qui s'endort sur la foi de ses symboles, croit-il
lavoir enchaîné de tant de mystérieuses en-
traves; sur le rivage opposé s'élève un peuple
eoÊint qui se fera un jouet de ses énigmes et
letpufiera à son réveil. En vain la personnalité
romaine a-t-ellé tout absorbé pour tout dévorer;
au milieu du silence de Tempire, est-ce unç
illusion décevante, im leurre poéticpe, que ce
bruit sorti des forêts du Nord, et qui n'est ni
le, frémissement des feuilles, ni le cri deFaigle^
ni le mug^sement des . bêtes sauvages ? Ainsi ,
captif dans les bornes du mo^de , l'infini s'agite
pour en sortir; et l'humanité qui l'a recueilli,
saisie comme d'un vertige , s'en va , en présence
de l'univers niuet, cheminant de ruines en
raines , sans trouver ou s'arrêter. C'est un voya-
geur pressé , plein d'ennui , loin de ses foyers :
parti de l'Inde avant le jour, à peine s'est- il
reposé dans l'enceinte de Babylone , qu'il brise
Babylone, et, restant sans abri , il s'enfuit chez les
Perses , chez les Mèdes , dans la terre d'Egypte. Un
siècle , une heure^ et il brise Palmyre , Ecbatane
et Menoiphis , et toujours renversant l'enceinte qui
l'a recueilli , il quitte les Lydiens pour les Hellènes ,
les Hellènes : pour les Etrusques , les Etrusques
pour les Romains, les Romains pour les Gètes,
les Gètes Mais que sais -je ce qui va suivre ?
I. 5
H INTRODUCTION.
quelle aTeugteprécipitatioa! qui le {tt^essè? corn-*
ment ne craint-il pas de dé&iillir avant l'arrivée ?
Ah ! si dans l'antique Épopée nous suivons de
mers en mers les destinées errantes d'Ulysse jus«
qu'à son île c^hérie , qui nous dira quand fini-
iront les aventures de cet étrange voyageur , et
quand il verra de loin fumer les toits de son
Ithaque?
Ainsi, nous fouchons aux premières limites
de rhistoire ; nous quittons les phénomènes phy-
^siques pour entrer dans lé dédale des révolutions
qui marquent la vie de Thun^atiité. Adieu ces
douces et paisibles retraites , ce repos immuable,
cette fraîcheur et cette innocence dans les ta*
bleaux; l'air que nous allons respirer est dé*
vorant, le terrain que nous foulons aux pieds
est souillé de sang ; les objets y vacillent dans
une étemelle instabilité : où reposer mes yeux?
Le moindre grain de sable battu des vents a en
lui plus d^élémens de durée, que la fortune de
Rome ou de Sparte. Dans tel réduit solitaire je
connais tel petit ruisseau, dont le doux murmure,
le cours sinueux et les vivantes harmonies sur-
passent en antiquité les souvenirs de Nestor et les
annales de Babylone. Aujourd'hui, comme aux
Jours de Pline et de Columelle, la jacinthe se
plaît dans les Gaules, la pervenche en-Illyrie, la
marguerite sur les ruines de Numance , et pen*
INTRODUCTION. 85
àmt qu'autour d'elles les Tilles ont chan^ de
maîtres et de nom» que plusieurs sont rentrées
^ dans le néant, que les civilisations se sont cho-
quées et brisées , leurs paisibles générations ont
' traverse les âges , et se sont succédé Tune à Tautro
jusqu'à nous, fraîches et riantes comme aux
jours des batailles.
Cette permanence du monde matériel, ne
doit-elle donc ici qu'exciter de vains regrets,
et cette masse imposante n'est- elle là que pour
mieux £aiire sentir ce qu'il j a d'éphémère et de
tumultueux dans la succession des civilisations ?
Jl Dieu ne plaise! tout au contraire, elle se re-
ûécbit dans le système entier des actions hu-
maines, et les marques d'un profond caractère
de paix et de sérénité. Quand il a été établi que
les vicissitudes de l'histoire ne naissent pas d'un
vain caprice des volontés, mais qu'elles ont
leurs fondemens dans les entrailles mêmes de
l'univers , qu'elles en sont le résultat le plus élevé ,
et que c'était une condition du monde que nous
voyons, de faire naître à telle époque, telle
forme de civilisation , tel mouvement de pro-
gression; que ces divers phénomènes entrent
en rapport avec le domaiiie entier de la nature
et participent de son caractère, ainsi que toute
autre espèce de production terrestre; les actions
hunaines se présentent alot^ comme uin niou-
S6 INTRODUCTION.
veau règne /qui a ses harmonies, ses contraste»"
et sa sphère déterminée. Le mouvement j est si
heureusement ménagé , les phénomènes sont si
fortement liés entre eux,^ qu'en passant de la
science des choses à la science des volontés y
vous ne faites que revoir sous des formes ana-
logues et plus épurées le même ordre, la même
stabilité qui s'étaient 'offerts à vous dans la con-
templation du monde physique. De plus, il
faut dire que les souvenirs de la nature, trans-
portés au milieu du trouble des âges; ces ac-
cidens de la vie des fleurs qui servent à ex-
pliquer des phénomènes correspondans dans
l'existence des corps politiques; tant de paisibles
objets, de suaves images, en portant le repos des
champs au milieu des scènes de l'histoire, lui
donnent uae physionomie entièrement originale
et un charme indicible. Ils pénètrent toute la
série des âges ^ répandant sur les vieux siècles
la fraîcheur de la rosée, faisant circuler autour
des groupes historiques l'air matinal des monta-
gnes. Cest le bouclier de l'impitoyable Achille,
sur lequel on voyait gravé le tableau des moissons
et les joyeux apprêts des vendanges.
Vous rencontrez ça et là ces peuples , ces ré-
volutions , ces accidens des âges dont on a depuis
si long-temps bercé votre souvenir ; mais tous,
par la puissance des rapports, ils ont grandi,
INTRODUCTION. 37
ik sont renouydés pour la science. Arrêtés on
détruits dans leur marche par une force supé-
rieure , quelques-uns d'eux n'ont point accompli
le cours entier de \&w destinée. Gomme il y a
,dans la nature organique des mouches éphér
mères qui ne voient qu'un soleil, il y a aussi
des peuples qui ne vivent qu'un jour; assez pour
laisser des urnes fiinéraires ^t des lampes où l'on
recueiUe des larmes ! D'autres ont rempli le cercle
entier de leur mission : avec quelle gloire ! on
le sait; avec quel profit pour les âges^ suivansi
voila la question. Tout est bien , quand tout est
conforme à sa loi^ ce qui peut être, est; ce qui
doit périr, périt. Les royaumes se brisent, mais la
justice et la raison s'enrichissent de leurs débris et
dominent leurs formes passagères. Quand l'histoire
semblait être la propriété absolue de l'homme.,
le seul système de choses qui lui appartint en
propre et n'appartînt qu'à lui, c'est une concep-
tioin hardie de l'en avoir dépossédé , et de l'avoir
fait descendre' ainsi du premier rang qu'il s'était
.arrqgé , pour, mettre à sa place la pensée uni ver*
selle, dont, il n'est plus que l'expression docile.
Une fois, que c'est entre les idées, et non plus
.entne 1^ personnalités, des peuples que la lutte
jcst «ogiagée , il se fait autour de vous un grand
calme ;. ni l'amour ni la haine n'ont plus aucune
prise ; à peine si à cette hautç^ yous e^teadez
38 INTRODUCTION.
le fracas de» empires, ef si le iHrmt de. la ^ire
indiridiielle arrive jusqu'à vous.
Lorsque nous- suivions» avec le géuie sévère
de Machiavel^ les ^puissances occultes, les voix
cachiées, les éclats de la foudre, et les oiseaux
de nuit , qui annoncent , avant le tem|>s, la chute
des vilks et des institutions, nous étions loin de
sourire de sa méprise , et nous nous effrayions
à, bon droit de la destinée qui ijTOuble une rai*
son si austère, et qui échappe à tous ses efforts
pour y porter la lumière. Mais ici il y a de
quoi se rassurer, tant la part £ii«e à la fortune
et aux agens mystérieux est diminuée. L'homme
a pour compagnon, dans sa carrière , l'univers
entier ; et quand je vois se dérouler à mes yeux ,
t^omme une déduction non interrompue, toutes
les vicis^tudes de son histoire passée, non-seu-
lement je m'^are avec ravissement dans la con-
teniplaticm des lois qui ont été celles de tous
mes frères , non-seulement je m'enchante à mon
gré de la sévère harmonie des siècles; mais je
me confie moi^oiéme dans Tcnrdre majestueux
des temps; et je me herce de cet espoir, que
la puissance qui a su peser et balancer les siècles
et les empires, qui a compté les jours de la
vieille Ghaldée, de l'Egypte, delà Phénicie, de
t. ÏÀY. I, diap. 56.
INTRODUCTION. 39
Thèbes aux cent portes, de l'héroïque Sagonte,
derimplacable Rome, saura bieu aussi coordour
oer ce peu d'iostaus qxii m'ont été résenrés, et
ces mouremens épkémèref qui en remplissmt la
dm^.
Mais peut-être que cette manière d'envisager
le passé lui ôte le mouTcment, la vie» et n'eii
fait plus qi^une froide abstraction. Il est renuuv
qqable que l'homme qui a fondé si sévèrement
les lois or^niques de l'humanité, spit aussi uu
des premiers qui aient commencé la réforme
danjs rhistoire, en rendant aux siècles qui ne
sont plus, leiu* couleur naturelle , leur allure et
leur individualité. Sans doute dans im ouvrage
consacré au développement eatiet d'un^ périodip
historiques , comme le chef-d'geuvre de son ad-
mirateur Mullar, quand l'auteur a un, champ
vaste pour rassem,bler et coordonna: les détails,
quand la description d une nature encore frér
sente fixe la scène, quand il peut s'aurâter dans
la grotte de Rutlî poiH* écouter le serment h^
roique des berga», dans les métairies de Senipach
pour dépeindre l'innocence , la loi du peuple » p90r
£mde conunis s^ lacs, quand le scm de la clor
chette des troupeaux retentit dans les n^ntagncfl^
et que toute la rudesse du moyea âge s'unit auie
images les phis douces, les. {dus attendrissantes
qax maat évam les «ntra^es igïksmmoi il fioii:
40 INTRODUCTION.
bien qu*il y ait là une étonnante force de vérité ,
une illusion,' une Sjrmpatliie toute vivante. Aiz
lieu de cela, quand les peuples se pressent en
foule,' qu'ils se hâtent vers leur déclin, et que
l'on n'a qu'un instant pour saisir d'un regard le
caractère de chacun d'eux, quel heurqux génie
qrue celui à qui ce court, intervalle suffit pour les
feire revivre avec tous leurs traits,, de telle sorte
qu'ils sont réellement; ^résens, et que chaque point
dé la durée vous laisse l'impi^ession animée et
palpable d'une couleur, d'une forme, dun en-
semble de tons harmonieux que vous n'avez vu ,
que vbus n'avez senti que là ! Herder est, en sui-
vant le coiffs des siècles historiques, ce que nous
sommes avec les souvenirs de notre propre vie;
^lus il est séparé d'eux par un long intervalle,
plus ils sont empreints dans sa pensée de couleurs
vives, et marqués par des imagés distinctes; il
nous intéi^esse à leurs destins comme à une affec-
tion itldividuelle, et quand ils disparaissent de
l'histoire, vous sentez en vous un profond ennui ,
sacl^int bien que dans ce 'drame nul personnage
ne* revîçnt une seconde fois , et qiz'il s'agit ici d'un
-éternel adieu. Or, cette puissance qui évoque
-devant vmis les images du passé , est une langue
qui ^nprunte sa marche, ses eflets, sa physio-
xiomie au lieu , au temps pour les faire revivre
avec tous leurs^ a^ibuis/ Soit qu'il revête le
INTRODUCTION. 41
coloris Tâ^e , les symboles chàngeans des re-
ligions de llnde, soit qu'il marche avec pesan-
teur et circoiispectioii au milieu des obélisques et
des énigmes de l'Egypte , soit qu'il rotile, avec leà
sables de la Messénie \ un or pur , heureux reflet
de l'astre de Platon , jusqu'à ce que ses formes
«reltes, hardies, se Voilent peu à peu de tristesse
et de mélancolie ; quand il faut remuer le fond
des urnes et déchiffrer les inscriptions tumui-
laires de FEtrurie; partout sa nature flexible s'w-
nit intimement à l'objet qu'elle contemple ebïcime
la drapecie légève qai entoure la Vénus-Uranie,
et qui palpite ayee son sein harmonieux de toute
lliarmonie dkes Iftondes. '
Une des.parâéS' lea j^m remarquables de l'ou^
Trage est incontestablement cdle où lauteur, près
de quitter Içs civilisations antiques poar enirer
dansie labyrinthe du ibojen âgè{ s'arrête au mi-^
lieu des ruines qui renl;<âireat pour' xecuêillir ce
^pe les siècles ont développé d'idées générales efc
de principes étemels. Ces^ intérêts gigantesques
des empires^ qui- s'écroïdent, des corps politiques
qui se brisent comme l'argile, consumant {uromp-
tement les puissances dje notre imagination^ faite
pour des malheurs moins ^ahds et des -tristesses
plus circonscrites. Après ce mouvemàent prodi-
gieux , cette scène si remplie , c'est véritablement
une impression de bonheur, qiie'^ de rentrer
42 INTRODUCTION-
ddns Timmuable. De tant de cites qui ont brillé
sur la terre, de tant de nobles pensées qui ont
ébi'anlé les peuples» de tant d'agitation- et de bruit,
voilà qu'il reste cpelques vérités abstraites que
les empires ont révélées dans la rapide succès*
sion de leur existence ; mais , sans rapport visible
avec les événen^ns qui les recelaient^ elles Sur-
vivent sans rappeler ni la couleur, ni le lieu»
ni le temps, ni rien de ce qui touche au ntoade.
réel. Cest la voix des âges, sans aucun des attri-
buts de la vie, .sans accent, sans passion, et poin>-
tant l'éloquence ne lui manque pas^ parce que
sons ces formules scientifiques - en sait que se
cachent , tous les intérêts qui oq|: eÉiii FuniverSy
Id' gloire que Ion a cou^ise et 1& sang que Ton
adverse.
-. Cest tme noble pensée que d'avbir raffîsrgu
nos crojances j^ilosophiques an moment même
«iv le trouble apparent du moyen âge eut pn
facilement les ânrankr. Époque véritablentent
tuoricpe, que celle qui ràuiissaii tous les dé&uls
et- tous les charmes de ruMopérienee avec q«el^
qfies-QtiS des tristes avantages d'une société vieil^
lie; époque étrange, où il y axMt de la naSveté
dans les- esprits et de la profondeur dans les affeo-
tions, de la giÀce dans les pensées, et ;e ne sais
quoi de contre&it dans ks formes ; à la fois igno-
rante et pédantesqoe^ pleine de rudesse et d'émo-
INTRODUCTION/ 4S
iioB , quand les caractères étaient inébranlables;
les cœurs soumis et le dévouement &cile. La plu-*
part des idées qui ont illustré les siècles suiyans ,
erraient déjà vaguement dans les esprits ; maia
dles n'apportaient alors , au lieu du repos et de
l'espérance 9 que de l'inquiétude et dé l'effroi;
Comme toutes les inspirations qui. se réveillent
en nous sans trouver d'expressions. Il y avait un
fond de tristesse qui se répandait sur toutes les
relations de la vie; jetait sur les coutumes, sur
les traditions, sur les monumens, sur la physiono*
mie des bommes, la marque d'une inextinguible
douleur. On accueillait de toutes parts les paroles
de mort, les présages fiinestes; l'ordre social, ton-
jonrs dé£eiillant, inspirait tant > de défiance et
d'alarme, qu'au retour de chaque année l'univers
semblait arrivé à son terme et près de retomber
dans le chaos.
Au mili^ de la foule de mobiles qui semblent
Inriser l'unité historique de ces siècles, l'influence
du christianisme est^ le fait que Herder s'est sur*
tout attache à reproduire sous son véritable joiu*;
Avant lui ^ Lessing avait traité le même sujet dans
un petit éorit étincelant de verve et plein d'ori*
ginalité; malg^ quelque ressemblance avec la
théolc^ie mystique du deuximne siècle, la révé«
, laticm n'est plus eonsidà^ dans cet essai comme
le dernier terme d^ la progression univetiselle.
44 INTRODUCTION.
Lessing^ rae la range point non^ plus dans le pur
domaine de l'histoire; mais il cherche un milieu
qui satisfasse «gaiement au besoin de croii^ et
aux exigences de la nouvelle science. Selon lui,
la révélation est Tinstrument mobile dont Dieu
se sert et se servira à jamais pour développer
réducation de l'humanité; compie la colonne
de feu des Israélites, elle précède la marche des
fiations :i à de longs intervalles, quand l'esprit
général sfest élevé jusqu'à elle ^ elle subit une mé^
tamorphose et brille sur le genre humain d'im^
Imnière toute nouvelle. Dans l'origine des chosies,
f £^)eraei choisit , entre toi^s , un peuple pour ser*
vdr de type- aux autres; les croyances et le» véri-
tés qu'il lui révéla, étaient enveloppées de formes
grossière^, telles que l'en&nce de Thumanité pou-
▼ait les percevoir et les retenir^ Mais sous ces
symboles était caché le christianisme, qui se dé-
gagiea de ses liens, et apparut au nAide quand
le. temps en fut venu. L'univers le recueillit,
et seleva avec lui à de plus hautes destinées;
dans l'adolescence du genre humain toutes les pas*-
sioiis devaient aUer se briser avec une foi aveu-^
g^e devant l'autorité du maître; il allait que le
jeune houuxue s'accoutumât à regardée ^n livre
élémentaire conu»é la limite des cfHwaissanoes
l>l I »' I ■■> II' • I !■■■■ ■! I ■«■■Xl^— ^—-«^^l
1. !)• Fédmcalion du §^enrjBf huniaîa.
INTRODUCTION. 45
possibles. Mais enfin y quand la jeunesse aui?a per^
du sa première candeur et que l'âge mur récla*
mera son indépendance, ce livre élémentaire su£-
fira-t-il à ses nouveaux besoins ? Non, répond Les-
sing. De même que la loi de Moïse renfermait
implicitement la loi du Cnrist, celle-ci à son tour
renferme de bautés vérités pbilosôpbiques, qui
resteront des mystères pour nous jusqu'à ce que
la raison vienne à les déduire de celles qui sont
déjà en notre pouvoir. L'évangile que nous con-
naissons cache dans ses profondeurs un nouvel
évangile, où les dogmes seront changés en véri-
lés rationnelles : ces dogmes n'étaient point, à
l'apparition de la loi, ce qu'ils seront un jour;
ils n'ont été révélés que pour se transformer.
Herder est plus àévcre, son génie répugne étran-
gement k toute espèce d'exception; la connais*
sance précise des faits et des mœurs lui suffit
pour porter une immense lumiè):e sur les pro-
grès et l'influence de la révélation. Si le vicaire
savoyard eut pensé jamais à écrii^ l'histoire du
christianisme, c'est ainsi qu'il l'aurait conçue,
et le ministre protestant a avec lui plus d'un rap-
port par l'élévation constante de son ame, le ton
d'inspiration; le charme, la douce magie de soa
langage, qui, tour à tour véhément, réfléchi, plein
d'onction et de tendresse, parle à tous nos souve-
nirs et nous transporte d'aise en réveillant jus-
46 ^ INTRODUCTION. .
qu'aux sympathies qui nous semblaient s'être
éteintes pour jamais.
Cherchez quelque part un liire qui parcom^e
une plus grande carrière dans la sphère de l'ex-
périence, vous n'en trouverez aucun; aucun qui
soit marqué d un caractère plus frappant de gran-
deur , de majesté et d'universalité. Où est celui
qui a établi l'harmonie dans le corps gigantesque
de l'histoire? qui a manifesté l'ordre et la sagesse
au sein du chaos apparent des âges? Le monde
progressif ne déroulant que successivement ses
plans et «. aspecu diye«, la plupart de. hoaun«
s'arrêtaient avant lui à quelques accidèns parti*
culiers sans en saisir l'ensemble , et ainsi ils lui
contestaient cette sage ordonnance, cette unité
de destination et ces voies providentielles qui
les frappaient dans le spectacle de l'univers phy-
sique, dont les massés toujours présentes s'of-
fraient instantanément à leur admiration.
Sans doute , il ne faut chercher ici ni Timpas-
sibilité de Machiavel, ni la netteté de Montes-
quieu ; quand l'esprit seul fait d'immenses pro-
grès, et que l'ame reste jeune avec toute sa fraî-
cheur et quelques-unes de ses illusions, on a beau
choisir un sujet, un système qui semble n'appar-
tenir qu'aux' combinaisons positives de l'intelli-
gence ; vos sentimens , vos souvenirs affluent mal-
gré vous y et ils vous importunent au milieu de
INTRODUCTION; 41
caabstraciioxis, presque autant qu'au milieu de
la froide contrainte du monde. Pourtant il faut
ieur donner place sous des formes plus ou moins
générales, et cela ne se fait qu'aux dépens de la
légularité du plan et de la parfaite harmonie
des tons. Cest un spectacle singulièrement inat-
tendu que celui d'un homme qui pénètre au loin
dans les lois de l'organisme, pour y découvrir
les plus étonnantes merveilles de l'être moral ,- sa
conscience et son immortalité, joignant ainsi à
la verre austère dé Lucrèce les saintes inspira-
tions de Platon. Il faut voir le soin qu'il met à
éviter tout rapprochement avec la métaphysique,
comme une mésalliance qu'aucune concession à
fonivers visible ne pourrait racheter. Vous diriez
qu'il n'y a que le présent et le palpable pour
un esprit si lent à s'émouToir , si rebelle à lacon-^
viction; et Toilà que l'instant d'après ce génie
tout positif TOUS entraine au-delà des mondes et
des formes connus, dans des sphères de beauté,
de justice et de per&ction, auxquelles nous tous
aussi nous nous sommes élevés un jour , quand
une émotion sincèi» exaltait nos coeurs, et les
éclairait peuuétra Ainsi c'est un de ses cai^actères
principaux que, reposant sur le sensualisme le
plus rigoureux , le premier développement de ses
Taoïsme dlIelTétîus, non k la raillerie si fine
4g INTRODUCTION.
6t si désespërahtè de Voltaire, pas même au prin^
dpe d'utilité dUatcheson ; mais à cette noble
théorie du devoir, plus absolue encore que celle
dû. philosophe de Kœnigsberg. Placé entre le scep-
ticisi^e du dix-huitième siècle, dont il adopt£^it
en partie la métaphysique et dont il repoi&sait
la morale, et l'école deKant, dont il aimait la
tendance et dont il réfutait le principe, Herder,
avec la solennité de ses paroles pleines d'onction,
semble avoir reçu d'en haut la mission d'adoucir
des discordes qu'une entière réconciliation ne
peut pas terminer.
On a dû voir que sa doctrine est Tidéalisme
dans la sensation, une sorte de panthéisme dé-
guisé. En général, cette philosophie ji pour carac-
tère de substituer des présomptions à la science,
et de faire succéder par degrés à la certitude l'es^
pérance,, et enfin le doute absolu. Elle explique
d'une manière satisfaisante un certain nombre
de faits d'un ordre inférieur 5 et comme elle s'eur-
vironne d'un grand appareil d'évidence, comme
elle ne quitte pas l'être matériel , qu'elle embrasse
de toutes parts, et que de plus elle a grand soin
d'avertir qu'elle est ennemie de toute abstraction
métaphysique, elle a pour elle un ail- de circon-
spection qui gagne promptement les esprits. Eu
même temps, parce qu'en se jouant elle £iit al-
liance avec la poésie, comme elle prête des cou-'
INTRODUCTION. 4ff
leurs aminées aux formes .les {dus insaisissables,
comme l'imagination la devance dans le champ
illimité des inductions ; elle séduit par son aban*
don autant que par sa. méthode. Pourtant^ à me^
sure que l'ordre des phénomènes s'élève, die a
plus de peine à les saisir ; son point d'appui va-
cille, et sou langage devient de plus en plus in-
décis, si .bien que, lorsqu'il s'agit de fonder les
grandes lois de la destinée, ces étonnans problèmes
qui épouvantent et glaîcent le coeur d'eiFroi , s'il
est encore a en chercher la solution , elle aban-
donne rhomme qui s'était reposé sur elle. La
poésie, qui n'était d'abord qu'un luxe, devient
le fondement auquel il faut se confier. Des allé-
gories, des analogies, des pressentimens'^ secrets,
des prodiges de divination, voilà ce qui nous
reste. Mais cet éclat éphémère, ces fêtes de Tima-
gination , ne sont plus qu'un leurre décevant et
sans empire , quand l'abîme de Pascal est devant
nous , et que nous en sommes avertis.
Or, que l'on m'explique comment il se fait que
dans Herder cette philosophie n'a point ce carac-
tère effrayant d'instabilité? Pourquoi, au con-
traire, on s'jr arrête sans trouble, comtne sur la
science éternelle ? Eh quoi ! dans cet ensemble
de choses et d'idées, je reconnais des formes indé-
cises, des parties qui se refusent, qui àe retirent
dans l'ombre; d'autres qui se limitent ou ^ex«
50 INTRODUCTION.
cluent ; et pourtant ma pensée se repose ici avec
sérénité ! Sans être troublée par ce concours d'ob-
jets toujours flottanSy elle trouye où s'arrêter et
se r^connaitre ! C'est qu'il y a véritablement sous
ce terrain mobile un point fixe , un refuge invio-
lable. La conscience de l'être ^ le sentiment reli-
gieùx, pur^ universel comme la conviction spon-
tanée du génie, sont ici tellement inbérens^à toute
connaissance, ils ont pénétré si avant, si intime-
ûient dans la profondeur et la substance du sujet,
ils se présentent avec des-caractères si irrécusables,
qu'ils suppléent partout au point de départ du
7720£ philosophique qui sq proclame par eux.
C'est là l'élément^cientifique qui soutient tous les
autres. Partout il est présent pour rassiu^er sur la
solidité de Tédifice, et, si ce derni^ s'écroule,
pour nous recueillir avant l'abime.
U est une chose que je ne peux pas oublier.
Quand Herder moment, ses amis trouvèrent, en
approchant de son lit, sa main froide arrêtée sur
quelques lignes qu'il venait de tracer. On lut ce
qui suit :
c< . . . : . .Trançporté dans de nouvelles ré-
ccgions, je jette autour de moi un regard ins-
f( pire. Je vois le monde réfléchissant l'éclat de
ce l'être sublime qui l'a créé \ le ciel formant
« comme le tabernacle de rétemel :..... ma
« &ible intelligence, courbée vers la poussière»
INTRODUCTION* 61
«ne peut -soutenir le spectacle de ces augustes
t merveilles; elle s'arrête dans le silence ^
Cetait un hymne à Dieu par lequel cet excel-
lent génie achevait sa carrière. Le sentiment qui
avait vivifié ses écrits, et répandu sur chacun
d'eux un air de fête et de solennité, devait être
le dernier à s^éteindre dans son àme.
Et cet homme est presque inconnu parmi
nous! et son nom n'y réveille ni souvenirs, ni
Sympathie!
Pour moi , je puis dire que depuis l'âge où l'on
/ tomiAeiice à être ému par le génie, et à souffrir
par son cœur et par celui des autres, ce livre
a été pour moi une source intarissable de con-
solations et de joie. Il a supplée pour moi aux
affections réelles , qui sont si semées d'amai;ume
cuisante et ^i remi^nt si tôt cette inguérissable
plaie que vous app(U*tez avec vous en naissant.
Dans les maladies, dans la détresse de l'absence,
plus cruelle que les maladies^ dans les lents dé^
ehiremens de l'ame, et Tisolement qui les suit ^
il a soutenu mes forces. Jamais, non jamais, il
ne m'est arrivé de le quitter sans avoir une idée
plus élevée de la mission de l'homme sur la terre;
. jamais sans croire plus profondément au règne
de la justice et de la raison; jamais sans me sentir
plus dévoué à la liberté, à mon pays, et en tout
plus capable d'tme bonne action. Que de fois nç
62 INTRODUCTION.
me suis-je pas écrié, en déposant ce liyre, le cœur
tout ému de joie : voilà l'homme que je voudrais
pour mon ami! Mais il nest pas si £icile de
rencontrer dès* sa jeunesse celui à qui on a voué
d'avance une secrète admiration. Il faut se con-
tenter de ses paroles glacées, à travers la tombe.
Surtout, il &ut attendre le jour qui doit réunir
toutes les intelligences grandes et petites ; car je
ne puis, croire qu'il en soit alors de même que
de nos temps, où l'amour et l'admiration, qui ne
sont pas mutuels , restent sans récompense , quel-
quefois dédaignés, plus souvent ignorés de celui
qui les a fait naître.
Priions donc garde de perdre la chaîne qui
nous lie aux siècles passés ; de peur que par ce
moyen tioûs ne nous trouvions» entièrement égarés
sur la terre. C'est un assez grand mv^stère que la
vie en elle-même^ malheur à qui le sonde! Ne
laissons pas dans une égale obscurité ce concours
d'êtres traditionnels qui la modifient; ne sachant
pas ce que nous sommes, sachons du moins ce
qu'ils sont, d'où ils viennent, et par quelle suc-
cession de phénomènes ils sont arrivés jusqu'à
notre obscur réduit. Sur cette idée, il reàte ici
à indiquer ça et là quelques rapports entre l'his-
toire du genre humain et la philosophie morale :
comment les souvenirs de l'espèce se reflètent-ils
dans l'individu? comment se coordonnent-ils avec
INTRODUCTION. 53
ses iiapresslons propres? quelle loi imposent»ils
a son activité personnelle? en un mot, quelles
rmtes sont contenues pour lui dans les harmo-
nies du spectacle de la durée? Grandes questions,
qall faudrait de longs livres pour résoudre^ ici
tous les tncnuméns restent impuissans et muets ,
si Ton ne consent à descendre en soi , pleinement ,
franchement. Ce n'est plus l'histoire telle que cha->
cou peut la lire dans les ouvrages des hommes,
ou sur les pierres , ou sin* le sol ; mais telle qu'elle
est réfléchie et écrite dans le fond de nos âmes,
en sorte que celui qui se rendrait véritablement
attentif à ses mouvemens intérieurs , retrouverait
h série entière des siècles comme ensevelie dans
sa pensée. Si véritablement il voulait donner une
base à sa science historique; il partirait de l'en-
ceinte étroite de son moi individuel, pour re*
monter de là, par des conséquences nécessaires,
à travers la suite des empires et des peuples,
jusqu'à la chaumière d'Evandre, jusqu'à la tente
de Jacob, jusqu'au palmier de Zoroastre.
En effet, plus je m'interroge, plus je m'assure
que rien n'a égalé pour moi le jour où, las de
recueillir quelques, images éparses qui me sem-
blaient flotter dans la durée , mais sans suite et
sans ordre apparent, venant enfin à reconnaître
le lien qui les rassemble, j'aperçus, pour la pre-
mière fois, comme d'un lieu élevé, le nombre
64 INTRODUCTION.
presque infini d'êtres semblables à moi , qiii m'a-
vaient précédé.
A la vue de cet immense assemblage de siècles
et de peaples divers , je sentis arec joie que je
n'étais pas seul dans le .temps. Une merveilleuse
sympathie m'attirait vers chacun de mes ftères ,
qui, distribués dans toute l'étendue des âges, ont
reçu la même vie, ont joui avant moi de ce même
soleil, de cette même terre; se sont assis aux
bords de ces mêmes ileuveis; et, £aiits; comme moi
pour le jour et pour le lendemain, ont connu les
mêmes vicissitudes de joie et de douleur, d'amour
et.de baine. Je^ne pouvais dire quels ont été
leurs figures et leurs traits, ni les appeler par
leuR nom; mais je savaiss qu'ils ont été, et que
lorsqu'ils s'inquiétaient de la postérité, indireo*
tement compris dans leur pensée , je vivais en
eux comme ils vivent en moi. En même temps
je découvrais que, si telle forme de l'humanité
eut manqué au monde, mon être, quelque frêle
et circonscrit qu'il soit , n'eut point été ce qu'il
est. De tous les points de la durée, chaque em-
pire avait envoyé jusqu'à moi la loi, l'idée, IW
sence des phénomènes dont s'est composé sa des^
tinée.. A mon insçu, la vieille Chaldée, la Phé-
nicie, Babylone, Memphis, la Judée, l'Egypte,
l'Etrurie, s'étaient résumées dans l'éducation de
ma pensée et se mouvaient en moi. Ce m'était un
INTRODUCTION. 55
spectacle étrange d'y retrouver leurs ruines vi*
vantes, et de sentir s agiter dans mon sein, au
lieu d'un souffle errant, éphémère, que chaque
soupir consume, l'ame de l'humanité ^ que mon
être a recueilli comme un son lointain apporté
d'échos en échos jusqu'à lui.
A mesure que se développait cette longue suite
d'aventures, je recueillais épars les élémens dont
se compose mon individualité; pour comprendre
le secret de mon être, il me fallait aller interroger
les débris de l'Orient, les oracles muets de la
Grèce, les bruyères des Gaules, les forets silen-
cieuses de la Grermanie. Ainsi , je m'arrêtais pour
écouter au fond de mon ame le sourd retentis-
sèment des siècles passés. Je vivais, non plus en
moi , mais dans cette masse confuse de nations et
d'existences diverses qui m'ont précédé; et je me
livrais si bien à elles, que je crus quelque temps
que ma personnalité allait être absorbée dans la
conscience universelle du genre hiunain.
Mais voici un autre phénomène qui m'atten**
dait Ni tant de ruines amoncelées , ni tant d'em-
pires croulans, de noms épars, de sang, de gloire^
de siècles réunis, n^avaient rempli le vide de mon
ame : une immense place y testait pour d'éphé-
mères images , de longs combats qu'aucune mé-
moire ne recueille. En vain mon cœur s'était-il
gonflé des larmes que le .genre humain a lente-
m INTRODUCTION.
ment versées; souvent j'avais à m'etonner que,
fait pour renfermer les souvenirs de tant de siè-
cles j il ne pût contenir- un souvenir né d'hier,
qui le brisait sans retour. Moi ^ qui , pour am.user
la rapide succession de mes jours, avais à con-
ter la chute de tant de Babylones, la captivité
de tant de Judas ^ je m'en allais çà et là , prêtant
Toreille à, de vains récits que répètent les femmes
* et les enfans, et je cherchais encore autour de
moi je ne sais quels jouets , quand mes yeux étaient
\ attachés au spectacle immense de la durée. Les
^ noms de tant de héros inconnus que j'avais sur-
pris dans l'intérieur d'une vie vulgaire, habitaient
et fraternisaient dans ma pensée, avec les noms
glorieux des Possidonius , des d'Assas , des Vincent
^ de Paule ; et elle pesait plus sur ma poitrine que
les obélisques de l'Egypte, que les tombeau! de
^ ritalié, que les lu^nes des Étrusques , que les mon-
ceaux de pierre des Gallois et des Calédoniens,
la pierre , la pierre étroite qui couvre les restes
<ie celui dont moi seul, sur tert-e, je sais l'histoire.
Tout ce qui est soumis à des pouvoirs humains,
subit les grandes lois du changement, et notre
être isolé , sans appui et sans liens avec le monde,
y obéit plus que tout le reste. Ne nous étonnons
plus de l'inconstance de nos voeux et, de l'insta-
bilité de nos impressions , depuis que les empires
se &nent comme des flçurs , et que les institutions
\
INTRODUCTION. 67
les plus solides sont si promptemént renversées.
Au milieu de cette tempête qui précipité les uns
sur les autres ces immenses corps politiques, il
nous a été donné un jour pour aimer, pour ou-
blier et pour suivre en tout^ par la fragilité de
notre être, leurs lois suprêmes. La même puis^
sance qui renvai^e TAsie sur l'Egypte, l'Egypte
sur la Grèce, la Grèce sur Fltalie, étend ses ra-
vages jus^'au fond de notre ame , en brisant une
espérance par une autre espérance , un désir par
un autre désir, une douleur par une autre dou-
leur.
Et toutefok il faut croire que dans la lente ex-
périence de cette fotde d'êtres qui nous ont pré-
cédés, avec des afiections et des passions en tout
semblables aux nôtres , il est des trésors de force
où l'homme n'a point encore suffisamment puisé*
La destinée individuelle, si obscure quand on la
renferme dans mx cercle d'objets limités, se révèle
à nous par l'enchaînement successif des corps
poUtiques ; et ce .peu de jours que nous avons à
passer stu* la terre, quelque arides qu'ils nous
paraissent, ne sortent pas tellement de l'harmo-
nie universelle des siècles, qu'ils; ne s'expliquent
par elle, et ne lui dérobent quelque charme. Ou
l'histoire raconte la vie d'un individu, ou cejle
d'un peuple, ou celle de l'humanité,! dans la-
qjaelle les peuples et les individus vont se perdre :
58 INTRODUCTION.
or, ces trois modes d'être, quelque difierens de
grandeur qu'ils soient , ont entre eux la même si-
militude que le tout et la partie qui le repré-
sente; ils comprennent un espace plus ou moins
étendu dans l'uniTersalité des choses ; mais dans
chacun des cercles qu'ils parcourent » sont des
identit^ et des points correspondans ^ ce^ que l'on
affirme de l'un, on peut l'affirmer de Fautre; ils
se reproduisent mutuellement^ et, soumis aux
mêmes lois, ils presaitent dans leur développet-
ment des phénomènes tout semblables. C'est de
cette unité que naît la beauté harmonique de
rhistoire, ds^ïs ses plus yastes propirtions. Ainsi,
la même série progressive qui se manifesté dans
la marche des corps politiques, se reproduit dans
la succession de nos pouvoirs individuels, et c'est
et^ y obéissant que nous nous rendons conformes
à l'humanité. Nous n'avons, pour • atteindre le
bien, ni la longévité des nations, ni leurs tra-
ditions antiques ! nous avons quelques souvenirs
nés d'hier; mais cda suffit pour remplir la des-
tinée, et l'homme qui, dans son étroite sphère,
poursuit avec constance l'être idéal qu'il enferme
en lui , est égal devant l'Éternel à l'empire qui
' dans sa longue drn^ée manifeste les lois saintes
de la raison et de la liberté. A peine a-t-on fait
de la loi de l'humanité la loi de son être, que
Ton cqnunence à vivre de la vie universelle, et à
INTRODUCTION. 50
ynùr de toute la plénitude du moi. Le cœur qui
ne savait où se reposer , partout repoussé par lt$
choses , a son rôle et son importance dans l'ordre
des temps; et pendant cpi'il le remplit, il jouit
d'une sympathie toujours renaissante et qui ja-^
mais n'est déçue de son objet. Si l'heure présente
et ce peu d'objets qui se sont offerts à lui , l'ont
kissé vide et chancelant, il trouve dans la pen-^
sée des siècle^ avec lesquels il est en rapport , de
quoi se nourrir et sfe fortifier. Ne croyess pas qu'ar-
rivé à ce point, l'être individuel soit séparé par
aucun intervalle de l'humanité dont il s'est ap-
proprié la loi ; elle s'est concentrée en lui , elle se
prolonge en lui avec toute la série de ses destinées
futures : le voilà conforme à elle, identique à elle;
il la porte en lui , il la continue, et tant que dure
cette union, il est fort , U est puissant, invincible
au monde; 41 a le repos et le bien suprême.
Et de là dérive une belle conséquence : chaque
être poursuit sa carrière de perfectionnement
avec une rapidité proportionnée à là brièveté
de sa vie. Le ^enre humain compte par siècles
les diverses périodes de son éducation ; pour npus^
nous avons des jours et des heures pour exprimer
un intervalle correspondant dàus le développe-
ment de nos pouvoirs particuliers. Au bout de
quelques années, nous arrivons au degré où l'hu-
manité n'est parvenue qu'après sa longue et' pé^
60 INTRODUCTION.
nible carrière 3 alors ^ il faut que nous mourio&s r
quant à elle, elle poursuit son chemin et s'avance
vers des contrées que nous n avons pu atteindre
dans le com^ passager de notre existence. Or,
dès ce momeht, la chaîne qui nous liait à elle,
est-elle brisée? Funité, le rapport commun de des-
tination ont-ils disparu? n'était-ce qu'une vaine
contingence que cette représentation du tout dans
la partie, que cette identité dans la loi, que cette
marche harmonique de deux êtres vers na centre
commun? l'un a-t-il été brisé dans sa course»
pendant que l'autre est ainsi condamné à "une
étemelle solitude ? Non , Dieu infini ! je né jpuis
le* croire. J'en conclus qWr pendant que le genre
humain poursuit sur cette terre sa carrière de,
perfectionnement , l'être individuel continue sa
marche parallèle, dans quelque séjour et sous quel-^
que forme que la Providence lui a préparés de
sa main.
Si de la loi de l'humanité nous passons à l'hu-
manité elle-même, et si , après l'avoir suivie dans
toiutes ses vicissitudes, on demande à la fin quel
s^itiment doit inspirer un être ballotté ainsi au
gré de tant de hasards; je reponds : un respect
profond et pour ainsi dire religieux. De toutes Ifô
volontés intelligentes l'Être des êtres lui seul n'a
point d'histoire. Un seul âge , une seule langue ,
un seul monument. Que l'humanité soit un jour
)
j
INTRODUCTION. 6i
iamuable» elle n'est plus, ou plul^t elle est tout,
perdue eit confondue dans la. pensée divine. L'or-
dre des choses la condamnait au changement}
mais ces changemens sont des progrès, et le
même signe exprime sa Êûblesse et sa force. Que
dès l'origine elle eût possédé l'empire quelle ac^
quiert par degrés sur le monde, aveugle et sans
expérience, qui peut dire ce qu'elle eût fait de sa
puissance, et jusqu'à quel point elle l'eût tournée
contre elle-même? En voyant brusquement par
combien de larmes il fallait Tacheter, qui sait si
elle n'eût pas refusé d'entrer dans la voie où elle
est aiiiourd'hui et dont nul ne pressent l'issue.
Au. contraire, par quelle lente éducation la
nature a voulu qu'elle s'accoutumât à . la force
créatrice qui lui a été départie! Il est telle parole
de l'homme qui ei^ibrasse l'histoire entière des
empires. Quand, tout ce qui l'entourç, l'astre qui
réclaire, le flot qui le porte au rivage, connaît
dès l'origine son œuvre de chaque jour , sa car*
rière et son but, lui seul il ne sait pas ce qu'il
sera demain; il marche à l'aventure, et chaque
siècle lui révèle de .nouveaux secrets de son être.
Or, cette sublime ignorance où il est de lui-
mme, et que quelques-uns ont apportée en té-
moignage de son néant,, est ce qui atteste à Fu«*
nivers sa gloire et son impérissable puissance;
de nos temps même il faut croire par tout ce qu'il
62 INTRODUCTION.
y a d'obscur et d^iadéterminë dan» le fond de
nos âmes , que le développement de l'homme mop
rai est loin d'être achevé. Un jour viendra , peut-
être, où ces mystères qui nous troublent à oetise
heure, et que nous pressentons sans pouvoir les
circonscrire par la parole, deviendront une source
générale de vertus et de beautés morales, dont
nous ne pouvons avoir aucune idée^ pas plus que
Sapho n'avait l'idée de l'ètmour dllélôïse, pas
plus que Ziénon ou ses disciples n'avai^ent l'idée
de la philosophie de Saint*Y incent de Paule. Mais ,
quelles quelles puissent être, elles amrpnt leùrd
fondemens dans les temps qui auront piji^dé •
et sans qu'il nous soit donné de déterminer leurs
formes, ce joiir que nous voyons, ces moeurs, ces
lois qui sont les nôtres, y entreront pour quel-
que chosaÉtre véritablement étrange! Quand un
seul de sa race survivrait à une destruction gé-
nérale, il porterait l'empreinte des âges passés,
et rappellerait le motide qui ne serait plus; car
la nature a fait de chacun des membres de l'hu-
manité à la fois le produit et l'image du tout
Enfin, près de sortir du conflit des choses ter-
restres, persuadé que les mêmes vérités, que Vùn
a déduites du spectacle et des lois du monde phy-
sique , se reproduisent dans les consonnances et
les harmonies de l'histoire, quand je cherchais
dans le chaos apparent des âges la pensée divine,
INTRODUCTION, 63
je trouvais avec ravissement que celui qui a re-
Tetu d'or les genêts des prairies et parsemé dV
zm* l'aîle du colibri, n'a point trop négligé la
gloire de Babylone, et qu^l a paré d'assez riches
babits l'antique Persépolis., Tbèbes aux cent por-
tes, Tyr, Mempbis et Sidoti : elles ne fatiguent
pas plus sa main que le nid du rouge-gorge et
qu'une palme de fougère, les cités des Cbaldéens,
des Assyriens, des Mèdes et des Hébreux, et il
a pris soin de leurs destinées comme il veillait
sur la famille de l'oiseau et qu^il déployait sous
le chêne les rameaux de l'arbuste. S'il a penché
selon de. justes lois l'urne des fleuves, s'il a dis-
tribué avec ordre les rochers et les vallées, les
déserts et les lieux fertiles; s'il a varié jusqu'à
l'infini les attitudes des plantes, la voix des ani-
maux et les harmonies qui en résultent, il a de
même répandu avec sagesse, dans le temps, les
générations et les familles , les nations et les lan-
gues; chaque cité apparaît quand son jour est
venu, sous la forme que le monde réclame, A
toutes il a donné une forme particulieFe, ulie
physionomie propre; et certes, si l'on a pu dire,
sans paraître insensé, que la vaùte des cieux,
que Vé^o des montagnes , que ce bassin des mets^
que ce mélange de couleurs , de bruits, de par-
fums ïpn vivifient l'espace et amusent nos. sens
d'une vaine et inconstante joie, sont les expresf
J
ETUDE
SUR
LE CiRACTERE ET LES OUVRAGES
Comme étude morale, les premiers ouvrages de
Herder mériteraient seuls une haute attention
par leur étonnant constraste arec ceux qui les
ont suivis et avec l'âge oii ils ont été écrite. Am
lieu de cette ame expansive, qm plus tard ne
ingéra qu'à se prodiguer, un cœur aigri , fiarmé,
mécontent de lui-même et des autres; au lieu
de ce calme antique quil répandra pUis tard
sur tous les objets , une ardente polémique qui
cherche à se produire» mais pleine de force et
d énergie; peu domemens, peu de poésie. Je
m^ris du succès , des formes âpres qui rap-
pellent l'humeur souffrante de Rousseau fugitif
et vieilli. CW que la jeunesse dans ses plus bril-
lantes années n'est pas toujours l'âge où l'aïaieii
le plus de fraîcheur et d'éclat; ou elle succombe
sous ses propres richesses, ou ses immenses désirs
l'oppressent jusqu'à l'étoufTer, quand dans le
ETUDE
SUR
LE CiRACTERE ET LES OtJVIUGES
Comme étude morale, les premiers ouvrages de
Herder méiiteraîent seuls une haute attention
par leur étonnant constraste arec ceux qui les
ont suiyis et avec l'âge où ils ont été écril». Am
lieu de cette ame expansive, qm plus tard ne
songera qu'à se prodiguer, un cœur aigri , fiarnié,
mécontei^t de lui-même et des autres; au licïu
de ce calme antique quil répandra pUis tard
sur tous les objets, une ardente polémique qui
cherche à se produire, mais pleine de force et
d énergie; peu domemens, peu de poésie, ie
mépris du succès, des formes âpres qui rap-
pellent l'humeur soufirante de Rouleau fugitif
et vieilli. C'est^ que la jeunesse dans ses plus bril-
lantes années n'est pas toujours l'âge où l'ame ji
le plus de fraîcheur et d'éclat; ou elle succombe
sous ses propres richesses, ou ses immenses désirs
l'oppressent jusqu'à l'étoufTer, quand dans le
€8 ÉTUDE
monde entier elle . ne possède qu'une couronne
de fleurs; ou elle s épuise à embrasser runivers,
ou elle languit et se fane d elle-même. Si à cela
^'ajoute la ^détresse ^ une vie errante^ un pain
anier et mouillé de larïnes, plus elle se sent ornée
de mille cliarmes, plus son abandon la navre.
Dans cette première lutte, où le faible succombe,
où le fort reçoit une force nouvelle, le génie
adolescent cacbe autant qu'il peut son coeur
saignant sous la guirlande d'immortelles. Mais,
quoi qu'il fasse, son accent le ti'abit et prouve
qu'il est blessé jusqu'à l'amé.
Sous cette expression imparfaite et roilée se
découvre pourtant le germe des grandes pensées
qu'il développa plus ta^d. Spectateur passionné
d'uiie littérature naissante', il cherche comment
ces premiers essais ont été modifiés par l'imita-
tion de l'Orient , de la Grèce , de Rome , des
tenips modernes, et rassemblant tout dans cette
première, vue,, poésie, beaux-^àrts, philosophie,
il presse le génie national de se livrer avec in-
dépendance à ses propres voies. S'il assiste à une
époque de renaissance ou de déclin, il ne le sait;
et de là un mélange unique de plaintes amèr'es
et d'espérances exaltées. Ne rencontrant nulle
1 Fragmens sur }alitUratttreaUeiaaiid«| 1767. Feuilles cri-
-H^nefi 1769.
SUR HERDER. 6d
prt ni monmaenà consacrés par un respect hér
rédilaire, ni aucune des entraves du passé, sa
critique peut ê^ à son gré large, 6è«, in-
domptée, comme les pensées de son âge. I)éjà
même le grand arûste se trahit tout entier dans
son Examen du génie de k langue allemande^
Le sentiment inné du beau dans la parole, et
qui se découvre pour là prem:ière fois , ses juge-
mens inspirés, le ton du discours plus élevé,
lame qui enfin s'émeut et s'attendrit, tout an-
nonce lui homme qui vient de reconnaître sa
mission. En comparant avec orgueil sa langue
à d'autres langues, il leur cherclie à toutes une
rç^e commune, et l'instinct de l'écrivain devient
en lui le premier guide du philosophe.
Une fois sur cette voie, il ne l'abandonne plus;
et puisque l'humanité vit tout entière une et in-
divisible dans chacune de ses oeuvres , il la ren-
contre avec toutes ses lois fondamentales là où
il ne croyait trouver que la théorie d'un fait
isolé. A cette époque appartient son premier
discours sur l'origine de la parole. Monument
simple et sévère, dont les principes et l'ame de
l'histoire font la seule beauté; là se trouvent
entourés d'une éclatante lumière, chaque fait
primitif du monde civil, la puissance créatrice
de l'activité^ libre opposée à l'œuvre morte de
la sensation 9 l'unité , la progression, le ^rappcot
70 ETUDE
avec l'espace et la durée; tout cela, îl est vrai,
circonscrit à la sphère de la parole, n'est point
encore dégagé de son lien et formellement élevé
k l'idée d'essence génératrice des choses humaines.
Mais le moment n'est pas loin où cette séparation
se fera d'une manière éclatante K Comme un
peintre, avant d'entreprendre le chef-d'œuvre
auquel il consacre sa vie, dépose sa première
inspiration dans une esquisse, qui elle-ijiêmè est
une œuvre immortelle, de même il fera bientôt
l'essai de ces aperceptions synthétiques sur toute
rétendue des siècles. Accord vivant de lumière
et d'ombre ^ de silence et de bruit , d'action et
de repos, l'aspect pittoresque" de l'unité histor
rique voilera tous les autres de son éclat dans
cette soudaine intuition. Dé chaque point de la
durée s'élève un mélange de cris de guerre ,
d'hymnes, de chants; un sourd retentissement
de ruines, triste, confus, inégal pour ceux qui
y sont ensevelis; mais plus harmonieux pour
celui qui le domine, que le chant matinal de
l'alouette, que le frémissement de l'onde, que le
soufBe du vent dans la profondeur des forets.
H se représentera à lui-même ce spectacle du
tout oi^anique du ntonde civil ; il en tracera à
grands traits les contours^ et les oppositions; il
1 Encore niié philosophie de Thistoire de rhamanité.
SUR HERDER. Ti
le divisera e& j^oupes, ou plutôt il fera le 4é-«
nofubrem^U épique dés peuples; et si, à ce dé*.
but 9 la Yue est eucora mal assurée; si une ardeur
pasaonuée^ qpi mâle et coufoud tous les tous,
troubte la sérère ordouBBuce des sociétés hu*
maines ; si l'eutbousiasise tumultueux: de ja jeur
œsse brise et j^r^ipite la miarcbe sole^ïieUe des
siècles; malgré cela, heuoreux géuie, jouis en
pahc dç ta j^mîère contemplation ; q[u'eUe op-
presse leoilement ton ame et s'y imprime à ja*
mai^; ^^He la &itigue et Tépuise. C'est le prit
de ta détinsse passée et le ffisgs de ta gloire k
'venir.
£n eâfet, depuis ce jfMt^ quoique le tissu en*
tier de ses idées laisse voir encore des nuances
Tariées, il ne &it plus qu'un tout indivisible,
une pensée, une œuvre. Un livre explique l'autre,
et ce qui a été pressenti dans l'adolescence est
cmifirmé par l'âge mur. Non -seulement cela,
mais la loi même de son esprit se confond avec
la progression bistorique de rbiunanité qu'il
vient de reconnaître. On s'étonne de la puis^
satme avec laquelle cette ame se laisse subjuguer
et absorber par le génie des temps passés, au
point d'oublier avee eux ses professions de foi
les plus cbèites , et de^ passer à leur gré du sen*^
sualisme an ^iritualisme , de la croyance au
doute et du doute à la foi , saïUT commotion f
72 ÉTUDE
safts révolte , sans presque auqwe. impression
de changement. Tout au présent j toujours çkan-
jgeant, toujours imprévoyant, Jes uns l'appellent
épicurien, les autres platonicien; la vérités est
qu'il cède au cours des âges. A l'extrémité 'des
temps, il- reprend seul patiemment et lentement
la carrière entière du genre humain, et dans sa
marche séculaire ^ changeant de contrées , de
patrie, d'images et de cultes, à mesure que lui-
nxême il change d'âge, l'ordre qui nous est im-
posé dans l'examen de ses œuvres , est le même
dont la nature a marqué dans l'univers la suc-
cession des temps. Au sein de ceâ forpies colos-
sales, oubliant le jour et les saisons , ne réglant
^lus sa vie que sur les périodes de la vie uni-
verselle , sa rêverie ée prolonge , se berce , se ire-
nouvelle au bruit monotone . et pçrmanei(t du
pendule des siècles; Aussi, reteiiu imprudan-
ment en Orient, était-il trop tard lorsqu'il ar-
riva chez les peuples modernes. Il fallut se hâter
vers le term|, et laisser son œuvre inaccomplie.
- En rentrant dans la philosophie de l'histoire,
la première question qui se pr^nte à nous, est
celle des origines humaines ; et si nous avons
essayé autre part ^ de montrer combien la solu-
tion de uQtre auteur était ailleurs incomplète,
nous le retrouvons ici laborieusement occupé à
— - - • — —
i ' ■ ■ . . . ...
1 Yoyes rintro4ttctiob , p. a6.
SUR^HERDER. 7S
cùmhier cet abtme. Noa une fois, non èent fois»
en portant nos regards.. yers .ces premiers âges,
alor» que la vie enfantait de toutes parts de
nouveaux prodiges , si nous demandions où était
alors le roi de la création, il nous semblait mer**
veilleux qu'on nous le montrât retiré dans les
ténèbres au fondée quelque antre inaccessible,
dans toute l'abjection de la misère, sans nul
pressentiment de 'sa destinée future. Plus nous
considérions, sur, son lit de roseau., ce roi tel
qu'ils l'ont fiiit^sans voix, sans ame, sans mé-
moire , ni désir , moins nous concevions^ .com-
muât, sans cbanger ni de forme, ni d'être, sans
nul intervalle appréciable /lont il ait conservé
le souvenir, nous le trouvions, l'instant diaprés,
plongé dans cq ravissement de l'infini qui éclate
dans tout l'Orient, aussi loin, aussi tôt que la
vue peut y atteindre. Lui que je, viens de laisser
dans le sommeil de l'imbécillité , qui lui a donné
ces vastes dieux qu'il trace sur le sable , et dont
ma pensée, après tant de milliers d'annéedj a
peiije à mesurer l'immensité ? Quelle visioîi l'a
sorti de: son sommeil et l'a jeté dans ce délire?
Ajoutez à cela que l'bistoire, dans son .ensemble
ainsi que d^ns ses parties^ nous apparaissait tout
.entière comme ime. vaste et éternelle déduction
.du général au particulier; c'est le travail du moi
qui 8e.£stit jour: peu à peu, se dégage par degrés
U ÉTUDE
de ceqm lut est étranger^ et ai^pire à se prodtiîirt
:som sa forme k plus libre. Semblable au sta^
tuaire qui dépouîMe sou bloc de marbre jusqu'à
ce qu'il reeonuaisse à la lumière les traits qu'il
contemple eu lui-même, la persoiinalitf de
l'bomme au seia de l'univers tend à se circons^
crire pcmr se fortifier , brisant avec les siècles
un assemblage qui renaît avec eux, toujours di-
Tisé et toujours , indestructible. D'abord plongé
au sein du monde cosmique , il étend son être
sur l'espace et la durée sans bornes. De son
souffle de vie il anime les cieui^ errans, les vasles
mers. Cest Empedocle qui agite des mouvetaieiis
prédpitsés dé son sein la eime des monts , les
Toutes des fiarets, ie oomv des fleuves. Daas ce
premiel* culte, embrassant tout, adorant tout,
n'oubliant que lui-même, il a une cosmog<mie,
une théogcmie, et point d'bistoite.. Cest l'Inde
et rOrient, sitôt qull apparaît. De l'univers il
descend aux empièes, auxquels son être est si
hi&i atfacbé qu'il n'est rien que par eux ; sans
Ibrce, sans valeur, presque sans nom^ soit que
de vastes générations se confondent sous vue
seule p^-sonne, soit que hii-méme il ne puisse
se distinguer dans ses prièvfs aux dieoai. C'est
la Médie, la Perse, l'Egypte et FAssyrie. Des
empires H retombe par degrés sur lui -même,
quoique son moi , eneoK à à&B^i ooofoad» 9lv9c
SUR HÈRDER. 75
h cité, n'emprunte encore que d'elle sa valeur
et son indépendance. La icité se brise avec la
Grèce, avec Rome, et son moi restant seul, dé*
pouillé du signe qui en cachait la grandeur ab-
solue, découvre ^i4ui-même un infini plus vaste
que le premier qu'il vient de parcourir. C'est
l'univers chrétien. Cet infini , il le divise encore,
aspirant après des siècles à ne relever que de
soi. Cest la réforme, c'est le cartésianisiae et ce
qui en est la suite, o'est l'héritage de la féodalité
et l'avenir que j'ignore.
Ne pouvant donc concilier dans l'humanité
cette marche synthétique dont l'histoire fait foi ,
avec cette ^étroite et presque imperceptible ori-
gine qifils assignent gratuitement à son cours,
ne trouvant entre ces choses aucun rapport lo-
gique, également incapable de les accorder et
de les nieri je flottais dans une amère perplexité J
et si l'homme me troublait parce qu'il meurt,
il ne me troublait pas moins parce, qu'il naît,
ne me laissant de lui par-delà le berceau et
par-delà la tombe qu'une ombre fugitive dont
je ne puis même assurer qu'elle est, ni où elle est
Tel était mon état d'ignorance, lorsque je lus
tmin- 1a nrAmiÀm fois Fun des écrits ^ de Hèrder
1 Archives primitives de respèce humjdne (Aclieste Urkundc
des MenschengeschleGhts } y 1 7 7 S .
76 ÉTUDE
ks plus importans à toits égards, et peiit-étré
Êiut-il s'y replacer pour apprécier dignement la
liardiesse et la grandeur de cet essai. Du centre
de l'Orient, il étend son regard sur toute cette
terre de prodige et cherche à travers les^ débris
des traditions nationales les vestiges du premier
^it psychologique de rhumanité naissante. Des
doctrines du sabéisme, du mbsaïsme, des reli*
gions de la Perse et- de l'Egypte, des traditions
i^rsés de la Phénicie, de la Thrace, et des sôù-
venîrs des écoles d'Ionie, il reconlpose le premier
moi du ^enre humain. Impression de poésie et
de génie,' enthousiasme du premier né,. puissance
sublime dans son apparent délire, et que ne peut
inetracer que celui qui de nos temps est encore
sous son joug. Tout dort dans les ténèbres prir
mitives. Au bord du chaos, sur l'arbre qui vieat
de naître , Foiseau repose encore la tête pliée
^oiis son aile, pendant que le monde civil de-
meure enseveli au fond de l'abîme éternel. Enfin
il paraît , l'esprit de vie , et nous assistons à la
première leçon que Dieu fait entendre à Thomme
par le langage de l'univers. Sa voix retentit par
Forgàne de la nature entière, et le premier rayoïi
de lumière est la première révélation. De. même
que dans les déserts d'Egypte la statue de Mem-
non résonne aux premières heures du jour, ainsi
la pensée de l'homme, atteinte et ébranlée par
SDR HBRDER. 77
l'apparition de YnnivevB visible, y répond par une
soudaine harmonie de syjnboles et d'idçes, de
cultes et d'images , fidèle écho du Dieu cosmique
Or; nul écrivain n'a représenté plus au vif cette
intuition de l'homme sur le monde naissant Je
ne sais quel nom donner à cette psychologie qui
découvre Funivers entier , l'espace et la durée
sans bornes cachés et renfermés sous chacune
des aperceptions primitives du genre humain^.
Cette unité sans limites , qui s'appeUe Infini , ap-
paraît successivement à Thomine sous des faces
diverses; mais toujours entière, toujours indivis
sible, c'est d'dle que naît toute foi, toute science.
Uabord elle est son Dieu, d'où sortiront ave;G
les âges tous les dieux qu'il connaît. Bientôt il
réfléchit dans ses actes l'œuvre de la création ,
qui; devient le premier type d'institution çivila
Puis il veut la peindre aux. yeux, et ce symbole
devient son premier sijgne; il veut la faire re-
tentir à ^n oreille, et voilà le pi^mier accent
de sa parole , l'origine de toute langue, die toute
écriture, de tout monument. J'ai. même tort.de
distinguer ainsi dans cette rapide contemplatioa
ce qui fut en soi-même indivisible comme, le
tout qui lui servit d'objçt ; car telle fut cette
première intuition qui précède et contient toutes
les autres. De l'Orient à l'Occident, celles qui
l'ont suivie n'en. sont que des jpr^ginens épars^
78 ÉTDDE
desniioes mutilées. Et nous, qui Toybnft dans
son enfstnce le genre bumain se peindre sou3
mille formes, Tunivers <^i rentonre, s'en &ire
djes emblèmes , de puériles^ images qu'il susp^id
à son cou, qu'il ^ave mxr.soa tombeau, quand
même nous ne saurions rien de ce qui a suivi,
nous nous informons de aa destinée; nous de^
mandons comment ont fini de tels jeux,, et ce
qu'est devenu l'élève du Centaure f
A cette question répond le livre de h^ poésie
hébraïque 9 puisqu'il comprend dans son en-
semble tout le développement du génie oriental»
Avant Herder, quand le sage Lowtk veut pé«
nétrer dans la p^sée du peuple de Moïse, il
(X)mmen€e par V^^tourer d^uaie bibliothèque de
Irrares grecs , puis a rechercher dans quelle ca-
tégorie d'Aristote il placera les lameoit^tions de
Jéremie, où sont les trois unités du drame de
Job^ si les psaumes sont des idylles pu des di-
thyrambes. Voilà l'érudit, voyons le poète.
Deux jeunes amis se Kuilissent avant le lev^r
du soleil sur le sommet d^une montagne. L'obs-
curité qui les enveloppe encore à demi , mais
qui fuit par degrés, ce souffle fnais, pénétrant
des heures qui précèdent le jour, cette renais^
sance graduée de toUs les objets, éveille malgré
eux dans leurs âmes la pensée des premia*s jours
du mondes Eux-mêmes^ en sentant dans leurs
SUR HERDER. VS
Goeiir» ce dour réveil de toutes choses, croient
retrouTcr ayec faube les premières impressiong^
de Hitunanité à son berceau. Lorsqu'enfin la
dernière étoile a disparu, et que la chaleur,
comme le souffle de yie, commence à pénétrer
k trayers les feuilles humides de^ bois, il s'élère
du fond de leurs âmes un cantique de grâces à
l'Auteur des choses. Au milieu du ravbsement
où les plongent ces premières heures d'innocence
et d'inspiration, ils commençait à s'entretenir
de la poéisie hébraïque. Mais alors , intimement
unie au spectacle du lever du jour, elle en est
le dernier acte. C'est l'hymne de l'humanité
naissante qui célèbre à son tour l'Auteur de la
création, après que, pour l'adorer, les arbres
ont incliné leurs cimes et que la fleur des champs
s'est penchée sur sa tige. Ainsi l'écrivain tire la
critique littéraire de la poussière des livres et
des académies, pour l'étendre sur les herbes
odorantes des vallées, sur le rideau des forets^
sur l'azur des lac^, sur les eaux, sur la terre,
dans le ciel. Il appelle tout l'univers, potu* com<^
menter quelques paroles échappées au cœur des
hommes, et nous, qui pensions lire la disserta*
tion d'un rhéteur, n6us ne rc^ncontrons le plu$
souvent qu'un chant de Milton, qu'un dialogue
de nos premiers pères soûs les berceaux d'Eden.
L'ouvrage comm^euce par des observations swt,
82 ÉTUDE
harpes éoliennes suspendues dans une foret ne
répètent pas plus fidèlement les soiis que le vent
leur apporte. Sans presque aucun concours actif
de leurs âmes, ils réÛéchissent, non pas seule-
ment les scènes imposant^ de la création , mais
tout ce 'qui arrive jusqu'à eux, le bruit dune
eau lointaine, les derniers rayons d'une étoile,
la fleur qui s'entr'ouyre au matin, la rosée que
leurs pas ont foulée; et tout cela devient aussi-
tôt , sans effort , sans artifice , sans réflexion ,
comme par l'essénjce seule de la pensée humaine,
autant de symboles ou ^'î^^^g^^ ^^ sîentiment
religieux. Cette poétique d'une fotme nouvelle-
imite ainsi le mouvement de la rêverie. Le vent
qui soufile dans les arbres,, la pluie qui tombe
au fond de la vallée, le tonnerre qui roule au
loin, retentissent dans la pensée des deux con-
templateurs, traversent avec elle toute retendue
des âges, et vont expirer par degrés sou^ les
tentes de la Mésopotamie et sur les tombeaux
des patriarches. L'objet qui frappe le sens , le
retour personnel sur une affection privée. Té-
branlement qui se communique au fond de.
l'ame et y réveille l'homme primitif, et avec lui
les anciens jours, lés anciens peuples^ le premier
jcultç, le premier hy mine, se confondent dans
une seule et même impression prolongée a Fin-
fi]3ti.. Il en résulte que les antiques traditiolis
SUR HERDER. «S
d*Âbra1iam , de Moïse , de David , dTsale sem-
blent jaillir pour la première fois du cœur de
l'homme avec toute la fratcheur d une création
soudaine. Incroyable puissance de l'ame, qui
n'a besoin que de se recueillir en elle-même
pour retrouver dans ses profondeurs, par-delà
ces vagues chimères et ce secret ennui qui en
effleurent la surface, les trésors et les ruines. des
anci^s âges; je ne connais que ce livre qui
l'ait, non pas observée ou mesurée, mais aperçue
de loin et par instinct
Dans toute la poésie orientale , le paradis est
l'idéal du bonheur de l'homme. Premier rêve
de la jeunesse , terre des fables , où les peuples
de l'ancien monde ont placé leurs chimères et
l'accomplissement de leurs désirs , là sont leurs
puit^ d'espérance illimitée et leurs premiers re-
grets. Mais tout ce charme , n'est-ce qu'un songe,
et l'histoire entière de l'humanité n'est-elle pas
cachée sous ces mythes? Outre cette terre d'il-
lusion, il en était une autre plus particulière-
ment propre au génie hébraïque, et dont les
peuples de l'Europe ne semblent avoir eu au-
cune idée. Règne sans forme, sans lumière et
sans vie , ce n'est pas le néant ,, ce n'est pas en-
core l'Etre. Région des ténèbres, que les créa-
tures habitent avant de naître, les âmes des en-
fans y flottent endormies jusqu'à ce que le soui&é '
84 ÉTUDE
de Dieu ^es appelle sur terre. Là repose Féter-
nelle nuit en attendant le matin, et les jours se
réjouissent quand ils sont évoqués pour faire
partie du cercle de l'année. Cet empire a son
roi , et dans ses insaisissables limites il ne pré-
sente pas à rimagination m;oins de merveilles
que les nuages des Scandinaves „ ou que les mys-
tiques visions du m.oyen âge ; c'est^-dire que le
monde poétique àes Hébreux s'étiend par-delà
la naissance /comme celui des autres peuples
par-delà la mort,' dans l'idée de la survivance
de Tame. D'ailleurs un chapitre entier de ce
livre est destiné à démontrer qu'il n'est pas vrai
que cette tribu du genre bùihâin ait méconnu
la croyance de l'immortalité.. Cachée sous les
îdiotismes de l'Orient, elle est seulement plus
circofascrite. L'essence de Fhomme vient de FÉ-
tjemel et y retoiu-ne. Le souffle de 'Dieu -qui Fa-
nime est le Fils de Dieu , mais un fils déchu ,
fait pour souffrir et défaillir sans cesse. Victime
du monde, il ne revient pas sur tçrr^; il vit
dai^s le tombeau, sans voix et sans figure. Quel-
ques favoris du eiel, Hénoch, Elie, Abraham,
vont seuls dans Fhabitation de leur ami céleste,
chercher Un meilleur pays de Canaan.
Enfin , de la même manière que nous avons
vu Fidée de Jéhovah personnifiée dans toutes
lès scènes de la nature visible, il fendrait re;:
SUR HERDEll. 85
dierohér comment cette même ccojance, réflé-
chie dans le champ des actions humaines, a £8iit
de chaque événement de l'histoire, de chaque
détermination individuelle, un mythe de la
Providence, un symbole de l'Étemel, non moins
frappant , non moins vivant que Tarc-en-ciel
dans le déluge, que le buisson ardent de Moïse,
ou que les cimes déchirées du mont Thabc»*.
L'histoire d'Abel, cette humble fleur teinte de
sang, est la manifestation de sa justice; la ruine
de Babel, le symbole de sa puissance; le sacri^
lice d'Abraham , le type de toute l'alliance , le
gage d'une amitié pesante; la lutte mystérieuse
de Jacob , le signe de la domination de sa race
qui n'aura rien à redouta: d'Esaû , puisque sou
chef a vaincu Élohim par son bras, Jéhovah
par ses prières.
Mais, moi-même, je me lasse d'analyser ce qui
ne peut pas l'être. Quand j'aurais suivi les mille
détours de cette marche inégale et cent fois in-
terrompue, quand j'aurais recueilli le souvenir
de. tous les objets, de tous les faits, de leurs
formes, de leurs couleurs; quand je n'aurais pas
oublié une seule de cette foule d'observations
sur les institutions publiques et privées ^u
peuple , sur le caractère de ses che& , sur la vie
et la mission de ses prophètes, une seule des
explications de ses mythes, que serait-ce que
86 ÉTUDE
tout cela , qiiWe œurr^ .&iiS6e , une œurre
morte ? Ce qu'il faudrait moatrer , c'est un
homme de l'Occident, dont la pensée ne se dé-
veloppe en liberté que sous le ciel de FOriçnt.
Échappé à ces tristes régions où il ne respira
jamais à Taise , il s'en va de FÉgypte à la Judée
sans bu,t bien apparent, s'arrêtant où il lui plait,
jouissant avec extase de respirer après une longue
absence le souffle de sa teire natale. Il va dé-
l*ouler sa bible sur le mont Oreb, ou prè* d'une
citerne de l'Idumée, ou sur les fleuves dé Baby*
lone; il va dans le désert chercher les cendres
de Job. Avec cela, il est remarquable que ce
n'est point une ame solitaire. Il ne s'enfuit pas
à l'écart pour mieux jouir de son culte : et nous
qui sommes, mal préparés à de tels flots de lu-
mière, nqus trouverons toujoxws qu'il ne con-
nais point assez des secrets de l'homme intérieur.
Mais en y mieux pensant, voilà pourquoi il pa-
raît parmi nous comme un envoyé de l'antique
Orient , apportant , avec le j^arfum des temps
passes, l'encens de la Perse, l'or de lln.dus et
la myrrhe de l'Arabie. Une marche irrégulière,
quoique majestueuse et grave, une éternelle jeu-
nesse, un pedt nombre d'idées simples, siir les-
quelles il revient incessamment avec un éclat
toujoiu*$ nouveau, rendent ce rapport plus frap-
pant Quand nos écrivains orientalistes, à la
SDR HERDER. 87
tête desquels est Bossùçt, sont le mieux inspira,
ils ne peuvent, quoi qu'ils fassent ^ se dépouiller
des sombres pensées des temps modernes, et sous
la tente des patriarches ils portent tous les sou-
cis des sociétés vieillies: Au contraire, s'il est un
spectacle à la fois doux et ravissant, c'est un
homme qui a cent fois recueilli dans son ame
Je souvenir dés siècles passés , sans qu'ils aient
seulement effleuré de leurs triâtes atteintes le
premier rêve de sa jeunesse. Cent fois les ruines
des empires , les harpes des peuples exiléç se sont
i^échies dans Fazur de ce fleuve limpide où
ne paraissent plus que le ciel solitaire d'Abra-
ham, le palmier de la .Mésopotamie et la cruche
•de Rebecca.
Ajoutons néanmoins une considération qui
nous a toujours frappé. Herder excelle à peindre
les peuples dans leurs rapports extérieurs. Nul
ne décrira mieux Finflueiice sur eux de la na-*
ture visible^ il n'y aura pas dans le lieu une
circonstance, une image, dàn$ le temps une tra-
dition, un souvenir qui nesoient hem*eusement
placés pour éclairer le passé de sa lumière vé-
ritable. Est-ce là tout? il y a peu d'espoir qu'il
soit jamais surpassé dans telles parties qu'il nous
serait facile d'indiquer. Mais cette méthode, la
seule convenable pour l'univers des Pline et des
BufTon, sç trouve singulièrement incomplète
88 ÉTUt)E
quand îl s'agît de riiumamté. Outre ce ciel qtri
s'étend autour d'elle, outre ce chaos d'événediens
étrangers qui s'en détachent avec les âges, il est
un autre objet qu'elle contemple incessamment,
qui réagit sur elle d'une manière plus continue,
plus immédiate; car cet objet, c'est elle-même.
Or, ce rapport réfléchi, cette attitude des peuples
qui se prennent eux-mêmes pour objet dé leui-s
pensées, à la fois acteurs et spectateurs^ dans ce
long monologue où l'^inivers reste muet, sont
autant d aspects auxquels il ne s'est point attaché.
A travers ces formçs éclatantes , sous lesquelles
il fait revivre les nations , rarement arrive-t-il
jusqu'au moi intimé et permanent du genre hu-
main. Même lorsqu'il exapiine ce qui semble
appartenir de plus près à son essence, ses insti-
tutions, son génie et ses diverses créations, c'est
encore comme autant * d'influenxîes étrangères,
déjà tombées dans lé domaine de la nature, et
seulement, pour parler avec l'école, sous le point
de vue objectif. Ainsi, pour mieux préciser notre-
îdée , nous demanderons si , pour le peuple hé-
breux, il était, il pouvait être un spectacle plus
poétique que lé peuple hébreux lui-m^ême? L'hu-
manité n'a présenté qu'une fois l'image étrange
de ce rêve prolongé de tout un peuple , qui , les
yeux ouverts, et que l'on croirait dans la veille,
mais au reste sans rien voir, sans rien entendre,
SUR HEKDER. 89
sans que les pierre» aiguës qui ensaiiglanteutses
pieds puissent le tirer de son profond sommeil v
est entraîné à chaque pas dans un abime et croit
monter les^ degrés d'un trône. Pendant que là
Perse triomphe, que la Grèce ivre de joie court
à ses olympiques, et que Rome naissante laboure
en paix les champs du Latium , où va-t-il , ce
favori du ciel, qui lui-même s'appelle le roi des
peuples? Les mains liées, comme xin vil crimi-
nel , il traverse le désert sous la garde de quel-
ques archers dii Taurus^ Or, ce long rêve avait
ses intervalles; quand ^ s'arrétant près des ci*
ternes, ou sur les fleuves de Babylone, le peuple
élu apercevait son image qui se lamentait au
fond de l'eau; au lieu de la mitre et du sceptre,
sa tête courbée sous le poids du jour, ses mem-
bres meurtris par la verge et les fersi Alors,
jusqu^à fie que le charme revint j s'élevait un cri
de détresse, tel que jamais l'Orient ni l'antiquité
tout entière n'en firent entendre de semblable.
De là jdans cette poésie deux caractères frappans,
doùt le monde extérieur ne peut ejtpliquer qu'un
seul. Les illusions, la foi du premier âge, ses
innocentes fables, sa douce paix, ses naï& récita;
et avec cela une connaissance précoce du mal-
heur, une proîondem* de regi'Cts, qu'ont à peine
réproduites au milieu ^^s sociétés modernesr le
Dante, Shakespeare et Bossuet. Ce sont les traits
* /
90 . ÉTUDE
de l'adolesoenoe et presque de TenÊmce; mais
OÙ est r^tée l'empreinte d'une douleur trop poi-
gnante pour cet âge ? Encore si Jeune , la poésie
hébraïque eu a été mortellement atteinte; et
quoiqu'elle ait lès. mêmes goûts que ses sœurs
d'Orient , quoiqu'elle/ fasse partie d'un toême
ehœur , passionnée comme 'elles pour les fables,
les contes, \eé chants et les danses, il reste dans
son accent et sa démarche une ineffaçable marque
de souf&ance et de deuiL
Le génie de l'Orient ainsi étudié dans ses tra-
ditions et sa poésie, vient le moment de l'exa-
miner dans les ruines de ses édifices ^ et rarchéo-
logie de Herder pourrait nous arrêter long-
temps K Sans se laisser préoccuper d'aucune idée
particulière, ayec toute l'imprévoyance du poète,
il va s asseoir sur les débris d'un monument et
le laisse agir sur' son intelligence et s'expliquer
lui-même. Comme si son moi était réellement
confondu avec celui du genre humain , ce spec-
tacle n'éveille en lui que des idées, des formes
pi^opres a tel lieu , à tel ^emps ; et pendant que
l'histoire des Acheménides , des Parthes , des Sas-
sanidés, de leurs cultes, de leurs symboles, jaillit
de sa pensée, vous diriez le récit d'un vieillard
qui revoit les lieux où il est né. Non-seulement
1 Lettres sur Persepôlis.
L/
SUR HERBER. H
ce'fîit lui qui le premier en Allemagne appela
lattention des arcbéologues sur les ruines de
Persëpolis, mais il en donna une explication
historique que la science semble avoir adoptée.
Appuyé sur le prophète Daniel et l'Homère per^
San, Ferdousiy il pénètre à travers ces colonnes »
rend la vie à ces bas-reliefs, aux animaux fabu-
leux leur sens moral, aux personnages leur ca-»
ractère traditionnel, et découvre sur ces totn-
beaux, le symbole des institutions primitives de
la Perse, et 1 apothéose de son roi idéal, Dschem-*
schid. Peu d'écrivains ont dévoilé, avec plus de
hardiesse les rapports des mythes de la Judée
et de la Perse; en retrouvant dans les visions
des prophètes, confuses et mutilées, ces mames
figures qui sont gravées ça et là sur le marbre,
on croit entendre un interprète expliquer les
images incohérentes d'un songe par le^ appari-
tions ^ la veille. A mesure que le passé se ré-
vèle à lui sous de nouveaux aspects, il donne
1 éveil à la science, il lui trace sa taphe de chaque
jour, il trouble la paix des érudits par une fpule
de problèmes où l'Orient et l'Occident sont ren-
fermés. Depuis ce temps, histoire, mythologie,
beaux- arts, pas un livre remarqiMible sur ces
sujets ne l'a suivi et dépassé où l'on ne sente
plus ou moins immédiatement son influence
créatrice. JPour parler sa langue, il ressemble à
«2 ÉTUDE
ce lotus sacré des védàs qui , balance çà et b
sur les eaux primitives, porte au loin dans son
fipèle calice tout un univers naissant.
Outré ses nombreuses imitations de l'antho-
logie orientale et classique dans lesquelles édâte
au plus haut degré le Sentiment de ce qu'il y a
de plus délicat et de plus insaisissable dans l'exis-
tence poétique des peuples , ses études 'sur la
Grèce embrassent tout le cercle de l'antiquité.
Sans suite, répandues çà et là au gré de chaque
besoin, dans chacun de ses livres, elles en font
néanmoins le lien. Tandis que les fot^mes de
l'histoire se succèdent et varient, le choeur grec,
toujours présent ,^ souvent interrompu sur ^ la
scène du genre humain , tôt ou • tard reprend
ses droits, «t, expliquant son génie et ses oeuvres,
'fournit à chacpie période des temps un type im-
muable de comparaison. Ou c'est le monde d'Ho-^
mère mis en opposition avec le lùonde d|§^ssian,
ou celui de Phidias et de Xeuxis avec celui de
Michel-Ange et de Raphaël , ou le Laocoon de
Lessing, commenté par le Philoctète de Sophocle.
En transportant ainsi ce même' type à des épo-
ques éloignées Tune de l'autre , il observe sa
convenance ou sa disconvenance avec chaque
point de la durée. Lorsqu'eùsuite il recueille
ces résultats dans une suite de discours siu* la
théorie des arts, le sentiment du beau, Tinfluence
SUR HERDER. 93
de la. poésie, aucune critique n'est plus large et
plus, féconde.
De l'antiquité «au moyen âge, lé passage est
marqué par une suite nombreuse d'ouvrages sur *
les sources et l'esprit du mosaïsme et du chris'
tianisme, dans lesquels les mythes de l'Orient
se laissent peu à peu pénétrer par le sens réfléchi
du monde moderne. Les .premières idées de l'au-
teur sur ce sujet furent développées dans son
Prédicateur. C'est alors un jeune ministre dans
la première ferveur du zèle évangélique , et que
la majesté de sa mission ti^ouble encore d'une
émotion confuse. Il faut qu'il retrace au monde
la dignité du sacerdoce dont son ame est rem-
plie. Lui qui vient d'éjkre indissolublement uni
aux patriarches, aux prophètes, aux premiers
l^slateurs, aux premiers poètes de l'antiquité,
quels projets de djoctrine ne fait- il pas, quçl
idéal de vertu , quels rêves d'éloquence ! Sans
doute c'est la chimère de sa jeunesse sur laquelle
il veut régler^sa vie. Pourtant il est encore dans
la lutte, flottant entre la tradition et la nature,
sans pouvoir s'expliquer ni sa foi ni ses doutes*.
Il cherche et ne peut découvrir la \o\ qui doit
concilier sa croyance et sa philosophie. Où elle lui
manque, il s'abandonne à la tradition révélée; il
se couvre de son ombre, et attend des jours meil-
leurs sans inquiétude, compae Sjans empressement.
94 ÉTUDE
Déjà la scène a bien changé dans les Lettres
sur Vétude de la théologie. Le jeune J>rédîca-
teur est alors un homme dans toute la maturité
* de rage, qui aide de ses conseils paternels Finex-
périence d'un néophyte. Déjà il est terminé, ce
combat si paisible, qui agitait son ame sans la
troidiler. La seieùce et la croyance , récriture
et la nature se balancent et s'interprètent l'une
l'autre; la Science de Fange est devenue la science
de l'homme.
Toute Ja disrcussion repose sur ces, mots de
nature, de raison y de grâce, ai écritures , de
réi^élatioh. S'ils sont des présens du même Dieu,
probablement ils sont loin de s'excliu*e et se
contiennent l'un l'autre. A la natui'e semble
s'opposer la lettré écrite ; mais la nature est elle-
même un livre assez vaste, qui existait qtiand
rien n'avait encore été gravé ni stu» la pierre,
ni sur le htonze; et la tradition peut-elle être
autre chose que le commentaire de ces premières
archives ? Reste donc à considérer la révélation ,
sous un point de vue plus large, comme Fins-
titutriçe de la raison humaine. Pour cela., est-ce
à dire que nous n'aurons ici que l'éternelle lo-
gomachie de ceux qui s'en vent renverser la
raison pour fonder sur la raison je ne sais quel
arbre mystique sans racine et sans sève! Loin
de là , la première loi de la révélation sera de
SUR HERDER. S5
se plier, ainsi que le langage d'un^ mère, à Tin-
telligence de son enfant. Elle n'émanera d'en
haut, elle ne sera juste, elle ne sera vraie qu'au-
tant qu'elle sera prpmptement et complètement
comprise, non par le ciel, mais par la terre,
par rhomme tel qu'il est, ou tel qu'il fut avant
ce jour. Si ses &cultés se développent ou varient,
elle en suivra les changeniens^ grandira et dé«
ÊiiUera avec elles. Tout ce que l'humanité peut
Toir à chaque époque de sa vie^ elle le verra
comme elle, sans aller au-delà. Puissance véri-
tablejment incarnée dès l'origine, et qui se meut
dam toute l'étendue des siècles, avec toutes les
formes de l'ei^istence humaine, parlant, voyant,
eatendant par la bouche , les yeux et les oreillesi
des peuples, sans jamais rien produire qui ne
naisse nécessairement de la direction des forces
contemporaines , c'est; ce rapport exact qui cons*
tituera sa beauté, sa vérité^ son divin caractère.
Ces deux termes changeront, quoique sans jamais
se désunir l'un l'autre; plus leur conformité sara
manifeste, plus ils seront remplis d'une céleste
Tertu. V >
Telle est en soi-^méme la nature des choses. Mais
pour nous, qdï voulons la connaître et n'occu-
pons qu'un point au: sein de cet éternel chan-
gement, par lequel de ces deux térm:es commen-
cer notre étude? 'Par la révélation dans son type
98 ÉTUDE
absolu, ou par l'inteUigenjoe dans son moui^aiaent
progre^if , par la doctrine ou par l'hisloire ? Il
s'agit pour nous de l'univers entier dans cette
classification. Heureusement elle est déterminée
par les réflexions qui précèdent Admettre que,
s'il y a eu une révélation, elle a été faite pour
la raison humaine , c'est p»Qnoncer en d'autres
termes que pour savoir ce qu'elle fut, il fsiut
savoir ce qu'dle dut être, ou ce que l'homme a
pu comprendre. Nous ne connaîtrons les limites
de la parole qu'en connaissant les limites de
l'intelligence; et si nous suivions une marche
inverse, débutant par la tradition et finissant
par la nature, nous courrions risque de nier ou
d'affirmer de la première , dès choses sur les-
quelles la seconde a porté avant nous des juge-
mens contraires^. Avec cela, nous n'aurons rien
fait encore, si nous nous arrêtons à l'examen
dé l'état actuel de la pensée. Comme le psycho-
logue, en vain aurions^-nous à grand'peine cons-
taté, comparé, classé les faits dont l'homme in^
térieur compose aujourd'hui sa science, nous
n'aurions encore le droit que de juger d'au-
jourd'hui. Il faut que nous répétions incessam-
ment ce même examen, sous des formes diverses,
depuis Moïse jusqu'aux tribus conduites à Baby-
lone, jusqu'au prophète du Jourdain, jusquau
Dieu-Homme, sans oublier les temps qui ont
SUR HERPER. M
suivi jusqa'à cette heure. Plus nous serons près
du simple , c'est-à-dirç de la nature des choses,
plus nous serons près de Dieu. Nous ne le tou-
cherons Traiment que si, remontant , descen-
dant, trayersant en tous sens la suite entièt^ des
siècles, et nous asseyant au foyer de chaque
peuple, notre ame est assez grande pour vivre,
souffiîr, aimer', croire, espérer avec chacun
d'eux, dans toutes les contrées et tous les âgesi*
D'où il suit que toute question de théologie s6
résoudra dans une question d'histoire. Notre po-
lémique sera de l'archéologie, et nous ne saurons
sur les dogmes'que ce que nou^ en apprendra
rétnde comparée des langues et des traditions
populaires.
Quoil tant d'efforts n'aboutiront qu'à retrou-
ver sur les croyances hébraïques la science du
jeone Tobie ou dés moissonneurs de Booz? En
effet, ncNis n'avons rien en France qui donne
l'idée de cette critique calme et ferme, appli-
quée sans amour et sans haine aux livres sur
lesquels repose la croyance nationale j ceux qui
lont sérieusement tenté ont subi Famer suppliée
de Pascal, et, sentant leur chimère s'échapper,
ils n'ont pu achever. Tous les peuples modernes
pouvaient concourir à la philosophie; je ne con-
nais que l'Allemagne oii put naître la véritable
Exégèse. Là seulement le sentiment religieux s'est
I» 7
98 ETUDE
trouvé assez fort, âsset oonfifint en Im-méme
pour consentir à s'examiner, au grand }ow, non
ps^r le besoin de s'éprouyer^. mais par cdboi de
se ç(mVLsâitref de savoir d'où il vient, où;^ il va^
ce qu'il fut,, ce qu'il doit être^ Là seulement il
a été asse2 riche pour consentir,' saiKS crainte de
s'appauvrir, à perdre ce que ne conlîrmerait pas
la science. Qr^ en s'éelairant, il est arrivé qu'il
n'a fait qu^. se retremper. Moins il doute de lui^
•m^me, moins il craint de se mésallier; plus il
s'étend , plus son univers devient libre et spa-^
(Cieux. Véritablement, quand on a lu ces lettres,
il semble qu'on connaissait niai auparavant sa
puissance ciéatrice. A peine l'histoire et la phi^
losophie ont-elles comblé un de ses abiines, qu'il
s'en creuse un second et invoque Une autre so-
lution. Â mesure que la lumière augmente, la
pensée se replie, se cnée une chimère noùveHe;
et ces vains efforts de la science pour atteindre
le cœur de f homme, et du cœur de l'homme
pour s'en laisser pénétrer, ces deux puiissancâs
qui se cherchent et s'enfuient à l'infini , sans
pouvoir jamais se confondre, ni s'absorber l'une
l'autre, sont le plus vivant témoignage d'une
vérité éternellement impalpable, éternetieinent
insondable, éternellement la source et la fin de
toutes les autres. .
De tous les ouvrages de H^er les moins
SUR HERDER. $0
brillant et les plus tôuchâiis, ceux qui ont le
plus de charmes, et le charme le plus vrai, le
plus pénétrant, ceux que l'on Toudraît relire le
plus souvent, sont ses écrits chrétiens. L'élan
poéûque y est presque nul ; adieu les larges di<*
gressions, le mouvement épique, rahandôn de
rimprovisation ; il procède avec une sorte d'exac*
titude qui tiendrait plutôt de la sécheresse de
la chronique; et cependant rien ne vous ravive»
rien ne rafraîchit votre sang comme ce simple
commentaire. Pourquoi cela? uniqii^ement parce
que vous avez vécu quelques heures sous le ciel
de la Judée, aux bords des lacs de la Oalilée»
à Tombre des figuiers de Béthanie, de la vie de
ces pécheurs qui quittaient leurs filets pour
suivre le Messie» Vous sentez comme eux la cu-
riosité qui vous attire, un secret ascendant qui
TOUS retient, l'admiration qui naît, puis l'amitié,
lamour, la charité fraternelle qui vous enivrent
de leurs charmes; enfin, la conviction, l'ardente
conviction qui a soif de se répandre et cherche
à s'immoler. Aujourd'hui que nos coeurs, glacés"
et notre imagination tarifante ne conçoivent
plus, ne produisent plus que de tièdes amitiés;
des transport» raisonnes , mais plus de vrai en-
thousiasme, plus de fraternité, plus de liberté^
plus de convictions, parce que nous ignorons
la forM du it^essort moral , nous appelons miracle '
/
100 ETUDE
toui ce qui * échappe à nos chélives et languis*
santés .éla:*einte$. Pour lui; il interroge chacun,
des sentimeiis naturels, afin de savoir quels pro-
diges ils peuyeiit cnfant^er, et il trouve que le
cœur de rhomme est encore assez grand pour
expliquer toutes les inerreilles du christianisme.
Considérée sous cet aspect , )e ne sais si Ul puis-
sance visible de l'Auteur des. choses ne parait
plus assez} ce que je sais, c'est que nulle part
la puissance de l'ame n'éclate à un si haut degré.
Si, la divinité se manifeste avec moins de pompe
an milieu d^ élémens et de la nature extérieure^
elle se ^tire et jette plus d'éclat dans la cons-
cience de l'hoiume. Moins il se fait de miracles
S1U* les bords de la, Tibériade , plus il y a de
miracles d^amitié, d'amour, d'admiration, d'hé-
roïsme. U j a moins de tempêtes apaisées sur les
lacs de la Galilée, mais au fond* des âmes plus
de douleurs consolées; un éclat moins merveil-
leux sur le sonunet de la montagne, mais dans
les coeurs {dus d'espàrance, plus d'ayenir, un
culte plus profond, un rayon plus céleste.
Lé commentaire sur S. Jean app^e surtout
notre attention. Peu avant sa mort, un vieillard
rassemble dans l'exil les souvenirs de sa jeunesse.
Il les embellit de ses r^rets, et fidèle à l'ami
dont il a reçu le demi» souffle, il oublie ce
qu'il j avait en lui de terrestre^ il u'eo^ Voit
SUR HERDER. iOl
plus que rimmortel et le divin. Né dans l'Egypte
des Ptolémëes, place entre le cuite de la^ Perse
et la Grèce platonicienne, il les unit dans sa
pensée et fsiit le lien du christianisme naissant
avee ces antiques doctrines du genre humain.
Cest à la fois une profonde étude morale, et
un spectacle étrange dé Toir ainsi s^e réfléchir
et s'ordonner peu à peu les souvenirs individuels
du disciple hien-aimé, sous les formes inspirées
des mythes de Zoroastre et de Platon. Il recueille
dans son ame ces traditions jphilosophiques, déjà
près de s'évanouir, pour les ranimer du souf&e
saint de iamitié, de Fespérance, de Tétemelle
jeunesse; et son Evangile devient ainsi un vaste
symbolisme, où se concentrent de toutes parts
les vagues pressentimèns de l'univers. Ttop éloi*
gné du temps dont il raconte l'histoire, pour en
suivre servilement le fil , il le brise et le recom«-
pose à son gré. D'ailleurs , ces scènes qui se suc-
cèdent dans son livre divin sont des faits allé-
goriques, des formes anitnées, sous lesquels il
enferme la doctrine de son maître* Inséparables
l'une de l'autre, toutes elles se tiennent, elles
s'enchatnent , elles se préparent, elles se Con-
firment mutuellement; chaque mirâ^cle est un
mythe qui a en lui son sens et sa vertu inté*
rieure. Le {««odige explique le précepte ; le pré-
cepte explique le prodige; et il n'est pas dans'
102 ÉTUQE
ce tabSeau un ^oupe, une 'figure, un person^
niag^, qui ne soit un type, une ixnajge agissante
de l'ëtern^Ue et impalpable véritë. La colombe
qui descend 4u ciel n est-elle pas d& l'origine
de$ sjièc^es l'embl^e dé Tesprit dé . douceur et
de paix ? Jje prodige de . Teau cbangëe en vin ,
i|'est-r€0 pas la pensée renouvelée, la force ou
étaiitljët faiblesse, la sainteté ou était I4 çbrrup-
tioi^? La' multiplication dès pains, n est-ce pa>-
la parole 'qui se répand sans s'épuiser, l'esprit
du 'genre bumain dont le moi du Cbrist fait
l'alimei^t éternels Vous demandez 9'il est le Fils
de t)ieu? Et comment la vérité n,e serait-elle
pas Fille de Dieu,, comment la parole de vie
né, sortirait-elle pas de l'Auteur de toute vie.
Oui, il. a fait des signes, il a paru éclatant de
lumière sur le mont Tbabor, puisque l'Evangile
tout entier est une sublime transfiguration de
sa vie $ et, en vérité, il a mieux, fait encore que
de ressusciter le Lazare; il a tiré du sépulcre
l'hiunanité , déjà à demi corrompue depuis plus
de brois jours; il l'a délivrée de ses bandelettes;
il à décbiré son linceuil; il Fa éveillée à une
vie qui ne doit plus finir»
Une pehsée vous vient en lisant ces écrits. Soit
misèice, soit^andeur, l'bumàn^ité s'ignore si bien
qu'outre son culte l^itime , elle est toujours près
<le s'adorer comme un être au^-dessus d'elle et
SUR HB&DER. 103
dé ^mdinèr demnt aim ombre, filais' le Dieu
qu'elle sert nest pas moîna' généreux qu'elle} él
tôt ou tard il rend à Thomme ce qui appartient
à rhommè. Le finisse oimteînple au seiû dés
temps comme rinfiai' au sein de l'éternité; mais»
loin, de s'apercevoir comme lui d'un seul et
mémei regavi, parce qu'il ne Vient à se connattro
qiie par parties, à mesure qu'il commence à dé^
comrrir en soi de nouveaux abîmes, il y fait
descendre un Dieu pour les combler. Pendant
de longa siècles il y plonge des coupes d'or, de>
trépieds d'airain , et l'écho; lui répond en se
rapprodiant chaque fois. Lorsqu'enfîn la lu^
mière éclate ^ il aperçoit avec orgueil que ces
vagues espaces tout rratiplis de ses temples rui*»
nés, de ses symboles, de ses idoles, de ses fau-^
ailles sacrées, de .ses guirlandes de verveine et
de gui, font partie de lui«-inéme et se meuvent
avoc lui.
Lémbyen âge a fourni à Herder une série
de poèmes sous le nom de légendes, dans les-
quds il fkit quelquefois effort pour descendre
à la naivené des > traditions des monastères; mais
en^ce qui^ txmdie à ces temps, son oeuvre véri-
table a éli 'd'associer au génie de l'histoii'e, doi
TOonumens qui en étaient jusque-là exclus cbez
les modçn^ Frêles archives, et cepei^d&nt i^n-
mortelleSy que le vent emporte au loin avec les
104 . ÉTUDE ^
feuilles des bois, nous ne poUTons iei qufen in:^
digiier rapidement le caractère. ^
. Comine autant de moissonneuses qui ckexu
ctent à alléger le poids du jour, les nations
lialetantes, et courbées sous la main qui les
presse, s en vont en cbantant dans leur longue
cax^ière. Gbaque période nouyelle dm croissance
ou de dédin £siit naitre un cbant nottveau j' et,
frivoles ^t Itères, elles, oublient plus prompte-
ment que ces monumens si. frêles, en appaMuce,
rémption des révolutions et le nom de. leurs a^
presseurs. Il ne Êiut pas long-t^nps pour que le
bruit des batailles s'ét^gne. et que les margue-
rites des cbamps couvrent les tombes des che-
valiers^ mais après de longs siècles, les jeunes
filles viennent encore sous les voûtes de l'Ai-
bambra répéter les roinanc^ d'Abénamar, du
roi Juan et des guerres civiles de Grenade j le
montagnard d'Ecosse prolonge ses soirées^ en.en-
tonnant les ballades d'Edouard, de Robin Hood,
des querelles des Percy et des Douglas; les en£ains
du nord de l'Allemagne grossissay; leujn» toix
pour redire les acçens rudes et sùrannéa des
Meistersangers du moyen âge*; et tous ceux qui
paissent près de là^ sentant la puissance des vieux
I Voix des peuples dans les chanu. I^ Cid , d*aprês l#f
vomances espàgmoles.
, SDR HERDER. 105
nèdet, duent en .^m-mémes : « £û Tenté, jamaî»
cr je n'entendis ces chant» san» être plus ému
c igae par ie bruit du cjairon; et pomiant ceux
« qni les psahuodient sont des enfiuis et des
« mendians ayeu^es. *
Le rare mérite de Herder est d'aToir reproduit
dans le rhy thme' original ^ les plus remarquables
de ces poèmes, convaincu que le ion, la cadenœ,
Paccent smncal en font yéritablement Tesselioe,
et que, détachés de ce fond nécessaire, il eioi
nste à peine l'ombre. Ainsi récmis, ils forment
une sorte d'histoire uniTarsdle, où le retentif-t
sèment des empires , -réduit à une impression
fiigitiye, à un soupir de l'ame, se prolonge sous
mie forme irréfléchie de générati<ms en géaépa*
tiens, dans la conscience des peuples. Non-^eu*
lement Thistorien y retrouve les grands rapports
dei raoes, les haines et les afiections nationales;
mata ils répandent sur les tuasses inférieures Fin-
téret des longs sonretiirs. Du fond des vallées eft
des forets, du bord des haies et des ruisseaux,
de naïfs rhapsodes font aatendve des stances
^qoes, qui à chaque point de la durée forment'
le lien du peuple avec le passé, attachent au
I La tradttcciouqiit Heid#r m faite du Rottanoi«r du Cid
iPâoigiit beaucoup trop encore du texte original. Cett -une
critique qm t'applique aussi k son recueil intitulé : Foix du
loa .; ETUDE. :
pays où Ton esl ^né» et associefit' à» FlumiieiBr: des
tsmps antiques ceux qui en ônfe supporté tout le
&rdean. Poursuis ta cottiplaiuie daus Ics'brujè?
ses, heureux enfant, et que i^etté guirlande de
Yeireine'te soit une auréole de ^eire. Ton an-
cétne^Ait un des Bardes de Fiugal^* et: c'est sur
le tomjieau du.rpi de Morsmn.^pie opmmença
ce jlriste dbant d adieu qu'il t'a iégué. B^qpose^toi
^urton siUQa,,3ri6iUard rempli jd^annees; que tes
gerbes , soient dorëes^ que lès ftrcKipeéux soient
abondans: il portait le même < nom que: toi et
nourat<pvès de ton cbamp^ oelui qui saura dans
AJicocer la bannière dû Gidet atteignit de sa
dague- le cbef des méeréaUs., Bénie ^t cette tour
à demi ruinée ; . que le lilas et lé. chèn'^'&uiUe
l'ombrag^ent de toutes pmts ; ^que l'oiseau It fkxs
aimé du Cid y &sse chaque année son md*
Cerceau d'une Iliade noureUei dans ce manoir
vécurent, plus renommés qioie 4es. Hàndides des
Cvrecs» les quatre fils Ajnond; leur histoire,
née des chants et i!épétée sois lé chaume, éMoad
l'horizon. dta bei^iger de la Talleé par-delà lacoui>
tndesque de Chakiemagne, jusqu'au tombeaa>dii
prophète de l'Arabie et aux palais des Péris de
llran.
r
Dans l'impos^bilité d'analyser isolémenl; la
foule des fragmens de notre auteur ^ur là civî-
lisation féodale et chrétienne, si nous .cheroh^s^
SUR HERDER. iOt
à les comprendre sous une seule pensée et à les
résomer dans une vue; psychologique de l'uni-
vers civil et de l'individu qui s'en fit l'image^
nous trouvons que tant 'que l'activité spontanée
domine dans le genre humain, il est son hist(V
rien fidèle. I«a haute antiquité tout entière^ étant
comme lui-même poésie, il en occupe le ceiitre*
A peine la réflexion philosophique commence
à se développer, l'alliance est moins parfaite; et
déjà Rome lui est moins familière que la Grèce,
la Grèce moins que l'Orient. L'élément raticwndif
dont il a pu négliger dans la Judée le fa^bli^
germe, continuant à gtandir dans l'histoire,
son horizon de poète se «ârcônscrit chaque jour.
De là, au m^oyen âge, il poursuit un à un les^
derniers rayons de lumière primitive, qui , émà*
nés de l'astre naissant de: l'humanité, après avoir
effleuré sans se refléter le» cendres du passé, se
révèlent encore, quoique pâles et peu nombreux,
non plus dans les institutions et les cultes, mais
dans de rares stances lyriques et dans quelques
fragment d'épopée. A mesure que, la poésie cé^'
dant à la science, la religion à la^ philosophie,
l'existence des sociétés s'approfondit davantai^e,.
porté par une dir^tion constante vers leura
sommités idéales, il se trouve, presque soustrait
à leur sphère, planer sur elles de la région Ofi.
se forment les mythes et l'histoire dea symboles.
108 ÉTUDE
Enfin, dé ces hauteurs que, sôus les théories du
Phèdre et de la républicpie platonicienne, on se
représente tantôt nettes et précises, tantôt con-
fuses comme la vision d'un prophète, les scènes
du monde moderne , que la narration soit fré-
quemment et brusquement coupée par le dithy*
rambe ; et que de chaque point de l'histoire les
peuples soient appelés à juger dans les dernières
générations le produit de toutes les autres , on
aura conçu le plan qu'il appliqua presque à son
insçu à l'étude des tenips les plus voisins de nous,
et qu'il réalisa dans TAdrastée.
Cet ouvrage est en effet le ^lectade de la lutte
de deux principes distincts, le génie de FEiU'ope
moderne qui comprend son siècle et qui Fad-
mire , et une âme sortie de l'Orient qui souffre
et* se trouve à Fétroit au milieu des formes ciip-
conscrites du monde de Louis XIY^ De là ces
dialogues fréquens^qui interrompent le récit et
où l'Occident et' l'Orient sont aux prises. Vous
diriez vca Brame transporté dans les jardins de
Versailles, à la cour de la reine Anne, dans les
chantiers de Pierre le Grand, parmi les armées
de "Charles XII , dans les sociétés polies des poètes
et des philosophes. Il les juge avec un merveil-
leux bon sens; quoique souvent, fatigué d'un
monde qui n'est pas le sien, il ait besoin de se
recueillir à l'écart, et de reveiair k ses contem*
SUR HERDER. iO»
plations habituelles 9L aux souTenîrs de llnde
et de la Perse. Cest aimi qu'eu prëseutaut des
Tues très^teudues sur l'iufluence murale des dé^
couvertes des Leibuitz, des Keppler, des Newton ^
il s'interrompt au milieu d^une nuit deté pour
rêver, à la clarté des étoiles, sur l'éternelle mér
temps jcose et le rapport de 1^ lumière à la pen^^
séé. On entend des voix invisibles chanter des.
hymnes, des choeurs antiques. D'autres Ibis, aprèi
avoir exposé quelques idées propres à la philor
Sophie du dix-huitiètae siècle, lorsqu'il sembla
le mieux appliqué à les réfuter, une harpe éo*
Uenne retentit tout à coup, et avec elle un. des
chants enivrans du Midi. A peine a-t-il cessé ,
qu'une jeune Néri arrive d'Orient, et sous la
îàble qu'elle raconte, il y a à la fois taut do
sagesse, de vérité, de grandeur, qu'en dépit du
sophisme de Mandeville, il se répand sur tout
cet âge un céleste parfupi de poésie et de vertu*
L'histoire des missions étrangères le ramène au
bord du Gange, dans l'Archipel indien, et u>ut
le génie de l'Orient; est dai^ le peu de paroles
qu'il place dans la bouche des indigènes pour,
défendre les traditions de leurs pères. Lui-même
ne s'intéresserait à rétablissement du. christia-
nisme dans ces lieux que.s'U pouvait.y descendre
conmie la rosée, sans changer, la figure des ob-
jets. Les form^ nationales sont ppur lui des
r'
110 ÉTUDE
vases sacrçs sortis de 1.» maia de'Diea avec
runivers qui les maintient; le speGta,<ie varié
qu'elles présentent, lui semble le seul culte ex-
térieur digne de l'Auteur des choses. On conçoit
ce qu'il doit y avoir de fécond dans cette oppo-
fition constante des deux ^xtrémif?es apposées de
rhumanité. Ramenée pour quelque temps aux
lieux où elle est née, elle raconte avec orgueil
après ce long voyage quelles ont été sesi œuvres
et quels fruits elle rapporte. Mais la sagesse an^
tique qui avait mis plus haut ses destinées, la
réprimande avec autorité, ôiî elle s^bandonae
à ses prophétiques rétéries, et décrit pbitr l'ave-
nir une nouvdle Atlantide. C'est l'histoire qui
se compare à sa loi primitive , et qui , malgré
Ses changemens, s'y trouve encore coajforme.
Ayant aiiqusi parcouru à grands pas toute l'é-
tmdiie des temps et des lieux, il veut revoir les
liiémes objets, mais d'une manière plus fami-
lière, plus intime. Au lieu d'une marche épique,
^e Ue sera plud qu'un pèlerinage, Plus de longs
traités, plus de monumens, plus de livres; de
simples, lettres familières S et encore à quelques
amis, auxquels il pourra décrire sob impression
la pitis secrète et faire librement sa profession
de foi sur chaque culte, sur chaque illusion du
•i^
ft Lettees survies progrès 'd^ Phuimiik^, 3 vol., 1795..
SUR HERDER. Ili
genre humain ; éloquetite chronique de Thuma-
mtéy ce liyre réunit aibsi le charme de l'intimité
et des sentimehs individuels à la puissance ded
vastes sièieles. Quelques é<»*iyains, dans leurs
mémoires privés , ont répandu 'uft charme étoii^
nant sur certains lieux où ils ont long-tempS
vécu. Ces lettiies causent une impression sem^
Blahle , avec cette différence qu'au lieu d'une
retraite au pied des Alpes , qu'au lieu de l'om-^
brage d'une foret, dé kr fraîcheur d'un lac, c'est
telle forme , tel âge de l'humanité où Fécrivaiit
aurait voulu se circonscrire. Plus souvent, sa
marche errante est celle d'un homme qui s$
décide à hriser' le fil chronologique sur lequel
il s'est dirigé jusque -là , et , sans autre guidé
qu'une synthèse inspirée, s'eh va à l'aventure
tenter des voies nouvelles. 'Cette entière liberté
donne une incroyable activité à sa pensée. Il
suit tous ses pressentimens^, accourt à tous lei
bruits^ quitte Homère pour Frankliui , Franklin
pour Luther^ Luther pour Fi^édericj il va, il
revient , il s'égare ; tailtôt il arrive à de vagues
bruyères , tantèl à des lieux inconnus où il â
devancé la science. A l'appm de tout «cela, quelle
preuve que le' cinquième livre^! L'atiteur est à
Rome, enfermé daûs les salles du Vatican. Libre»
sans témoin, d'abord il se livre à l'impressioa
ppétique dm objets , et Winkelmann seul égalé
112 ÉTUDE
ce premier et soudain enthousiasme de rartiste.
Peu à peu naît une rapide refleûon, qui enfin
se fixe et se développe. De la contemplation de
ces groupes épars, il s'élève arec une admirable
puissance à la pensée religieuse et .sociale de
l'antiqfuité. Il erre au milieu de ces mariires
conune parmi des êtres animés; il leur parle, il
les interroge, il les fait descendre jusqu'à lui, il
apprend de chacun dieux d'où ils viennent, quelle
pensée les a fait natti^e: Cest le monologue pas-
sionné de Pygmalion; il. sent peu à peii s'animer
et ]|:^pirer sous le. marbre le génie de la Grèce
primitive lorsqu'elle inventa s^ dieux. La: my-
thologie étant pour lui un symbole de l'humar
nité idéale, il part d'un point supérieur à l'homme
pour tetrouver et expliquer Vhomme. Difficile
ment croiraitnon tout ce que cette méthode, qui
lui est étrangère, lui inspû^e ici de >grand, de.
hardi, d'éternellement vrai. Ces innombrables
mythes, ppur lesquels toiit l'univers cosmique
Sénpihle à peiofe (issez vaste, réfléchis dans le
cœur de l'homme, y portent une étonnante lu-
mière; ils en font apercevoir' la grandeur infinie.
Cette voie oii Herder s'était engagé par hasard,
menait à mille jsecrets. Conduit par les statues,
par les groupes des dieux, par les pierres funé-
raires, pourquoi s'est'-il arrêté sur le seuil de
ces abîmes intérieurs? A présent, je saujnais
SDR HERt)ER. ilS
peut-éfre 6e que j'ignote et que je cherche , et
que nul né peut me dire, s'il n'est entré dans
œ chemin.
Sous un autre aspect, ces lettres se distinguent
par Vexpression vire et pure de l'amoiir du pays.
Phis il a yécu loin de lui , plus il revient avec
joie s'associer à la gloire naissante de ses amis,
de ses maîtres, de ses firères d'armes. Il y a quel-
que chose d'antique dans les conseils qu'il donni^
à son pays au retour de ses voyages à travers les
siècles. Il: semble que tant de travaux n'ont été
entrepris que pour lui léguer ce tribut de l'ex-
périence d'un de ses fils. Pendant que l'Alle-
magne, encore incertaine, doute de son génie,
comme il relève avec orgueil ses lojigues espé-
rances! Jui qui ^ vient de parcourir toutes les
phases de. l'humatiité, sa voix a bien quelque
autorité 9 quand il assure que nulle part il n'a
trouvé une seule fonne stable où la pensée puisse
remonter .et se circonscrire. Au milieu de cette
société d'hommes, tous nouveaux, presque du
même âge, Herder exauce un véritable sacrer-:
doce; il va incessamment bénir leurs travaux, il
les encourage, il les ranime; il leur distribue
des couronnes, des étendards; il élève des pierres
funéraires à ceux qui succombent avant l'âge*
Cest vn ami qui met sa gloire dans son a^i,
nn frère dans 90& frère 9 un disçiplje/ dans son
j. 8
114 ÉTUDE
maître. Tous ont leur juste place, la t^lianson
populaire de Oleim, l'iiymne de Klopstock, le
génie mâle et ferme de Lessing, lés oracles de
Hamann, la verve mesurée dU^ et de Kleist^ et
fhumeur indomptée, les imaginations colossales
de Jean-Paul , les. controverses de Jacobi et les
drames de Schiller et dé Goethe : nous choisis-
sons, pour les citer, quelques ti*aits du portrait
suivant.
ce J'ai eu le bonheur de connaître un philo-r
ce sophe dont )'ai été l'élève. Dans ses plus bril-
c( lantës années, il avait la franche gaieté d'un
c( jeune homme, et elle l'accompagna jusque dans
ce sa dernière vieillesse; Sur son front ouvert et
^ c( fait pour la méditation brillait une sérénité,
<t une joie inaltérable; la grâce, ime él^ance
ce naturelle ne Fabandonnait jamais, et rien
ce n'attachait comme ses savantes leçons. Lie
/ cr même génie ^i soumettait à son eicamen
ce Leibnitz, Wôlf, Baumgarten, Grusius, Humej
ce qui développait les lois naturelles de Keppler,
ce de Newton et de la physique générale, re-
ce cueillait avidement les ouvrages alors nou^
ce veaux de Rousseau, son Emile, sa Julie, toutes
et les découvertes des sciences naturelles, sans
ce jamais perdre de vue les lois de l'homme mo-
te rai. Histoires dès peuples, de là ûature, sciences
(c positivées, mathématiques, expérièttce, il ré^
SUR HER0ER. Hè
c( pandait dans son ens^gnement toutes ces sour-'
(I ces de vie. Rien île hii était indifférent. Point
a de cabale, point de sectes , point de préjugés*
« Jamais l'ambition d'un nomr n'eut pour lui la
« moindre valeur, mis en balance avec les inté^
a rets de la vérité. Les joies de la pensée étaient
<c tout le fruit de s^ travaux, et rien ne dje-
a meura plus étranger que le despotisme à son
a esprit tolérant. Cet homme ^ que je nomme
(c ici avec la plus profonde reconitaissance et
„ le plus haut respect, est Emmanuel Kant Son
c( image restera précieusement dans mon cœur.
rc Je ne graverai pas sur sa tombe l'inscription
tt barbare que lui a consacrée autrefois un phi^
a losophe très-peu digne de ce nom; il m'est
R plus doux de l'appeler un Socrate et d'espérer
« avec lui ^ qu'après que les épines des sophistes
« auront été arrachées, sa philosophie accélérera
« de nouveau le progrès de la raison, de l'in^''
fc telligence, de la loi morale* dans son auguste
fc pureté 'y non point par roppression d'une doc^
K trine absolue , mais par le principe de la liberté
k intérieure. »
Après le drame du genre humain vient son
épilogue'. Comme si l'écrivain était étonné de
116 ETUDE
sentir les formes des peuples lui échapper si
vite, il en poursuit encore quelque temps Timage
dans l'Elysée. Cette paisible histoire des omhres,
qui s'éteint par. degrés ; ces vagues murmures
qui se prolongent, sans se confondre, soiis le
tertio des Celtes, sous le marbre des Grecs ^ sous
le dattier du Sauvage, achèvent l'histoire poli-
tique; et il y a \m ipélange inexprimable de
philosophie^ de repos et d'abandon, lorsque de
l'immense mausolée, où sont ensevelis l'Orient
et l'Occident, s'élève le chant d'adieu d'une
jeune indi^enne, à ses ilem^s, à son ruisseau qui
fuit, à sa cabane d^ roseau. A ces traditions na-
tionales il mêle çà et là ses méditations à lui
sur la survivance de l'ame et la palingénésie des
formes. Mais cette séréni^ dans 1^ dptite, cet
éclat de fête là où vous vous attende? à trourer
le deuil , vous étonne sans vous imposer. Ce chant
de Sirène ne peut endormir l'ame. En vain, pour
apaiser sa soif de l'infini, il lui jette comme un
leurre l'immortalité historique, dont le genre
humain est le principe et la fin : on ne peut
s'arrêter dans ces jardins d'Armide; lui-même
il faudra bientôt qu'il cherche ailleurs un meil-
leur refuge. *
En effet, si l'univers visible privé de Dieu,
semble s'égarer à l'aventure, si dans ce dénue-
ment il se fait dans les cieux, sur les eaua^^ sur
SUR HERDER. 117
la terre un silence de mort , de loin à loin un
cri de détresse , mais au reste plus' d'harmonie,
plus d'echo, plus de sympathie, plus d'être; un
songe, une fable, une insaisissable chimère,
qu'est-ce a dire, et dans le spectacle de la durée^
nous laissons-nous imposer par le bruit des ruines ?
Qu'nne pierre se détache .de l'édifice des généra-
tions humaines et tombe avec fracas, est-ce le
Néant ou l'Être ? Encore dans le monde naturel
j'aperçois une sorte de permanence 6ù ma pensée
peut s'arrêter un jour. Pour être éphémères , ces
vastes cieux, ces astres immobiles, ces rochers,
ces lacs, ces grottes, ne périssent pas d'une seule
fois et sans retour. Le vent qui gronde au loin
ne comblera pas la vallée du soir au matin;
cette pluie, qui refroidit mon cœur, nç changera
pas le cours du fleuve. Tels que mes pères les
ont Vus,"^ tels je les verrai demain, après-demain,
toute nota vie; et mon égarement se conçoit, si,
trompé par cette immutabilité feinte, je m'y
confie sans m'effrayer, et sans rien chercher
au-delà.
Sur ce fondement, loin que cet étemel chan-
gement de peuples , de langues , de destinées soit
pour moi un vain amusement à ma curiosité,
il ferait l'efiroi de ma vie, s'il n'en faisait la
force. Mais de ce concours de choses incertaines
et flottantes, je tire avec une irrésistible foi l'idée
118 .' ÉTUDE
d'une cause jpremière, immuable autant que su-
périeure à la durée. Quand 9 flétrie par l'habi-
tude, ou resserrée par les ennuis, mon ame se
fermerait au langage de là tiature, je ne pourrais
du moins me soustraire pleinement aux souvenirs
que m'a laissés le genre humain. Je ne pourrais
tout-à-fait effacer de ma pensée les noms de ces
peuples qui remplissent toutes les bouches^ et
ma démonstration de Dieu la plus frappante,
la phis imminente, se tirerait encore de ce spec-
tacle du passé, où tout vacille et semble se con-
fondre. Je me dirais : où tout pérît ne chCTchons
pas letre; ne nous faisons pas notre idole de
BaJbylone, de Kinive, de Memphis, ni de Rome.
Mais l'ombre suppose l'objet ^ Taccident suppose
la substance , et je ne vois rien , je n'entends
rien à ces empires épars, à ces colosses, à ces
tombeaux, si je n'aperçois au-dessus d'eux, dif-
férente d'eux, une cause suprême et permanente
qui les renferme dans son sein pour en faire un
seul tout.
Si donc l'histoire est la plus haute puissance
de la nature, elle n'est pourtant, comme elle,
que la seience des modifications^ Dans le même
torrent, dont elles ne peuvent ni comprendre^
ni suspendre la fuite, également ignorantes, ëga^
iement imprévoyantes, l'une laisse tomber ses
générations de peuples et d^idéeè, l'autre ses
9
SUR HERDER. Ht
globes d'or et ses. feuilles de aaul^. Maïs leur pu*
reoté vient de.plos loin, ettoutea deux ne se
ressei^ble^t tant que parce qu'elles sont la figure
changeante dune indivisible unité. Soit qu'elles
entrelacent dans le même univari leurs attributs
mutuiek, l'espace et la durée, le corps et la pen-
sée, soit qu'dles mêlent les pleurs des hommes
et Ja rosée des |Q.eurs , la vieillesse des empires
et la jeunesse, des forets, elles forment de leur
concours la ceinture de l'éternelle beauté 9 qui
du sein de l'infini parcourt, vivifie et soutient
toutes choses.
Comment cette unité substantielle est-«elle ap^
parue à notre auteur? il est facile de le pres-
sentir; et sa métaphysique est tussi bi^i que sa
poésie d'origine orientale. Pendant que l'être
gigantesque de Spinosa, violemment altéré dans
son cou^, dépouillé par Berkeley et Leibnitz
de la réalité de ses représentations extérieures,
par Hume du fondemeiit absolu de ses connais^
^ncQs, puis brusqueiae|it enlevé à l'univers et
lédint par FLçhte à l'étroite enceinte de la
pensée de l'homme , y perdait jusqu'à la vérité
de son moi intellectuel , et , privé de sens et
de peufisée, expirait aux derniers confins du
néant , Herder , sans s'inquiéter de ces chaur
gemens, conuue un artiste tout à l'objet de sa
contemplation, s'en irisait une image perma*
/
i
120 ÉTUDE
ziente', qu'il ornait à son gré de tont f édat dtt
monde organique. A la pl^tce* de ce Dieu absr
trait, solitaire, insaisissaÙe aux sens ^ il substitue
l'éblouissante image de la nature vivante. Il em-
bellit des couleurs de l'arc-en-ciel, des perles du
matin, les cercles et les lignes géométriques du
maître; perdu sm* un vague Océan, qui, roulant
sur luirméme et prolongé à l'infini , n'atteint au-
cun rivage, il se laisse encore enchanter de je
ne sais quelles naïades et d'une illusoii^ beauté
qui naît au loin de l'écume des flots. Plus son
art est merveillevix , plus on cherche à y échap
per , car l'ame est moins attristée de l'eifroyable
profondeur et de la vérité nue des théorèmes
4u géomètre, que des fêtes du poète dans le dé-
sert. Dan3 Spinosa , Fadmirable puissance de
cette intelligence vous étonne, vous subjugue.
Loin du spectacle des choses sensibles, il vous
entraîne aux entrailles de l'univers pour vous
^ révéler le secret; là, tandis que tout le monde
extérieur pèse sur vous , autour de vous , la peu-
]$ee abstraite, dépouillée de symbole et de corps,
^oue un si grand rôle , il y a tant de stoïcisme
dans les formes, partout, au. loin un si grand
silence de l'univers visible, que vous touchez à
la fois aux deux limites du matérialisme et du
JUk
1 Dialogue -sur Dica et rame, 1799-
SUR HERDER. 121
^irituâlismè. Ce caractère disparaît dans le pan-
théisme de Herder. Au reste, que ce ^ système
brise ou confonde nos âmes, la question n'est
pas là ; et la yérité est qu'il était indispensable
au premier développement de la philosophie de
l'histoire. Long-temps confondue avec les tradi-
tions religieuses et populaires , lorsqu'elle Toulut
s^ dégager^ elle se trouva si bien enlacée du
lien arbitraire des causes finales , qu'elle ne put
y échapper que par un violent effort. G>mme
le principe de liberté providentielle était allé
se perdre dans une succession flottante de ca-
prices éphémères , l'idée de loi fut poussée jus-
qu'au fatalisme;; et la science de l'humanité,
menacée d'être étouffée en naissant , dut natu-
rellement se réfugier et grandir sous l'armure
long-temps impénétrable de &ptnosa.
De'ce qui précède, il résulte que l'œuvre in-
tellectuelle de Herder fot une opposition cons-
tante et quelquefois irréfléchie au spiritualisme
de l'Allemagne moderne. Par une conséquence
nécessaire, restait tôt ou tard à l'attaquer corps
à corps dans tout Fappareil de sa puissance. Lé
règne absolu de Kant et l'oppression qui en fut
la suite, décidèrent cette réaction. Entre la crir
tîque de la raison pure et sa violente réfutationv%
■ ■ ■ ■ ' ■ I .— ^M^i— ^— ^^1^— ^ ■ ■■
I Méucritiipiey i toI., 1800. .
122 ÉTUDE
si le choix n'est pas douteux , ce fut néanmoins
1 acte d'une noble ifidépendance- et d'un philo*
sophe pratique, que cette insurrection cçatre la
tyrannie, laveugle vandalisi^e des faux disciples.
L'expérience était proscrite; il osa la rappeler
et la célébrer. La nature, Toilée sous les intui-
\
lions du moi, sanblait se décolorer et s'évanouir;
menacé dans son culte, il en releva fidèlement
la magnificence. Un appareil exagéré de logique
tendait au dénigrement des beaux -arts; il les
rétablit ^ exi triomphe dans leurs droits. L'infini
solitaire et muçt du moQde intérieur lui resta ,
pe nou& semble, toujours plus ou moins étranger;
\\l lui opposa , du moins , non pas le frêle édifice
de la saisation, mais u|i autre infini aussi vaste
que le premier. Si l'ardeur de la controverse nç
l'eut pas aveuglé, sans doute il aurait le pr^smier
reconnu que cette philosophie, dans ses vastes
et obscurs développemens , est l'expression his^
torique d'une condition de la conscience du
genxie humain, et que c'est à lui qui l'a créée
qu'il faut en rapporter ou l'honneur ou le blâme.
Comme dans l'Orient l'homme naissant lui avait
apparu caché sous les liens de l'univers^ l'univers
à l'extrémité des temps lui aurait apparu voilé
çt presque enseveli sous l'oeuvre et la pensée de
1 Calllgone, i toL, iSoo. ..
SUR HERDER. 123
llioiiime. En effet, le jour où la personnalité
libre eat tout envahi et tout dompté, né cher**
chant que soi et ne trouvant que soi ; dans ce
silence de toutes chose» n'entendant plus que
f harmonie de ses invisibles sphères , elle se prit
à s adorer. Ces généalogies de dieux créateurs,
dont elle avait autrefois à son berceau peuplé
les abimes de l'espace, il lui sembla les recon-
naître en elle sous des noms différens ; et la
chaîne symbolique des êtres qu'elle avait jadis
suspendue aux mains de son Jupiter, eUe se
crut alors la force d'en dépouiller son idole, et
de la soutenir seule par sa propre puissance. Si
ce fiit là une tentative ou vaine ou glorieuse de
Id philosophie, elle ne fît d'ailleurs que mettre
en lumière et pousser à ses extrêmes conséquences
le principe qu'exprimait à son insçu toutç l'hu-i
manité moderne dans ses actes , ses arts , ses
cultes , et le système entier de sa régénération
civile. Mfiis alors ainsi réduite à son essence,
les peuples ne reconnurent plus leur œuvre, et
passèrent sans pouvoir lire l'inscription du tem-*
pie qu'ils venaient d'élever.
Arrivés au . tarme de l'étude que nous nous
sommes proposée, nous n'avons parlé ni des
samons du ministre évangélique, où brille tout
l'éclat qui manque à son culte, ni de ses poésies
qui , nées çà et là de chaque impression pré*
124 ÉTUDE
sente, composent la paisible Mstoire de sa vie
intérieure. Partout . nous y retrouverions pour
trait dominant cette sérénité native, caractère
suprême et distinctif de sa pensée, de laquelle il
ne s'est départi qu'une fois, et dont nous n'avons
point jusqu'ici à notre gré assez relevé le beau
moral. Dans la premià:e jeuniesse, dans ces jours
si tristes où nos facultés naissantes comme sor-
tant du cbaos, nous troublent sans nous éclairer,
nous comprenons mal ces livres où tout sert à
rbarmônie, et parce qu'ils répondent mal à l'a-
gitation de nos âmes , ils nous semblent manquer
dé .profpndeur ou d émotion. De inéme qu'on
appelle alors des dangers qu'on ignore, on cherche
'avec anxiété cette éloquence qui nous peint le
désordre dans le ciel et dans le sein de l'homme.
Enfin, quand ce qu'on voulait est arrivé, et que
notre vie, quoique courte, nous a déjà lassés,
il est un mot ^ue la bouche répète, et dont le
sens, mal compris jusque-là, est lui seul un
bienfait : le repos , le doux repos , en nous et
hors de nous , la paisible harmonie du soir. Àh !
s'il est quelque part une poésie, une langue, une
science qui rétablisse en nous cet accord uni-
versel, qu'elle soit un baume sur nos coeurs ha-
letans. Danis ces temps arides , dépouillés de ver-
tus et de gloire, certes, nous n'avons que trop
biçn répondu aux cris de jdétresse que 1^ poètes
SUR RERDER. 12&
ont partout fait échapper, et Tennui a saisi no^
âmes jusqu'à les énerver. Mais, Dieu soit loué»
au milieu des acc^is troublés des peuples mo-
dernes, quelques rares génies ont su se conserver
calmes et confians. Pendant que, Courbée sous
le faix des âges, Thumanité se nourrit de regrets,
la longueur du chemin ne les a point encore
lasses. Angéliques séraphins, doués dune éter-
nelle adolescence, jamais le souffle des âges n'a
laissé sur leurs traits son empreinte empoisonnée^
Aujourd'hui brillans d'espérance, comme ils au-
raient pu l'être aux jours d'Evandre et d'Homère,
vons ne savez où ib puisent cette joie intérieure
qu'iis répandent tout autour d'eux \ plus le cœur
de l'homme, lentement éprouvé et rongé par les
siècles, se consume, se replie, se dévore lui-
même, plus leur paix semble douce, pareik à
ces hirondelles de bonne augure qui s^en vont
chaque année remplir de leurs chants d'alégresse
l'enoeiïite croulante de Palmyre et les temples
ensablés des Pharaons.
Avec cela, malgré cette étonnante sérénité
dans un U^nps dont Faust est resté le ehef^
d'oeuvre et le type , malgré cette opposition na-
turelle à des théories que l'Allemagne ne pour-
rait entièrement abdiquer sans cesser d'être, l'in-
fluence de Herder ne se sépare pas de celle de
son siècle. Le génie germanique , qui avait été
r •
126 ETUDE
judqué-là comprimé ou détourné de ses roîes,
produisit alors y dans ua même momeut, sa poésie
et sa philosophie. ' Dans cette époque d une fé*
conde jeunesse , où les ardentes intuitipns de la
pensée deyancèrent les lents progrès de la science»
Herder fut l'Hérodote de la philosophie de Thisr
toire. Comme dans le cercle de ses contempla-
tions, je rencontre, il est vrai, dans tout cet âge
des plans immenses qui enveloppent Tunivers
entier, de' vastes sentiers qui me guident dans
le désert où s agite ma vie , des voix amies plus
touchantes, plus pénétrantes que celles de mes
proches ; mais un monument achevé où je puisse
ïaé recueillir et y mourif en paix, je n'en dé^
couvre aucun. Sciencéi impuissante et vaine, si
elle s'arrête là. En suivant ses txaces pour la
première fois , mon étonnement fut grand de
parvenir, à une profonde solitude, la où j'ima-*
ginais trouver la nation tout entière. Cest qu'un
autre âge était venu; à la place de ces vidjes
prodigieux que l'homme a découverts en lui
sans pouvoir les mesurer ni les combler, déjà
est arrivé le temps où les faits sont- appelés à
jeter leur,lumière. Pendant que le reste de l'unie
vers moral remonte par degrés de Texpérience
à la spéculation ^ , l'Allemagne incline de la spé*
1 Voyez cette obsenration déyeloppée dans une brochure y
intitttUe : De P^Uemagne et de Im réyolutiortf Janvier, ië3at
SUR HERDER- 42*
culation à l'expérience. Plus d'extase , plus d'élo-
quence, plus dç sublitnes contemplations. Pour
quelque temps toutes les fêtes de llmagination
soDLt suspendues , tant est pressant le l>esoin de
connaitre le monde réel. Le même génie , qui
s'était nourri auparayant de poésie, se nourrit
à cette heure de faits et de science. Il promène
ses regards sur la terre où il avait peu vécu,
^'arrêtant à chaque objet , voulant tout voir ,
tout décrire, tout analyser, se promettant sur-
tout que cette adoration de tout ce qui est fini
ne s'éteindra jatnais ; mais cette carrière de l'u-
nivers réel sera tôt épuisée pour lui ; et avant
cela , elle ne lui suffira plus. Car si , poUr nous ,
qui ne vivons qu'un jour, elle est amère, l'heure
cil le monde que nous nous étions créé, échappe
à nos atteintes, il n'en est point ainsi des idoles
que se forment les peuples. Leurs chimères, qui
leur survivent, ont plus d'être qu'eux-mêmes;
et tandis que nous poursuivons en défaillant
notre rêve, à nous^ ils n'ont sous mille formes
qu'un même hut; pour eux, le réel confirme
l'idéal, l'idéal explique le réel. Ballottés entre
l'un et l'autre, toute leur destinée est de les
unir, l'Un et l'autre, dans un droit, un culte et
un art national.
»
Adieu , terre hospitalière , terre paisible ! que
puis-je te rendre pour tout ce que j'ai reçu de
12S
ETUDE SUR HERDEH.
ni la lihiNlé plus douce de l'Angleterre ,. ni
^tes agrestes de TEcosse, ni les ruines antiq
toi? Tu n'as ni k doux climat de la France.
les
antiques
de lltalie, ni l'air embaumé des myrthes de la
Provence. Mais au fond de tes silencieuses val-
lées jaillit encore, sous les chênes d'Arminius^
la source pure du beau moral, où tôt ou tard
viendront se désaltéi^ les peiq)les qui t'entou-
rent. Ils sont morts ou vieillisseiit, les^hommiés
qui ont £iit ta gloire, et tu t'appuies sur leur»
tombeaux, déjà fatiguée de l'agitation du génies
Le délire de son. inspiration est passé; comme
le rameau chargé de fruits, tu t'inclines vers le
sol, et pourtant tu es encore^ le pays de.l'ame
et.de l'espérance*
, Heidelberg, Mui 18^7.
QuiNET-
»s
FRÈFAGE DS L'AUTEIJB.
UuAND je publiai , il y a dix ans , le petit traite
intitulé : Encore une philosophie de Vhistpire
pour ^éducation du genre humain, ce titre n'é-
tait point destiné à remplacer pour moi le anch'
io sonpittore, et moi aussi je suis peintre. C'était
plutôt un supplément à plusieurs supplémens de
ce siècle, et l'épigraphe qui l'accompagnait né-
tait qu'une expression d'humilité, indiqixant que
l'auteur, loin de le présenter comme une philo-
sophie complète de l'histoire de notre espèce,
luarcpiait seulement, près des grandes routes bat-
tues que les hommes foulent incessamment , un
petit sentier qui a été né^igé, et qui pourtant
paraissait digne d'être exploré. Les ouvrages cités
çà et là suffisaient à montrer les passages bien
connus dont l'auteur cherchait à éloigner ses pas,
et ainsi cet essai n'était considéré que comme
une feuille dépareillée, un supplément à des sup-
1. *
ij PRÉFACE
» 4
plémens, comme sa forme elle-même le prouvait.
Toute l'édition fut bientôt épuisée, et Ton
m'encpurageait à en publier une nouTellej mais
il était impossible que ce traité parut dans son
premier état. JTavais remarqué que quelques-
unes des idées qu'il renferme, avaient été insérées
dans d'autres ouvrages, sans que mon nom même
y parût, et appliquées dans un senst auquel je
n'avais jamais songé. Cet e^sai , qui' fournit à quel-
ques emprunts, finit par être oublié; pourtant
il faut dire qu'en employant qudques expressions
figurées, telles que V enfance, la jeunesse j ïdgs
mûr et la vieUksse Aq notre espèce, et en ap-
pliquant ces termes se«sjbeme|it à, quelques nations
auxquelles ils sont réellement applicables , il n'é-
tait jamais entré dans mon esprit de vouloir tra-
cas une métbode générale pom- apprécier, saiis
crainte d^erreur, rbistoirè de la c^lture, et moins
encore la pbilosop^ie de l'histoire entière de l'hu-
manité. Y a-t-il un peuple sur la terre sans aut-
cune culture? et combien le plan de la Provi-
dence ne serait^il pas rétréci si chaque individu
de Tespèee humaine devait être formé pour ce
que nous appelons civilisation , quand une élé-
gante fsdbiesse serait souvent un tenue beaucoup
D£ l'auteur. iij
plus convenable! Rien ne peut être plus vague
que le terme lui-même, rien de plus propre à
nous égarer que son application à l'ensemble des
nations et des âges. Dans un peujJe civilisé, quel
est le nombre de ceux qui ont part à la culture?
en quoi consiste leur prééminence? et comment
contribue-t-elle a leur bonbeur? Je parle du bon-
heur des individus j car, que l'être abstrait, que
l'Etat puisse être heureux , quand tous les mem-
bres qui le composent, souffrent, c'est une con-
tradiction, ou jdutôt un jeu de paroles, qui s'a-
perçoit à la première vue.
Ainsi , poiu* que l'ouvrage réponde en quelque
sorte à son titre, il faut qu'il parte de plus loin,
* * *
et qu'il embrasse une beaucoup plus vaste éten^
due d'idées. Qu'est-ce que le bonbeur de l'homme?
jusqu'où va-t-il dans ce monde ? et à considérer
l'extrême diversité des êtres sur la terre , et parti-
culièrement de l'homme, jusqu'à quel point peut-
on le trouver dans chaque forme de gouverne-
ment, dans chaque climat, dans chaque variété
de circonstances , d'âges et de temps ? est-il quel--
que type de ces états divers ? et là Providence a^ .
t^Ue calculé le bien-être de ses créatures, dans
toutes ces situations, comme son dernier et grand
ir PRÉFACE
objet? n fau( que toutes ce^ questions soient son*
^ées et débrouillées à travers le tourbillon im-
çiense des âges, avant que l'on puisse arriver à
un résultat général pour Thumanité eu mas$e.
J'ai lu presque tout ce qui a été écrit sur ce su-
jet^ et, depuis ma jeunesse ^ il n'est pas de livre
nouveau sur l'histoire de l'homme , dans lequel
je pouvais espérer trouver des matériaux pour
mon grand ouvrage, qui n'ait été pour moi un
véritable trésor. Je me suis félicité que cette phi-
losophie ait obtenu plus de vogue dans ces devr
nières années , et je n'ai négligé aucun. des secours
que la fortune a placés sur mon chemin. .
L'auteur qui publie un ouvrage , bon ou mau-
vais, dévoile jusqu'à un certain point son propre
cœur au monde, pourvu que ce livre contienne
des vérités qui , s'il ne les a pas trouvées (et de
nos jours il reste peu de découvertes à faire) , ont
été dû moins établies par lui ; que d'ailleurs il
s'est rendues propres, et dont il a joui pendant
des années comme de la propriété de son cœur
et de son ame. Non-Seulement il révèle les sujets
qui ont occupé sa pensée à certaines époques,
les doutes qui ^e sont disputé son être dans son
voyage de la vie, et les solutions par lesquelles il
9 •'-
DE L AUTEUR.
enâ triomphé; mais encore il compte sm* quel-
ques âmes à Tunisson de la sienne, bien qu'elles
soient rares , pour lesquelles de telles idées auront
de l'importance au milieu du labyrinthe de la
vie. Car, quelle autre espérance pourrait Fexciter
à devenir auteur et à dévoiler aux yeux d'une
grossière multitude ce qui se passe dans son cœur?
D converse avec ces nobles intelligences sans en
être vu, et il leur communique ses sentîmens;
attendant ^i retour leurs observations les plus
remarquables, quand elles auront été plus loin
que lui. Ce commerce invisible des coeurs et des
âmes est le plus grand bienfait de Timprimerie,
qui sans cela apporterait autant de maux que
. " '
d'avantages à une nation littéraire. L'auteur de
cet ouvrage s'est considéré lui-même comme fai-
sant partie du cercle de ceux qui se sentent réel-
lement intéressés aii sujet dont il s'occupe, et
» *
sur lequel il désire provoquer leurâ meilleures
pensées, afin d'en profiter. Voilà la plus douce
récompense de l'écrivain , et un bomine distingué
par l'ame sentira toujours beaucoup moins de
plaisir de ce qu'il dit que de ce qu'il inspire. Celuli
qui se rappelle combien tel ou tel livre, ou sim-
plement tel ou tel passage d'un livre» â eu quel-
TJ PRÉFACE .
^efois d'influence sur le reste de sa vie ; quelle
douceur il a sentie, en apercevant, distante de la
sienne, une ame qui en est proche par la pensée,
et qui suit sa propre trace, ou une meilleure; et
combien tel passage Ta souvent occupé pendant
des années, et a servi à ses progrès; celui- là con-
sidérera un auteur qui converse avec lui et lui
communique ses pensées les plus secrètes, non
pas comme quelqu'un qui travaille pour son sa-
laire , mais comme un ami qui lui dévoile en
confidence sesjdées impar£siites, afin que le lec-
teur plus expérimenté puisse méditer de concert
avec lui , et porter ses essais plus près de la perfec-
tion. ,
Dans un suyet comme le mien, \ histoire de
ÏHumanitéy la philosophie de scfn histoire^ il
me semble surtout qu'une telle disposition est
un devoir indispensable autant que doux à rem-
plir. Celui qui la écrit est un homme, et toi qui
le lis, tu es un hompie aussi; il était accessible
a l'erreur, et probablement il a erré; tu as acquis
d(ss connaissa9ces qu'il n'avait pas et qu'il ne
2)OUTait avpir : uses -en donc, selon ce que tu
peux; reçois sa bonne volonté, ne le repousse pas
♦vec des ^reprpçh^; mais. perfectionne sou oeuvre:
DE X AUTEUR. VI j
n a posé d'tiae faible main quelques pierres de /
fondation d^un édifice, qu'il &udra des sièdes
pour achever: heureux si, quand ces pierres se^
ront couvertes V de terre, et que celui qui les a
placées sera oublié, le plus sublime des édifices
s'élève appuyé sur elles ou sur quelque autre fon-^
dément
Mais, sans m'en apercevoir, je me suis beau^
coup trop éloigné du dessein que j'avais en com-r
mençant , de donner une idée de la manière dont
j'ai rencontré ce sujet, y revenant incessamment
au milieu d'autres occupations et de devoirs
d'une nature très-différente. Dans un premier
âge, quand l'aurore de la Science apparut à ma
vue dans toute cette beauté qui diminue beau- ^
coup vers le soir de la vie, la pensée me vint
fréquemment que, comme chaque chose dans le
monde a sa philosophie et sa science, il doit exis-
ter aussi une philosophie et une science de ce
qui nous concerne plus particulièrement, de l'his-^
toire de l'humanité en général. Toutes choses me
confirmèrent dans cette idée, la métaphysique
et la morale; la physique et l'histoire naturelle,-
et enfin la religion par-dessus tout le reste. Cdui
qcu a tout ordonné dans la nature, me disais*je
Viij PREFACE
à moi-même, par nombre, poids et mesure, qiiî'
a réglé l'essence des choses, leurs formes et leur
enchaînement, lear cours et leur conservation^
afin qu'une seule sagesse, une seule bonté ^ un
seul pouvoir , prévalent depuis lé palais de Tuni*
vers jusqu'au grain de sable, depuis la puissanicé
qui soutient les mondes et les soleils, jusqu'au
tissu de la toile de l'araignée ; celui qui a distri-
bué avec un art si merveilleux et si divin les or-
ganes de nos corps et les facultés de nos amesj
qu'en essayant de réfléchir sur le seul sage dans
de» espaces si vastes, nous nous perdons dans
Fabime de ses desseins \ ce Dieu s'écarterait-il dé
sa sagesse et de sa bonté, dans la destinée géné-
rale et dans la disposition de notre espèce, et
serait-ce là qu'il procéderait sans plan? ou plutôt
nous aurait-il portés à l'ignorer, pendant qu'il
nous a dévoilé une si grande partie de ses de^
seins étemels dans les êtres inférieurs dé la créa-^
tion , qui nous importent à de» degrés si différens ?
»
Que sont les races humaines dans le tout, si ce
n'est un troupeau san^ berger? Dans les parole»
de deuil du prophète, né àont-eUés pas laissa*
à leurs propres^ voies , comme les poissons de la
m!er, comme les reptiles, qui n'ont point dç che&
DE l'auteur. ix
au-dessus d'eiix? ou leur est-il inutile de connaître ^
ce plan? c'est ce que j'incline à penser. Car où
est l'homme qui distingue seulement le petit des-
»
sein de sa propre vie, quoiqu'il voie aussi loin
qu'il ait à Toir, et qu'il connaisse tout ce qu'il lui
£iut connaître pour diriger ses propres pas?
En même temps, cette même igiaorance ne
sert-eUe pas de prétexte à de grands abus? Com-
bien en est-il qui , parce qu'ils n'aperçoivent pas
de plan, nient péremptoirement qu'il y en ait
nn, ou qui, toujours tremblans de frayeur , res-
tent flottans entre la foi et le doute ! Us se refu-
sent de toutes leurs forces à considérer la race
humaine comme un nid de fourmis, où le pied
d'un étranger, qui n'est lui-même qu'une fourmi
gigantesque 9 en écrase des milliers au milieu de
leurs superbes entreprises, pendant que les deux
grand tyrans de la ter^e, le temps et le hasard,
dispersent au loin le nid entier ^ effaçant jusqu'à
la moindre trace de son existence, et laissant la
place ride pour quelque autre communauté in-
dustrieuse, qui sera détruite à son tour, li'homme ,
dans. sa fierté, se refuse à considérer son espèce
comme de tels insectes de terre, comme une proie
de la corruption dévorante : pourtant l'histoire
]
^ PRÉFACE
et rexperience nlmpriment- elles pas de force
cette image dai^ son ame? quel tout est complet
sur lai terre? qu'est-ce qui est uu tout sur ellç?
le teipps n est-il pas ordonné aussi bien qUe Fes»
pace? ne sont-ils pas les rejetons coexistans d'un
pouvoir régulateur? LW est plein de sagesse;
Tautre , d'un désordre appareht : mais l'homnie
est évidemment formé pour poursuivre Tordre,
pour regarder au-delà d'un point du temps, et
pour bâtir sur le passé; car c'est pour cette fin
que lui ont été données la mémoire et la ré-
flexion; et cet édifices d'un âge élevé sur celui
d'un -autre âge, ne fait-il pas de l'ensemble de
notre espèce une massé informe et gigantesque,
où l'un renverse ce que l'autre a élevé , où ce qui
n'aui*ait jamais dû s'élever est conservé intact, et
où, dans le cours du temps , tout devient un mon*
ceaù de ruines, sous lequel les timides morteb de-»
meurent avec une confiance égale à sa fragilité 7^
Je ne Suivrai pas plus loin cette chaîne de
doutes , ni la contradiction de Thomme avec lui-
même, avec ses semblables et avec tout le reste
de la création ; qu'il sùfiise que j'aie cbercbé d^ns
une philosophie de Thistoire tout ce que je pou-
vais y chercher.
DE l'auteur.
Si je Fai trouvé, c'est à cet ouvrage à en décir
der^ mais non pas à son premier volume, qui
nen renferme que la base^ en partie dans un
examen général du lieu de notre demeure , en par^
tie dans des considérations sur les difierens genres
d êtres organisés qui jouissent avec nous de la lu-
mière de notre soleil. Personne, je l'espère, ne re-
gardera cette carrière comme trop longue, ou
commençant à une distance trop éloignée; car,
puisqu'il ne peut y avoir d'autre méthode pour
lire le destin de l'homme dans le livre de" la créa*
tion, on ne peut l'envisager avec trpp de soin ou
trop d'étendue. Celui qui demande des spécula-
tions purement .métaphysiques, peut les obtenir
d'une manière plus expéditive; mais détachées de
Texpérience et' de l'analogie de la nature, elles ne
me semblent que des leurres aériens , qui rare--
ment conduisent à quelque résultat Les voies de
Dieu dans la nature, les intentions que l'Etemel
a actuellement déployées pour nous dans la
chaîne de ses ouvrages , forment le livre sacré
dont je me suis efforcé d'épeler les lettres; et»
c'est ce que je continuerai de Êiire, avec une ha-^
bileté inférieure à celle d'un enfant, il est vrai,
mais au moins avec zèle et sincérité. Puissé-je
>
Xij PRÉPAGE
r
être assez heureux pour coînmunîquer à un seul
de mes lecteurs quelque chose de cette douce
impression de la sagesse éternelle et de la bouté
du Créateur dans ses opérations, telle que je Fai
sentie dans mon cœur avec une confiance pour
laquelle je né connais pas de nom! Ce sentiment
de repos serait un 61 avec lequel nous pour-
rions , dans ia partie suivante de l'ouvrage, nous
aventurer dans le dédale de l'histoire humaine.
Partout les grandes analogies de la nature m'ont
conduit à des vérités religieuses, que je dois sup-
primer, bien qu'il m'en coûte, puisque je né
voudrais pas anticiper sur ce qui doit suivre,
mais obéir pas à pas à cette lumière qui partout
rayonne sur moi par la présence cachée du créa-
teur dans ses .ouvrages. Ce serait aussi , pour mon
lecteur et pour moi, la plus douce satisfaction,
si, à mesure que nous avançons dans notre che-
min, cette lumière, qui d'abord commence à
poindre obscurément, s'élevait enfin sur nous
■s
avec là splendeur d'un soleil sans nuages.
• Que l'on ne se méprenne donc pas, si j'emploie
çà et là le terme de nature, en la personnifiant;
. «
La nature n'est pas un être réel ; Dieu seul est
tout dans ses ouvrages : et pourtant ce nom sacré.
qu'aucune créature, dont nos sens nous donnent
connaissance, ne devrait prononcer sans le plus
profond respect, je désirais au moins ne pas en
abuser en l'employant trop fréquemment, puis-
que je ne pouvais pas l'introduire avec une solen-
nité suffisante dans toutes les occasions. Que celui
qui, dans son esprit, trouve que le terme nature
a été usé et dégradé par plusieurs écrivains de nos
jours, conçoive à sa place le pouvoir suprême,
la bonté et la sagesse, et nomme dans sa pensée
cet être invisible, pour lequel aucune langue sur
la ten'e ne peut trouver d'expression.
Il en est de même quand je parlé des pouvoirs
organiques de la création : je n'imagine pas qu'on
veuille les considérer comme des qualités oo^
cultes, puisque leurs opérations sont apparentes
pour nous , et je ne sais quel nom leur donner
plus précis et plus déterminé. Je pense à quelque
époque future entrer plus avant dans ces sujets
et d'autres semblables, sur lesquels je ne dois jeter
ici qu'un coup d'œil rapide.
En même temps je me réjouis que cet essai
d'enfant ait été fait dans un âge où les mains
des maîtres ont rassemblé tant de matériaux, et
travaillé à tant de sciences particulières et de
XlV PREFACE
branches de connaissances auxquelles je devais
nécessairement avoir recours. Us ne dédaigneront
point, j'en suis sûr, les ébauclies impar&ites de
quelqu'un 'qui n'est pas initié à leur art; mais
ils les perfectionneront : car j'ai constamment
observé que, plus les fondemens d'une science
sont réels et solides, plus les controverses sont
rares entre ceux qiii l'aiment et qui la cultivent
On laisse les disputes de mots à ceux qui ne sont
instruits que des mots. Im plus grande partie de
mon livre montre qu'une philosophie de l'his-
toire de l'homme ne pouvait être écrite avant
notre époque, et qu'elle le sera probablement,
sinon dans ce siècle-ci, du moins avant la fin:
de .ce millénaire.
Ainsi, grand Être, suprême et invisible dis-
pensateur de nos destinées, je dépose à tes pieds
l'ouirage le plus imparfait qu'un mort€|l ait ja-
mais écrit, bien qu'il ait osé marquer et suivre
la trace de tes pas. Ses parole peuvent s'évanouir ,
et ses lignes s'effacer j de même, les formes dans
lesquelles je me suis efforcé de discerner tes traces
afin de les montrejr à mes frères, peuvent tomber
en poussière : mais tes desseins resteront , et peu
à peu tu les dévoileras à tes créatures^ et tu les
Î)E L AUTEUR.
XV
montreras sons les manifestations les plus nobles.
Heureux si alors ces feuilles sont jetées dans lé
fleure d'ottbli , et si à leur place des idées plus
lucides s^élèvent dans la pensée de rhomioie.
Weimar, le 2 5 Avril 1784.
HERDER,
« ?
IDEES
SUR LA PHILOSOPHIE
DE
UHÏSTOIRE DE L'HUMANITÉ.
LIVRE PREMIER.
CHAPITRE PREMIER.
î^otre terre est un astre parmi des astres*
ui notre philosophie de l'histoire de l'homme
veut en quelque manière mériter ce ~nom, il Ëiut
qu'elle commence par le cieL Ckv , comme cette
place que nous occupons dans l'espace , comme
cette terre n'est rien par eUe-mèâie, mais doit aux
pouvoirs célestes, c[ui s'étendent à tout l'univers,
3a figure, sa constitution et la faculté qu'elle a de
former des êtres organisés et de les conserver quand
ils ont été formés^ nous devons la. considérer^ non
pas seulement en elle-même, mais comme une partie
de ce système de mondes dans lequel elle est or-
donnée. EUe est unie par des liens invisibles à son
centre,- le soleil, qui lui communique la lumière^
la chaleur, la vie et la durée; sans ce soleil, nous
I. - 1
2 Livre i.
ne pouvons pas plus cànceyoir le système plané-
taire qu'un cercle sans un centre. Avec lui, et le
jpiduvoir bienfaisant de l'attraction dont l'être éternel
fa doué, ainsi que toute la matière, nous voyons
les planètes formées dans son domaine d'après une
loi simple et toute -puissante, tourner incessam-
ment et avec magnificence sur leurs axes , et autour
d'un centre commun, dans des espaces propor-
tionnés à leur grandeur et à leur densité; et en
vertu des mêmes lois, des satellites sont instruits
à tourner autour d'elles. Rien n'exalte plus la pensée
que cette contemplation de l'immense structure de
l'univers ; et jamais peut-être l'intelligence humaine
n'atteignit un but avec tant de hardiesse et en partie
a\et tant dt bonheur que lorsqu'un Copernic , un
iS^epler , un Neyrioii , un Huygfaens et un Kant ^
conçurent et déâiontrèrent la loi simple et éter-
nelle de la formation et du niouveinent dçs planètes.
C'est flemsierhais, si je me le rappelle bien, qui
se plaint qu« ce système sublime n'ait point exercé,
sur le cercle de nos idées , l'influence qu'il eût
répandue sur rkiielligence humaifie eo géiAéral, s'il
•*^
I. Histoire naturelle cle TuDivers et lliéorie des cieux. SL«e-
nigftbier^et 'Leif>sîg; 17 55 : oiiYTAge beaucoup «toins r^pan^
qu^il ne mérite. Lambert, sans le connature, a exprimé quel"
ques idées semblables dans ses LeUres cosmôlogiquesj et Bode,
dans sa Connaissance des cienx, cite avec honneur les con-
jectureft de Kant.
CHAPITRE I. S
eÀt été établi avec toute l'exactitude mathématique
dès le temps des Grecs. Pour l'ordinaire i nous nous
contentons de considérer la terre telle qu'un grain
de sable qui se meut dans cet abîme immense , ou
elle accomplit son cours autour du solal« ce soleU
avec des milliers d'autre autour de letir ceotri
commun, et probablement plusieurs autres systèmes
pareils de soleils dans des espaces définis des cieux»
jusqu'à œ qu'à la fin Tintelligffi^ et l'imaginaôoo
se perdent à la fois dans cette mer d'ixfimensité et
d'éternelle grandeur , sans trouver ni fin ni issue.
Mais il ne iàut pas s'arrêter à cet étojtinement
stérile, comme si c'était ià le but de la contem-
plation de l'univers : poiir la, nature, qui se suffit^
en entier à elle-même , le grain de sable n'est pas
de moindre valeur qu'uxii tout incommensurable;
elle détermine les points de l'espace et de l'exis-
tence où des mondes seront formés, et dans chacun
de ces points elle est comme un tout dans la pléni-
tude indivisiUe de ses pouvoirs, de sa sagesse et
de sa bonté, comme s'il n'existait pas un autre point
de la création, pas un autre. atome terrestre. Quand
j ouvre le grand livre de l'univers, et que je vois
devant moi ce palais immense que la divinité seule
peut remplir de toutes parts, je réfléchis aussi pro-
foadéoient que je le puis sur les rapports du tout
aux parties et des parties au tout Ce fut une
aeule et même puissance qui créa le soleil resplen-
4 LIVRE I.
dissant, et qui maintient dans son orbite le grain
de sable ; la même puissance qui contraignit des
millions de soleils à tourner, conime il est vraisem-
blable, autour de l'étoile de Sirius, et qui étend à
cette boule de terre les lois de la gravitation. Quand
je considère que la place occupée par notre terre
dans ce temple de soleUs, que la ligne décrite par
elle dans sa cour^ que sa grandeur, sa masse et
toutes les choses qm en dépendent, sont déterminées
par des lois qui agissent k travers Tinfini, je dois
non - seulement être content de la place qui m'a
été destinée, et me réjouir d'être si bien formé
pour accomplir mon rôle dans le chœur harmo-
nieux des êtres, à moins toutefois que je ne veuille
me révolter follement contre la Toute-puissance;
mais encore ma plus noble occupation, sera de
rechercher ce que je dois être dans la place qui
m'a été réservée, et ce que^ selon toutes les pro-
babilités, je ne peux être que là seulement.
Si dans ce qui me parait avoir le plus de borner
et le moins de consistance, je découvre iion -seu-
lement des traces dun grand pouvoir créateur,
mais encore une connexion évidente entre les plus
petites choses et le plan du créateur dans l'immen-
sité, la meilleure fonction de ma raison sera, en
s'efforçant de prendre Dieu poui^ modèle, de suivre
ce plan et de se conformer elle-même à la pensée
divine. Je ne chercherai donc pas. sur Ja terre ua
CHAPITRE I. 5
t
ange da mel, une créature que moU œil n'a jamais
vue; mais fj trouverai des habitans de la terre,
des êtres humains, et j'accepterai avec un plaisir
suprême tout ce que notre mère commune produit ,
conserve, nourrit, souffre et reçoit à la fin dans son
sein bienveillant D'autres terres, ses sœurs,* se
vantent et jouissent probablement de créatures sur
péiîeures : il siuffit ^ue tout ce qui peut vivre pat
elles , vive réellement. Mon œil est fiiit pour soute-
nir les rayons du soleil à cette distance, et non pas
aune autre; mon. oreille, pour pette atmosphère;
mon corps , pour la densité de ce globe ; tous mes
sensi, auxquels sont pareillement appropriées les
actions de mes facultés morales, dérivent de l'or-
ganisation de cette terre, et sont combinés pour
elle. Ainsi ^ toute l'étoidue et toute la spHère d'ao^
don de moii espèce sont déterminées et prescrites
avec autant de précision que la masse et le cours
de la terre sûr laquelle doit s'étendre ma vie; et
parla aussi Thonmie, ds^ns plusieurs idiomep^^, tient
son nom de sa terre maternelle.
Plus grande est la sphère d'harmonie, de bonté
et de sagesse à laquelle appartient notre globe; plus
sublimes et plus fixes sont les lois desquelles dé-
pendent son être et celui de tous les autres mondes ;
plus j'aperçois que tout en eux procède d'un seul,
et qu^un seul conserve tout, et plus aussi je me
persuade que mon destin est enchaîné, non pas à la
6 UTRE I. -
poumère de cette tetre, mais aux lois ibYisiUés par
lesquelles cette terre est gouvernée. La puissance
qui pense et agit en moi, est, de sa nature, aussi
étemelle t]ue celle qui unit ensemble le- soleil et
les étoiles : ses organes peuvent s'épuiser, la spbère
de son action peut changer, comme la. terre qui
subit des modifications, et les étoiles qui changent
de place. Mais les lois par lesquelles ce qui est, est
où il est, puis revêtira d'autres formes, ne s'altéreront
jamais : leur nature est aussi étemelle quela'peiisée
de Dieu; et les fQndemens de mon être (non pas
de mon organisme matériel) ^soiit aussi immuables
que ceux de l'univers. Car tout être est, comme
une idée indivisible, fondé sur la même loi, aussi
bien dans le plus grand que dans le plus petit.
Ainsi , la structure de l'univers confirme l'éternité
du principe de mon être, de ma vie interne. Par-
tout où je pi»sse être, et quel que^e puisse être,
je serai, comme je le suis maintenaiit, un pouvoir
dans le systèmeimiyersei des pouvoirs ^ un être dans
la divine harmonie des mondes.
CHAPITRE IL
Notre terre est une des planètes moyennes.
La terre ^ au«<iessous d'elle daix planètes. Mer-
cure et Vénus; au-dessus d'elle sont Mars, qui peut-
jftlre en cache une à ûos yeux derrière son disque.
CHA.9ITRC II. 7
Ji^tei*, Saturne et Uranus; et les autres, quelles
qu'elles puissent être , seperclent au*delà de là sphère
régulière d'action du soleil, et Torbite excentiîque
de la denéère approche dé l'ellipse immense des
comètes. Comme elle est dans la place qu'elle occupe
nn être d'un genre moyeu, elle Test aussi dans sa
grandeur, et dans la proportion et la durée de ses
réyolutions sur son axe et autour du soleil; eh tout,
elle repose entre deux extrêmes, entre le plus grand
et le plus petit, le plus rapide et le plus lent. Bien
que la situation de notre terre soit plus favorable
que celle des antres planètes, au pdnt de vue astro^
nomique de tout Fensemble > , il n'en serak pas moins
avantageux de posséder un examen plus précis
de quelques-uns des membres de cette magnifique
&iml}e d'étoiles.' Un voyage dans les planètes de
Jupiter et de Vénus, ou s^ilement dbns nou*e propre
lune, nous éclairerait sur le principe de la forma-
tion de notre terre, %ur ses lois qui sont les leurs,
sur les rapports qu'ont entre eux les peuples qui
fbabitent et les dtres organisés des autres mondes,
et peutr*j6tire 'aussi sur notre destinée future; de telle
sorte que, de la constructioa de deux ou trois an-
neaux, nous pourrions déduire plus sûrement la
pogression de vame la ^baioe.
1. £logederastroiiomiepar Kaefttner) dsmsle Hamb, Magai.^
^ol. I, p9g. ao6. ' . "
8 LITRE I.
^ Mais la nature^ qui a fité les linaites que nous
ne devons pas dépassar, nous a r^usé nne inspec-
tion si rapprochée Nous voyons la lune, nous
contemplons ses vastes moiftagnes et ses cavernes;
nous considérons Jupiter, ses révolutions exoen^
tricpes y et ses ceintutes; nous observons lanneau
^e Saturne, la lumière rougeatre de Mars, les rayons
plus doux de .Vénus, et de là nous conjecturons
hardiment ce qu'à tort ou avec raison nous croyons
apercevoir. Nous établissons un rapport entre les
distances des planètes; et nous avons déduit sur
la densité de leurs masses des conséquences pro-
bables avec lesquelles nous avons cherché à fiûre
accorder leurs mouveméas et leurs révolutions.
Tout cela, au demeurant, nous l'avons £it par
las mathématiques pures , non point par la philo-
sophie naturelle; car nous n'avons aucun moyen
terme de comparaison aitre notre terre et eux. Les
lapports de leurs volumes^dejeur rotation, de leurs
orbites, etc., à leur distance du soleil, n'ont pas
conduit à une formule qui put .expliquer leurs
natures par une seule et m^e loi de cosmogonie
Encore moins connaissons-nous à quel degré de
formation est arrivée chaque planète ; et moins que
cela encore, pouvons-nous dire quelles sont les
organisations et les circonstances de ses habitans.
Jjés rêves de Kirdber et de Swedenborg, les plai-
santeries de Fontenelle, les conjectures de HuyghoiS)
' •
CHAPITRE II. 9
de Lambert et de Kant, prouvent de êiflérçn\eB
maillera que nous ne pouvpns rien connaître de
ces choses, que nous ne devons rien en cennaitre.^
Soit que nous fassions notre échelle ascendante ou
descendante, soit que nous placions le plus près
du soleil les êtres les plus parfaits, ou que > nous
les en éloignions : tout çda n'est qu'un rêve, que
notre inaptitude à entrer dans les variétés des pla-
nètes détruira pas à pas , et qui nous amènera
enfin à cette conséquence : que partout ,. comme
ici, prévalent la simplicité et la variété ; mais que
les limites de notre intelligence et cpie notre point
de vue ne nous fournissent pas de mesures pouV
i^précier leurs mouvemens progressifs ou tétro^
grades. Nous ne sommes pas atu centre, mais dans
la foule; nous suivons le flot, comme d'autres
mondes, sans avoir de types de comparaison.
Si, cependant, nous nous hasardions à former
une échdle ascendante et descendante depuis le
lieu de notre séjour jusques au soleil, notre terre
obtiendrait le lot incertain de l^TmédiocrUé doré^i
que. pournocre consolation nous pouvons au moins
considérer comme un heureux milieu. Pendant que
Mercure tourne autour de son axe et subit en six
heures lés vimsitudes du jour et de la nuit; qu'il
accomplit son année en quatre-vingt-huit jours
et est éclairé par le soleil six fqis autant que notre
terr^ pendant que Jupiter, d'une autre part^ met
140 UVRE I.
«onze années et trois cent treize \oixF$ pour adiei^r
son long cours autour du soleil» bien que son jour
et sa nuit ne durent que dix heures : pendant que
lé vieux Saturne, pour qui la lumière solaire est
cent fois plus faible, $nit à peine son voyage autour j
clu soleil en trente années, en tournant sur son
axe dans Tespace de sept heures: nous, planètes
moyennes, Mars, Vénus et la terre, nous, sommes
d'une nature moyenne. Nos révolutions diurnes
sont presque égales, quoique nous différions des
autres globes célestes, autant par la longueur des
jours que par ceUe de Tannée. Le jour de Vénus est
de vingt-quatre heures environ ; celui de Mars n'est
pas de vingt-cinq. L'année du premier dure d^ux
cent vingt- quatre jours; celle du second, six cent
quatre-vingt-sept, quoiqu'il soit trois fois et demie
plus pe(it que la terre, et de moitié plus distant
du soleil. Quand nous en venons aux autres, les
rapports de leurs masses, de leurs révolutions et de
leurs distances, difiièrent beaucoup entré euic.
A^isi la nature nous a placés sur une des. trois
[danètes moyennes, dans laquelle on peut suj^ser
que règne un s}^tème d'êtres moyens, comme il
semble qu'un moyen terme, et qu'une proportion
plus tempérée^ dans ce qui a rapport à l'espace et
à 1^ dui'ée, y prévalent. II. est probable que le rap-
port de la matière à la pensée est proportionné en
BOUS à la longueur de$ jours et des nyiits. ^elcm
CHÀPltHE II. 11
iOiHe yraiseinblaiiee il y a dan» la spccesi^ion et
la rapidité des idées le mëine rapport die vitesse
qu'entre lés révolutions de notre planète sur ellcr
même et autour du soleil, et celles de tel autre
i
astre ^ car nos sens $ont évidemment appropriés
à l'organisation de notre terre. Nous pouvons
présumer que loin du ce^itre où nous sommes ,
les pouvoirs de la création vont en divergeant
jusques a rinfîni. Mais, tant que nous vivons sur
la terre, ne comptons que sur un moyen terme
dans lés intelligc^nces terrestres, et encore plus da«s
les veitus si incertaines dé Thumapité. Si nous pou-
vions contempler le soleil avec les yeux de Mercure
et fuir sur ses ailes; si nous avions en partage le pa^
tardif et Torbite immense de Saturne ou de Jupiter
avec une égale vitesse de révolution ; si nous étions
capables de supporter les derniers excès de la chà«r
leur et du froid , et de nous .élever sur la chevelure
d'une com^e.à tf^vers les. régions indéfinies du ciel«
nous pourrions parler d'autres âmes et d'autres puis*
sances que de celles qui ont été proportionnées
au cours moyen, de 4'bumanité. Mais à présent ^
étant où nous sommes et ce que nous sommes,
restons inébranlables à ce terme moyen ; il est pro^
baUe qu'il a été approprié avec précision a la durée
de notre vie. il est une chose qui doit enflammer la
pensée du mortel le plus indolent; c'est de conce-
voir qu'il peut jouir un jour des richesses â'une
la liyre I.
*
nature créatrice qui nous sont refusées niaintenant;
c'est d'îmagiper que probablement, après que nous
aurons atteint le sommet de l'organisation d^ notre
{danète, ce peut être notre lot, ce peut être le pro-^
grès de notre nature que de traverser d'autres astres^
ou que notre destinée suprême est peut-être de
nous associer avec les créatures parfaites de mondes
si nombreux et si divers. Gomme nos pensées et
nos facultés ne viennent évidemmeht que dé notre
organisme terrestre , et tendent à se modifier et à
se développer elles-mêmes, il y a lieu de croire,
d'après les inductions de l'analogie, qu'il en arrive dé
fnéme dans les autres astres ; et qui peut concevoir
Une si glorieuse harmonie, quand des êtres si diver- ^
sèment formés, tendent tous à un seul point >, et
se communiquent l'un à l'autre leurs expériences
et leurs impressions ? Notre intelligence est une in-
telligence terrestre, modifiée successivement par les
objets environnans, qui se rendent eux-mêmes
accessibles à nos sens. Ainsi en est-il des impulsions
et des penchans de nos cœurs, il est probable qu'un
autre monde ne connaît point le^ secours et les
<5bstac]es qu'ils rencontrent ici au sein des circons-
tances externes. MaisJes résultats seront-ils aussi
' ■ ■' %* ' ■ I I ■ 1 ■!■■ ■ I ■■ 1 ■ lin I ■■ I I II *
\
1 . £sl - il probable que le soleil «oit un astre habitable ?
Voyez à ce sujet les pensées de Bode sur la nature du soleil
■ •
dans les Transactions de la Société physique de Berlin, Yol. 1 1»
pag. aaS.
CHAPITRE II. l5
inconnus? Non certainement! tous les rstyons ten*
dent' au centre. L'intdiligence pure doit être partout
l'intelligence de tout ce qui lui a été révélé par les
objets sensibles : leS' puissa^ices du coâur auront
partout la même ^èr^e, c'est- à -dire la même
vertu 9 sur quelques objets qu'elles aient été exercées^
Ainsi donc il e^ probable aussi, que la plus grande
variété tend à l'uniformité , et que la nature partout
répandue aura un point où elle réunira les plus
nobles développanens de tant de belles créatures j
et les fleurs de tous les mondes seront rassemblées,
dans vil seul jardin. Pourquoi ce qui est physique-
ment uni, ne le serait-il pas aussi spirituellement et
moralement? puisque les esprits et les intelligences
ont aussi leurs relations, et obéissent seulement
dans une sphère supérieure aux mêmes lois, dont,
en dernière analyse , tot^t dépend dans le système
solaire. S'il m'était permis de comparer les consti-
tutions générales de plusieurs planètes dans leurs
rapports avec les organisations, et les vies de leurs
habitans , avec les diverses couleurs d'un rayon
de lumière , ou les diverses notes de l'échelle jdia?
tonique, je dirais. que probablement lajumière d!un.
soleil unique de vérité et de bonté frappe différem-
ment' chaque planète. Mais pendant qu'un seul soleil
les éclaire toutes, et qu'elles se meuvent toutes
dans un même plan de la création, il est à/espérer
que chacune^ à sa manière, approchera de plus en
l4 UTRE h
plus de la perfecûon, jusqu'à ce qu'à la fin, après
divers changemens, elles aillent toutes Se réunir dans
uneipëme école de bien et de beauté. A préseilt»
soyons seulement des hommes» c'est-à-^dire, une
couleur, une note^ dans l'harmonie de nos astresL
$i la lumière dont nous jouissons peut être* com*
parée à la couleur moyenne du vert, ne nous con-
sidérons pas nous-mêmes comme la pure lumite^
du soleil, et ne prenons pas nos intelligences et
nos volontés pour les fondemens de l'univers; car
nous, avec notre terre» et toutes les choses qui
s'y rapportent, ne formons évidemment qu'une
petite partie du grand tout
CHAPITRE III.
Notre terre a subi plusieurs résolutions
avant de devenir ce quelle est main-
tenant.
La vérité de cette proposition se confirme par
ce qui apparaît au** dessus et au-dessous de la sur-
face du globe, aussi loin que les hommes ont pu
pénétrer: il a été submergé par les eaux, qui y
ont formé des couches de terre, des montagnes et
des vallées. Le feu en a ravagé, en a dévoré le noyau;
il s'est élevé avec les montagnes et a dispersé les
entrailles liquéfias de la terre. Enfermé dans son
sein, l'air, l'a entrouverte, et a aidé à i éruption
GHAHTRB. m. l5
de Félément puissant du feu : les veuts oot exercé
leur fui:îe sur sa surface, et une Cause plus puissante
encore a changé ses zôuek Une graiidç partie de
ces choses sont arrivées, quand déjà ^existaient des
êtres organisés et vivans; et cela plus d'une fois,
d^ans des lieux différens, à de. plus longs ou de
plus courts intervalles, comme Tattestei^t de toutes
parts les animaux, et les planbs pétrifiés que Ton
découvre presque partout, sur les hauteurs les plus
élevées 9 et dans les abîmes les plus profonds.
Plusieurs de ces révolutions supposent une terre
déjà formée,, et peuvent passer avec raison poi;r
accidentelles; d'autres paraissent essentielles à la
terre et elles ont été les causes premières de sa forme.
IVous ià'avons pourtant aucune théorie complète ni
des unes ni des autres, et il est assez difiicile de tirer
entre elles une ligne de démarcation. Nous n'avons
que de faible^ motifs d'espérer uçe théorie de, celles
que j'ai nommées accideutelles; car elles appartien-
nent, dans leur ensemble à une nature historique et
dépendent d'uli trop grand nombre de causes locales
et contingentes. Quant aux révolutions essentielles
et prinoitives de notice terre, qu il me soit permis de
soubaîfeer que leur théorie soit découverte, avant
que je ne meure. J'espère, m^e qu'il en sera ainsi;
car, Uen q^e les observadons faites dans les diffé"
renies parties du ;gM>e soient loin d'être suffisant-
ment exactes et étendues, cependant les principes
l6 LITRE 1. " '
établis et les ob^rvatioiis dès tmturalistes, les e%^
périences^ des ohimistes et des minéralo^sces , sem«-
blent avoir amené les choses au point où quelque
heureux aperçu peut unir difiërentes silences et
les éclairer Tune par l'autre. Buffon, avec ses hypo*
alises hardies, n'est certainement que le Descartes
de cette branche de connaissances, et bientôt im
Kepler ou un Nevirton i^enversera à jamais ses théo*
ries systématiques, à l'aide de quelques &it5 qui
s'accorderont sans efforts Les njOUvélles découvertes,
qui ont été faites sur* la chaleur, la lumière, le
feu, les divers. effets de ces agèns sur la composi-
tion, la dissolution et les parties constituantes des
substance^ terrestres; les principes simples auxquels
ont été ramenés l'électricité, et aussi, jusqués à un
certain point, le fluide magnétique, me paraissent,
sinon des^ approximations suffisantes, du moins des
progrès éminens qui, avec le temps, porteront
quelque heureux géme à expliquer^ à Tâide de cer-
taines idées de coniiexité, notre géologie par des
principes aussi simples que ceux auxquels Kepler
et Neypton ont ramené le système solaire. Ce serait
faire un grand pas, que de rapporter à'des propriétés,
physiques, susceptibles de démonstrations, plusieurs
pouvoirs de la nature, jusqu'ici considérés comme
quahtés occultes. Quoi qu'il en soit, encore est-il
incontestable que la nature poursuit ici son long
ooufs, et fait tiattre la plus grande variété, au seigi
CHAPITRE m. 17
d'une simplicué progressire à l'infini. Avant que
notre air, nos eaux, notre terre aient été produit»,
plusiecu^s composés ont dû se précipiter et se dis*
soudre les uns les autres. Et combien ces espèces
nombreuses de terres, de pierres et de cristallisa-
tions, et toutes ces formes d'organisation, depui$
le coquillage jusques à la plante, jusques à Fanimal^
et enfin jusques à l'homme, ne fontrelles pas sup-
poser de systèmes différens de dissolution et de
transmutation ! Comme de nos jours encore la na-
ture (ait sortir tous les êtres de Têtre le plus petit
et le plus insaisissable, qu'elle ne compte point
d'après notre estimation du temps, et qu'elle dis-
tribue la plus grande abondance avec l'économie la
plus stricte ; ainsi il paraît , même conformément à
la tradition de Moïse, que tel fut son cours quand
elle posa les premiers fondemens de la création, ou
plutôt de la formation, et des phases des créatures.
La masse des pouvoirs et des élémens actifs dont
fut formée la terre, contenait probablement comme
un chaos tout ce qui devait y être et pouvait y
être. A divers périodes ^ l'air, le f^i^ la terre ^ sor-
tirent de cette préparation morale et matérieUe.
Diverses combinaisons d'eau, d'air et de lumière,'
ont sans doute paru avant que le germe de la pre-
mière organisation végétale, d'une mousse peut-être,
ait pu se manifester. Plusieurs plantes sans doute
naquirent et moururent avant que des animaux
I. a
ï8 UTRJS J.
orgaftîséd eussent reçu TéiFe; et parmi ceux-ci
les insectes et les oiseaux, les animaux aquatiques
et nocturnes doivent avoir précédé les aniuiàux les
plu^ par£iits de la terre et du jour,. jusqu!à ce qu'en-
fin, pour couronner l'orgabisation de notre terre,
l'hpmme, le microcosme^ s'életa; lui, le fila de tous
les élémens et de. tous les êtres, leur abrégé le
plus^ complet, et la fleur de la création , ne pou-
%^it être (}u|p le dernier enfant chéri de la nature;
et sa forme et sa réception devaient être précédées
par divers phénomènes et divers changemens.
D'ailleurs , il était inévitable qu'il en vit plu-
sieurs; car, comme la nature |ie se repose poiut
sur son ouvrage, et qu'elle ne le néglige ni ne le
délaisse point pour son Êivori, la terre eontinua à
se dégager du sein des eaux et à se former par
degrés-, les flammes en ravagèrent cncoî'e l'intérieur,
et les inondations avec toiis les phénomènes qui
en résultent, ne cessèrent point d'en ébranler la
surface, long-temps même après que l'homme eut
commencé d'exister. Bien plus, nos^ traditions les
plus anciennement écrites font mention de sem-
blables révolutions; et nous verrons par la suite les
effets puissans que ces effroyables phénomènes des
vieux âges ont exercés sur la destinée de presque
toute la race humaine. De si étonnantes commotions
spnt plus rares aujourd'hui que 1^ terre est per-
fectionnée^ ou plutôt Iju'elle a vieilli; mais jamais
CIUPITH£ III. 19
nous ou notre asile ne pouvons en être entièreme/u
exempts. Voltaire fut dé^voué par la philosophie,
quand, en genùssant sur le désastre de. Lisbonne,
il outragea par une sorte de blasphème la divinité,
même. Nous, et tout ce qui nous appartient, en
y comprenant même la terre, notre demeure ^ ne
sommes-nous pas soumis aux élémens? et quand
ceux-ci, conformément aux lois toujours actives
delà nature, s'éveillen^ périodiquement et 'réclament,
leur^ droits; quand le feu et l'eau, l'air et le vent,
qui ont rendu notre terre habitable et fertile, sui-
vent leur cours et la bouleversent; quand le soleil,
après Tavoir loi^g^temps échauffée avec )an soin pa*-
ternel, après avoir noi^rri tous, les êtrçs vivans et
les avoir encbaîiiés à son dbar triomphal par des
liens dorés , finit par attirer dans $on sein cruel les
pouvoirs surannés de \^ terre qv^'ell^ nfi peut plus
ni renouveler ni ccMQserver; quarrive-t-il qui ne
soit en harmonie avec l'ordre et la sagesse? Dans un
s7stemis.de choses variables, ^s'il y a progirès, il doit
y avoir destruction; destruction apparente, c'est^
à-^ire chàngen^ent de figures et de formes. Mais
eUe s'atteint pas l'intérieur de la nature, qui,
clominant toute destruction, retiait incessamment
comme le phénix .de ses cendres et fleurit avec
une vigaéur toujours Tajeunie. La formation de
notre demeure , et de toutes les substances qu'elle
peut produire, doit noifs avoir préparés à la.fmgi-
20 LITRE I.
Ihé et à l'ins^bilité de Thistôire àe Fliomme; et plus
nous réfléchissons attentivement à ces choses, plus
elles se présentent avec clarlé à notre intelligence.
CHAPITRE XV.
Notre terre est un globe qui tourne sur
son axe dans une direction oblique au
soleil. ^
Gomme la sphère est k figure la plus parfaite,
celle qui comporte la plus grande surface sous
le plus petit volume, et qui unit la plus grande
variété à la simplicité la plus belle; notre terre,
toutes les planètes et tous les soleils, ont été jetés
par la main de la nature dans des formes sphéri-
ques , où l'abondance et la richesse n'exclnent pas
une sage économie. On s'étonne de la variété qui
existe actuellement sur notre planète; mais plus
étonnante encore est l'unité qui domine au sein de
cette inconcevable variété. C'est une preuve de la
profonde barbarie dans laquelle! nous élevons nos
eûfans, que* de négliger de leur donner, dès leur
bas âge, une profondé impression de la beauté, de
runi&rmité et de la variété que présente notre
terre. Puisse mon livre bâter le développement de
ce grand point de vue, qui me frappa pour jamais,
du moment où je commençai à' penser par moi-
même^ et où je me hasardai pour la première fois
CHAI^RË IV. ' 21
sur rimniense océan d'une libre investigation. Il
sera sacré pour moi, aussi long-temps que je verrai
le ciel se déployer au-dessus de ma tête, et se
dérouler à mes pieds cette terre qui enferme toutes
choses dans le cercle qu'elle se donne à elle-même
pour limite.
Il est Inconcevable que les hommes aient pu
voir si long-teinps l'ombre dé la terre -projetée sur
la lune, sans quHls aient reconnu que tous les
objets changent et tournent sur sa circonférence.
Quel est celui qui,- s'il eût sérieusement considéré
cette forme , se fôt présenté pour ^ convertir le
monde entier à un seul et même système de philo-
sophie et de religion , ou eût immolé pour cela
des hommes par un zèle avenue, quoique pieux?
Sur notre terre, tous les objets varient comme les
points d'une sphère ; pas un lieu n'est semblable a
un autre, pas iln hémisphère à celui qui lui cor-
respond : r^t et l'ouest sont aussi opposés que
le nord et le midi. U n'appartient qu/à un esprit
étroit de considérer cette variété seulement par
rapport à la latitude, parce qu'elle est peut-être
moins évidente par rapport à la longitude, et de
diviser en climats l'histoire de l'homme, suivant le
système suranné de Ptolomée. Les anciens n'avaient
que d'imparfaites connaissances de la terre; mais,
après tout ce que nous avons appris de sa configu-
ration , on ne peut plus se borner à un aperçu gêné*
^a LIVRE ï.
rai de âes lois , seulement d'après les parallèles du
nord et du sud.
Tout est changement sur notre terre; dk ne
comporte point les sections ni les divisions néces-
saires d'un globe ou d uiie carte. Pendant que la
sphère tourne, les peuples tournent avec elle^ comme
les climats, les habittK]es,;les religions, cofnme les
goûts et la forme- dés vétemens. Il y a en cela une
inexprimable' sagesse; non pas que mcfa admira-*
tion se porte tout entière sur Finépuisablè diver-
sité des choses, mais bien plutôt sur Tunité har*
monique qui en résulte. Le chef'-d'œttVre de la
beauté repose dans cette Ich : produire beaucoup
de chosef avec une* seule, et, combiner la plus
grande variété avec une libre uniformité:
Pour nous donner cette uniformité et cette
stabilité^ la nature a attaché unf heureux poids à
nos pieds : dans le monde matériel on . le nomme
gravité; dans le monde immatériel, indolence. Si
tous les corps tendent à un centre , et qu'aucun
d'eux ne peut quitter la terre (car il ne dépend pas
même de notre volonté, de ne pa^ y vivre et jde
ne pas j mourir) , la âature attire aussi nos coeurs
depuis l'enfance par des chaînes puissantes, chacun
dans sa direction, c'est-à-dirè, vers sa terre natale.
Gir, ôtez ce sentiment, que reste- 1- il qui nous
appartienne véritablement en propre ? Chacun aime
«on pays, ses coutumes > son > langage» sa femme^
GHAPIfRE lY. 23
ses aiÊms; noB pas qu'ils soient les meilleurs du,
monde, mais parce qu'ils lui sont entièrement
propres ,. et c'est luivmém^ et son œuvre qu'il aime
en eux. Ainsi les hommes s'accoutumen(; h la nour-
riture la moins savoureuse ^ au mode de vie le plus
difficile 9 aux coutumes les plus rudes du .plus rudq
climat, et ils y trouvent plaisir et jouissance. U
n'est pas jusqu'aux oiseaux de passage qui ne bân
tissent leurs nids dans les lieux où ils sont nés:
et la contrée la plus saiuvage a souvent les charme^
les plus séduisans pour^ la race d'homnuis qui
l'habitent.
Demandonè-nous donc où est le pays de l'homme?
où est le point central de la terre? Partout, pou-r
vons nous répo^idre : là, où tu es, que ce soit
près des ^ces du pqle, ou précisément sous Iç
soleil dévorant de l'équateur ; partout où des
bomme^ peuvent vivre, et ils peuvent vivre pres^
que parioût,^^ la vivent àe$ homimes. L'auteur des
choses ne, pouvait pas produire une étemelle uni*
fonoité sur n0ti:e terre :^ il n^ restait donc qu'à
créer la plus ^nde variétés et à former l'homme
de manière à ce qu'il pût s'y plier. Nous aperce-
vrons phis loin une belle échelle, Suivant laquelle^
à mesure que l'orgaliisaiion de la créature est
plus achefvée^ sa capacité de ^uppor|:£r des états
divers el de se. conformer à. chacun d'eux « croil;
porpoftioBndyieBaent; De U)utesvces créatures var
^4 LtVRE I.
ridblés , susceptibles de mcKlifîcations et de fleii-
hîlhéj nulle n'en est plus susceptible que rhomntie.
Toute la terre est faite pour lui, il est fait pour
toute la terre.
Si donc nous voulons établir, une philosophie de
l'histoire de notre espèce, rejetons aussi loin que
po^ible toutes ces manièresi étroites dépenser^ tirées
de la constitution d'une seule contrée d^ la terre,
toutes ces docirine^d'une école spéciale. Gonsidérans
comme le but de la nature , non pas ce que l'homme
est parmi nous, ni ce qu'il devrait être, selon les
idées de quelques rêveurs, mais ce qu'il est sur
la terre en général, et en même temps dans chaque
pays en particulier, ou ce qu'il peut devenir dans
la main de la nature, par l'extrême variété des cir-
constances. Nous ne lui chercherons point quelque
forme , quelques contrées favorites : partout où il
est, il est le maître et l'esdavç de la nature; son
enfant bien aimé, et en même temps peut-être
l'esclave qu'elle tient enchaîné avec' le {^us de
rigueur. Les avantages et les désavantages, les biens
et les maux, ausçi bien que tous les genres de
jouissance et de bonheur, l'attendent en tous lieiiz»
et il est ce que le font être les circonstances et les
conditions que le jour ramène avec lui.
La nature, par un moyen facile, quoique inex-
plicable pour nous, non-seulement a établi sur la
terre cette variété de créatures, mais encore elle
CB à fixé et limité, retendue. Ce Deroyen est Fcbli-
quité.de Taxe de la terre à Téquateur dû soleil,
et ce n'est pas là un résultat des lois du mouvement
de rotation^ car il manque à Jupiter,. qui a son aie
perpendiculaire a son orbite : Mars ne l'a qu'à un
très-petit degré^ pendant que Vénus y obéit suivant
un angle très^aigu, et que Saturne, avec son anneau
et ses lunes, reste parallèle au soleil Et de là,
quelle variété infinie de^ saisons et d'influences
solaires se succèdent dans notre système 1 Ici aussi
notre terre est un enfant fiivorisé, un des membres
moyens de la famille céleste. L'angle suivant lequel
die est inclinée, n'est pas de vingt- quatre degrés.
Ce n'est pas le moment d'examiner s'il en fixt tou-
jours ainsi, qu'il nous sufiBse que cela soit ainsi
maintenant Cet angle merveilleux , ou au moins
inexplicable pour nous, lui est devenu propre, et
n'a pas changé depuis des milliers d'années ^ J^insi
il paraît nécessaire à la constitution présente ;de la
terre et de l'espèce humaine ; car de cette obli*
quké de l'édiptiquê naissent les changemehs des
zones qui rendent toute la terre habitable, depuis
le pôle jusqu'à l^équateur, depuis l'équateur ju&-
1. On sait qae les obseryations astronomiques ^ont pronyé
que Fobliqaité ^e Técliptique décrott rëgnlièremênt, au moins
depuis le temps de Ptolémée, d'^enviion denz minutes ^ demie
ftit siècU, {jyoi$ du traducuitr.)
^6 MVRE I.
qu'au pôle, n fallait que la terre eât tme iBdinaîsoD
réglée, afin que des contrées qui autrement seraient
restées dans des ténèbres glacées , pussent contem-
pler les rayons du soleil et devenir propres à
Forganisation. L'histoire de la terre, depuis les
temps les pluÀ reculés, nous. apprend que la di^
fêrence des zones a eu une puissante influence
sur toutes les. révolutions dé la pensée humaine,
et que ni la zone torride ni la zone glacée n'ont
pu donner naissance à aucun de ces effets qm sont
produits dans les zones tenfpérées; aussi j voyez
comment le Tôut-puissant a marqué de son doigt
et enveloppé -d'un réseau tqus les accidefas et toutes
les ombres du globe ! Que Tinclinaison de réclip*
tique eût différé même faiblement de ce qu'elle
est , et la fêice de la terre eût été presque entiè-
repient cbiangée.
Ainsi donc, la variété convenable est là aussi
l|i loi de l'ait plastique du Créateur du monde. Il
ne lui suffisait pas que la terre fiit partagée en
lumière et en ombre , la vie humaine entre le jour
et la nuit; Tannée de notre espèce dût aussi varier,
et quelques jours seulement nous ont été laissés
de son automne et de son hiver. Par là fiirent dé-
terminés la longueur ou k brièveté de la vie hu-
maine, la mesure de nos facultés, les révolutions
de nos âges, la sucee^ion 4e. nos. occupations,
celle des phénomènes et des idées, le néant ou 1%
CHAPlTkE IV. 37
durée de nos projets et de no$ actions; car tout
cela, nous devons le reconnaître, est lié en dernière
analyse à la loi simple de la vicissitude du jour et
des saisons. Si l'homme devait vivre plus long-
temps, les pouvoirs, le but,/ les jouissances de sa
vie seraient moins variables et moitfs disséminés;
la nature ne le presserait pas par des retours si
fréquens des phénomènes périodiques des saisons.
UeÉnpire de Phomme sur la terre ne serait pas ^
étendu, et encore moins les scènes compliquées
que l'histoire développe maintenant, se seraient-
elles présentées; mais probablement que, dans une
babitatiofi pki$ circonscrite , nos ptiissances vitales
agiraient avec dès forces plus intimes, plus éner*
giqu«6 et plus durables. A présent les' paroles de
l'apôtre sont le symbole de notre terre : il y a un
temps pour toutes choses , pour l'hiver et pour
le printemps, pour la naissatoce et pour la mort,
pour k jeunesse et pout la vieillesse, pour le travail
et pour le repos; sous notre soleil oblique les'
actions dë'i'homme sont, en rapport avec les révo-
lutions des saisons.
^6 unus t
ÇHAPrTHE V.
Notre terre est em^eloppée.iTùne atmo-
sphère et est en conflit a\^ec plusieurs
corps célestes.
Avec une stracture si compliquée, nous sommes
un abrégé de {H*esque toutes les espèces d'orga-
nisations de la terre ; et comme il est probable
que leurs parties premières et constituantes fiirent
toutes précipitées de Féther, pour passer de l'in-
visible à un monde visible, nous sommes incapa-
bles de respirer l'air pur. Quaild notre terré com-
mença à paraître, selon toute apparence , l'sdr fut le
réceptacle des pouvoirs et des matériaux qui con-
coururent à sa formation ; ^ët n'en est*il pas encore
de même? Que de choses, jusque-là inconuues,
ont été découvertes dans ces derniers temps, qui
toutes agissent à travers le milieu de l'air ! La
matière électrique et le fluide magnétique , le
phlo^stique et le principe acidifiant, les sek qui
développent le froid, et peut-être les particules de
lumière que le soleil ne fait que mettre en mou-
vement, toutes ces choses sont les instrumens des
opérations de la nature sur la terre : et combien
plus encore en reste-t-il à découvrir ! L'air féconde
et dissout l'être matériel; il l'absorbe, il le précipite,
il le met en fermentation. Ainsi il semble qu'il est
le p^ des créatures terrestres, aussi bien que de la
CHAPITHE V. ^9
terre elle-même; le moyen général de communica-
tion entre les êtres qu'il reçoit dans son sein et
qu'il repousse ensuite de ses embrasseraens.
Il est inutile de démontrer que l'atmosphère
coopère par son action aux déterminations^intelli-
gentes de toutes les créatures -de la terre; elle par^
tage avec le soleil le gouvernement de ce ^obe
qu'elle créa autrefois. Combien les choses eussent
été différentes, si notre* air eût possédé un degré
différent d'élasticité, de pesanteur, de pureté et de
densité; s'il eût précipité d'autres ^aux, une autre
4erre , et s'il eût influé d'une autre manière sur
l'organisation dès corps! Sans doute qu'il en est
de même des autres planètes, formées dans d'autres
régions de l'air; et de. là toutes les notions que
jious ppuvons établir sur leurs substances et sur
leurs phénomènes ^ d'après celles que nous avçns
sfXr notre terre , sont également incertaines. Pro*
méthée fut ici-bas un véritable créateur; il forma
des corps dhme argile doucement précipitée, et tira
du ciel autant d'éûncelles de lumière et de pouvoir
intellectuel qu'il eja. put recueillir à une telle ais<-
taàee du scdeil et d'une masse de cette pesanteur
spécifique.
De thème, la différence qui existe entre les hommes,
aussi bien qu'entre toutes les autres productions
du globe terrestre y doit être mesurée par la diffé-
^cifique du miliea dans, lequel nous vivons,
• V
5o hiy^js, h
comme daQs^ Torgane de la diviiiité: et par là il
faut entendre, non --seulement la division des zones
d'après, la chaleur et le froid , nonrseulement la lé-
gèreté ou la pesanteur de l'atmosphère qui nous
presse^ mais bien plus encore les pouvoirs variés,
s^tifs Qt immatériels qui opèrent dans son sein , et
qqi même constituent probablement toutes ses qua-
lités et tous ses phénomènes. Comment les flots
électriques et magnétiques > se succèdent-ils autour
de notre » terre ? Quelles vapeurs et quelles exha-
laisons s'élèvi^nt dans tel ou tel lieu ? où tendent-
elles? que deviennent-elles? qu'elles organisations
p •
1. Je profite avec empressement de cette occasion pour
annoncer 'au lecteur une Théorie 4a magnétisme terrestre,
coosid^é tant 'en iMÎ-'aéme <|ue îdans ses rapports généraux
arec les graodes «opérations de la nature. L^auteur , suivant
le Mémoire que noqs avx)ns sous les yeux , et <{ui a été adressé
à la Société de géographie au mois de Mars iS^^i*), aurait
pose lM<{uation du rapport de rinclinâisoù magoétique àyec
la longitud^e et la latitude terrestres^ il anrait découvert et
démontré que la cause magnétique, qui a 4té. réléguée, si
long-temps dans Pintérieur du globe^ a sa place dans Tespace,
OÙ elle forme une grande atmosphère excentrique à la terre;
que leà Variations de Taignille aimantée s^exécutent suivant
une longne période de ^lemps, dont il aurait déterminé la
durée ^ qu^elles consistent en un mouvement de tout le système
];nagnétiqQe dWient en occident; que, dan$ 'ce mouvement,
Tordre des différens degrés de Tinclinaison n^est pas dérangé
et qu^il s^avance k Fouesty toujours parallèlement aux latitudes;
'que robliquité des plans d« déclinaison obéit à des lois aussi
GHAPimE V. , 5l
produîsei^t-ell^? combien de temps les coi^servent-
elles ?^ et comment les dissolvent- elles? Ces quç»-
tioas rentrent évidemment dans le domaine de l'his-
toire physique et mprale de chaque race d'hommes;
car rhomme, coulme toute a^tre créature, est un
nourrisson de lair, et dans le cercle entier de son
existence il est le frère de tous les êtres organisés
de la terre.
Il me semble que nous approcherions d'un nou-
veau monde de connaissances, si les observations
* < r
I
qui ont été faites ^ par . Bayle , Boerh^ave , Haies,
S'Gravesandç, Franklin, Priestley, Black, Çraw-
' ■ ' ■ ■"'■' '-'■'■ p ■ I I
simples; que la même période de temps gouyehie une yatiation
correspondante dané la tempéitttnre, dans la pesanteur de
ratmosphér«, la hauteur du âai( maritime, et, en g^ùéral,
les phénomènes météororogiques. Ainsi, Ja grande question
de la déclinaison et > àe Tinclinaison magnétique serait
résolue sous un point de yue uniyersel. Déjà la tahle de
llncUnaison est construite pout toute la. surface terrestre «
de manière à s'appliquer à toutes lies épi>ques; et Tauteur
est sur le point ;de la publier ayec le' déyeloppement de
sa théorie. Depuis plusieurs années nous ayons été témoin
de Pincroyable perséyérance aVec laqi^elle il a suivi ce
long tràyailj et, si nous nous livrons ici à un penchant
bien personnel en 'lui. consacrant \ces lignes, si. nous croirons
remplir un devoir etiyers la iscience, en indiquant k ceux
qui la cultiyent un ouvrage qui nous parait si digne de leur
attention, nous cédons aussi à Timportance que nous sommes
accoatniné à donner à une pensée désintéressée qui a rempli
la destinée entière d^ub homme, quel qu'il puisse 0U; (Note
5d LITRE X. '
f6rd, Wnson^ Adbar^, etc.» sur la chaleur et sur
le froid, sur l'électricité, sur différentes espèces
d'air et d'autres ageus chimiques, et siir Finfluence
que ces principes exercent sur le règne minéral et
le règne végétal, sur les hommes et les animaux,
étaient rassemblées en un' seul système. Si jamais
ces observations devenaient ^ aussi nombreuses et
aussi générales que le permettront les connaissances
que nous acquerrons sur diverses contrées et sur
diverses productions de la ^rre, et si Fétude per-
fectionnée de la nature établissait , sous une forme
quelconque, utie académie libre et universellement
répandue, qui observs^t avec une attention divisée,
mais avec un esprit de vérité, de certitude,, d'utilité
et d'élévation, Tinfluence de ces principes dans td
et tel lieu, sur tel et tel sujet, nous obtiendrions
à la fin une aérologie géographique, et nous ver-
rions dans l'immense v creuset de la jaature s'opérer
des miUiers de changemens par les mêmes lois
«fondamentales.
Mais la terre n'est pas seule dans l'univers.
D'autres être$ célestes opèrent dpnc sur son at-
mosphère, sur œ grand réservoir des poi^voirs
acti6. Le foyer éternel du soleil la gouverne
par ses rayons; dans sa marche pesante, la lune,
qui probablement se balance aussi .dans son at-
mosphère propre, la presse tantôt de sa surface
froide et ténébreuse, et tantôt de sa &ce échauf-
CHAPITRE V. 33;
fée par la lumière solaire; tantdt en avant , tantôt
en arrière de notre ^obe; aujourd'hui elle 9e rap-
proche, demain die s'éloigne du solâl. Dautrea
corps célestes avoisinent la terre $ pressent son
orbite et modifient ses pouvoirs. Tout le système
des deux est xme li^tte entre des globes aemblablei
Qu dissemblables, chassés avec force l'un vers l'au*
tre, et il n'y a que l'idée simple et sublime de ]%
Toute-pmssance qui pouvait ainsi balancer ces forcée
contraires et les présenter du choc. Là aussi , dana
le labyrinthe immjeme de ces pouvoirs opposés,
i'intdligence humaine a trouvé un fil , et presquet
cônsonuné des miracles^ guidée surtout par la lune»
iinégulière que sollicitent deux forces ccmtraireSy
et que le Créateur a heureusement placée si prés de
nous. Si tbut^ ces observations et leurs résultats,
étaient jamais appliquée à notre orbe aérien, comme
ils l'ont été au flux et; au reflux i)e notre Océan f
si, aidés d'instrumene ingénieux dont la plupart
sont déjà inventés, on faisait servir l'expérience de
plusieurs ^ année» dan^ différens lieux de la terre»
à ordonner et unir; en un. seul tout, eu égard.
au lieu; et au tenips, les révolutions d^ cette mer.
céleste^ il me semble que Vastrologie apparaîtrait
de nouveau, parmi no.$ sciences j sous la forme
la plus utile et la plus respectable; et, ce que
Toaldo a commencé, ce que Deluc, Lambert, Mayer,
Beckmann et d'autres ont préparé eh ppsant des
I. 5
54 LIVRE I.
principes et des matériaux a^essoires, il esi pro-
bâl>}e <ju'ùii Gatterer Fachèverait : ce qu'il y a de
éertain , du moins , c'est qt^il méleraît à son oQtrdge
des vues étendues .sur la géographie et Fhbtoire de
fhotiime. ; ' '
Quoi tfa'û en soit , nous virons et nous mou-
rons, erranset souffrans au sein d'une foule de
pouToim «[Restes, dont quelque&^n^ but' été obseï^
vés, et les autres livrés à nos conjectures. Puisque
Vair et la températiire ont une si grande influence
sur nous et sur toute la tenrèy^elon toute appa-
jpeuce , ce fut tantôt une étjincelle électrique qui
teilia plus pure dans tel homme; tantéi une prtie
de matière iiiâammaMe pk» fortement comprimée;
ici une masse flt&ê fttmk et plus intense,' là tme
essence douce, moHe et expanstve r voilà, ce qui
détermina et produisît les plus graqdes époques et
k»]plus importantes révolutièns du genre humain.
L'oeil, partout présent, qui voii cette ar^le se com*-
biner suivant les lois étemelk^ peut seul, dans ce
chaos de pouvoirs physiques^ marquer à flaque
atâme élémentaire, à chaque étincelle qui s'éeha^t
à chaque rayon de l'espace éthéré, sa placé, son
temps et sa ^hère d'action, afin de les modi&r
par des pouvoirs contraires.^
CHAPITRE TI. 5B
CHAPITRE VI.
Là planète que nous habitons est une sphère
montagneuse qui s'élève aurdessus de la
surface des eaux.
A ne fimt , pour confirpier 4$ette proposition ,
que jeter im coup d'œîl siur uœ mappemonde. Oa
voit des chaînes de montagnes qui non-«eulement
traversent la terre ferme, mais qui paraissent évi-
demment former 9 po^ir ainsi dire» le sqneleite sur
lequel ia terre a été, construite. Dans rAmériqixey
les montagnes* «e dirigent à travers Isthme le long
de la c6té oecidentai^. Elles «'avancent oMiqué-
ment, dans la ditrection d«i eol. Là od elles pé^
nètrent plus avant- dans IHntérteur, te eontînent a
plus de largeur, jusqu'à ce qu'enfin elles aillent se
perdre dMQslcs coiàtrëes inconnues dû Nouveau^
Mexique. ^ est. vnmeMiblable que là , non-^seuiement
elles s'iÊlèveM ' plu^ liant que le moiit Elias, mais
qnfeBes sont encore - urnes latéralement à d'autres .
ehsanes, pardeulièrenieiit aux montagae|^< Bleues,
conmié dans T Amérique méridioDale, ou la terré
ferme a plus de lai'ge^r, et où les montagnes se
dirigent .au nord «t à Test Ainsi ^ même par sa
figavév l'Am^^querest une bande de terre àppuyeè
à des moiitftgnés/ et, selon kurs pentes, ou pkts
unie <ia plua*eSGai^pâe.
S6 LITRE I.
Les trois auirès parties du globe présentent un
aspect plus comj^qué; car, bien que l'espace qu'elles
comprennent soit beaucoup plus étendu , elles ne
forment dans le fait qu'un seul tout Pourtant, il ne
Ëiut pas beaucoup d'application pour reconnsdtre
que l'arète protubérante de l'Asie est la même
Muche de montagnes qui s'étend sur cette partie du
^obe, sur l^Eurc^, et probablement aussi sur
l'Afrique, au moins dans la partie supéria^re.
L'Atlas n'est que la continuation des montagnes de
l'Asie , qui . atteignent une plus . grande élévation
daps le mitieu de là contrée^, ét^ sidiôn toute ap-
pareQaci, se joignent aux; montagnes dé la lune,
par le moyen^ de la chs^e qui -est dans Je'voisînage
du ItiJ. Siuces moint^gnea de^ la |iÉie sont ^»$eK
liantes et a#set étwdues'pour être considérées réel-
kiiient comme une' des arêtes dé la terre; c'est ce
que l'avenir doit déteroiiner* L'étendue xle la con*
trée et- quelqu4$l domiéea iflipar&Ues ipenBetient
dp telles conjectuits; mata k petit nombre. et,k
cjpurs étroit des^rivièrea de..ct(te.>partie du globe »
n9us.:anp£cheat de voir en vdles)iuie vénta))le.ceîii^
ture, de la- t^rre, âo«ime dans l'Ural de TAâie ou
les CordiUières de l'Amérique. Maifik il jaous suffit
que dans ces coiHrées au^si, la ^rre reçoive évi*
<fomment sa configuration des montiiigQes;. partout
^eUe l^r ,est puralMe; et là qù le^. gacmtagnes étoi*
dent leurs -bruches, là aussi éiîmd:h terre fecme.
j
CRAPmB TI. 57
Cetie remarque ft'ipplique également au promon-
toiiiei à 111e et à là pénihaule. La terre déploie ses
bras et ses membres partout où se déploie le sque*
lette des monkajgues ; ce n'est donc qu'une masse
variée, qui, disposée sur la charpente en coudies
et en degrés différens, devint peu à peu habitable.
^ Ainfii, les premières montagnes déterminèrent
comment le globe devait exister, en tant que terre
feraie; il parait qu'elles furent l'ancien noyau, l'an-
tique voute de la terre, sur lesquels Tair et les eaux
ne firent que déposer leurs fardeaux, jusqu'à ce
qu'à la fin il se fondât une sur&ce où devait
s'étendre et se développer l'organisation végétale*
Ces antiques chaînes de montagnes ne peuvent
point être expliquées par la rotation du globe j
elles ne sont point dans la région de Téquateur
où le mouvement orbiculaire est le jplus puissant;
elles ne lui sont pas même parallèles, et la chaîne
d'Afadérîque passe précisément à travers l'équateur.
Ainsi nous ne pouvons espérer aucune lumière de;
nos cercles mathématiques;, surtout parce que les
moQtagtiea et les chaînes de montagnes les plus
élevées n'ont, en comparaison dé la masse mou-
vante du. globe, qu'une valeur presque nulle. Je
crois donc qu'il n'y a aucun fondtemeAt a supposer
ici quelque analogie entre l'équateur , les méridiens
et la formation des cluubes de montagnes, parce qu'il
n'y a aucune connexion entre ces idhoses^ et qpie
V- •»
38 UTBBX
l'on ne fenot qu'mtrocKiire par ;là dt s idées faiiàses.
C'est par leur forme primitive , par letir gé&ératioii ,
c'est par leur étendue, par leur hauteur 6t par leur
largeur; en un mot» c'est par une loi physique de
la nature, quil faut expliquer leur formation « et
avec elle celle de la terre ferme. Mais^ celte loi
physique de la sature peut^Ué être découverte^
I<es montagnes^ ne sont-elles que des rayons d'un
centre,. que des branches d'une seule arête, que
4e6 couche^ angulaires,? Et, dans tous les cas,
quel fut leur mode de formation quand elles ap-
parurent avec leurs sommets dépouillés comme
le squelette de la terre ? yoilà des questions im-
portantes qu'il reste à résoudre, et dont je désire
ardemment voir Une solution sattôfaisânte. Je n'en-
tends .point parler ici des hauteurs formées par
aUiivipns, mais des montagnes primitives et fon-
damentales du globe.
Qu'il suâBrse que les couches de terre se soient
répandues à mesure que les montagnes se sont
élevées. L'Asie fut de toutèis les parties au monde
k première halntable^ parce qu'elle avait les plus
hantes e,t les plus larges chaînes de montagnes et que
sur leurs sommet^ s'étendait ime plaine que la mer
n'a jamais submergée. Ce fiit donc là, suivant toute
apparence,' dans quelque heureuse vallée » au pied
àt^ montagnes qui le reçurent dans leui* sem, qœ
f h^anne choisit son premier asile. De là sa pos*
r
CQAPIIRE.yi. 59
ténié desocft^t au AÊdi, dans leB plaîii€ê mutes
et ferdlfis qui bordaient it$ ileaves^ pendant que
des laœs plus hardies reçurent le jour dans le
Noid, snivirept la direction des fleuyes et des nion«-
tagnes, et se répandirent avec le temps à l'Oc»-
ci(ïent )usqu'en Europe. Des hordes furent suivies
d'autres hordes; un peuple en poussa un autre
en avant, jusqu'à ce . qu'à la fin ils arrivèrent tous
à une mer, notre Baltique ,^ qu*une partie traversa,
pendant qu'une autre tourna brusquement pour
occuper lé midi de l'Europe. Mais d'autres colo*
nies, d'autres amas de peuples, s'avançant dç l'Asie
au Midi, avaient dé]à éubli leurs demeures dans
cette même contrée ; et ainsi ce coin du monde fut
peuplé conmie nous le voyons maintenant, par des
flots de nations diy erses et quelquefois opposées
Tune à l'autre. A la lon^e, plus d'un peuple vive^
ment preissé se retira dans les montagnes et aban-
donna les plaines et les campagnes ouvertes aux
coaquérans ^ de là vient que nous rencontrons sur
presque tout le globe d'anciens restes de nations et
d'idiomes, soit dans les montagnes, soit dans les
réduits cachés ou sur les langues de terre. A peiné
est- il une île, un pays, où Ifs plaines n'aient été
occupées par un peuple étranger d'une date plu|
réeente, pefidant que les naûons les plus aneienàeè
et les moins civilisées ae sont retirées sur les hau'-
leurs. De <5es hàuteufs, oit elles ont conservé toute
'
4o . UTRX.I*. >
la rudesse de, leurs monirs , elles ont sourem, dans
des tenips postérieurs» consommé des révolutions
<]u\ ont enveloppé les hakitans des plaines ,- dans
une plus ou moins grande étendue de territoire.
L'Inde, la Perse, là Chine, et même les contrées occi-
de^plales de l'Asie, et l'Europe elle-même, protégée
comme elle l'était par ses arts et la division de son
aol, ont senti* plus d^me fois le fléau accablant des
armées qui descendaient des, montagnes, et ee qui
a eu lieu sur le grand diéàtre du monde, n'a. pas
été moins fréq^ent dans de plus petits cercles.
Les Marattes, dans le midi de l'Asie, les sauyages
montagnards dans diverses iles, et çà et là dans
l'Europe les restes antiques de ces braves faal»tans
des pays de monugnes, ont feit dans les plaines
diverses incursions, et ils ont pillé quand ils n'ont
pu conquérir. En un .mot, il semble que ce soit
sur ces mêmes plateaux qui ont été jadis la pre-
mière demei)re de la race, humaifie, que se prépa*
ient les instrumens de ses révolutions et de sa con-
servation. Conune ils répandent l'eau sur la terre,
c'est de même qu'ils répandent les peuples. Conune
c'est d'eux que jaillissent les fontaines, aussi est-ce
d'eux que jaillit l'esprit de liberté et de bravoure,
ipendant que les plaines les plus riantes languissent
sous le joug des lois, des arts et des vices. Les
hauteurs de l'Asie sont même encore le rendez-
vous de peuples pour la plupart sans culture : et
CHAPintE TI. 4>
qui pent dire qiidles sont les ptiûes qu'ils sont
destinés à bouleverser ou à rebouveier dans les
âges fumrs?
Nous ne connai^ons l'Afirique que trop impar-
Êitement pour étabHr une opinion sur Fhistoire
de ses peuples : à en juger par les races qui ' les
habitent, les contrées les plus élevées ont tiré leur
population de l'Asie, et il est probable que c'est
de la même partie du monde , et non pas dés
plus hauts plateaux de son territoire, que l'Egypte
a reçu sa civilisation. Toutefois elle a été envahie
par les Éthiopiens ; et sur plusieurs* de ses côtes
qae n'ont pas dépassées nos connaissances géo^^
phiques , nous entendolRS parler d'irruptions de
peuples sauvages qui appartiennent à un pay$ de
montagnes. Les Giagues passent communément
pour des cannibales dans l'acception la plus stricte
dn mot; on dit que les Gafres et les peuples qui
habitent au-delà du Monomotapà ne leur cèdent
point en: barbarie; et là aussi, conformément à ce
qne nous avons observé jusqu'il présent , il parait
que les races primitives de sauvages habitent les
montagnes dé la lune, qui occupent le plus grand
e^ce de l'intérieur de la contrée.
Quelque aniâque ou récente que puisse être la
population de l'Amérique, le Pérou, l'état le plus
civilisé de cette partie dp, globe, repose précisé-
ment aux pijcds de là p)us haute des Gordillières;
7^
■ 9U
'y
4^ umE I.
mais seulement a ses pieds, dans h^ vallée mute et
fertile de Quito. Les nations sauvages s'étendent le
long des montagnes du Chili jusqu'à la Paiagonie.
Les autres chaînes de montâ§^es, et les parties inté-
rieures du pays, nous sont en général peu connues;
assez cependant pour confirmer que c est sur ces
hautes montagnes que se conservent les coutumes
antiques, la barbarie originelle et la liberté. Plu-
âeurs de ces peuples n'ont même pas été conquis
par les Espagnols ^ qui sont forcés de leur donner
le titre de las bravos. Les régions glacées du nord
de l'Amérique et de l'Asie,, doiv^it être considérées
comme d'immenses branches de montagnes, soit
que l'on ait égard aux climats ou aux cotttiÊ|me$
des 'habitans,
La nature a tracé d'une main rude, mais .ferme^
le dessin de l'histoire de l'homme et, de ses révo-
lutions, dans lès Hgnes de montagpes qu'elle a tirées
et dans les fleuves qu'elle fidt descendre de leurs
sommets. Comment les peuples purent -ils se
répandre çà et là et découvrir ides terres loin-
taines, s'étendre le long des fleuves et élever 4es
huttes, des villages et des villes dans les lieux
fertiles ? Comment se retranchèrent - ils , selon
rpcoasion , sur les bords d'im fleuve , entre des
montagnes et des déserts 7 comment en vinrent-
ik à établir le droit de propriété sur un asile , dé-
terminé par la nature et par l'occupation? com-
CHAPITRE TI. 4^
ment de Û, raîtm les circonstances *^tt lieu, vit«
on naître <Kverses coaiumes et enfin des royaumes,
eomment enfin les hommes qui avaient atteint les
côtes de la mer, quittèrent -ils ces lieux en gé-» '
néral stériles, pour s^élancer sur les flots, où ils
apprirent à irouTer leur nourriture? Tout cela
a|^'nient' aussi essentiellement à la progression ,
natnreUe de l'histoire de l'homme, qu'à l'histoire
physique de la terre. Telle colline produisit dea
Dations de chasseurs , qui aimèrent et rendirent
nécessaire Tétat sauvage. Telle autre, plus étendue
et moms escarpée, offrit un champ à des bergers,
et leur associa de paisibles aniniaui. tJne troisième
£t de l'agriculture un àft aisé et nécessaire , pen-
dant qu'une quatrième donna Tidée de la péché»
de la navigation , et enfin du commercé. La con-
figuration de notre terre rendit iâéritables ces di-*
versîtés dans les périodes et lès états de l'huma*»
nité. Ainsi, dans plusieurs parties de la terre, les'
mœurs et les coutumes sont restées invariables^
pendant des milUers d'années. Dans d'autres , elles
ont été altérées en général par des causes externes,
mais toujours suivant le territoire d'où vint l'altéra-
tion; suivant le milieu dans lequel le changement
arriva, et l'objet^sur lequel il opéra. Les mers, les
montagnes et les rivières, sont les limites les plus
naturelles des nations, désaccoutumes, des langues,
des royaumes , aussi bien que des territmres , et
44 ^ UTRÈ 1.
même dm$ les plus: grades révolutions d|ês àfiîâres
humaines, elles Ont été les lignes de direction.ou les
confins de l'histoire du monde. Donnez aux* fleuveâ
* un autre cours^ aux chaînes dé moptagiies: une autre
direction, aux rivages de la mer daul^res contours :
cela seul ne suffit-il pas pour chang^er entièrement
et à jamiûs les fermes du développement de l'hu*
manité sur ,cé sol vacillant où les nations- se suc-
cèdent?
Je ne dirai que peu de mots des rivages dé la
mer : ils forment une scène aussi vaste que Taspect
de la terre ferme est grand et diversifié. Qu'astrrce
qui a rendu FAsie si uniforme dans ses coutumes
et ses préjugés? Pourquoi a-t-elle été la première
école des nations, le lieu où elles ont. commencé à
se former? D'abord c'est qu'elle présente à elle seule
^ une immense étendue de terre ferme , et qu'ainsi leA
peuples^ qu'ils le voulussent ou non, devaient non-
seulement se répandre avec Êicilité sur sa surÊice »
mais encore rester long-temps uni&les uns aux autres.
. . I/Asie septentrionale et méridionale est divisée par
de grandes montagnes; mais aucune mer ne partage
son immense étendue. Reste de l'Océan primitif,
la mer Caspienne s'étend seule au pied du Caucase.
Cest là surtout que les traditions jaissent voir de
quelle source elles descendent, et elles pourraiient
être expliquées par des traditions plus rpçeateSj
tirées de eette contrée ou d'une autre. Là, tout a
GIUPltRB .VI. 4^
»
pootté de profondes raciiies : la reli^on, le res^
pect filial, le de^odsme! Plus nous approchons
de l'Asie, pins, ces trois puissances temontént à
une haute antiquité, ;plùs dles, sont fortemeikt em-
prmnt^ dons l^cbutinâes. locales; et malgré toutes
les variétés que présentent plusieurs de ced contrées,
«lies sont répandues dans tout le midi de l'Asie.
Le nord, qui en est s^pairé par de hautes mônta-
liaès. qomme par un mur, a donné à ses nations
de3 formes diflSSrentes; mais, quelle que. puisse être
la variée des nuances, Tensembie est marqué d'un
caractère uniforme. L^ Tartarie, la contrée la plus
étendue de la .terre , fourmille de nations de races
différentes qi|i:li(MSite&;a|ip«^Ghent d'u^ même degrç*
de culture; car aucune. mer ne les sépare, elles
rouiébt toutes sur un geahd plan, incliné au Nord.
D'une autre part» vayez qo^le diversité a été pro**
duité par la mer Rouge, quelque petite qu'Ole soit?
Les Abyssiniens sont une racé arabe, tes Égyptiens
une nation asiatique; cépendsoit rien ne se ressemble
sur les deux rivages, ni les mœurs ni les croyances»
U en est de même dans la partie là plus basse de
TAsie. Quelle diffiérence le golfe de Bassora ne met-
il pas entre les Persans et lés Araibes? Combien les
Malais sont feciles à distinguer des peii|>les de Cain'^
boja, dont ils ne scmt séparés que par le petit golfe
de Sàdml Les coutumes des. habitans de l'Afrique
ne disant évidemment que. très^eu^les unes des
46 LIVRE t. .
autres, car i}s ne s<mt séparés par aucune mer, et
par des déserts seulement, selon toute a^parrace.
Par là aussi les Aattons étrangères ont été moins
capables de faire impression . sûr eux ; et pouF
nous, qui nous sommes introduits dois presque
dbaque réduit, cette Tiaste partie du monde nous
est un peu moins qu'inconnue; précisément parce
qu'dle n'est point profondément morcelée par la
mer, et qu'elle s'éiend à travers des espaces im-
menses comme une terre inaccessible.
, Si l'Amériqtie est peuplée de petites nations,
c'est probablement parce qu'elle est brisée et cou-
pée, au Nord et au Midi, par des rivières, des lacs
et des montagnes/ D'ailleurs, comme elle est com-
posée de deux pémnsoles, unies seulement pr on
petit isl&me, près duquel laûae baie profonde forme
un archipel; elle est, par sa situation mtime, de
toutes les terres la pias accessible à rinténeur:
ce n'est pour. ainsi ^are qu'un iwagé qui ^'éteai
d'un pôle à lauire, et par là elle dennt la proie
de toutes 1^ puissances maritimes de l'Europe, et
dans la guerre elle fut l'élément de discorde. Cette
situation nous' fut favQrable à npus autres pirates
européens; mais ce fut précisément ce sol dirisé
et morcelé qui s'opposa au développement de ses
anciens habitanis. Ils vécurent trop séparés les uns
des autres par des lacs et des rivières, par des
kauteura ea«iaijpées eC par des prfteipicefr, pour que
CHAPITRE TI. 4?
la cîvîlisatioii d^une (contrée, ou le vieiiZ mondé
de la tradition de leurs pères, pût s'établir et s'éteû^
dre sans obstacle comme xlans l'Asie.
Pourquoi l'Europe se distingue ^t- elle par la
variété de ses nations, de ses coutumes, de ses
arts« et plus encore par l'influence qu'elle a exercée
sur tomes les parties du monde? Je soi» bien qu'il
j a une combinaison dé causes que nous ne pou-^
TOUS tracer ici séparément; mais il est physique-
ment incontestable que son territoire, coupé et
brisé dans ses formes, a été une des causes acciden-^
tdles qui y a contribué. À mesure que les peuples
de l'Asie s'avancèrent par des chemins et en des
temps différens, que de baies et de golfes, que de
rivières dont le cours était varié, que de collines
dont les chaînes se contrariaient l'une l'autre , se
présentèrent à leurs regarda ! Ils purent être réunis
et vivfe séparés; ils puretit a^r les uns sur les
autres, sans que la pait fik troublée. Ainsi, dans
la variété de ses formes, cette partie du monde
représenta en abrégé le lieu d'assemblée de tous
les peuples de la terre. ^ La Méditerranée seule' a*
tant influé sui* le caractère de toute PEurope, que
BOUS pouv^s voir en elle le milieu par lequel se
sont propagées toutes le& civilisatipns depuis Tan-
tiqttité jusqu'au moyen' âge. Bien loin après diè ,
vient la nier Bahique, quif ^'étendant beaucoup
plus au Nord , entt^ dks nations grossières et des
49 iàmn i
m
terres -slérileft , ^t comiiiie un défilé àh se presse
le commerce du monde : c'est elle qui donne la
vie à tout le nord de l'Europe; sans elle » phi-
sieurs des terres adjacentes seraient ()arbares» gla-
cées et inhabitables. Les mêmes effets sont pro-
duits par l'échancrure du sol entre l'Espagne et
la France^ par le canal qui séps^« la France de
TAngleterre» et par la configuration de la Grande
Bretagne, de lltalie et de Tancienne Grèce. Clhanr
gez la forme de ces contrées , prolonge?/ ici un
détroit, là &ites circuler un canal; le$ progrès ç^
la dévastation du mcHide, le destin de tous les
pays et de tous les peuples suivront pendant des
siècles un cours ^tièrement différent.
En second, lieu, si l'on demande pourquoi,
outre les quatre parties du monde» il n'jr en a
pas une cbquième au sein de ce vaste Océan dans
lequel on en a suf^osé une, avec un espoir long-
temps prolongé, la r^>onse est bien déterminée
par les Saits : il n'y a pas dans cette mer pro-
fonde de montagnes primitives assec élevées pour
former une terre ferme assez étefidue. Les mon-
tagnes de l'Asie sont terminées à Ceylan par le
pic d'Adam I et dans les îles de Sumatra et de
Bornéo ,^ par les plateaux^ de Malaca et de Siam,
comme le sont les montagnes de l'Afrique au cap
de Bonne-Espérance et celles 4'Amérique dans la
Terre de fea. Depuis là, le granit, la^colonn^ fon-
damentale de' la terre fem^, dkparail^ dans les
abunes, et cesse de se montrer en. pics élevés au-
dessus de la surface de la mer. Dans toute l'étendue
de la Nouvelle* Hollande il n'y a pas une seule
chaîne de montagnes de première dasse* Les* Phi*
Uppines, les Mduques» et le reste des îles çà et
là répandues, sont toufes du genre volcanique
seulement, et plusieurs d'entre elles ont encore
des yolcans. Là » les sulfures métalliques peuvent
avoir développé leurs actions et coiltribué à là
formation dé ces jardins embaumés du mondé,
qui par leur chaleur souterraine sont petit -être
comme des- espèces de terres chaudes de la nature.
Le corail ^ fait aus^ ce qu'il peut, et cet insecte
met probablement des milliers d'années à produire,
ces petites îles qui apparaissent comme des points
sur rOcéan. Mais les pouvoirs de cette région mé*
ridionale ne s^étendent pas plus loin. La nature a
marqué les limites de ce grand espace, et les eaus: y
ont creusé, un vaste àbime, qui était nécessaire pour
rendre la terre-' habitable. Si un jour la loi phy-
sique de la formation des montagnes primitives est
découverte, et avec elle, celle de la forme de notre
terre,, nous saurons pourquoi le jpôle méridional ne
comporte point des montagnes de ce genre , non
plus qu'une cinquième partie du mondes et à sup-
1. Voyez 1«» ObsenFÀUoDf d« Forster» page ia6.
I. 4
52 LITRE 1.
CHAPITRE VIL
Îm direction de nos montagnes fait de
nos deux hémisphères le théâtre des
I « r
variétés et des^ changemens les plus
remarquables.
• Je continue ici à poursuivre rexamen général
41 de la nàiàppemonde. Les montagnes de l'Asie s'éten-
dent dans la direction de la plus grande largeur
du sol, et leur souche est à proprement prier
au centre de cette partie du monde. Comment
» supposer que , dans l'hémisphère oj^osé , elles
s'étendent précisément dans une direction con-
traire y suivant la plus grande longueur ? et cepen-
dant c'est ce qui a lieu. Cela seul établit déjà une
énorme difféirence entre les deux continens. Non-
seulement èlposéc aui veiits froids du nord et
du nord-est 9 mais séparée du Midi par dés mon-
. tagnes primitives couvertes d'une neige* étemelle,
la Sibérie doit être, surtout si Ton* considère
' la nature saline de son sol, telle qu'elle nous est
connue par des descriptions, d'un froid glacial,
excepté dans les lieux où les branches de mon-
tagnes peuvent la préserver des vents les plus
yiolens et former des vallées mieux tempérées.
Mais aussi , voyez les belles contrées qui s'étendent
aux pieds de ces montagnes précisémait au milieu
CHAPftRc ru. 55
de ïkûe ! Protégées pair ces muiraiUés contre les
vents glacés du nord, il ne leur reste qiie la brise
rafraîchissante. Dans ce but, 1^ nature a changé
la direction des montagnes vers le Midi , et elle
les déploie longitudinalement à . travers les pénin-
sules de llndostan , de Malaca , de Geylan , etc.
En donnant aux deux extrémités de cette contrée
des températures opposées et de&phases alternatives-,
elle en a fait le plus heureux pays de la terre. Nous
ne connaissons qu'imparfeitement les - chaînes de
montagnes de la partie intérieure de T Afrique; nous
savons pourtant qu'elles coupent cette partie du
monde à la fois dans sa Idngueur et sa largeur,
et, qu'elles contribuent probabl^nent beaucoup à
en rafraîchir le centre.
En Amérique au contraire , quelle différence !
Au Nord , les vents froifls du nord et du nord-
ouest soufflent au loin! dans les terres, tons quç
leur cours ion brisé par une seule montagne. Ha
descendent de ces immenses régions polaires qui
jusqu'à présept ont rendu inutiles tous les efforts
que Ton a faits pour les traverser, et que Ton peut
regarder comme des vallées' de glace encore in«
connues du monde. De là ils se répandent sur un
vaste espace de terre gelée , jusqu'à ce que le
climat devienne plus tempéré sur les montagnes
6leue$, mais ppuru^nt avec des transitions du froid
au chaud et du chaud au froid, telles qu'au(iun
54 LITRE ï.
autre pays nW présente de semblable»; c^êsr pro-
bablement parce qu'à travers toute cette péninsule
du Nord y il n'y a ps de chaînes de montagnes
asser contiguës les unes aux autres pour repousser
les vents et les orages, et pour limiter leur domaine.
IVune autre part^ dans rAmérique méridionale les
vents partent des glaces du pôle sud, et trouvent,
au lieu d'un obstacle qui arrête leur impétuosité,
une chaîne de montagnes qui les conduit depuis le
Midi jusqu'au Nord^ Douces et riantes, comme le
sont naftureltenient les régions moyelines j leurs ba-
bitans languiraient bientôt 80€is le poids de la chaleur
et de l'humidité que prodinsent deux foirees oppo-
sées, si la brise salutaire ne venait pas soit des mon-
tagnes,* soit de la mer, rafraîchir et amollir leur soL
Si maintena;nt nous considérons rélévajdon ra-
pide du soi et ses plateaux uniformes, la différence
des deux hémisphères deviendra encore plus frap-
pante. Les Gordillières sont les plus hautes mon-
tagnes du monde; à peine si les. Alpes de la Suisse
atteignent un peu plus de hh moitié de leur hauteur.
A leurs pieds, les sommets de la Sierre* Madré,
assez hauts,' si on les compare à la surface de la
mer, ou aux abîmes profonds dea vaUées, s'étendent
en longues chaînes ^ On éprouvé, seulem^t à les
1. Voyez Touvragc d^Ulloa, intitulé JVachrichten von Ame-
rika, Leîpsic, 1780; avec des additions de J. G. Schneider,
qui en augtnenteat beaucoup la irâUm«. .
CHÀPRItfi TII. 55
traverser > des symptômes d« nausées et des pro^
tradon» spud^es de forces , que les animaux reâ-
sentent aussi, et cj^si sont inconnues dans les plus
hautes montaçies . du "vieux monde. Elles sont
véritablement les confins même du continent ^ et
l'on n'îgnofe p£^ cond>iea dans différens lieux k
sol uni se détache brusquement de leurs masses.
Au pied oriental des CordiUières s'étend k grande
plaine que fertilise le. flevxve des Amazones , unique
dans son genre, comme les chsdnes des moiitagnes
pérurvieniiea, qui restait aussi sans é^le$. Ce fleuve,
qui peu à peu devient une mer , n'a pas uiie inclinaison
de deux <^nquièâi€;s de pouce dans la longueur de
mille pas, et on peut traverser une étendue égale à
la phza grande largeur de l' Allemagne, sans s'élever
d'unr sévà pas aip^dessus dû niveau de ia mer ^. Com-
parées à celles dés Gor^iflières, les montagnes de
Maldoînadoy sut le fleuve^ de Rio de la Plau, n'ont
aucime iâsponance; de telle, sorte que toute la
partie orieistale de l'Amériqise du Sud doit étrfe
considi^ée comxne une vaste plaine qui pendant
des mittiers d'années a été e^osée aux inonda-
tions f k teAis les ittconvéniens des terrés basses et
mar^caqgdMesy et qui vfea est fas encore entière^
ment eieuypte. Ici aussi le géaâit et le nain démeu'*
rent prèâ Tun dé Fautrev l«s; montagnes v les plus
1 1 t î " T 1 t [ I *■ r " I I " I * " l 'i I i" i'\ 11" I I 1 I r
1. Yûytt Leiste, Desèripiioii de PAmërt)q[a« pojctugâiBe.
56 uvrb'l
r
éjlevées et les^ sd)imes les plus profonds de la ten*e.
Il en est absolument de même dans la partie méri-
dionale de l'Amérique* du nord. La Louisiane est
aussi basse que la mer qui la borde ; et cette plaine
unie s'étend au loin dans ta contrée. Les grands
lacs, les étonnantes cataractes, le froid perçant du
Canada et d'autres lieux, prouvent que les. régions
septentrionales ont une grande élévation, et que
là aussi les extrêmes se touchent, quoique dans un
moindre degré. La suite montrera quels effets toutes
ces circonstances ont produits sur les plantes, les
animaux et les Kommes,
Dans notre hémisphère, où elle se préparait à
placer le berceau de l'homme et des animaux, la
nature disposa autrement son ouvrage : elle dé*
ploya les montagnes l'uùe après l'autre en long et
en large, et les développa en diverses branches,
afin que les trois parties du monde fussent réunies,
et que, liialgré la différence des régions et des pays,
la transition de l'un à l'autre fut douce et facile.
Aucune de ces contrées ne pouvait être inondée
pendant des siècles : ces essaims d'insectes, d'am-
phibies,' de reptiles, tous ces produits des eaux
qui peuplaient l'Amérique né pouvaient point y
être formés : et si l'on excepte le désert de Ck)bi,
car nous ne connaissons point les montagnes de
la lune , elles ne présentent presque aucun de ces
sommets entièrement arides et déserts qui, pénétrant
CHAPITRE VII. 57
juaqu'au-dessus des nuages, ne produisent que des
monstres dans le fond de ieurs - cavernes. Ici le
soleil électrique pouvait tirer d'une terre .plus sèche
et d'une plus doiice composition, de plus parÈûts
aromates, des alimens plus savoureux , et une orga-
nisation plus complète tout à la fois pour l'homme
et pour les animaux. % '^
U serait ^ désirer que nous eussions une carte des
montagnes o,u un atlas dditsr lequel ces colonnes de
la terre seraient tracées et dépeintes avçc toutes les
circonstances que comprend l'histoire de l'homme.
La direction et la hauteur des montagnes de plu-
sieurs pays sont déterminées déjà avec beaucoup de
précision. L'élévation du sol au-dessus du niveau
de la mer, l'état du terrain à la surface, le cours
des rivières, la direction des vents, les variations
de la boussole, et les degrés de la chaleur et du
froid, ont été observés dans d'autres, et en partie
notés sur des« cartes particulières. Si plusieurs de
ces observations, dispersées aujourd'hui dans les
ouvrages des voyageurs et dans d'autres publica-
tions, étaient soigneusement réunies sur une mappe-
monde, quelle belle et instructive géographie phy-
sique de la terre ne poufrait-on pas offrir à celui
qui étudie l'histoire de la philosophie naturelle de
l'homme { ce serait le commentaire lé plus pré-
cieux que l'on pût ajouter aux ouvrages estimables
de Yarennius , Lulof et Bergjnaiin. Mais ici nous
58 LITRE I. CttlR VIL
ne sommes encore que sur le seuil; les précieux
documens que Féiiier, Pallas, Saussure, Souk^ie
et d autres , ont déposés dans des recueils particuliers,
seront prdliablement dans la suite des temps ra-
menés à un principe clair et méthodique; et quand
on les aura comparés aux obserrations que four-
nissent les montagnes du 9érou, ils composeront
peut-être le traité le plus intéressant qu'il soit
possible d'écrire sur les branches les plus élerées
de l'histoire naturelle.
> '
LITRE t!. CftAWTRE I. 69
LIVRE IL
CHAPITRE PREMIER.
Notre terre est un immense laboratoire
où se prépare torganisation d'êtres
très " dijférens les uns des autres.
Quoique nous n'apercevions que le chaos et des
ruines dans les entrailles de ja terre, par l'ioipos-
sibilité oit nous sommes ^e considérer la cons-
truction primitive du tout, nous reconnaissons
pourtant,- même dans les choses que nous sup-
posons les plus petites et les plus inachevées, un
être véritablement déterminé , une forme et une
configumiion qui relèvent des lois éternelles, que
la volonté humaine ne peut altérer. Ces lois et ces
formes nous les observons, mais sans connaître
leurs pouvoirs intrinsèques; et ce que nous expri-
mons par certains termes généraux , tels que cohé-
sion, extension, affinité et gravitation, se rapporte
à des idées de relations extérieures seulement, sans
nous avancer d\in seul pas vers l'essence interne
des choses.
Mais ce qui est commun à toute espèce de terre
et de pierre, est certainement une loi générale pour
toutesiles créatures de notre globe; et par là j'entends:
6ù , LltllE IL
une forme i une figure déteiininéey une existence
distincte. Puisque € est de ces tJioses que dépendent
ses propriétés et ses opérations,. aucun être ne
peut ou se ies assimiler ou les emprunter d'un
autre être semblable à lui. La chaîne incc^mœen-
surable descend depuis le Créateur jusqu'au germe
d'un grain de sablç; car même ce dernier a sa
figure déterminée » qui approche souvent des plus
belles cristallisations. Les êtres les plus compliqués
suivent aussi de leur côté la même loi; mais tant
de pouvoirs differens opèrent sur eux pour com-
poser enfin un tout, et pour établir une unité géné-
rale au sein de la composition la plus variée, qu'il
doit résulter de là une fdule de transitions^ d'in-
tervalles et de formes divergentes.
A peine le granit ,,^ le noyau de là terre, eut^il
paru, qu'il fut accompagné de la lumière, dont Fac-
tion, au sein des vapeurs épaisses dU chaos, était
probablement semblable à celle du feu. Il fallut,
pour opérer sur cette masse inei'te , un air plus dense
et plus puissant q|ie celui que nous connaissons
maintenant, des eaux plus composées et plus pe-
santes. Les acides la pénétrèrent pbur la dissoudre,
et la transformèrent en pierres de tous les genres:
peut -être que les sables de notre terre ne sont
que les cendres de éette substance broyée. La
matière inflammable de Tair convertit probable-
ment le silex en terre calcaire, et ce £vL\ là que les
CHAPITRE'!. 6l
premières créatures vivantes de la ûier, les coqtiil-
lages, furent formés; car dans toute Tétradue^de
la nature la matière brute paraît avant la structure
organique df^s animaux. Il Êillut une action du feu
et du froid plus puissante et plus pure encore pour
la cristallisation, qui ne se modèle point sur la
forme des coquillages , telle que la présentent les
fractures du silex , mais plutôt sur les angles géo<-
métriques : ceux-ci varient aussi suivant les parties
qui concourent à la composition de chaque in-
dividu, et ils s'élèvent peu à peu jusqu'aux demi-
métaux, aux itiétaux, et, enfin, aux germes des
plantes. La chimie , étudiée aVec tant de zèle dans
ces dernières années ,. ouvre au pjbilosophe, dans
les règnes souterrains de }a* nature, une seconde
et abondante création; peut-être ne renferment- ils
pas seulement les matériaux, mais encore les prin-
cipes, fondamentaux et comme le secret dé toutes
les choses qui reçoivent leur ibrme sur la terre.
Partout nous apercevons que la nature doit dé»
traire puisqu'elle réconstruit ; qu'elle doit diviser
pour réunir. Des lois les plus simples , comme des
formes les plus grossières , elle s'élève aux plus
complètes, aux plus savantes et aux 'plus délicates^
et si nous avions un sens pour apercevoir les ^for-
mes primitives et les premiers germes des choses,
peut-être' découvririons- nous dans le plus petit
point la série progressive dé toute k çréalioii.
6U LIVRE lU .
MaU de$ considérations dp ce genre. n'apportien*
Q^nt pas à notre sujet; examinons donc seulement
b ooinbinaison qui appropria notre terre à Torga*
nisation de nos plantes , des animaux et de rhontune,
$i tels autres n^taux que Ton peut désigner avaient
été répandus sur la terre autant que le fer, que
nous trouvons partout, même dans les eaux, dans
les terres, dans les plantes , dans les animaux et
dan3 rhonime; si le pétrole, }e soufre, avaient été
di^tnbuéa sui* la sur&cè di^ globe en aMSsi grande
abcddancç qi^e le sable, l'argile et la terre végétale,
combiw les, créatures que nous voyons seraient
dîflSIretitffs de< 4:e qu'elles sont, puisque leur tempe-
rangent itérait plus l^e. Au Iieu.de cela, le père du
mottde a compçsé de sels plus doux et de snc$
plus onctueux les {^tiçss cpnsiiiuantes des végétaux
qui nous fournissent notre nourriture; elles sont
gmdiiellQment préparées, depuis un aable/délajé,
i(Pf9 ar^f tenace et unf tourbe maUéable : il n^est
p4s ju^uau grotôier ijninérai de fer, aux roches
')>irutc>^9 qui ne doivent graducfUement s'élever jus*
qn^'à ^lj^4 ils çhajAgent de, formes avec le te^ips^
en Us 4Qnne9t nai^iance à des arbres saps fruits,
Ofu ^u iftôins à des ipouf^es sans sèves, le fer étant
nonrSfeul^wept le plus $alubre des métaux, mais
a4|ssi celui, qui se prête, le plus aisément aux divers
iphépomène^ d# h v^g^^tatip^ et de b nutrition.
L'air et la rpsè^^^ I41 {4uèf.€t.la ù^igei l'oau et le
CKARTRIS I. 63
I ^
vent, ferûlmiit paturellemtiu la terré. Mêlées par
Tait à sa substance, les chaut alcalines multiplient
naturellement ses produits, et la mort des plantes
et des animaux y contribue ég^em^pt Mère atten-
tive; combien ta main est économe et bienfaisante!
Toute mort est une vie nouvelle; la corruption pu*
tréfiée elle -même prépare la sauté et rajeunit ie9
pouvoirs <|ai s*épuisent.
Il y a long-temps que Ton se [daint que l'homme,
au lieu d'avoir cultivé la surface de la tfirre, ^oit
descendu dans ses abîmer, et que la il ait cber--
ché, pour la destruction de sa santé et de sa paix,
parmi des vapeurs pestiférées, les métaux qui ser-
vent son orgueil et sa vanité, son avarice et soq
ambition. Qu'il y ait beaucoup de vérité dans cei
reproches, les abus qui se sont succédé sur la
terre, le prouvent suffisamment, et plus encore les
pâles apparitions de ces ^pièces de momies em*
prisoimées au sein des royaumes dç Pluton., Pour-
quoi Tair des mines, pendant qu'il nourrit les mé-
taux, est -il mortel aux animaux et à Thomme?
pourquoi le Créateur n'a-t41 pas pavé la terre d'or
et de diamans , au lieu de <}onner pour loi à Sie^
créatures de s'enrichir de la fertilité du sçl. ^g^$
doute, c'est parcf que nQus me pouvons p^i» u^Ager
for, et parce que la plus peûte plante digf^iblf
noQrseulfaieni noua est plus uiUie, mais e&t encore
plus p^^ement organisée, et plus noble da^t. so»
64 UVRB II;
genre, que la pierre la plti3 précieose, soit que
nous l'appelions améthyste ou saphir, émeraude
/ bu diâitiant. .
Cependant ne poussons pas les choses plus loin.
Dans !e îlomhre des formes de Thumanité que le
Créateur a prévues, et que par la structure même
du globe il semble avoir provoquées lui-mèine,
sont compris ces étals dans lesquels ïhomme de-
vait apprendre à- descendre danj^ les entrailles de
b terre et à «flottes sut^ sa^sur&ce. Ainsi le Créateur
a placé divers métaux^ dans leur plus pur état,
presque sous les yeux de Thomme : ainsi les rivières
furent destinées à délayer le soi de la terre et à
lui montrer ses trésors; Il n'est pas jusqu'aux na-
tions les» plus sauv£^s qui n'aient découvert l'uti-
lité du cuivre et l'usage du fer, qui, avec son pou-
voir niagnétique, semble gouverner le globe entier,
et apres^e à lui seul élevé notre espèce d'un degré
de civilisafion à un Atttre. Poùrique l'hoinme ù^st
le meilleur^ utoge pôssiUe :de son> habitation, ii
Wt qu'il la domiaisse, et son tnailre lui a marqué
dés limites stilfisammèht" étroites pour y faire ses
investigations, pour la disposer y la préparer et la
changer. . • •
Ce qu'il y a dé certain , c'est que nous sonunes
surtout destinés à ramper :comme des vers sur la
^ùrfece dé nôtre terre ^ à nous y développer nous-
mémés et à y dé[]^epser vnotre. courte vi^. Quelque
CHAPITRE I. 65
grand que Ton fasse rhomme, la couche légère de
terre végétale qui s'étend à ses pieds, nous montre
combien son empire a de bornes. Quelques pas
plus loin, il découvre des masses sans aucune
trace de végétation, ou qui du moins demandent
des années et des siècles pour produire seulement
une herbe chétive. Plus loin encore, il trouvé de
nouveau, là où il ne le cherchait pas, le sol fertile
•
qui fut un jour la surface de la terre, mais que la
nature inconstante n'a point épargné dans ses pé-
riodes progressives. Des moulés et des coquillages
sont entassés sur des montagnes. On trouve des
pétrifications d'animaux aquatiques et terrestres,
des bois fossiles et des impressions de fleurs à près
de quinze cents pieds de profondeur. Pauvre mor-
tel! tes pieds ne laissent pas une puissante em-
preinte sur la terre, tu ne fais qu'effleurer le seuil
de ta maison, qui sans doute a éprouvé plusieurs
déluges, avant de devenir ce qu'elle est Là croissent
pour loi quelques brins d'herbes, quelque peu
d'arbres; le Créateur t'a entouré de chose3 péris-
sables dont il te fait vivre, toi, vermisseau d'un
jour.
I.
66 LIVRE II.
CHAPITRE IL
Le règne végétal de notre terre y consi-
déré dans se^ rapports ai^eo thistoire
de Vhumanité.
Lé règne végétal a une ^orte d'organisation plus
élevée cpi'aucune production minérale 9 et il remplit
un si grand espace dans la création que, pendant
qu'il rentre d'un côté dans le domaine d^ la miné-
ralogie, de l'autre, il se rapproche du règne animal.
Les plantes ont une sorte de vie et des successions
d'âges; elle^ opt des sexes et àes pouvoirs géné-
rateurs ; elles naissent et elles meurent La surface
de la terre leur fut appropriée avant de l'être à
l'homme ou aux animaux; partout elles se hâtèrent
avant ces derniers, et sous la forme d'une herbe,
d'une mousîse, elles couvrirent les rochers bruts,
quie le pied d'aucune créature vivante n'avait encore
foulés. Partout où un atome de terre légère put
recevoir un germe, partout où un rayon de soleil
put l'échauffer, naquit une plante pour mourir
d'une mort féconde, puisque ses cendres devaient
fournir un sol plus fertile à d'autres plantes. Ainsi
les rochers furent couverts d'herbes et de fleurs;
ainsi avec le temps les marais se remplirent de plantes
et d'arbrisseaux. La putréfaction de la création vé-
CHAPITRE II. 67
gétale est dans la nature l'agent infatigable de Tor-
ganisation et le moyen de culture de la terre.
Il est évideM que la vie humaine,. autant qu'elle
est une végétation, a la destinée des plantes. Comme
elles, l'homme et les animaux sont prodmts d'uti
germe qui , de mèmie que le germe d'un drbre
futur, a besoin d'une place préparée pour son
développement Semblable à une plante, ses pre-
mières formes se déploient dans le s^in qui le
porte, et après cela, la structure de âos fibres,
dans leurs premières fonctions et leur première efflo-
rescence, ne resseroble-t-elle pas à celle des fibres
de la sensitive ? Nos âges aussi sont comme les
âges d'une planté $ nallre, croître, fleurir, se faner
et mourir ! Noto venons au jour sans notre con-
sentement; il n!est demandé à- aucun de nous de
quel sexe il voudra être, de quels parens il veut
descendre, ou par quelle cause interne ou externe
il veut arriver à sa fin. Dans tout cela, il faut que
l'homme obéisse à des lois supérieures , sur les-
quelles il n'a pai plus de pouvoir quune plante,
et que méqie ses penchans les plus impérieux su*
bissent presque contre sa volonté. Aussi long-temps
qœ l'homme croît et que la sève s'élève en lui, com-
Uen le monde lui parait spacieux et riant! il étend
ses branches , et il s'ima^ne que sa tète touchera
les cieux. C'est ainsi que la nature l'introduit dans
^ vie, jusqu'à ce qu'avec des pouvoirs agrandie
68 ^ LIVRE II.
et des éiTorts plus efficaces il ait acquis dans ce
champ , *où il a été planté- de sa main., tout le
développement qu'elle Jui ayait assigtié. A peine
a-t-il accompli ses desseins , qu'elle l'abandonne.
Dans la fleur de l'enfance et de la jeunesse,- de
quelles richesses la nature n'abonde-t-ellç pas en
tous lieux ! L'homme croit que ce monde de fleurs
produira le germe d'une création nouvelle, cepen-
dant, après quelques mois, combien la scène est
changée! Presque toutes les fleurs sont tomï>ée$,
et quelques fruits , encore verts , leur succèdent
•
L'arbre s'efforce de les porter à leur msiturité, et
aussitôt après les feuilles se fanent ; il jette ses tristes
regards sur ces enfans chéris qui l'ont quitté; il
reste défeuillé. L'orage le sépare de ses brancnes
mortes, jusqu'à ce qu'à la fin il tombe sur le sol
et rende à l'ame de la nature le peu de phlogistique
qu'il contenait.
En est-il autrement de l'homme , considéré comme
plante? Quelles vastes espérances, quels spectacles,
quels motifs d'action frappent par des impressions
ou distinctes ou obscures, son ame pleine de jeu-
nesse! Il se confie en -chaque chose ,^ et pendant
qu'il se confie, il réussit; car le succès est le coropa-
gnon de la jeunesse. Après quelques années tout est
changé autour de Jm, uniquement parce qu'il n'est
plus le même; il n'a achevé que la moindre partie
des choses qu'il se proposait de faire , çt il Êt^t se
- CHAPITRE II. 69
réjouir s^3 ne désire plus accomplir ce que le temps
ne permet plus d'exécuter, mais s'il se résigne à
vieillir en paix. Aux yeux d'un être supérieur, les
superbes entreprises de l'homme sûr la terre n'ont
peut-être pas une valeur plus réelle, ou au moins,
sans aucun doute, sont«-etles aussi déterminées et
aussi àrconscrites que les actions et que les entre-
prises d'un ^ arbre. Il développe tout ce qu'il peut
développer, et se rend maître de tout ce qu'il est en
son pouvoir de posséder. 11 pousse des boutons et
des feuilles;'il produit des fi-uiis et donne l'être à de
jeunes arbres : mais jamais il ne quitte la place que
la nature lui a assignée; jamais il n'acquiert un seul
pouvoir dont la nature ne lui ait fourni le germe.
Selon moi, il est surtout humiliant pour l'homme
que; dains la douce impulsion qu'il nomme amour
et dans laquelle il met tant de spontanéité, il obéisse
aux lois de la nature presque aussi aveuglément
qu'une plante. Le chardon même, d'après ce que
Ton a observé, a une sorte de beauté quand il est
en fleur, et nous savons que dans les plantes la
saison de la floraison est la saison de l'amour. Le
calîde^est la couche, la corolle sert de rideaux; les
autres parties de la fleur sont les organes de la
génération, que la nature a exposés à la vue dans
ces êtres inhocens et qu'elle a ornés avec magni-
ficence : elle a découpé la fleur d amour comme
la couche nuptiale de âalomon, et elle en a fait
70 LITRE II.
une coupe de plaisir, même pour d'autres créa-
tures. Pourquoi cela, pourquoi avoir oitrelacé
dans la ceinture de Tamour humain les charmes
les plus enivrans, ceux qui embellissaient sa pro-
pre ceinture? C'est pour accomplir sa grande fin
et oon pas seulement celle dune créature firèle
et sensuelle qu'elle a si élégamment ornée : or,
cette fin est la propagation , la continuation de
l'espèce.
La nature emploie des germes^ elle emploie un
nombre ihfini de germes, parce que dans son im-
mense progression elle se propdse" mille fins à la
/fois. Il faut aussi qu'elle calcule sur quelques pertes;
puisque cha<|[ue chose est comprimée, et que rien
ne trouve place pour se développer complétetoent;
mais , afin qu^au milieu de cette prodigalité app-
rente les pouvoirs de la vie, ces pouvoirs essen-
tiels, primitifs et toujours rajeunis, {^ar lesquels
elle doit nécessairement prévenir tous, les accidens
dans ceitte foule d'êtres ainsi pressés, ne vinssent
pas à lui manquer , elle a fait de la jeunesse la saison
de lamour , et à allumé son flambeau au feu le
plus subtil et le plus actif du ciel' et de la terre.
Des désirs innocens s'éveillent ^ auxquels l'enfance
était entièrement insensible : l'œil du jeune homme
s'anime; sa voix change; la joue de la jeune fille
se couvre de rougeur. Deux créatures soupirent
Tune pour l'autre, sans savoir poui^quoi elles sou-
• CHAPITRE II. 71
pîrent ; elles languissent et se consument pour con-
fondre leurs 6tres que la nature a; séparés , et elles
errent sur une mer de déceptions. Créatures dou-
cement déçues, jouissez de vôtre heurej mais sa-
chez que TOUS accomplissez, non^ pas vos rêves
décevans, mais le graiad dessein de la nature ^ au-
quel elle vous invite par tant de séductions. Elle
voulut tout déposer dans le premier couple d'une
espèce, des générations dans des générations; c'est
pourquoi elle choisit les germes naissans aux mo-
mens les plus Mîmes de la vie, dans l'enchante-
ment d'un j^aisir mutuel^ et si elle dérobait à un
être vivant quelque chose de son existence, elle
voulait au moins le lui dérober par les charmes
les plus enivrans. Aussitôt qu'elle a assuré l'espèce,
elle laisse l'individu périr par degrés, A peine la
saison des amours estrelle passée , que le cerf perd
son bois, l'oiseau ses chants et une grande partie
de sa beauté, le poisson son parfum délicat et la
plante ses plus belles couleurs; le papillon perd
ses ailes, et le souffle de la vie s'éteint en lui, tandis
que 9 restant seul, sans afiaiblir ses forces, il pour-
rait vivre la moitié de Tannée. Tant que la jeune
plante n'» point produit de, fleurs, elle peut résister
au froid de l'hiver; mais celle qui est précoce à
fleurir,, est la plus précoce à mourir. L'aloés d'Ame;'
riq[ue vit souvent un siècle ;^ mais « quand une fois
il a porté ses fruits, aucun procédé, aucun art ne
72 LIVRE II. •
peut empêcher sa tige orgueilleuse de mourir à
la nouvelle année. En trente -cinq ans le grand
palmier à éventail arrive à la hauteur de soixante*
dix pieds; il grandit alors de trente pieds dans
l'espace de quelques mois; puis il fleurit, il porte
ses fruits et il meurt la inëme année. Tel est le
cours, de la nature dans le mouvement des êtres
qui procèdent l'un de l'autre : le fleuve coule,
quoique chaque vague se perde dans la Vague qui
lui succède.
U y a dans la dissémination et la dégénération
des plantes une analogie à observer qui s'appliquera
à des êtres d un ordre supérieur, et qui nous pré-
parera aux vues et aux lois générales de la nature.
Chaque, plante a besoin d'un climat particulier,
par lequel il faut comprendre not{ - seulement* la
constitution de la terre et du sol, mais aussi l'élé-
vation de la contrée, la qualité de l'air et de l'eau,
et le degré de' température. Sous la terre , toutes
choses restent confondues l'une avec l'autre, et
quoique chaque espèce de pierre, de cristal, de mé-
tal emprunté sa qualité de la terire dans laquelle elle
se développe, et que d^là résultent les variétés les
plus frappantes, il nous § été impossible d'acquérir
sur ces royaumes de Plutondes notions aussi précises
de leurs principes et de leur classification, en un
mot , dés vi^^ géographiques aussi générales que
celles que nous avons sur les beaux domaÎBes de
CHAPltRE II. 75
Flore» La philosophie ^ de la botapique, qui classe
les plantes suivant réléyation et la qualité du sol,
de lair, de Teau et de la température, e^t un mo-
dèle frappant po;ur une méthode semblable . dans
la classification des .animaux et des hommes.
Toutes les plantes naissent sauvages dans telle
ou telle partie du monde; celles que nous culti-
vons avec art, sortent librement des mains de la
nature et arrivent à une perfection beaucoup plus
grande dans leurs propres climats. U en est dé
même de Thomme et des animaux,, car chaque
race d'hommes est organisée dans sa propre ré-
gion suivant le mode qui lui est le plus naturel.
Chaque sol, chaque espèce de montagnes, chaque
région correspondante de latmosphère, aussi bien
que tel degré de chaleur ou de froid , produisent et
nourrissent des plantes qui leur sont propres. Les
mêmes, ou du moins de semblables végétaux, se re-
trouvent, malgré la distance, surles Alpes, les Pyré-
nées et les rochers de Laponie. L'Amérique septen-
■ ■ . ■ Il ■ i{ .11 ■ , I I I I r II I .1 I I ■
I. La philosophie hotânique de Linnée est pour plusieurs
sciences un modèle classique. Une philosophie anthropolo-
gique, écrite avec la même conscience et la même exactitude.,
serait pour nous un oadre précieux dans lequel viendraient
ce placer toutes, les observations futures. Dans son Histoire
naturelle de la France méridionale, part. II, tom. I.*", Pabbé
SoalaTÎe a donné un essai 'de géographie physique générale
da règne végétal, et a promis de Tétendre aux animaux et à
rhomme.
74 UYRE II,
trionak et les immenses plateaux de la Tartane pro-
duisent les mêmes rejetons. A la vérité /dans ceslieuî
élevés, où les plantes sont fortement agitées par ie
vent, et où l'été est de courte durée, elles n'ont
qu'une petite stature, mais un nombre prodigieux
de graines. Quand elles sont transportées dans nos
jardins, elles s'élèvent davantage et poussent de
plus larges feuilles , tandis qu'elles portent moins
de fruits: Chacun aperçoit ici une ressemblance
frappante avec ce qui arrive dans les animaux et
les hommes. Toutes les plantes aimeint l'air libre;
dans les sierres chaudes elles cherchent la ré^on de
la lumière, même quand elles èont obligées, pour
la trouver, de se glisser à travers une crevasse. Dans
une chaleur renfern^ée, elles s'alongent* et s'éten-
dent davantage, mais plus pâles, moins fécondes; si
elles sont soudainement exposées au soleil, leurs
feuilles se fïlétrissent Une éducation fatisse et effé-
minée ne produit-elle pas des effets semblables sur
l'homme et sur les aniiDaux? La différence de pays
et de température (ait naître des variétés dans les
plantes aussi bien que dans les animaux et dans
l'homme; et ce qu'elles gagnent en beauté par le
développement de leurs feiâlles et le nombre de
leurs fleurs, elles le perdent en fécondité. En est-il
autrement de l'homme du des animaux, si nous
considérons la force plus puissante de. leur nature
multiple? Des plantes qui dans des pays ehauds
CHAPITRE If. 75
atteignent la hauteur des . arbres , deviennent des
nains rabougris dans les pays froids. Telle plante
e^t faite' pour la mer , telle autre pour les marais ^
une troisième pour les rivières et' les lacs ; l'une
aime la neige 9 Tautre les pluies qui inondent la
zone torride; et tout cela est indiqué par leur
forme et leur figure. Ne devons -nous pas nous
attendre par là à de semblables vaiiétés dans la
structure organique de Thomme, en tant du moins
qu'il est une plante?
U est surtout intéressant d'observer par quds
moyens singuliers les plantes se conforment elles-
mêmes à là saison de Tannée, et même à rheuré
du jour y et s'accoutument par degrés à un climat
étranger^ Près du pôle, elles sont plus lentes à
croître, et fleurissent d'autant plus promptement
que l'été arrive plus tard et agit avec plus de puis*
sance : transportées en Europe , les plantes qui
croissent dans dès contrées méridionales fleurissent
plus tard la première année, parce qu'elles ont
besoin du soleil de leur propre climat^ les étés
suivans, elles arrivait plus promptement à leur
maturité, à inesUre qu'elles sont plus hatbituées À
leur nouvelle position. Dans la chaleur artificielle
d'une serre, chacune obéit à sa saison natale, même
quand elle est depuis cinquante ans en Europe.
Les plantes du Cap fleurissent en hiver , parce que
c'est alors l'été dans leur contrée natale» La n^er»
76 . LIVRE . II; '
TcMle du- Pérou s'épanouit pendant la nnit, proba-
blement, observe linnée, parce qu'il est alors jour*
en* Amérique, d'où elle tire son origine. Ain^,
cbacune tient au temps et même à l'heure auxquels
elle avait coutume de s'ouvrir et de se fermer. « Ces
circonstances, ^it le philosophe botaniste \, parais^
sent indiquer qu'il faut pour leur développement
quelque chose de plus que la chaleur e^ que l'eau; ^*
et apparemment, dans les variétés organiques cle
l'homme , et dans la puissance de se nslturaliser
au milieu dé climats étrangers , il faut considérer,
surtout quaûd il s'agit d'un autre hémisphère-,
quelque chose de plu«, quelque chose autre que la
chaleur et que le froid.
Enfin,, si nous voulions y entrer, quel champ
d'observations nous est ouvert- dans Tassociation
des plantes avec l'homme ! Dé jà^ a été faite celte
intéressante découverte que les^plantesnae peuvent,
pas plus que nous , vivre dans l'air* pur; mais que
l'air qu'elles absorbent, est précisément cette. partie
pfalogistique qui détruit la vie et provoque la pu-
tréfaction dans toutes les substances animales. On
a reconnu, qu'elles remplissent l'utile mission' de
purifier l'air, iion.pas par le -secours de la chaleur,
^ ■ ■ I ■ ■■■•.... ■ ■ . i j —
1. Voyes les Transactions d^ PAcadémie suédoise , toL ii
pag. 6.
à, Ingenhousz''s F^etsuche mit den Pflanzen (Expériences sar
les plantes*^) ^'Lei^psiè, inSo/pàg. 49*
CHAPITRE 11/ 77
mais par celui de la lumière; car les froids rayons
de la. lune suffisent à- accomplir ce dessein. Heureux
en&ns de la terre I ce qui nous détruit ^ ce que
nous exhalons infecté, vous le respirez^ et c'est par
le milieu Je plus délicat que cet air doit se combi-
ner à vous, et que vous devez nous le rendre, pu-
rifié par vos soins. Vous conservez la santé de ces
créatafes qui vous détruisent, et il n'est pas jusqu'à
votre mort qui ne soit un bienfait; car vous amé-
Jiorez la terre,"^ et vous la fertilisez. pour de nouveaux
êtres de votre propre espèce.
Quand les plantes ne serviraient qu'à cela seul,
leur silencieuse existence serait encore uii bel en-
chaînement pour arriver aux animaux et à Thomme;
rn^is puisqu'elles sont en même temps la nourriture
la plus abondante de la création animale, et qu'il
est d'wne extrême importance dans l'histoire des
modes de vie de l'humanité, d'observer quels sont
les plante^ et les animaux que chaque peuple a trou^
vés dans son pSys-natal pour -se* nourrir, sous com-
bien d'aspects nouveaux ne se présentent -elles pas
à nous, dans l'étude des règnes de la nature!
Les animaux les plus paisibles et, si nous pou-
vons hasarder l'expression, les plus humains, se
nourrissent de végétaux. Les nations qui emploient
principalement le même genre d'alimens, se sont
&it remarquer comme eux par un calme et utie
séréniié inaltérahles. Tous les carnassiers sont natu-
7^ LIVRE II.
rellement plus sauvais* L'hottihiey placé entre deux,
ne peut être un animal carnassier, à en juger par
la confonnaûon de ses dents. U est des nations
qui ne vivent que de lait et de végétaux. Dans les
premiers temps elles étaient plus nombreuses; et
quelle richesse la nature leur offrait dans les pulpes,
dans les sucs, dans les fruits, dans les écorCes et
les rejetons de là création végétale , quand souvent
un seul arbre pouvait fournir à la nourriture de
toute une famille! Chaque contrée «st admirable-
ment disposée de manière à se suffire à elle-même,
tant pour les chosea qu'elle produit , que pour
ceUes qu'elle attire à elle ou qu'elle repousse de
son seiii. Ainsi, pendant que les plantes se nour-
rissent de la^ partie phlogistique de l'atmosphère,
et jusqu'à un certain point des vapeurs qui nous
sont les plus pei^nicieuses , leurs antidotes sont
appropriés aux circonstances de chaque pays, et
partout elles préparent pour les corps animaux,
toujours enclins à la corruptio», les remèdes qui
convienneni aux maladies de la contrée. C'est donc
à tort que l'homme accuse la nature d'avoir prO'
duit des fiantes nuisibles ; car c'est par elles que se
font les sécrétions des poisons, de sorte qu'elles
conti^ibuent beaucoup à la salubrité du pays, en
mênie temps qu'eUes sont dans ses mains, aussi
bien que dans celles de la nature, les^ remèdes les
plus ^caces. Rarement l'homme a-t-il détruis
CHAPITRE II. . 79
dans une contrée quelque espèce de plantes ou
d'animaux, sans s'être aperçu bientôt de quelques
résultats désavantageux au lieu qu'il habite : et la
nature n'a-t-elle pas fourni à chaque aniâial < aussi
bien qu'à l'homme , des sens et de$ organes suffi*
sans pour découvrir les .plantes qui lui sont
utiles ) et repousser celles qui lui sont perni-
cieuses?
Quelle intéressante carrière ne foumirait*pn pas
au milieu des arbres et des plantes , si l'on pour-
suivait, à travers les diverses régions de la t^re,
ces grandes lois naturelles dans leurs rapports avec
le règne animal et l'humanité! Nous devons nous
contenter d*àUer ainsi cueillir au hasard quelqueis
fleurs dans ce champ immense, et de recommander
à quelqu'un qui soit spécialement instruit dans cette
science ^ le désir que nous avons de posséder une
géographie universelle de botanique pour F histoire
de Phomme.
CHAPITRE ill.
Du règne animal dans ses rapports ai^eç
rhistoire de Thomme.
Les animaux sopt les frères aînés de l'honmie;
ils étaoeni} avant qu'il ne fik. Étranger sur la terre,
rhomme tjrouva à son arriérée chaque contrée déjà
occupée, au' moins dans quelques-uns dé ses élé-
80 LIVRE n.
ihens; car, si yoùs exceptez les végétaux, de quoi
le nouveau -venu aurait -il pu se nourrir? Ainsi
toute histoire de rhomme qui le considère sans
cetti^ relation, est nécessairement partielle et incom-
plète. Le monde, il est vrai, (ut donné à l'homme;
mais non pas à lui seul , non pas à lui pour la pre-
mière fois. U n'est pas d'élément où les animaux ne
lui disputent le pouvoir suprême. U faut qu'il ap-
privoise telle espèce, qu'il lutte long-temps contre
telle autre; quelques-unes échappent à son empire,
d'autres engagent aVec lui une guerre étemelle; en
un mot, toutes les espèces étendent leur <loniaine
sur la terre à proportion de leur capacité, de leur
adresse, de leur force 6u de leur courage,
U' ne s'agit pas ici de savoir si l'homme a la
raison en partagé, et si elle est refusée aux animaux.
Dans TTC dernier cas, ils ont quelque autre avantage;
^ car assurément la nature n'a laissé sans protection
aucune de ses créatures; si une seule était négligée
d'elle, de qui pourrait-elle être secourue, puisque
toute la création n'est qu'une guerre, et que les
pouvoirs les plus contraires se touchent et se limi-
tent Fun l'autre? Ici l'homme, ce demi -dieu, est
.tourmenté par les serpens, là par des insectes; ici
tm requin le dévore, là un tigre : c'est une lutte
généralje entre des êtres qui se font obstacle l'un
à l'autre; chacun pourvoit à sa propre subsistance
et défend sa propre vie.
CHAPITRE III. 8l
Pourquoi la nature en agit-elle ainsi? et pourquoi
limite- 1- elle .ses créatures l'une par laulre? Cest
afin de produire dans le moindre espace le plus
grand nombre et la plus grande variété possible
d'êtres vivans, de sorte que Tun balance l'autre,
et que l'équilibre des pouvoirs établisse la paix
dans la création. Chaque espèce prend soin d'elle
seule, comme si elle était seule à FeiListence. Mais
à côté d'elle une autre s'élève, qui la confine entre
deux limites : et par cet équilibré de pouvoirs op-
posés, la nature créatrice a trouvé le vrai moyen
de maintenir le tout; elle a pesé les pouypirs, elle
a compté les membres, elle a déterminé les instincts
des espèces et. leurs penchans mutuels, et a laissé
la terre produire ce qu'elle était capable de pro-
duire.
Je ne m'inquiète donc point de savoir si des
espèces entières d'animaux ont disparu d^ dessus la
surface de la terre. Les nains ont-ils disparu? Il en
a été de même des.géans; pendant quils existaient,
les rapports des créatures entré elles étaient difierens.
Dans les choses, telles qu'elles sont maintenant, nous
apercevons un équilibre évident, non-seulement sur
la surface du globe en général, mais dans des contrées
et des régions déterminées. L'agriculture peut aisé^
ment enfermer les animaux dans des limites plus
étroites; mais il ne lui est pas facile de les exter-
miner, au moins n'a- 1- elle pu le faire dans une
I. 6
8a tivKE II.
grande éteâdue de pays, et elle a mùljtipliè .le nom-
bre des animaux domestiques à la place des ani-
maux sauvages, qu'elle a rendus plus rares. Ainsi,
dans la constitution présente de notre terre, aucune
espèce n'a été perdue, quoique je ne mette pas en
doute que d'autres aient pu exister quand sa cons-
titution était différente; et si |i quelque époque
future ) l'art ou la nature devaient la changer com-
plètement, il s'établirait entre les créatures vivantes
un rapport différent.
En un mot, Thonime est entré dans un monde
habité; tous les élémens, les rivières et les marais,
la terre et l'air, étaient remplis où se remplissaient
de créatures vivantes ; aidé de ses qualités presque
divines, de son habileté et de sa puissance, il fallut
qu'il fît luî-mtoie la conquête de son empire. Com-
ment y parvini-il? c'est là ce qui constitue Thistoire
de la civilisation, partie la plus intéressante de
l'histoire dé Thomme, et qui embrasse jusiju'aux
nations les plus grossières. Je dois remarquer ici,
une fois pour toutes, que l'homme reçut unique-
mei^t des animaux cette première instruction qui
lui fit étendre ^ar degrés son domaine sur tous;
ce furent les étincelles vivantes de rinielligencc
divine ^ , dont l'homme condensa en lui les rayons
— ■'.' ' ■, . I . ... - ... .. ■ ■ . . __. — ^
1. Il faut se garder de confondre cette manifestation uni-
TerseUe de la peasée divine avec, cette éducation spéciale que
Tâuteur reclame plus loin. Cest ici une de ce^ propositions
CHAPITRE III. 85
dans une sphère plus ou moins grande^ pour les
réfléchir dans ses arts , ses instincts , ses moyens
de se nourrir et de se vêtir, son industrie et ses
coutumes; plus il mit en cela de persévérance et
d'adresse 7 plus les animaux qui lentouraient étaient
industrieux, plus il se familiarisa avec eux, plus il
vécut avec eux, soit en paix soit en guerre, plus
aussi il se perfectionna, de telle sorte que l'histoire
de sa culture est en grande partie zoolqgique et
géographique.
Secondement^ quelles que soient sur. notre terre
les variétésf du spj et du climat, des pierres -et des
plantes, combien les Variétés des êtres animés sont
plus nombreuses ! Ne les confinons pas toutefois
à la terre; car, dans l'air, dans l'eau, même dans
«
les parties internes des plantes et des animaux, p^r-^
tout fourmille la vie. Multitudes innombrables, pour
qui le monde a été créé aussi bien que pour l'homme I
Surface mouvante de la terre , sur laquelle., aussi
loin que s'étendent les rayons du soleil, s'étendent
la jouissance, la vie et l'activité !
Je ne veux point idi entrer dans cette proposition
générale, que chaque animal a son élément, son
climat et son lieu propre; que quelques espèces sont
peu répandues , d'autres davantage , et quelques-unes
'■---■■
indécise» par lesquelles il se prépare à tèmber du général dans
le particulier , sans qn^aùcune secousse ayertisse dé la chute.
{Note du traducteur.)
84 LIVRE II.
presque autant que rhomme lui-même; car nous
avons sur ce sujet un ouvrage profond, écrit avec
un génie vraiment philosophique , par Zimmer-
mann, sur Thistoire géographique de Thomme et
'sur les quadrupèdes universellement répandus K II
me suJBSra d'indiquer ici quelques observations, par-
ticulières, que nous trouverons confirmées par Tbis-
toire de l'homme.
1 . Les espèces qui habitent à proprement parler
toutes les parties du globe, reçoivent, des formes
différentes dans presque chaque climat. En Lapo-
nie, le chien est petit et laid; en Sibérie, il est
mieux formé, il a les oreilles droites et une taille
médiocre. Dans les pays, dit Buffon, où nous trou-
vons les plus belles races d'hommes, nous voyons
aussi les chiens les plus beaux et les plus. grands;
dans les cercles arctique et antarctique le chien perd
sa voix , et dans Tétat sauvage il ressemble au
chacal. Â Madagascar, le bœuf a sur le dos une
bosse du poids de cinquante livres, qui disparait
peu à peu à mesure que Ton s'éloigne de ce climat;
d'ailleurs, cet animal diffère beaucoup de couleur,
de grandeur, de force et de courage dans presque
tous les lieux de la terre. Le mouton d'Europe
traîne, au cap de Bonne-Espérance, une queue de
1 . Geagrapkische Ge^ckichte des Mens'chen und der aUgemein
verbr€iUten vierfussigén Thiere^ Leipsic, i 778- 1733; en Uois
volumes, ayec une belle mappemonde zoologique.
ÇHAPIXRE III. 85
dix-neuf livres pesant ; en Irlande , ses cornes vont
jusqu'à cinq; dans le comté d'Oxford, en Angle-
teire , il a la taille d'un âne; et en Turquie, la
laine est tachetée comme la peau du tigre. Ainsi
varient tous les animaux; comment donc rhomme,
qui est: aussi , par la structure de ses nerfs et de ses
muscles, un animal, ne changerait- il pas avec le
climat! D'après l'analogie de la nature ce serait un
miracle s'il demeurait invariable.
2. Tous les animaux domestiques que nous avons,
ont commencé par être sauvages : bien plus, on
trouve encore les races sauvages dont ils descen-
dent, surtout dans les montagnes de l'Asie^ qui
fiirent probablement le pays ns^tal de l'homme, au
moins dans notre hémisphère, et le berceau de la
civilisation. Plus on ^'éloigné de cette contrée^ par-
ticuhèrement dans les lieux où les communications
avec elle sont difficiles , plus, le nombre des espèces
d'animaux domestiques va en dîmiiiuant, jusqu'à ce
qu'à la fin le chien, le cochon et le chat soient les
seuls animaux de ce genre que possèdent la Nou-
velle - Guinée , la Nouvelle - Zélande et les îles de
l'Océan pacifique.
5. L'Amérique a un grand nombre d'animaux qui
lui sont propres; parfaitement appropriés à son
climat, ils sont tels qu'ils doivent naturellement être
produits sur ses hauteurs immenses et dans ses val-
lées long-temps inondées. P.eur ou point de grands
86 LIVRE II.
animaux, et 'moins encore qui soient apprivoisés
ou capables de l'être : mais elle a porportionnelle*
ment plus d'espèces de chauve -souris ^ de tatous,
de rats et de souris; le unau, le ai, une foule din-
sectes, d amphibies, de crapauds, de lézards, etc.
On peut concevoir quelles conséquences ont du
résulter de la pour l'histoire de Thommé.
4. Dans lès contrées où les pouvoirs de la nature
sont plus actifs, où la chaleur du soleil se com-
bine avec des vents réguliers, de grandes inonda-
tions, de violentes explosions du fluide électrique,
et, en un mot, avec tout ce qui dans la nature
produit la vie et reçoit la dénomination de vivi-
fiant, nous trouvons les animaux les plus forts,
les plus grands, les plus hardis, les plus parfaits,
aussi bien que les plantes les plus aromati<}ues.
L'Afrique a ses troupeaux d'éléphans, de zèbres,
de daims , dé sangliers et de buffles; cVst là que le
lion, le tigre, le crocodile, l'hippopotame parais-
sent dans toute leur force ; c'est là que les plus
grands / arbres du mpnde s'élèvent dans les airs,
chargés des fruits les plus nourrissans ^et les plus
savoureux. Tout le monde sait que l'Asie possède
une quantité prodigieuse de plantes et d'animaux,
et qu'ils sont plus non^reux là où les pouvoirs
électriques du soleil, de l'air et de la terre sont
en plus grande abondance. Au contraire, là où ces
agens sont plus faibles et plus irréguliers, repoussés
^
CHAPCmE iii. 87
et confinés dans les eaux , dans des sels dissolvans
ou d^s des bois htmiides, là ne se développent
point ces créatures qui ont besoin pour se former
du jeu libre de l'électricité, Ck>mbinée avec Thunii-
dite , une chaleur lourde produit des essaims d'in-
sectes et d'amphibies; mais non' pas les formes
admirables de l'ancien monde, qui sont animées
de la chaleur d'un feu vivifiant La force muscu-
laire du lion, l'osil perçant et l'élasticité du tigre,
l'adroite sagacité dé l'éléphant, la souplesse de
la g^selle, la mécdianceté insidieuse du sanglier
d'Afirique et d'Asie, ne se retrouvent dans aucun
des animaux du nouveau continent. Parmi ceux^
ci l'un semble s'être dégagé avec difficulté d'une
glaire échauffée ; l'autre n'a point de dents ; cdui-
ci n'a ni pattes, ni griffes; celui-là n'a point de
queue, et la plupart manquent de force, de cou-
rage et d'adresse. Ceux qui habitent les montagnes
sont plus intelligens, mais ils n'égalent pas les
animaux de l'ancien monde; et dans la conforma-
tion cpriace et écailleuse du plus grand nombre,
on aperçoit que l'élément électrique leur manque
essentiellement.
5. Enfin, il est probable qu'en ce qui concerne
les animaux, il y a encore de plus grandes singu-
larités à observer quç celles que nous avons remar-
quées dans les .plantes , en parlaDit des qualités
qu'elles empruntent et de la lenteur qu'elles mettent
88 UVRE IL
à se (àmîliariser avec un climat étranger ou antipode.
L'ours d^inérique, décrit par linnée^, observait
niellée en Suède le jour et la nuit d'Amérique. Il
dormait depuis minuit jusqu'à midi:, et depuis midi
jusqua minuit il errait, comme si c'eût été son
jour d'Amériqiie: il conservait ainsi avec ses autres
instincts, les divisions du temps, telles qu'il les
avait apprises dans sa patrie. Cette; remarque ne
s'applique-t-elle pas à d'autres contrées de la terre
et aux deux hémisphères^ oriental et méridional? et
si cette variété d'effets a lieu parïni les animaux,
l'homme , malgré son caractère particulier, devra-t-il
en être exempt?
s ^ CHAPITRE IV.
L'homme est une créçture centrale au
milieu des animaux terrestres.
1. Quand Linnée coinptait deux cent trente
espèces d'animaux vivipares, parmi lesquels il com-
prenait ceux qui sont aquatiques, il distinguait neuf
cent quarante - six espèces, d'oiseaux , deux cent
quatre-vingt-douze d'amphibies, quatre cent quatre
de poissons, trois mille soixante d'insectes et douze
cent cinq de vers. Les mammifères étaient donc en
plus petit nombre, et les amphibies qui leur res-
1. 'Transactions de rAcadémie suédoise, toL IX; p. 3oo. ,
CHAPITRE IV. 89
semblent le plus, venaient immédiatement après.
Dans Tair, dans l'eau, dans les marais, et dans les
déserts sablonneux, les genres et les espèces aug-
mentent, et je suis persuadé qu'à mesure que nous
étendrons nos découvertes, nous les verrons s'aug-
menter dans une égale proportion; car, après I9
mort de liinnée, les animaux vivipares furent portés
au nombre de quatre cent cinquante. Buffon compta
deux mille oiseaux, et Forster découvrit à lui seul,
pendant un court séjour dans quelqi|es-unes des
lies de la mer du .Sud, cent neuf e$pèces nouvelles,
sans rencontrer une seule espèce nouvelle de qua-
drupèdes. Si la même proportion subsiste, et que
dans les temps à venir on décQuvre plus d'insectes,
d'oiseaux et de repdles, que d'espèces entièrem^it
nouvelles de quadrupèdes, bien \ qu'il y en ait .sans
doute plusieurs dans les contrées ^encore, inconnues
de l'Afrique, nous. pouvons, selon toute proba-
bilité, établir comme un fait: que les classes desj
créatures s^ étendent à mesure qu^ elles diffèrent plus
de Vhomrne; que^ plus elles se rapprQchefd de lui^
plus, le nombre des espèces (f animaux les plus par*
faits j comme on a coutume de les appeler y va en
diminuant.
2. Maintenant il est incontestable que , dans
toute la création animée , On voit dominer parmi
tant, d'êtres différens une ceruinè uniformité d'or-
^uûsation, et pour ainsi dire un type exemplaire ^
90 LIVRE II.
qui se modifie au sein de la plus abondante variété.
On voit au preinier coup c^'œil comlûen il y a de
ressemblance dans la structure creuse de tous/ les
animaux terrestres. Les parties principales dans tous
sont : la tète^ le xsorps, les mains et les pieds, et
même leurs membres principaux sont configurés
d après un seul prototype, diversifié à Tinfini. La
/structure înteime des animaux rend cette proposi*
tion encore plus évidente , et plusieurs formés gros-
sières à rextérieur ressemblent beaucoup à celles
^e l'homme dans leurs parties internes. L'amphibie
s^ëloigne davantage de ce modèle , moins pourtant
que les oiseaux, les poissons, les insectes et les
animaux aquatiques, qui vont à la fin se perdre
dans le inonde végétal ou fossile. Nos yeux ne
peuvent pas pénétrer plus avant ; mais ces transi-
tions n'empêchent pas de conjecturer que dans les
productions marines, dans les plantes et dans les
objets inanimés, comme on les appelle, il ne se
trouve un seul et même type d'organisation, quoique
infiniment plus grossier et plus confus. A l'œil de
l'Être âtemel, qui voit ^toutes choses dans un seul
tout indivisible, peuirétre que la forme d'une par-
celle de glace, telle qu'elle est engendrée, et que
le fldcon de neige qui se développe par elle, ont
quelque analogie avec l'embryon dans le sein qui
le nourrit» Nous pouvons donc encore admettre
cette grande proposition : plus les créatures se rap-
CHAPITRE ly. gv
prochent dé P homme ^ plus elles ont de ressem,-
hlance avec lui dan^ leur forme générale ; et la
nature j dans la variété infinie gabelle aime^ semble
a^oir construit toutes les créatures vivantes sur
notre terre diaprés un seul et même type d^orgcfr
nisation,
<
5. Ainsi il eH évident que, comme ce type doit
varier nécessairement avec la race, l'espèce , la dea*^
dnaUoa et les élémens, une copie est expliquée par
une autre copie. Ce que la nature a donné à un
animal comme accessoire, eUe l'a fait fondamental
dans un autre ,. soit qu'elle le produise au jouir,
qu'elle l'agrandisse ou qu'elle j fasse concourir les
autres parties, toujours dans une harmonie parfaite.
Ailleurs y ce sont ces parties dépendantes qui prédo^
minent; ainsi tous les êtres de la création prganique
' apparaissent conmie disjecii membra poelœ. Celui
qui veut les étudier, doit les étudier l'un dans l'au-
tre. Une partie semble^t^elle négligée ou cachée, il
a recours à une autre créature , dans laquelle elle a
été achevée et développée par la nature. Cette vérité
se cQnfirm4S par tous les phénotnènes qui résultent
de l'extrême divergence des êtres. '
4* Pour conclure jy l'homme semble être parmi
les animaux cette, parfaite créature centrale' qui^
sans briser l'individuaUté de sa destinée, réunit
en elle le plus grand nombre possible de rayons
et de fonne& Il ne pouvait pas tout enfermer en
9a LIVRE II.
lui à un même degré : ainsi, tel animal le surpasse
par la finesse d'un sens particulier , tel autre par
là force de ses muscles, un troisième par Félasti-
cité de ses fibres; mais il réunit tout ce qui pou-
vait réellement s'unir en lui. Il a les membres, les
instincts, les sens, les facultés et les industries qui
sont communs à tous les quadrupèdes; ^'il n'en a
pas hérité, il les a acquis, sinon dans leur perfec-
tion , au moins dans leurs élémens. Si nous lui
comparions les animaux qui se tapprochent le plus
de lui, nous pourrions presque nous -hasarder à
dire qu'ils sont- des rayons divergens de son image,
réfractés par un miroir catoptrique; iet ainsi nous
pouvons admettre pour quatrième proposition:
que V homme est une. créature centrale entre les
animaux^ c est- à- dire y fa forme la plus parfaite ^
qui réunit les traits de tous dans V abrégé le plus
complet*
J'espère que la similitude dont je parle entre
l'homme et les animaux , ne ^ra confondue pr
personne avec ce jeu de l'imagination qui a fait dé-
couvrir .des images de jia figure humaine dans les
plantes , dans les pierres , et qui d'après cela a bâti
des. systèmes. Tout homme raisonnable sourit de
ces chimères; caria nature créatrice couvre et cache
là similitude interne de structure sous la différence
des formes externes. Combien d'animaux, quoique
différens de l'homme dans leur conformaûon exté-
CHAPITRE IV. 95
rieure, sont intérieurement ^ dans la structure du
squelette, dans les. parties principales de la sensa-
tion et de la vitalité, et même dans les fonctions
vitales, entièrement semblables à lui! C'est ce qui
sera évident pour celui qui aura étudié les dissec-
tions de Daubenton, de Pallas, de Perrault et d au-
tres académiciens; car Tenfànce et la première jeu-
nesse peuvent seules se contenter^ dans l'histoire
naturelle, de quelques distinctions de formes exté-
rieures, pour aider Fœil et la mémoire : riiomiùe
et le philosophe observent à la fois la structure
externe et interne de Tanimal, pour les comparer
avec sou mode de vie, et découvrir son caractère
et le degré qu'il oçcujpe dans l'échelle 5 c'est ce que
l'on a appelé, par rapport aux plantes, la méthode
naturelle: l'anatomie comparée est le guide qui doit
noQS y conduire pas à pas dans l'étude des animaux.
L'homme trouve ainsi naturellement un fil pour se
diriger à travers le grand labyrinthe de la création
vivante; et si nous pouvons dire de quelque mé-
thode que notre intelligence peut par son secours
se hasarder à Scruter l'ame profonde et immense de
Dieu, assurément q'est de celle-là. A chaque dévia-
tion de la loi, que le suprême artisan nouis présente
comme la règle de Polyclète^ , nous sommés rame-
nés à une cause : Pourquoi a-l-il dévié ici? dans
K _ ■__^
1. Pline. , -
94 LIVRE IT.
quel but a-t-il fonné d'autres êtres avec une mé*
thode différente? Ainsi la terre, l'air et Teau, et
nïêfne les abîmes les plus profonds de la création
animée, sont pour nous autant d^expressions de ses
pensées et de ses inventions , conformément à un
type suprême d^art et de sagesse.
Quel grand spectacle ce point de vue ne nous
présente- 1- il pas dans l'histoire des êtres, tant de
ceux qui nous ressemblent, que de ceux qui sont
différens de nous ! Il divise les règnes de la nature,
il classe les êtres d'après leurs élémens, et il les
unit l'un à' l'autre. Dans une perspective éloignée
on peut apercevoir le rayon prolongé à l'infini,
tendre à un seul et même centre. Dans lair et au
fond des eaux^ sur les hauteurs et dans les abîmes,
je vois lés animaux s'avancer vers l'homnîe, comme
ils s'avançaient vers le premier père de notre race,
et s'approcher pas à pas de sa forme. L'oiseau fuit
dans les airs : on peut expliquer par l'élément où il
vit, toutes ses déviations de la conformation du
quadrupède \ et aussitôt qu'il se rapproche de la
terre dans un genre hideux et équivoque, comme
dans la chauve-souris et le vampire, il ressemble au
squelette de Thomme. Le poisson nage au milieu
des flots : ses pieds et ses mains sont des queues et
des nageoires ; ses membres n'ont que peu d articu*^
lations. Si, comme il arrive dans le lamantin, il
rase la terre, ses pieds de devant sont libres et la
CtlÂPITRE It. gS
femelle a des mamelles. L'ours et le lion de mer ont
les quatre pieds bien distincts; quoiqu'ils ne puis-
sent pas se servir séparément de ceux de derrière,
et que leurs orteils traînent après eux comme des
portions de nageoires, ils se glissent pourtant aussi
promptement que possible pour se réchauffer aux
rayons du soleil, et ils s'élèvent au moins d'un degré
au-dessus de l'ihforme et s,tupide chien de mer.
Ainsi, depuis la glaire du ver, depuis l'asile calcaire
du mollusque testacé, depuis la toile de l'insecte^
s'élèvp graduellement une organisation plus com-
plète. De l'amphibie nous montons au quadrupède;
et parmi ceux-ci, depuis le unau dégoûtant avec
ses trois doigts et ses deux mamelles pectorales,
on aperçoit déjà l'analogie la plus frappante avec
notre forme propre. Alors la nature se joue de son
œuvre, et avant d'arriver à l'homme, elle essaie ses
pouvoirs sur une immense variété d'ébauches et
d'organisations : elle divise les modes de vie et les
instincts, et forme des espèces ennemies les unes
des autres; mais toutes ces contradictions apparentes
conduisent à la même fin. Ains^ il est anatomique-
ment et physiologiquement vrai, que toutes les in-
ductions nous ramènent à un seul et même mode
d'organisation, qui comprend sous sa dépendance
le système entier de la création vivante. Seulement,
plus l'animal s'éloigne de l'homme, plus la diffé-
rence entre l'élément vital de l'un et de l'autre
gÔ l-IVRE II. CHAP. IV.
augmente; c'est dans la même proportion que k
nature, toujours conforme à elle-même, dévie de
son type général d'organisation : plus les êtres se
rapprochent des formes humaines, plus elle resserre
étroitement les classes et les rayons , jusqu^à ce
qu'elle finisse par enfermer toutes les combinaisons
possibles dans le centre divin de la création ter-
restre. Réjouis-loi de ton état, ô homme! et étudie-
toi , noble créature centrale , dans tout ce qui vit
autour de toi!
%
LITRE m. CHAPITRE' I. 97
LIVRE IIL
CHAPITRE PREMIER.
De la structure des plantes et de celle des
animaua:^ considérées dans leurs rap^
forts ai^ec torganisation de rhomme. '
La première chose qui distingue un animal à nos
yeui, c'est la bouche; or, la plante, si je peux
in'exprimer ainsi, n'est que bouche. Elle suce par
ses racines, par ses feuilles et par ses pores : comme
^ enfant qui vient de naître, elle repose sur le sein
et sur les genoux de sa mère. Aussitôt que la créa-
ture a atteint l'organisation animale, on peut aper*
ce?oir en elle une bouche, même ayant de distin-
guer une tète. Les bras du polype sont des espèces
^e bouchés : dans les vers , où il n'y a que peu de
parue» distinctes , on peut voir un canal de nutri-
Uon; et dans la plupart des animaux à coquilles,
ce canal, à son ouverture inférieure, est situé
comme si c'était une racine de la créature. Ainsi la
nature forme d'abord ce canal dans les êtres ani-
^^s, et elle le conserve dans ceux qui ont l'orga-
msaiion là jJus parfaitei A l'état de larve, les in-
sectes ne sont qu'un composé de bouches, d'esto-
1. 7
98 WVRE III.
macs et d'îptestitis ; c'est ce qui a lieu aussi dans
les amphibies et les poissons, dans les oiseaux et
les animaux terrestres, du moins à la partie hori-
zontale de leurs corps. Toutefois , à mesure que
Ton s'élève, les parties se compl^uent; rouverture
diminue, l'estOjCDac et. les intestins occupent une
région plus profonde; enfin, dans la station droite
de l'homme ^ la bouché , ' qui est à l'extérieur la
partie tou j ours la plus proéminente de la tête de
l'animal, se retire sous la protubérance du front.
Les parties les plus nobleis rempUssent la poitrine,
et les organes de la nutrition s'établissent dans les
régions les plus basses: la créature souveraine n'est
pas ' feite pour être l'esclave de son ventre , qui
tiéiit une si grande place dans l'économie des ani-
maux, soit que l'on considère les fonctions vitales,
soit que l'on n'ait égard qu'à la configuration
externe.
Ainsi, la première loi à laqu^le obéit l'instinct
«f une créature vivante , c'est la nutrition : elle est
commune aux animaux et aux plantes; oar, les
parties de leur être qui recueillent et élaborent la
nourriture , préparent des sucs et ressemblent par
leur structure aux appareils de la végétation. Toute
la différence est dans l'organisation, qui est plus
ou moins limitée, selon la place qu'elle occupe
dans Téchelle de la création. Jrtus délicate, elle
concourt, à l'aide de l'épuration 9 de la combinai-
GBÀPITH1& I. 99
son et de Féiaboraûon des sacs vitaux, à former
une rosée plus pure, pour humecter des parties
plus nobles. Homme superbe, jette tes regards sur
les premier» besoins des créatures qui te suivent ;
tu les portas aiusi en toi , cft , comme tes- frères
inférieurs ) tu commences par être un canal de
nutrition.
Toutefois la nature nous a élevés infiniment au*
dessus d'euï : les dents qui, dans les insectes et dans
d autres animaux , doivent tenir lieu de mains pour
saisir et déchirer leurs proies; les mâchoires qui
ont une force étonnante dans les poissons et dans
les carnassiers , sont heureusement repousses en
arrière dans l'hémme^ et eUes n'ont qu'une force
médiocre ^. Les- estomacs ^multiples des créatures
inférieures se réunissent .en un seul, daiis.son or-
ganisation, et dans celle de quelques autres ani^
maux qui approèhent intérieurement de sa forme;
et ce qui achève de consacrer sa bouche, c'est le
langage , ce don précieux de la divinités Les vers ,
les insectes, tes poissons et la plupart des amphi-
bies sont entièrement muets. L'oiseau ne chante que
du gosiei* : chaque animal n'a qu'un petit nombre
de sons particuliers, qui suiSSsent à la conservation
de l'espèce; Fhomme seul possède réellement l'or-
■ ' -^ . ■ • '
V
I. Pour la force de ces parties, Toyez le^ Élémens physiolo-
gi<iue8 de Haller, \ol. VI, pag. i4 et i5.
lOO' uvRE nu
I
gane de la parole ^ combiné avec ceux dû gdiit et
de la nutrition : de sorte (]ue le plus noble de tous
est uni en lui aux marques extérieures des besoins
les plus bas. Ce qvà prépare la nourriture du corps,
^t aussi ce qui prépare par la ^role l'aliment de
là pensée.
La seconde- mission 4e la créature est la propa-
gation dé t espèce. Celte destinée -se montre éyidem-
meht jusque dans la structure des plantes : à quoi
servent les racines, la tige, la feuille et les branches?
Quelle est la partie qui a été placée dans le lieu le
plus élevé et le plus sûr? c'est la fleur, la couronne
de la plante. Nous avons déjà vu que là sont les
organes de la génération; c'est donc là la partie
principale et la plus belle de la créature; là que se
développent la vie, les fonctions, le plaisir; et jus-
qu'à cet unique ébranlement qui est en apparence
volontaire, et. que nous appelons le somm^ des
plantes : celles dont les graines trouvent xin abri
sufiisant au fond de leurs capsules , ne s'endorment
pas ; après la fructification la plante ne dOrt plus.
Elle ne se ferme donc avec un aoin maternel que
pour protéger contre les. rigueurs de Thiver les
parties intérieures de. la fleur. Ainsi, tout en elle
est calculé , aussi bien que la fécondation et la pro-
pagatioQ^ que pour la croissance et la nutrition:
quant k un autre résultat d'action, ellesn'en était
pas susceptible. - .
. CHAPITRE I. lOX»
11 n'ai est pas ainsi des animauic : les organes
génitaux ne sont point la partie principale et l'or-
nement de leur être; ils sont plutôt, conformément
à la destination de la créature, subordonnés aux
membres les plus nobles. Ce n'est que dans un petit
nombre des plus basses classes, qu'ils se rappro-
chent de la tête; le cœur et les poumons occupent
la poitrine. La tête est appropriée aux sens les plus
exquis; et en général, dans tout l'organisme la struc-
ture des fibres , avec le système entier de leurs pou-
voirs, est subordonnée à l'élasticité irritable des
onùsdes et à la susceptibilité du système nei'veux.
L'économie vitale des animaux suit évidemment
l'esprit de leur conformation. Un mouvement vo-
lontaire, une activité puissante, des perceptions et
des penchans, voilà ce qui constitue l'œuvre prin-
cipale d'un animal, à proportion que son 04rgam-
sation est plus développée. Dans plusieurs genres,
les appétits sexuels sont limités à une courte pé-
riode 'de temps ; d autres vivent plus indépendans
àe ce penchant que beaucoup d'hommes flétris y
qui s'efforcent de tomber dans^ la condition des
plantes ; aussi n'ont-ils à vrai dire pas d'autres des-
tinées que celles des plantes : les plus nobles incli-
nations, la force musculaire et nerveuse^ la volonté
et Tintelligençe sont affaiblis en eux : ils vivent d'une
vie végétale, et meivent d'une mort végétalcf et
prématurée.
102 LIVRE III. •
Les animaux qui se rapprochent' le plus des
plantes , restent conformes , à la fois dans l'écottomie
de leur structure et dans le but de leur destina-
tion, au principe de formation expliqué ci-dessus;
tels sont les zoophytes et les insectes : par sa struc-
ture, le polype n'est rien autre qu'une tige vivante
et organique de jeunes polypes; la plante du corail
est rhabitation organique des animaux marins qui
lui sont propres. Enfin , dans une classe très-élevée
au-dessus d'eux f l'insecte, en vivant dans un milieu
plus subtil, montre à la fois, par sa vie et sa struc^
ture, combien il approche de la destination des
plantes : sa tète n'a point de cerveau ; trop petite
pour pouvoir contenir les organes des sens, elle
les porte en avant dans des antennes. Sa poitrine
est resserrée; elle manque de poumons, et dans
plusieurs cas, rien en elle ne présentera moindre
analogie avec un cœur; mais aussi, voyez la gros-
seur de soti abdomen avec ses anneaux phytomor-
phiques l c'est la partie principale • de l'aniôialS'
car la nutrition et la multiplication abondante de
l'espèce composent à elles seules presque toute sa
destinée.
Dans les animaux d^un plus noble genre , la na-
ture, ainsi qu'il a été dit, place plus bas les organes
de la génération , comme par un sentiment de pu-
■PB^
1. Cest par là que respirent plusieurs de ces animaux.
GHAPITÏIE I. 1 o5
deur naissante; elle donne à une seule et même
partie les fonctions les plus dissemblables, et réserve
ainsi les capacités de la poitrine pour de plus nobles
parties. De plus, les nerfs qui conduisent à ces par-
0
ties , elles les fait naître des branches inférieures et
très-loin de la tête, afin de les soustraire, pour la
plupart, avec leurs muscles et leurs fibres, à l'em-
pire de rame. Ici le fluide séminal s'élabore à la
manière des sucs végétaux, et le jeune fruit est nourri
comme une plante. Gomme dans une plante , les
pouvoirs de ces organes et de ces instincts com-
mencent à se développer, quand le cœur com-
mence à' battre plus vke,, et la tête à penser plus
solidement. La croissance du cQips humain, selon
ce que Martinet ' a attentivement remarqué, est
moindre dans la partie supérieure que dans la par<^
lie inférieure , comme si l'homme était u;n arbre qui
se déploie par le pied. En un mot, quelque com-
pliquée que soit la structure de nos corps, il est
toutefois évident que les parties qui servent uni-
quement à la nutrition et à la propagation de l'es-
pèce, pe devaient et ne pouvaient être, même par
rapport à l'organisation, les parties prédominantes
(jdi marquent la destination, je nedis pas del'homme^
mais de TanimaL
I* Voyez Katechismus der Natur^ par Martinet y vol. 1$
paç. 3i6.
I
io4 LiyRE m.
. Quelles sont donc celles que la nature à choisies
pour cela? Il faut examiner leur structure interne
et externe*
. Dans toute la chsone des créatures vivantes, c'est
june loi établie,
1.** Que les animaux à oreillette et à ventricule
unique dans le cœur, comme les poissons et les
amphibies, ont le sang froid;
2.*^ Que ceux qui n'ont qu'un ventricule sans
oreillettes, n'ont, au lieu de sang, qu'un fluide
blanc, comme les insectes et les vers;
3.^ Mais que les animaux dont le coeur a quatre
cavités, ont le sang chaud, comme les oiseaux et
les mammifères.
On a également remarqué :
1.^ Que dans les deux premières classes, il n'y
a ni poumons , ni respiration , ni circulation da
sang;
2.^ Mais que les animau;^ à quatre cavités dans
le cœur ont des poumons.
. On ne saurait croire combien ces simples dis-
tinctions étabhssent de différences dans l'échelle des
créatures.
Premièrement La formation d'un cœur, même
dans son état le plus jimparfait , su{^ose un sys-
tème d* organisation interne , tel que la plante ne
peut y atteindre dans aucun cas; dans les insectes
et dans les vers eux-mêmes, nous apercevpps déjà
CHAPITRE I. 105
des artères et d'autres vaisseaux de' sécrétion, et,
jusqu'à un certain point, des muscles et des nerfs,
qui sont remplacés dans les plantes par des tubes>,
et dans les zoopbytes par un appareil équivalent.
Dans les créatures les plus par&ites, il y a une
élaboration supérieure des sucs dont elles se nour-
rissent, et qui en même temps provoque la cha-
leur propre à la vitalité. Ainsi s'élève Tarbre de
vie, depuis la végétation jusqu'au fluide blanc des
animaux exsanguins; de là jusqu'au sang rouge; et,
enfin, jusqu'aux êtres les plus parfaits, à ceux dont
le sang est le plus ardent et l'organisation la plus
complet^.
A mesure que cette chaleur augmente, l'organi-
sation interne devient plus compliquée, en même
temps que s!agrandit le cercle dont le 'mouvement
seul a pu, selon toute probabilité, développer cette
chaleur interne. Il parait qu'un principe unique de
vie domine dans toute la nature ; c'est le fluide
éthéré ou électrique qui, dans les tubes des plantes,
dans lés artères et les muscles des animaux, et enfin
dans le système nerveux, est de plus en plus éla-
boré, jusqu'à ce qu'il produise tous ces instincts
merveilleux et ces facultés intellig^ates qui excitent
notre étonnement dans les animaux et dans les
hommes. La croissance des plantes est provoquée
par l-électricité , quoique leurs Sucs vitaux soient
organisés avec beaucoup plus de perfection que le
^
106 LITRE m.
pouvoir électrique qui se développe dans les parties
inanimées de la nature. Les animaux et les hommes
sont au$si soumis à Faction du fluide électrique,
et non -seulement dans les parties les plus gros-
sières de leur être, mais encore peut-être dans celles
qui touchent de plus près à la pensée ; excités par
une essence dont les lois sont probablenient au-
dessus de celles de la matière, puisqu'elle agit avec
une sorte d'ubiquité, les nerfs obéissent a^ussi au
pouvoir électrique. £n un mot, la nature a donné
à seà enfans ce qu'elle avait de meilleur à leuk* don-
ner, Véquiçalent organique de son propre pouvoir
créateur y la chaleur vivifiante. Par le moyen de
certains organes, la créature se dégage de la vie
végétative, et elle s'élève jusqu'à produire d'actifs
stimulans, qui, purifiés par des canaux plus déli-
cats, deviennent le milieu par lequd se transmet
la perception. Le résultat des stimulans est l'ins-
tinct; le résultat de la perception est la pensée:
progression éternelle de l'organisation créatrice,
départie à tout être vivant L'intensit^ dç chaleur
organique (non telle que noiis l'apercevons au de-
hors par nos instrumens grossiers) détermine le
degré de perfection de l'espèce, et vraisemblable-
ment aussi la capacité qu'.elle a de jouir du bien-
être au ' milieu de ce fleuve sans rivage dont la
source, qui répand partout le mouvement, la vie
et la jouissance, se su$t à elle-même par la seule
conscience de l'être.
CHAPITRE 1. 107
Secondement ' A mesure que l'organisation in-
terne de la créature se cotnjdique, et qu'elle pro-
duit une chaleur plus pure, le pouvoir qu'elle a
reçu de concevoir et de produire des êtres vis^ans^
augmente dans le même rapport. C'est là une autre
branche du même gfand arbre de vie qui s'étend
sur toutes les espèces de créatures. ^
Il est bien reconnu que la plupart des plantes
se fécondent elles-mêmes , et que là où les organes
de la génération sont séparés , on trouve beaucoup
d'androgynes et de polygames. Il est également re-
marquable que, dans le dernier degré de l'anima-^
■
lité, comme dans les zoophytes, les limaçons et les
insectes., les deux organes de la génération animale
manquent également, et que la créature semble ger-
mer comme une plante ; souvent même on y trouve
des hermaphrodites, des andrbgynes et d'autres
anomaUes qu'il n'est pas besoin de détailler ici>
plus l'organisation de l'animal est compliquée, plus
nettement les isexes sont séparés. Ici la nature ne
pouvait plus se contenter de germes organisés; la
formation d'un être si multiple et si divers dans
^■' I l.<l ■■ I . -i I .in I I I ■ ■- I I ■■ I II I I ■ »l II Ml ■■
1. Que Ton n^objécte pas qae les polypes, quelques lima-
çons, et m^me les puceron^, cLonnei&t naissai)ce k des créatures
▼irantes; car, dans ce sens, il faudrait dire que les plantes,
en poussant des boutons, produisent des rejetons divans. Je
ne parle ici que des animaux vivipares qui allaitent leurs
petits.
3»
io8 LITRE m.
ses formes, eût mal réu»si, s il eut été laissé au pou-
voir du hasard de se jouer sur des formes organi-
ques. La nature a donc séparé et distingué les sexes ;
mais ici elle a donné pour loi à l'organisation, qu'au
moment de la chalair vitale et organique la plus
intense, quand deux créatures s'uniraient en une
seule, il en naîtrait une troisième, qui serait l'image
fidèle des deux premières.
Par cela seul, le nouvd être s'élève à l'existence;
la chaleur maternelle l'environne et le développe:
pourtant ses poumops ne respirent pas encore et
son thymus Êiit l'office d'absorbant II parait que
le ventricule droit du cœur manque même dans
l'embryon humain ; et au lieu de sang on ne voit
qu'un fluide blanc circuler dans les veines. Puis,
à proportion que la chaleur interne est augmen-
tée par celle de la mère, le cœur prend sa forme,
le sang se colore et acquiert une circulation éner-
^que, ^quoiqu'il ne puisse pas encore entrer en
contact avec les poumons. La créature commence
à se mouvoir quand le pouls commence à Jbattre^
et- enfin elle vient au monde parfaitement for-
mée, douée de tous les instincts de perception
et de mouvement volontaire, qui pouvaient être
réunis dans une créature vivante de son genre.
Aussitôt après, l'air, le lait, la nourriture, sou-
vent même la douleur et les besoins, lui fournis-
sent l'occasion d'absorber la chaleur de mille .ma-
o
CHAPITRE I. lOg
nières, et^de l'-élaborer par le moyen des fibres, des
muscles et des nerfs, jusqu'à une essence qu'au^
cune organisation inférieure ne pourrait produire.
Elle augmente jusqu'à ces années où une surabon-*
dance de chaleur vitale pousse le nouvel être à se
propager et à se multiplier lui-même, et ainsi le
cercle de la vie organique recommence une seconde
fois.
Cest ainsi que la nature agit dans les créatures
qu'elle a douées de la puissance dé produire un
rejeton vivant : mais il n'en est pas ainsi de toutes j
par exemple, des animaux à sang froid. Il &ùt que
le soleil leur prête assistance et qu'il partage avec
eux les soins dé la maternité; il fait éclore l'em-
bryon , preuve évidente que dans toute la création
la chaleur organique est la même , seulement plus
ou moins élaborée par de nombreux canaux. Les
oiseaux même, quoique leur sang soit plus chaud
que celui des rutiles, ne sont pas capables de
produire un être viyadt, peut-être à cause de leur
élément , qui est plus froid ; peutt^étre aussi à cause
de leur genre de vie et de leur destination générale.
Comme la nature a exempté ces animaux du soin
d'allaiier leurs petits,. elle n'a point voulu noif plus
qu'ils fussent obligés de les porter dans les airs,
jusqu'au moment où ils pourraient les mettre an
jour iQut vivons. Quand l'oiseau, dans;une espèce
hideuse et intermédiaire, se traîne sur la terre, il
IIO LIVRB III.
leÉ allaite : aussitôt que ranimai aquatique a atteint
Torganisation et le degré de chaleur qui sont néces-
saires pour produire des êtres yivans, l'obligation
de les allaiter lui est imposée.
Combien la nature a contribué par là à la per-
fection des espèces! Destiné à voler, l'oiseau ne
peut que couver ses petits; et cette première éco-
nomie domestique, quels instincts délicats ne dé-
;TeU>ppe-t-eUe pas dans les deux sexes! L'amour con-
jugal bâtit le nid ; la tendresse maternelle l'échauffé :
au milieu de cela, le père ne reste point oisif, il va
chercher la nourriture. Avec quel courage la mère
défend ses petits ! Qu'il est chaste, l'amour con-
jugal, danà ces espèces, formées pour le lien du
mariage !
Cette obligation, partout où elle pouvait naître,
devait être encore plus étroite parmi ceux des ani-
maux qui restent confinés à la terre ; ainsi , c'est «de
hi partie la plus délicate d'elle-même qu'il Êiut que
la mère nourrisse lé nouveau r né. Il n'y a qu'im
pourceau grossièrement organisé qui puisse dévorer
ses propres enfans; il n'y a que le froid amphiUe
qui confie ses œufs au sable ou au marais : toutes
les e^èces qui alhâtent ont une vive afiection pour
leurs petits. La teadresse - du singe à passé en
proverbe, et peut-être aucune espèce ne lui est-
elle inférieure en cela. Il n'est pas jusqu'aux ani-
maux aquatiques qui ne partagent ce sentiment , et
GHAPITIÏE I. 111
l'on raconte du lamantin des traits extraordinaire^
d'amour conjugal et maternel. Sublime bienfaiteur
du monde! par quels simples liens organiques tu
ds resserré les relations les plus nécessaires et les
instincts les plus -délicats de tes enfaiis ! Une seule
cavité dans les muscles du cœur^ un seul couple
de poumons respirans, et voilà que la créature vit
avec une chaleur plus pure et plus intense ; elle
produit, elle allaite des êtres vivans; et elle s'élève
à des instincts plus délicats que ceux de la propa-
gation de l'espèce, à l'économie domestique et à
l'affection pour ses enfans, et même dans quelques
espèces jusqu'à Famour conjugal. C'est de la plus
grande chaleur du sang , cet agent de l'ame uni-
verselle du monde, que tu as fais sortir la flamme
qui excite les émotions les plus douces du dœur
bumain.
Je devrais enfin parler de la tète, comme de la
plus haute région* de la f^me animale; mais i£ se
présente d'autres considérations avant que d'exa-
miner les figures et les parties du dorps.
113 UTRE m.
CHAPITRE IL
I
4
Comparaison des dwers pouvoirs organi-
ques qui agissent dans les animaux.
. * * -
L'immortel Haller a distingué lés différens pou-
voirs qui se déploient physiologiquement dans le
corps animal, tels que l'élasticité des fibres, Firn-
tabilîté des muscles et la sensibilité du système ner-
veux, avec une exactitude qui non -seulement ne
laisse plus aucune prise à la controverse, jnais qui
promet les plus heureuses applications à la phy-
siologie de la pensée, même dans d'autres corps que
celui de l'homme.
Je n'examinerai pas maintenant si ces trois phé-
nomènes, différens comme ils le paraissent, ne peu-
vent pas naître au sein d'un seul et même pouvoir,
qui se déploie de telle ««lajâère dans les fibres, de
tdle autre dans les muscles , et sous une troi-
sième forme dans les nerfs. Comme tout est lié
dans la nature, et que ces trois effets soat inti-
mement et diversement combinée dans les corps
vivans, a pq^ne pouvons •<- nous conserver quelque
doute sur ce sujet 3 l'élasticité et l'irritabilité se
servent l'une à l'autre de limites , et c'est aussi ce
qui arrive pour lès fibres et les muscles. Puisque
les muscles ne sont qu'une structure de fibresr
CHAPITRE II. Il3
artistement entrelacées , il est probable que Tir rita-
bilité n'est rien autre que l'élasticité élevée à un
très -haut degré, et qui, combinée intimement^
s'excitje elle-même dans cet agencement organique
des parties, depuis la sensation inanimée d'une
fibre jusqu'à la première apparition du sentiment
animal. Jjsl sensibilité du système nerveux serait
alors une forme plus élevée du même pouvoir,
un résultat de tous ces pouvoirs organiques; car
la circulation du sang en général, et tous les vais-
seaux qui y concourent, semblent préparés, comme
autant de racines nerveuses, pour humecter le
cerveau par le moyen de ce fluide délicat qui,
considéré comme le médium de perception, a une
si grande supériorité au-dessus des fibres et des
muscles.
Quoi qu'il en soit, c'est avec une sagesse infinie
que le Créateur a combiné ces pouvoirs avec les
différentes ^ parties organiques du corps animal et
a subordonné le degré inférieur au plus élevé. Les
fibres sont le fondement de tout notre organisme ;
c'est par elles que l'homme se développe. Les
vaisseaux lymphatiques et chyhfères préparent des;
sucs pour toute la machine. Sans parler de la force
musculaire qui ébiranle les muscles et leur corn-»
munique un -mouvement qu'ils reproduisent au
dehors, le cœur est le premier excitateur du sang,
de ce fluide composé de plusieurs autres fluides,
I. .8
1 1 4 litre' m.
qui non -seulement échauffe, tout le corps, mais
monte jusqu'à la tète, et, après une nouvelle élabo-
ration, vivifie le système des nerfs. Comme autant
de plantes célestes, ceux-ci étendent leurs racines
dans les parties inférieures, et de là ils s'élèvent
jusqu'au sommet. Mais qui nous dira comment se
£dt cçtte ramification ? quel est le plus haut point
de pureté auquel ils arrivent ? quelles sont les par-
ties avec lesquelles ils sont en contact inmiédiat?
la mesure de Tirritahilité de tel ou tel muscle?
les sucs que préparent les vaisseaux alimentaires?
quel est le degré de température de tel système
comparé à* tel autre ? avec quel genre de struc-
ture il est en rapport nécessaire ? à quel mode
de vie il. conduit? quelle est la conformation ,
la figure externe de l'organisation à la(]pielle il
appartient?
Si l'étude attentive de ces questions sur cer-
tains animaux, particulièrement ceux qui appro-
chent le plus de l'homme, ne nous donne pas de
lumières sur leurs caractères et leurs instincts, dans
*
les rapports mutuels des espèdes, et par dessus tout,
sur les causes de là supériorité de l'homme, je ne
sais d'où nous pouvons tirer quelques éçlaircisse-
mens physiques sur ce sujet. Mais heureusement
que Camper, Wrisberg, Wolf, Sœmmering, et
plusieurs autres habiles anatomistes, appliquait ce
mode judicieux de comparaisons physiologiques
CHAPITRE II. « 1 1 5
aux pouvoirs des organes vitaux de différentes
espèces.
Maintenant je vais essayer d'établir, conformé-
ment à mon plan, quelques proposition^ fonda-
mentales, pour servir d'introduction aux réflexions
qui suivront sur les pouvoirs inhérens et organi-
ques de divers êtres , et enfin de l'homme ; car sanii
cela l'examen de la nature humaine, dans ses besoins
et ses perfections, ne pourrait être que très-super-
ficiel
« 1. Partout où un effet existe dans la nature,
« il doit y avoir un pouvoir agissant; là où l'irri-
« tabilité se déploie dans uu effort ou un spasme,
(( il doit y avoir une excîlcAon interne. '^ Si ces
propositions sont Êiusses, il n'y a plus ni con-
nexion dans nos observations, ni analogie dans la
nature.
« 2. On ne peut déterminer avec précision les
a circonstances où une action apparente sera une
K preuve d'un pouvoir inhérent, et celle où elle
m cessera d'en être une. Nous attribuons le senti-
K ment et la pensée aux animaux qui vivent avec'
« nous, parce que journellement nous les voyons
« a^r devant nous; mais nous ne pouvons pas les
u refuser aux autres, parce que nous ne les connais-
(( sons pas assez intimement, ou que nous sommes
u trop disposés à regarder leurs ouvrages comme
a le produit d'un art qui dépasse leur instinct;
V »
Il6 LIVRE IIL
(c car notre ignorance ou notre manque d'art ^ ne
(c sont pas le type absolu de toutes les idées mé-
« caniques, ni celui des sentimens de la création
« animée. ^*
5. Ainsi , partout où Part est appliqué j il y o
un sens mécanique qui existe et qui est exercé; et
quand une créature montre par ses actions qu'elle
prévoit des accidens naturels , d'autant mieux qu'elle
s'efForcfe de s'y préparer, il feut qu'elle ait un sens
interne, un organe, un médium de cette prévoyance,
que nous puissions le comprendre ou non; car les
pouvoirs de la nature ne changent pas d'après cela.
4* U P^u^ y avoir dans la création plusieurs mi-
lieux dont nous n'aAms pas la moindre connais-
sance, parce que nous n'avons pas d'organes qui
leur sont appropriés; il doit même en exister un
grand nombre , car nous voyons dans presque toutes
les créatures des actes que nous ne pouvons expli-
quer d'après notre organisation.
5. Un monde, dans lequel des millions de créa-
tures de sens et d'instincts divers jouissent chacune
de leur propre univers, et poursuivent chacune
leur propre carrière, est infiniment plus par&it que
ne- serait un désert dont Thomme, avec ses cinq
sens égarés, percevrait seul l'immensité.
6. Celui (|ui a qiielque sentiment de la grandeur
et du pouvoir de la nature, toujours riche en sen-
sation, en art et en vitalité, acceptera avec recon-
1
CHAPITRE 11- 117
naissance les avantages qui résultent pour lui de
Torganisation qu'elle lui a donnée ^ mais sans
méconnsdtre pour cela l'esprit de tous ses autres
ouvrages. La création toute entière se réduit à la
jouissance, au sentiment et à l'action; il doit donc
exister sur chaque point des créatures pour jouir,
des organes pour percevoir, àes forces pour agir:
qu'ont de commun entre eux le crocodile et le
colibri , le condor et le pipa ? Cependant chacun
est organisé convenablement pour vivre et se mou-
voir dans son élément; il n'est pas un point dans
la création sans jouissance, sans organes et sans
habitans; chaque créature a son ménde propre et
déierminé.
Être des êtres, mystérieuse nature, je m'égare
dans l'infini , quand , entouré d'un millier de preuves
et le cœur agité de tant de sentimens divers, j'entre
dans ton temple sacré : tu n'as négligé aucune
créature; tu t'es communiquée à chacune aussi
plrinement que son organisation le permettait. Cha-
cun de tes ouvrages a été iin , parfait et seulement *
semblable à lui-même; tu agis du dedans au dehors,
et quand tu as été obligée de refuser quelque avan-
tage, les compensations que tu as départies ont
été celles que pouvait départir la mère de toute»
choses. *
Jetons maintenant un regard sur la babnce
relative des divers pouvoirs qui absent dans les
Il8 LITRE m.
différens genres d'organisation ; par la nous éclai-
rerons notre marche vers le lieu physiolo^que de
Thomme.
1. Les plantes existent pour végéter et pour
porter des fruits : il nous semble que cette fin soit
secondaire, et pourtant dans l'ensemble de la créa-
tion c'est la base fondamentale de tomes les des-
tinées ; elles la remplissent en entier et y travaillent
avec d'autant* plus de zèle et de succès, qu'elle est
plus simple et admet moins de divisions: elles
existent là où elles le peuvent, dans le germe entier,
et elles poussent de nouveaux rejetons et de nou-
veaux boutons ; une seule branche représente l'arbre
tout entier. Ici donc nous appelons à notre secours
ime des propositions précédentes, et nous sommes
fondés à dire, suivant toute l'analogie de la nature:
là où est un ^ffet^ là doit élre un pouvoir; là au
est une nouvelle vie, là doit être un principe d'une
nouvelle vie; et dans toute créature phytomorphigue
ce principe doit reposer sur l'activité la plus grande*
La théorie des germes, que l'on a prise pour expli-
quer la végé,tation, n'ex{dique rien en. dernière ana-
lyse, car le germe est déjà une forme; et là où est
une forme, il doit exister un pouvoir organique
de formation. Jamais le scalpel de l'anatomiste n'a
découvert, dans le premier point créé, tous les
germes futurs; ils ne sont visibles pour nous que
lorsque la plante a acquis la plénitude de ses pou-
CHAPITRE IT.. 119
voirs; et toute notre expérience ne nous donne pas
le droit de les attribuer à autre chose qu'au pouvoir
organique de la plante elle-même , lequel opère sur
eux avec une silencieuse intensité. La nature a donné
à cette créature tout ce qu'elle pouvait lui donner,
et ce qu'elle a été obligée de lui refuser, elle l'a
compensé par l'intensité du pouvoir qu'elle lui a
confié. Quel bien&it serait-ce que la puissance de
sympathie animale pour la plante qui ne peut sortir
de sa place? pourquoi serait- elle capable de con-
naître d'autres plantes dansison voisinage, puisque
cette connaissance serait pour elle une source de
chagrin? mais elle jouit à la manière des plantes,
de fSair, de la lumière et des sucs qui la nourris-
sent et qu'elle attire à elle; et elle exerce avec plus
d'efficacité qu'aucune autre créature les penchans
qu'elle a à tiroître , à fleurir et à propager son
espèce.
2. Si l'on passe des plantes aux divers zoophytes
qui ont été découverts jusqu'ici, cela parait plus
évident encore : dans ces derniers, les organes de
*
la nutrition sont déjà séparés; ils possèdent une
espèce de sens animal et de mouvement volontaire:
leurs principaux pouvoirs organiques sont la nu-
trition et la propagation. Le polype n'est pas un
réceptacle de germes qui demeurent préformés en
lui pour exercer peut-être le cruel scalpel des phi-
losophes; mais comme les plantes sont la vie orga^
120 LIVRE III.
hiquêj il est aussi la vie organique. Comme elles^
il pousse iles rejetons, et le scalpel de raqatoiniste
ne peut qu'exciter, ne peut que stimuler ce pou-
voir : cpnune un muscle stimulé ou partagé déploie
plus de force, ainsi un polype torturé met en œuvre
tout ce qu'il peut pour réparer ses pertes, il pro-
duit des m^nbres jusqu^à ce que ses pouvoirs soient
épuisés et que l'art ait entièrement détruit sa nature.
Dans quelques membres , dans quelques circons-
tances, quand la partie est trop petite, quand ses
pouvoirs sont trop ajflfaiblis, il ne peut plus exercer
le pouvoir de reproduction; ce qui n'arriverait pas,
si un germe préfbrmé était déposé dans chaque
point de son corps. Tout cç qui frappe nos regards,
c'est l'action intime des forces organiques qui opè-
rent en lui , comme dans le bourgeon des plantes,
et même, à un degré moins élevé, dans de faibles
et d'obscurs rudimens.
5. Les animaux testacés sont des créatures or-
ganiques douées d'autant de vie qu'il pouvait en être
rassemblé et organisé dans leur élément et leurs
coquilles; c'est ce que nous appelons sentiment,
parcQ que nous n'avons pas d'autres mots. Maïs
c'est le sentiment d'un limaçon , c'est un océan, un
chaos des pouvoirs vitaux les plus obscurs, qui ne
se développent que dans quelques membres. Voyez
leurs soitennes si délicates , le muscle qui supplée
aux nerfs optiques, leur bouche ouverte, le com-
CHiPITRE IL 131
mèncement des pulsations d'un .cœur et leur ex-
trême pouvoir de reproduction. L'animal renou* *
velle sa tète 9 ses cornes, ses mâchoires, ses yeux;
non - seulement il construit le savant édifice de sa
coquille , et il la porte au loin , mais il crée des
êtres vivans avec de pareilles coquilles, et plusieurs
animaux de cette espèce sont à la fois mâles et
femelles. Ainsi il )La «1 eux une foule de pouvoirs
organiques, par le moyen desquels la créature est
capable, dans son étroite sphère, de certaines opé-
rations qui sont interdites à tel autre être, quoiqu'il
ait des mraabres plus parfaits , et que l'action du
mucus plastique soit en lui plus intime et plus
continue.
4. L'insecte , si étonnant dans ses ouvrages , ne
Test pas moins dans sa structure, à laquelle les
pouvoirs organiques se conforment même dans les
parties qui semblent avoir une existence distincte;
mais il n'a en lui de pl^ce que pour un cerveau
d'un très-petit volume et pour des nerfs extrême-
ment déliés : ses muscles sont si fragiles qu'ils sont
recouverts au dedans d'un fort tissu, et son orga-
nisation ne peut pas se prêter au mouvement cir-
culatoire qui a lieu dans les animaux plus grands.
Mais examinez sa tète, se^ yeux, ses antennes, ses
pieds ^ ses défenses, ses ailes; voyez le poids énorme
que porte im escarbot, une mouche, une fourmi, ou
la force que développe une guè[^ irritée j voyez
122 tIVRE»in.'
les cinq mîlle^ muscles <|ue Lyonnel a comptés
'dans la chenille du saule à double queue, pendant
que l'homme, malgré sa force, en possède à peine
quatre cent cinquante; considérez, enfin, les ou-
vrages d'art qu'ils entreprennent avec leurs sens et
leurs membres, et concluez- de là qu'une plénitude
organique de pouvoirs inhérens opère dans cha-
cune de leurs parties. Qui peut voir la jambe arra-
chée et tremblante d'une araignée ou d'une mouche,
sans être frappé de la force d'irritabilité vitale
qu'elle conserve , même en étant séparée du tronc ?
La tète de l'animal était trop petite pour la con-
tenir en entier; aussi la nature abondante Ta-t-elle
distribuée entre tous les membres^ sans en excepter
les plus petits. Ses antennes sont des sens, ses
jambes déliées sont des muscles et des bras. Chaque
plexus nerveux est un petit cerveau; chaque vais-
seau irritable est presque un cœur en pulsation;
et ainsi s^accomplissent les opérations délicates aux-
quelles sont destinés plusieurs êtres de cette espèce,
et qui leur sont commandées par leurs organisa-
tions et leurs besoins. De quelle puissance d'élas-
ticité est doué le fil de l'araignée ou du ver à soie ?
Or l'artiste l'a tiré de lui-même; preuve évidente
qu'il est tout élasticité et irritabilité, et dans ses
instincts et ses opérations* un artiste réel, une
ame en miniature du monde agissant dans cette
organisation. ^
CHAPITRE II. 12?
5. Dans les animaux à sang froicl on aperçoit
la même surabondance dtirrUahilUé. La' tortue cpn-
tinue à se mouvoir avec force long -temps après
qu'elle n'a plus de tête. La dent d'une vipère fait
une blessure mortelle,' trois, huit et%ième douze
jours après que la tète a été séparée du corps. Si
les mâchoires d'un crocodile mort sont arrachées,
eUes peuvent encore couper les doigts imprudens.
Quant aux insectes; l'aiguillon d'une abeille cherche
encore a blesser après, qu'il a été arraché. Voyez
la grenouilte en copulation ; on peut lui briser les
membres, sans qu'elle abandonne son dessein. Voyez
la salamandre torturée : elle peut perdre les doigts ^
les mains, les pieds, les jambes, et les remplacer
par d'autres, tant il y a de plénitude et de surabon-
dance dans les pouvoirs vitaux organiques de ces
animaux à sang froid! et,. en un mot, plus l'ani-
mal est abject, c'est-à-dire, moins la faculté orga-
nique a fait d'efforts pour élever l'irritabilité et les
muscles à des pouvoirs nerveux plus parfaits, moins
elle a développé le volume du cerveau, et plus le
principe vital se manifeste avec force dans pne
toute-puissance organique ^ qui conserve ou répare
la vie.
6. De plus, on a observé dans leâ animaux à
sang chaud que leur chair est plus lente à se
mettre en rapport intime avec les nerfs, et que
les entrailles sont plus . puissamment irritées par
1^4 XTtRE m.
des excitans après la mort de Fanimal. Bans la
mort, les convulsions deviennent plus fortes à
mesure que la puissance de perception diminue; et
un muscle quia perdu son irritabilité, la recouvre,
s'il est mis ffl pièces. Ainsi , à mesure que le sys-
tème nerveux se complique, il semble que le pou-
voir vital, qui ne s éteint que difficilement, diminue
dans une égale proportion. La feculté de repro-
duire des parties, sans parterici de membres aussi
complets que la tète, les mains ou les pieds, est
perdue pour leâ animaux les plus parfaits, comme
on les appelle : k de certains âges , à peine peuvent-
ils reproduire une' dent, ou guérir une blessure
bu une fracture. Mais alor^ les sensations et les
perceptions sont éminemment développées, jus-
qu'à ce qu'à la fin elles aillent se concentrer, dans
l'homme, dans le phénomène de la raison, le
plus pârfidt et le dernier degfé de l'organisation
terrestre.
Ces inductions nous conduisent à recueillir quel-
ques résultats qu'il sera à propos de réduire à un
seul. - #
1. Dans toute créature vivante le cercle des
pouvoirs organiques paraît être un tout complet,
qui d'ailleurs est modifié et distribué difTéremment
dans chacune d'elles. Dans l'une il ap{)rochc de la
végétation y el il est en conséquence assez puissant
pour reproduire l'espèce et restaurer des parties.
CHAPITRE II. 1^5
Dans telle autre ces facultés diminuent k mesure
que les membres sont . construits avec plus d'ar-
tifice, et que les organes et les sens sont plus
parfaits.
2. Au-dessus de la sphère de végétation com-
mence le système de Tirritabilité vitale : elle est
unie étroitement à la faculté qu'a la structure
fibreuse de l'animal de croître, de pousser des re-
jetons et de se renouveler elle-même. Seulement
elle apparaît sous une forme savante çt calculée ,
et pour une fin d'opération vitale circonscrite dans
de plu$ étroites limites. Déjà chaque muscle est
en raj^ort réciproque avec plusieurs autres. Il dé-
ploira doQC non pas seulement les pouvoirs d'une
fibre, mais aussi les siens propres, c'est-à-dire, ceux
d'une irritabilité vivante au sein d'un mouvement
actif. La torpille ne renouvelle pas ses membres,
comme le lézard, la grenouille ou le polype; et ces
animaux, qui possèdent la faculté reproductive,
ne reproduisent pas les parties dans lesquelles les
pouvoirs musculaires sont concentrés, comme celles
qui semblent n'être que des boutures de plantes.
L'écrevisse de mer peut bien reproduire de nour
velles griQes, mais non pas une nouvelle queue.
Ainsi dans les pouvoirs moteurs, artistement com-
binés, la sphère de l'organisation végétale s'éva-
nouit par degrés, ou plutôt elle est conservée sous
une forme plus délicate; et appliquée dans son
126 LIVRE III.
ensemble aux desseins d'une organisation plus
composée.,
3. Plus les pouvoirs musculaires pénètrent au
loin dans la sphère des nerfs, plus ils sont en-
chaînés à cette organisation et soumis aux fins de
la perception. Le système oi^anique est d'autant
plus intelligent et plus parfait, que le système ner-
veux est plu^ composé, plus- délicat, plus varié,
plus vigoureux, joint à des parties et à des sens
plus nobles, et que le cerveau, foyer de toute per-
ception, est mieux épuré et plus abondant: au con-
traire, dans les animaux, en qui l'irritabilité et la
force musculaire surpassent. Tune, la faculté de
percevoir, et l'autre, le système nerveux; quand
d'ailleurs ce dernier ne s'exerce que sur des fonc-
tions et des instincts grossiers, et surtout quand
la Êdm, le plus impérieux de tous les instincts,
est celui qui domine, l'espèce est, conformément
à notre type invariable, d'un côté moins parËute
dans sa structure, de l'autre plus grossière dans
ses habitudes.
Qui donc ne se réjouirait pas, si quelque ana-
tomiste philosophe ^ entréprenait de donner ime
1* Sans parler de quelques autres morceaux asses connus»
je trouYe dans les œuvres d^ Alexandre Monro Tainé, Édimb.y
1781, un Essai d^anatomle comparée, qui mérite bien d^étre
traduit. Voy^s aussi les squelettes d'animaux de TOstéographie
CHAPITRE II. 127
physiologie comparée de divers animaux, surtout
de ceux qui approchent le plus de l'homme, en
examinant les pouvoirs, tels qu'ils ont été classés
et établis par l'expérience, dans leurs rapports avec
l'organisation générale de la créature? La nature
nous montre ses ouvrages sous une forme déguisée
à Textérieur, comme un réceptacle caché d'a.gens
intérieurs : nous voyons un mode de vie animale;
de la physionomie du visage et de la relation des
parties, nous conjecturons ce qui existe au dedans.
Mais ici les organes et la masse des pouvoirs orga-
niques sont eux-mêmes placés sous nos yeux; et
plus nous approchons de l'homme, plus nous avons
d'objets de comparaison. Sans être anatomiste, j'es-
sayerai de suivre les observations de quelques ana-
tomistes célè|)res dan^ un ou deux exemples qui
nous prépareront; à la structure et à la nature phy-
siologique de l'homme. . '
de Cheselden , Lond,, ,i^83>. Ce serait rendre service à la science
qoe d^en faire des copies^ mais il serait difficile de reproduire
en Allemagne la correction et la beauté des originaux.
128 LIVRE ni.
CHAPITRE IIL
Exemples de la structure physiologique
de quelques animaux.
Quelque informe qu'il paraisse , Féléphant ^ a
pour lui de nombreuses preuves physiologiques de
sa supériorité sur les autres animaux et de sa res-
semblance avec l'homme. Son cerveau, il est vrai,
B'est pas très-voluoEiineux à proportion de sa'taille;
mais ses cavités et toute sa structure présentent des
similitudes frappantes avec l'espèce humaine. « J'ai
ce été étonné, dit Camper, de trouver tant de res-
xc semblance entre hi glande pinéale et les tubercules
« quadrijumeaux du cerveau de cet animal et les
c( mêmes parties du cerveau de l'homme; si un doit
c< trouver un sensorium commune^ c'est là qu'il
« faut le chercher. *' Le crâne est petit à propor-
tion de la tète, puisque les fosses nasales se pro-
longent sur le cerveau et remplissent d'air non-
seulement les sinus frontaux j mais encore d'autres
cavités 2; car, pour mouvoir sa pesante mâchoire,
il faut une grande force dans les muscles, et une
vaste capacité que le Créateur a remplie d'air, afin
1. Diaprés BuffoDy Daabenton, Camper, et en partie diaprés
la Description du fœtus d^un éléphant par Zimmermano.
2» ttti cavités et sinus d^s émineaces mamillaires» etc.
CHAPITRE III. 1:19
d'épargner à la créature un Êtrdeau insupportable.
Le cerveau ne repose pas au-dessus du cervelet et
ne le déprime pas sous le poids de sa masse; la
membrane qui les sépare reste perpendiculaire. Lés
nerfs nombreux de l'animal sont principalement
répandus entre les organes des sens les plus par-
faits 9 et sa trompe seule en reçoit autant que la
masse énorme de son corps. Les muscles qtii ser-
vent à la mouvoir, partent du froiit Elle est sans
cartilages, et l'organe d'un toucher délicat, d'un
odorat exquis et du mouvement le plus libre. Ainsi
donc die réunit plusieurs sens, qui se prêtent. par
là un secours mutuel. L'œil de l'éléphant, qui par
l'expression de son regard rappelle celui de l'homme ,
est garni de poils; il se meut dans son orbite par
l'artifice des muscles qui lui correspondent , et il a
dans son voisinage les sen; de l'ordre le plus élevé.
Ces derniers sont séparés de l'organe du goût, qui
domine dans les autres animaux. La bouche, qui
dans les quadrupèdes , particulièrement ceux du
gienre carnassier, est la partie principale de la face,,
est placée ici bien au* dessous du front et de la
trompe, de telle aorte qu'elle est pour ainsi dire
cachée. Sa langue est encore plus petite: les dé-
fenses qu'il porte dans sa bouche, sont distinctes
des dents de nutrition , car il n'est point fait pour
une sauvage voracité. Comparé au volume énorme
de ses entrailles^ son estomac est petit et simple.
ï« 9
l50 LIVRE HL
jUnsi, il est probable qu'il n'est point sujet à la
&im dévorante des bétes fiiuves. H coupe Therbe
nettement et sans précipitation ; et comme Torgane
de l'odorat est séparé ai lui de la bouche, il em-
ploie à cette opération beaucoup de temps et use
de grandes précautions. La nature l'a instruit à la
même pmdence en étanebant sa soif et dans toutes
les autres fonctions de son corps massif, sans excep-
ter la propagation de son espèce; l'instinct sexuel ne
l'enflamme pas de rage. Sa, femelle porte neuf mois
son petite comme la femme, et elle l'allaite. Les pé-
riodes de sa vie, celles de sa crobsance, de sa ma-
turité et de âon déclin , ont entre elles les mêmes
rapports de durée que celles de l'homme. Avec quelle
noblesse la nature a converti en lui les dents inci-
sives en lôAgues défenses ! et quelle délicatesse dans
l'or^ne de l'ouie^ puisqu'il peut comprendre le lan-
gage de rbomme , jusques dans les inflexions itères
qui appartiennent aux passions ou au commande-
ment! Ses oreilles, plus grosses que celles d'aucun
autre animal , s'amincissent et s'étendent sur les bords.
Jje conduit auditif est placé très-haut he petit occiput
n'est dans son ensemble qife l'enfoncçment d'un écho
rempli d'air. Ainsi , la nature a sagement diminué le
poids de l'animal et uni la plus grande force muscu-
laire à l'économie nerveuse la plus délicate : c'est un
Roi des animaux, qu'une organisation plus pure et
plus intelligente maintient dans un repos majestueux.
CHAPITRE ni. iSl
Quelle différence avec cet autre roî des animaux,
le lion ^ ! La nature a établi ses droits sur la force
musculaire, et ncm pas sur la douceur et la supé-
riorité de l'intelligence. Elle ne lui a donné qu'un
cerveau peu .volumineux , et des nerfs si faibles
qu'ils ne sont pas même proportionnés à ceux d'un
chat; mais ses muscles sont gros et vigoureux, et
elle les a fixés aux os dans la position qui devait
produire le plus de force, sans songer ni à la va-
riété, ni à la.délicatesse du mouvement A cela, clld
a ajouté, comme autant d'instrumens de la destinée
qu'elle lui assignait, un grand muscle, celui qui élève
le cou, un muscle du pied de. devant, qui lui sert à
saisir sa proie; une patte terminée par de longues
griffes si courbées qu'elles ne touchent jamais la
terre , et que leurs pointes ne peuvent être émous-
sées: son estomac est k)hg et très-courbé; le frot*
tement des parois et par conséquent la faim de l'ani-
mal doivent être terribles : son cœur est petit, maïs
les cavités sont délicates et larges, beaucoup plus
longues et plus profondes que dans l'homme. Les
parois.de son cœur sont deux fois aussi minces et la
grande artère deux fois aussi, petite, de telle sorte
1 . Entièrement confonne à Fexceltente (iescription de Wx>lf «
dans les j^ov- comment, Acad^ scient, petrop, , tom. XV et XVI.
11 serait à sonhaiter qne nons eussions un grand nombre de
descriptions anatomico-physiologicpies exécutées avec le m^me
bonheur.
l5a LITRE m.
que le sang du Kon , aussilôt qu'il abandonne le
cœur, s'écoule avec quatre fois autant de vitesse,
et dans les branches artérielles avec une fois plus
de vitesse que dans la circulation humaine. Le cœur
de 1 éléphant , au contraire , bat lentement y presque
comme dans les animaux à sang froid. La vésicule
du fiel du lion est grosse et le fluide noirâtre. Sa
langue large est roulée par devant et munie de p-
pilles rudes de la longueur d'une ligne et demie,
qui s'étendent toutes dans la partie antérieure avec
leurs pointes dirigées en arrière; de là le danger
de lui laisser lécher la peau; puisqu'il fait couler
inmiédiatement le sang et qu'il excite ainsi sa soif»
sa soif dévorante, avide même du sang de son ami
et de son bienfaiteur. Une fois qu'il a goûté le sang
humain, il n'abandonne pas volontiers une proie
que convoite son palais sillonné. La lionne produit
plusieurs lionceaux , qui croissent lentement : elle
est donc obligée de pourvoir long- temps à leurs
bespins, etson affection maternelle, jointe à sa pro-
pre faim, augmente sa férocité. Comme dans le bon
le sens du gotk a une grande délicatesse, et que sa
£dm redouble avec la soif qui le consume, il ^^
peut pas se contenter d'une chair corrompue. Tuer
l'animal <jui doit lui servir de nourriture, et sucer
le sang quand il est encore chaud, telle est sa
suprême jouissance, et l'effroi d'une première sur-
prise est souvent tout ce que demande sa oiagna*
CHAPITRE Itl. 1 55
mmîté royale. Son sommeil est d'autant plus léger ,
que son sang est plus chaud et que la circulation en
est plus rapide. Quand il est rassasié, il est pares^
seux; car il ne peut se sei*vir d'une provision qui
n'est pas fraîche : il n'y pense plus, et n'est excité
au courage que par la faim présente. La nature
bienveillante a émoussé ses sens^ son œil est effrayé
du feu, et il ne peut même supporter l'éclat du
soleil. U était inutile que son odofat fût moins
grossier; car, par l'effet de la disposition de ses
muscles, il bondit plutôt qu'il ne court, sans pou-
voir s'arrêter à flairer sur les traces de l'animal qu'il
poursuit; et d'ailleurs son instinct repousse toute
espèce de proie putréfiée. Son front, couvert et
ridé, est petit, si on le compare à la partie infé*-
rieure de la face, aux articulations et aux muscles
des mâchoires. Son nez est large et long; son eou
et ses jambes de devant ^sont de fer; sa crinière et
les muscles'tle sa queue sont d'une grosseur énorme^
mais ses parties de derrière sont plus Êiibles et plu^
déliées. La nature a épuisé ses pouvoirs terrifians,
et elle en a fait, lorsqu'il n'est pas tourmenté de
la soif du sang, un animal noble et généreux : tel
L
est le caractère physiolq^gique de cette créature.
L'unau, en apparence le dernier el le phis in-
forme des quadrupèdes, masse de boue qui s'est
élevée à l'organisation animale , peut nous servir de
troisième exemple. Sa tête est petite et sphérique;
l34 LIVRE III:
tous ses membres sont de même ronds, épais, in-
formes et ressemblent à des coussins d'étoffe ; son
cou est raide, et parait ne âdre qu'uhe seule pièce
avec la tète; ses crins ont une direction contraire
à la lon^eur dé Tanimal, comme si la. nature
l'avait formé suivant deux directions, ne sachant
laquelle préférer; enfin,, elle choisit^ pour les par-
ties principales, le ventre et les parties postérieures,
auxquelles la tête est subordonnée dans sa place,
sa forme et ses fonctions. La femelle porte ses petits
dans ses parties postérieures; Testomac et^ les en-
trailles remplissent Tabdomen; le cceui*, les pou-
mons et le foie sont grossièrement formés, et la
vésicule biliaire semble manquer entièrement Son
sang est si froid qu'il diffère peu de celui des am-
phibies : son cœur et ses intestins palpitent long-
temps après qu'ils ont été arrachés, et les jambes
de l'animal s'agitent même après que le cœur est
mort, comme s'il était endormi. Ainsi ^ nous re-
connaissons ici une des compensations de la na-
ture, qui, si elle est obligée de refuser des nerÊ
susceptibles d'impressions rapides , et même àts
forces musculaires, répand et partage plus intim^
ment une irritabilité extrême. Ce singulier aninoal
peut donc être moins malheureux qu'il ne Semble.
Il aime la chaleur, le repos du sommeil, et jouit
dans l'un et l'autre d'une sorte dé bien-être vis-
cpieux. Quand la chaleur lui manque, il s'endort;
cainTRE III. i55
et comme s'il lui était pénible même > de se cou-
cher, il s'accrodie à un rameau avec ses pattes,
pendant que l'une dVelles lui sert à prendre sa
nourriture, et que, suspendu comme un sac, il
jouit à la chaleur des rayons du soleil, de sa bizarre
existence. Ainsi la disposition informe de ses jHeds
est un HenËdt pour WL Par la singularité de leur
structure, Tanimal ne peut se soutenir sur leur
plante , mais seulement sur la courbure des griffes^
qui, comme les roues d'im chariov, aident sa
marche lente et tranquille. Ses quarante^six côtes^
qu'aucun autre quadrupède ne possède en pareil
nombre, forment une longue Toute pour le ma*
gasin de ses provisions, et elles sont, si je puis
m'exprîmer ainsi, les anneaux osseux d'un sac de
pulpe vorace et la charpente d'un monstre. Ces
exemples suffisent On voit évidemment ce qu'il
faut entendre par une ame animale et un instinct
animal, si Ton prend pour guide la physiolog^ .et
l'expérience. L'une est la somme et le résultai de
toutes les forces vitales qui agissent dans un sys-*
tème organisé; l'autrç est la direction que la nature
a donnée à ces forces collectives ^ en les plaçani
dans un tempérament donné et non dans un aur
tre^ en les organisant suivant telle structure et non
telle autre.
l56 LITRE m. <
/
CHAPITRE IV.
I
Des instincts des animaïur^
m
Reimarus nous a laissé sur les insdncts des ani-
maux un traité excellent ^ , gui restera, ainsi que
son ouvrage sur la religionnaaturelle, comme un
monument de son iesprit de recherches et de son
profond amour de la vérité. Après des observa-
tions judicieuses et savantes sur les instincts di-
vers des animaux, il tâche de les expliquer par le
mécanisme des sens et par le tact interne. Son
opinion est qu'il faut admettre, surtout pour les
arts instinctifs^ certains poui^oirs déterminés et na-
turels^ certaines capacités naturelles innées ^ qui
ne sont pas susceptibles d'une explication plus
rigoureuse. Je ne peux acquiescer à la dernière
partie de ces idées; car la composition de toute
la machine, d'après tels pouvoirs, tels sens, tels
sientimens et telles perceptions; en un mot, tof"
ganisation même de la créature j c'est là ce qui
constitue la direction la plus sûre^ la détermi-
0
I. Beimaruê allgemeiite Betraehtungen iibef die Triebe der
Thiere; Hamb.» 177 3- ^ngefangene Betraehtungen ûber die
' ' '
besondern Arten der thierischen Kunsttriebe, A cet ouvrage est
joint , en forme d^appendice , un Essai aussi ingénieux que
riche en résultats, de J. A. H. Reimarus, sur la piatnre des
soopbytes.
•ç'
CHAPIIHE IV. l57
niUion la plus parfaite , que la nature puisse im-
primer à son ouvrage.
Puisque le Créateur a formé des plantes , qu'il
les a divisées en certaines parties, et qu'il leur a
attribué certains pouvoirs, pour attirer et assimiler
la lumière, l'air et d'autres matières subtiles qm
leur sont fournies, en abondance par le milieu de
TaUnosphère ou de l'eau; et puisqu'il les a placées
dans Jeurs élémens propres, où chaque partie dé<-
Teloppe naturellement les, pouvoirs qui lui sont
essentiels, il ne me semble pas nécessaire qu'il leur
ait départi im nouvel et aveugle instinct de végé-
tation. Chaque partie remplit sa tâche avec ses
forces vitales, et c'est ainsi que se manifeste en
définitif le résultat organique qui.pouvm être pro-
duit dans tel système et non. dans tel autre. Les
principes actifs de la nature sont tous des principes
vitaux, chacun dans leurs genres. Ils doivent ren-
fermer au dedans quelque chose qui réponde à leurs
effets extérieurs, aipsi que Leibnitz Fa avancé et
que toute l'analogie semble ie confirmer. Que nous
n'ayons pas dé mot pour désigner cet état interne,
des plantes, ou les forces qui agissent en elles,
c'est un défaut du langage; car la sensation né
s'emploie que pour exprimer la modification in^
terne qui est produite en nous par le système
nerveux. Toutefois il peut exister quelque obscure
analogie entre ces choses, et s'il en est autrement,
i38 uvRE m.
ces insiindLs nouveaux, ces pouvoirs de végétation
qui sont départis au tout, sont autant de mots qui
ne nous laissent aucune idée précise.
On aperçoit évidemment dans les plantes deux
instincts naturels, ceux de nutrition et de propa-
gation, et leurs résultats sont des ouvrages d'art,
tels qu'ils sont à peine égalés par les constructions
de l'insecte vivaM, quelque savantes qu'elles puis-
sent être. Quand la nature fait i^ne tranâtion de
la plante ou dé la pierre au règne animal, nous
révèle-t-elle plus clairement les instincts des pou*
Yoirs organiques? Le polype semble s'épanouir
comme une plante , et pourtant c'est un animal
Comme un animal^ il cherché et digère sa nour-
riture. Il polisse des bourgeons, et ces bourgeons
sont des animaux vivans. Il les renouvelle tant qu'il
jouit d'un pouvoir de renouvellement, et cette
oeuvre, la plus étonnante de toutes, est le prodige
de la créature. Où y a-t-il plus d'art que dans la
maison du limaçon? la cellule <lfe l'abeille peut à
peine lui être comparée. La toile de la chenille,
cdle du ver- à -soie, sont loin de l'emporter sur
cette fleur artificielle. Et de quels moyens la nature
s'esta elle servie pour produire ce chef-d'œuvre?
Be pouvoirs organiques, qui, partagés entre un
très -petit nombre de membres, sont réunis en un
faisceau , dont les volvules , en suivant pour la
plupart les progrès du soleil, forment cette figure
cHAprmE IV. i59
É-^uIièrè. \Les parties internes fournissent la ma-
dère première, de tnème que l'araignée tire sa
toile de ses entrailles, et l'air n'entre que dans la
composition des parties les plus grossières. lime
semble que cette transition démontre suffisamment
à quelle cause il faut rapporter tous ces instincts
et le mécanisme des animaux les plus ingénieux:
à des pouvoirs organiques qui agissent dune ma-
nière donnée sur des membres donnés. Que ces
effets soient accompagnés d'une sensation plus ou
i!noins vive, c'est ce qui dépend des nerfs de la
créature; mais à ces premiers agens il faut ajouter
des fibres et des forces musculaires ; et ces deux
systèmes de pouvoirs indépendans des nerfs et
imbtts d'une vie végétative qui se développe sans
s'épuiser, compensent suffisamment dans la créature
ce qui lui manque en ner& et en cerveau. Ainsi la
nature elle-même hous conduit aux arts instinctifs
que nous avons coutume d'attribuer plus spéciale*-
ment à certains insectes, parce que nous ne voyons
qu'en petit leurs œuvres et que nous les comparons
avec les nôtres: Plus les instrumeus de la créature
sont distincts les uns des autres, plus soii irrita-
bilité est vive et délicate, et moins nous devrions
nous étonner de lui voir exécuter des choses qui
sont interdites à dçs animaux d'une structure plus
grossière et d'une irritabilité moins grande, quels
que soient d'ailleurs les avantages que ces dîerniers
l4o LIVRE m.
possèdent. La petitesse de la créature çt la délica-
tesse mémç de ses membres la ' conduisent à Part,
qui ne peut être que le résultat de toutes ses sen-
sations, de toutes ses activités et de toutes ses
irritabilités.
Ici les exemples parleront plus clairement que
les principes; car par la constance industrieuse
d'unSivammerdam, d'un Réaumur, d'un Lyonel,
d'un Rœsel et de quelques autres , ces exem-
ples ont été présentés sous un jour admirable
Quand la chenille s'environne , elle - même d une
toi][e, que fait-elle dé plus que tant d'autres créa-
tures qui changent de peau ? Le serpent quitte sa
dépouille, Toiseau perd ses plumes, et plusieurs
quadrupèdes leur poil: par là ils se rajeunissent
et' renouvellent leurs pouvoirs. La chenille aussi
se rajeunit, mais d'une manière plus difficile, plus
calculée et plus savante. Elle se débarrasse de son
enveloppe hérissée, qui emporte avec soi quelques-
unes des pattes de l'animal, et, par une transition
ou plus lente Ou plus rapide, elle apparaît sous
une forme entièrement nouvelle. La première pé-
riode de sa vie, qu'elle a employée sous la forme
de chenille à la seule fonction de la nutrition, lui
fournit les pouvoirs qui maintenant doivent servir
à propager l'espèce, et c'est pour cela que. ses. an-
neaux se forment et que ses membres se dévelop-
pent Ainsi ^ dans l'organisation: de «cette^créature,
CHAPITRE IT. l4l
la nature n'a fait que séparer par de plus longs
intervalles les diverses périodes de sa vie et les ins-
tincts qui tous concourent à préparer une certaine
métamorphose, aussi involontaire de la part de la
créature que celle du serpent quand il se dépouille
de sa peau.
Qu^est-ce que la toile de l'araignée, sinon
V araignée elle-même , alongée pour atteindre l'ani-
malcule dont elle se nourrit? Comme le polype
étend ses bras pour étreindre sa proie, comme elle
a reçu des griffes pour serrer la sienne, de même
elle a, pour Tenlacer dans ses pièges, des papilles
entre lesquelles se forme le .fil de sa toile. Les sucs
qui en composent le tissu, spnt en assez grande
abondance pour l'entretenir de filets pendant toute
sa yie; mais, s'ils viennent à lui manquer, il faut
qu'elle ait recours à de$. moyens violens , oru qu'elle
meure. Le pbuvoir qui a organisé tout son corps
et toutes ses acuités, l'a formée ainsi organiquement
pour la fabrication de cette toile.
La république des. abeilles présente les mêmes
résultats; chacune d'elles, dans son espèce particu-
lière, est préparée pour un but particulier; et elles
s'associent entre elles, parce qu'aucune d'elles ne
peut exister sans les, autres. Les abeilles ouvrières
sont organisées pour aller quêter le miel et pour
construire les cellules. Elles vont quêter le miel,
copime d'autres animaux" vOnt chercher leUr nour-
1 4^ hitRÊ nu
riture; et aÎDsi que lear manière de vivre reùge,
elles en fom une provision qu'elles disposent avec
ordre. Elles cpnstruisent leurs cellules de même que
beaucotip d'autres animaux bâtissent leurs habita-i'
tîons , chacun à sa manière. Quoiqu'elles n'aient pas
de sexe, elles nourrissent les jeunes abeilles de la
roche, comme d'autres nourrissent leurs petits, et
elles tuent les guêpes comme tout animal tue ce-
lui qui, en dérobant ses pro vivons, est un fardeau
pour sa Êimille. Bien que tous ces effets &ssent
supposer un système de sens et une sorte de sen-
timens, pourtant il n'y a là (jae le sentiment, que
le tact d'une abeille, et ce n'est ni un pur, méca-
nisme tel que BuSbn l'entend , ni une raison com-
pliquée, mathématique et politique, comme d'an-
cres le prétendent Son ame est enfermée dans l'or-
ganisation et intimement unie à elle. Elle s'y con-
forme avec art âans ses opérations, mais dans un
cercle très-rétréci et très-limité. La ruche est son
monde, et le Créateur a divisé ses travaux en trois
parties par une triple organisation.
Il ne faut pas non plus nous méprendre sur ee
mot habileté f quand nous sommes Irappés des arts
organises de divers animaux, dès les premiers mo*
mens de leur naissance. Notre halnleté vient de la
pratique; il n'en est pas ainsi de ia leur. Leur oi^a-
nisation est -elle complété? leurs forces ont leur
entier développement Qu'est-ce qui dans b monde
CHAPITRE IV. 145
a la plus grande habileté? h pierre qui tonabe» la
plante iqui fleurit. L'une tombe, l'autre fleurit, con^
formément à sa nature. lie cristal se développe avec
plus d'habileté et de régularité que a'en peut mon^
trer l'abeille dans la construction de sa cellule, ou
l'araignée dans le tissu de sa toile. Il n'y a dans la
matière brute qU'un instinct aveugle , mais infaillible.
Dans l'insecte, il est organisé pour servir divers
membres et divers instrumens : or, ceux-ci peuvent
être en défaut, et c'est de leur concours unanime
à un même but, que naît Thabileté, aussitôt que. la
créature existe dans la plénitude de ses forces.
Par là nous voyons pourquoi, à mesure que les
créatures s'élèv^it, leurs instincts sont plus indér-
terminés, en même temps que la puissance infail-
lible de leur habileté va en diminuant Par exem-
pl^, à mesure que le principe organique que nous
désignons par les mots de forces de formation^
^ impulsion^ de sensation ^ de combinaison arti-
ficielle^ fnais qui en dermer résultat n'est qu'un
seul et même pouvoir organique» se sous -divise
en un plus grand nombre d'organes et de mem-
bres ; à mesure que les sphères d'action où il
réside se multiplient avec le$ obstacles et les er?-
reurs de détail, la force de rinstinct s'affaiblit,
et l'empine de la volonté, et par conséquent ce-
lui de l'erreur, augmentent en égale proportion.
U ÊLut que les sensations se tiennent l'une l'autre
i
/
^
f
l44 LIVRE III. .
en équilibre et qu'elles soient en hârpgionie, entre
elles. Salut, donc, instiact tout r puissant, guide
infaillible! L'irritation obscure^ qtii dans une sphère
déterminée, séparée de toutes les autres, renferme
en soi une sorte d'omniscience et d'omnipotence,
se partage alors en rameaux et en. branches. Puis-
• qu'elle reçoit de la nature moins de r connaissances
instmctives, la créature capable d'instruction est
obligée d'apprendre^ il faut qu'elle exerce ses forces,
précisément parce qu'elle est naturellement plus
faible et moins industrieuse : mais, par l'effet de
son perfectionnement progressif et de la division
de ses pouvoirs , elle a obtenu de nouveaux moyens
d'actions , des organes plus nombreux et plus
parfaits pour distinguer ses sensations et pour
faire le meilleur choix; ce qui lui manque en
intensité d'impulsion , est compensa par une com-
position plus étendue et plus parfaite. . Elle est
susceptible d'un contentement intérieur plus pur ^
elle fait un usage plus libre et plus varié de ses
forces et de ses membres; et tout cela, parce que,
pour m'exprimer ainsi, son ame organique est dis-
tribuée avec plus de pureté et de variété entre
ses organes.
Examinons maintenant quelques-unes de ces lois
admirables qui président au développement graduel
de la créature, et cherchons par quels moyens
le Créateur l'a accoutumée peu à peu à combiner
CHAPITRE V- 145
plusieurs idées ou sentimens^ et à se servir libre-
menti dans une sphère donnée j de plusieurs sens
et de plusieurs membres,
CHAPITRE V.
Par quelle progression la créature s'élève
*jusqua combiner plusieurs idées entre
elles, et à faire un usage plus libre de
ses sens et de ses membres.
1. Un instinct obscur, mais puissant, voilà tout
ce que la nature inanimée possède. Les parties se
pressent Tune l'autre par des' énergies internes;
toute créature tend à acquérir une forme qu'elle
se donne elle-même. Tout est donc renfermé dans
cet instinct qui se répand indestructiblément sur
tout Têtre. La plus petite partie d'un cristal ou
d un sel est un sel ou un cristal : indivisible au
dehors, indestructible au dedans, la force de for-
mation agit 9ur chacune des parties les plus petites
aussi bien que sur le tout
2. Les plantes se composent de tubes et d'autres
parties y dont il est inutile ici de faire le détai}.
Dans ces parties, Tinstinct commence à se modi-
fier, quoique dans le tout il opère encore d'une
manière uniforme. La racine , la tige et les branches
sont toutes des absprbans; mais elles agissent de
différentes manières, par différens conduits et sur
J. 10
l46 LIVRE m.
>
différentes substances. L'instmct du Tout qui se
modifie avec elles et en elles, reste identique et
indivisible dans le Tout; car la propagation n'esl
en elle-même rien autre que la floraison de la
croissance^ et ces deul penchans sont essentiels
à la nature de la créature.
3. Dans les zoophytes la nature commence im-
perceptiblement à séparer certains organes et avec
eux, leurs pouvoirs inhérens : les organes de la
nutrition deviennent visibles; le fruit se détache
déjà dans le sein de la mère, quoiqu'il continue à
être nourri comme une plante. Plusieurs polypes
sont les rejetons d'une seule et même tige; la nature
a fixé leur place , et les a dispensés de la locomo-
tion. Le limaçon a un pied large pour fiiir dans sa
maison. Les sens de cette créature sont obtus et
' confus; ses penchans ajgissent avec lenteur, mais
avec une force intime; la copulation du limaçon
dure plusieurs jours. Ainsi, autant qu'elfe le pou-
vait, la nature a dispensé ce commencement a or-
ganisation vitale, de la variété d'action^ qu'elle a
concentrée* dans un mouvement simple et obtus:
' la vie tenace du limaçon est presque indestructible.
4. En s'élevant à un degré plus haut dans l'échelle
animale , elle continue à observer avec sagesse la
même précaution pour préparer la créature à une
plus grande variété de sens et d'instincts. Lm-
secte ne peut accomplir en une seule fois tout
CHAPITRE V. 147
ce qu'il doit accomplir: il faut donc qu'il change
de forme et d'être ; d'abord , sous la figure de la
chenille, il satisfit au penchant de la nutrition,
et ensuite, cçmme papillpn, à celui de la pro-
pagation* Il lui eût été impossible de remplir ces
deux destinées , s'il n'eût eu qu'une seule forme.
Une espèce seule -(Tabeilles ne pourrait suffire à
tout ce qu'exigent les besoins et la propagation
du genre : aussi la nature les a divisées en trois
classes; la première faite pour travailler, la se-
conde pour. féconder et la troisième pour per-
pétuer l'espèce. U ne lui a fallu que modifier très-
faiblement l'organisation pour donner aux pou-
voirs de la créature une direction nouvelle. Le
résultai quHl lui était impossible dratteindre par
le moyen d^un seul modèle ^ elle Va obtenu en
divisant le modèle en trois parties y en rapport
Puhe avec Foutre^ comme les fr'agmens d^un tout.
Ainsi elle a partagé la: mission des abeilles entre
trois espèces, comjne die a enseigné au papillon
et à d'autres insectes leurs innocens travaux sous
deux'foirmés différentes.
5. A mesure qu'elle avance dans sa marche pro-
gressive et' qu'elle cherche à multiplier les sens et
à les unir à l'action de la volonté, elle fait dispa-
raître les membres inutiles et simplifie la structure
interné et externe. En se dévètissant de sa peau, la
chenille se débarrasse de cette multitude de pieds
l48 UTRE 111/
qui ne seront plus nécessaires au papillon. Les
créatures plus relevées sont loin d'avoir autant de
pieds que les insectes , ni autant d'yeux avec toutes
-les variétés qu'ils présentent, ni leurs antennes et
beaucoup d'autres de leurs petits instrumens. La
tète de ces derniers ne renferme qu'un cerveau
très -peu volumineux. Il a son siège très -bas en
avant de la moelle épinière, et chaque ganglion
nerveux constitue un nouveau centre de sensation.
Ainsi l'ame du petit artiste est répandue dans tout
son corps. Plus la créature devait recevoir dç spon-
tanéité et d'intelligence, plus son cerveau est grand
et perfectionné; et de là, les trois parties princi-
pales du corps sont entre elles dans des rapports
plus exacts que dans les insectes, les vers, etc.,
où elles manquent entièrement de proportion.
L'amphibie traîne après lui une queue d'une force
et d'une grosseur énormes; mais ses pieds sont
difformes et mal assortis entre eux. La nature a
relevé son buvrâge dans les quadrupèdes : les jambes
sont plus longues et se rapprochent davantage l'une
de Tautre; la queue, avec la portion de la ver-
tèbre qui s'umt à elle, se raccourdt et diminue;
elle perd la force musculaire qu'elle a. dans le cro-
codile, et devient plus flexible et plus mince; dans
les animaux les plus par&its, elle n'est plus qu'un
rameau chevelu , qui à la fin disparait entièreipent
lorsque la nsAure approche de la forihe droite : la
CHAPITRE y. 149
moelle en est portée plus haut, et se répand dans
des parties plus nobles.
6. En même temps que l'artisan créateur éta*
blissalt dans le quadrupède la proportion la plus
convenable pour l'instruire à exercer certains sens ^
certains pàw^oirs combinés ^ et à les concentrer dans^
une seule forme de pensée et de sensation , il chan-
geait la figure de chaque espèce suivant la manière
de vivre à laquelle il la destinait, et avec les mêmes
parties et les mêmes membres il composait pour
chaque, genre une harmonie propre, et déposait
dans chacun d'eux une intelligence particulière et
dijflférente de toutes les autres. Cependant il ne
laissait pas de maintenir une certaine ressemblance
entre les destinées des êtres, et tout parut indiquer
qu'il poursuivait une grande fin. Cette grande fin
est évidemment d'approcher par degré de la forme
organique qui s'accorde avec la plus grande com-
binaison d'idées, et l'usage le plus varié et le plus
libre de divers sens et de divers membres ; et c'est
là ce qui constitue le plus ou le moins d^ùmanité
des animaux. Ce n'est point ici, il est vrai, un
artifice de la volonté , mais un résultat de diverses
formes, qui ne pouvaient être combinées que pour
remplir le but particulier que la nature leura assigné,
c'estrà-dire, pour mettre en oeuvre des pensées, des
sens , des instincts et des désirs , dans telle propor-
tion , pour telle fin et non pas pour telle autre.
i5o uvRE m*
Les parties de chaque animal sont Tune à l'autre
dans la proportion la plus exacte, selon la place
qu'elles occupent, et je suis persuadé que toutes
les formes sous lesquelles peut exister une créature
vivante sur la terre, exbtent réellement Les ani-
maux marchent à quatre pdttes, parce qu'ils ne
peuvent pas ,se servir de leurs pieds de devant,
comme, de mains humaines ; mais par cela même,
il leur est plus facile de grimper, de. courir, de
sauter, et de mettre en action leurs autres sens
instinctifs. Ils ont la tète penchée vers la terre,
parce qu'ils, tirent leur nourriture du sol : la plu-
part d'entre eux ont l'odorat très ^délicat, parce
qu'il doit éteiller ou guider leur iâstinct L'un a
pour lui une vue perçame , l'autre l'excellence de
l'ouïe 3 et ainsi la nature a choisi, non^seulement
dans la iconstitution générale des quadrupèdes , mais
encore dans la formation de chaque espèce en par-
ticulier, le système d& pouvoirs et de sens.tpii de-
vait le mieux s'exercer dans une pareille organisa-^
tion. D'après ce^, elle ' a ' ou Taccourci ou alongé
les membres; elle a augmenté .ou diminué la force.
Toute créature est un numérateur du grand déno-
minateur, qui . e^t la nature même : l'homme lui-
même n'est qu'une fraction du tout, un ensemble
de pouvoirs qui ont à se former eux-mêmes en un
seul tout , suivant tçUe organisation et non pas telle
autre, par le concours général de divers membres.
CHAPITRE V. l5l
' ^ Il faut nécessairement , dans une organisation
terrestre ainsi établie, qu^ aucun pow^oir^ qu^ aucun
penchant n^en détruise un autre; et c'est une chose
merveilleuse que le soin que la nature met à remplir
ce but. La plupart des animaux ont leur cîimat pro^
prej qui est précisément celui où ils peuvent le plus
aisément se nourrir et propager leur espèce. Que
la nature les eût organisés d'une manière plus indé-
terminée, avec la faculté de supporter divers cli-
mats; à quels besoins, à quel isolement plusieurs
espèces n'eussent - elles pas été. exposées, si bien
qu'elles eussent fini par périr? Cest ce que nous
vojons par les espèces les plus flexibles et qui ont
suivi l'homme dans toutes les contrées. Chaque
pays leur a laissé une empreinte particulière, et
le chien est un des animaux les plus féroces lors'-^
qu'il devient sauvage. L'instinct de la propagation,
augmenterait encore la férocité de la créature^ s'il
était enfermé dans des limites moins détenninées;
mais il a été enchaîné par le Créateur. Il ne s'éveille
qu'à. une certaine époque, quand la chaleur orga-
nique de l'animal est au plus haut degré; et comme
cet effet dépend des révolutions physiques de la
croissance, de celles des saisons, de l'abondance de
la nourriture, et que d ailleurs le suprême ordon-
nateur des choses a déterminé le temps de la gesta-
tion , il y a autant de précautions prises pour l'en-
&nce que pour l'âge mûr. Le nouveau -né arrive
l5a ' LIVHE MI.
I-
dans le monde, s'il est en état d'y prospérer Jpti
il passe la mauvaise saison enfermé dans un oeuf^
jusqu'à ce qu'il soit éveillé par un soleil plus bien-
veillant; l'adulte ne sent en lui la force de cet ins-
tinct, que quand il n'en contracte plus d'autres:
c'est aussi par là que s'établissent les rapports des
espèces dans la durée et la force de ce penchant.
On ne peut dire avec quelle affection toute ma-
ternelle la nature a suivi cette marche dans Tédu^
cation de la créature vivante , qu'elle a accoutumée
peu à peu au genre d'actions, <^e pensées et de
vertus qui convenaient à l'organisation dont elle
l'avait pourvue :,elle ^préconçu cet ordre, quand
elle a déposé ces pouvoirs dans une organisation
donnée, et qu'elle a fait à la créature une loi de
voir, de désirer et d'agir dans cette organisation,
de la manière qu'elle prévoyait, et selon les be-
soins, les pouvoirs, l'espace qu'elle lui donnait
dans les hmites de ce tout organique.
Il n'est pas de vertus, de penchans dans le coeur
humain, qui n'aient quelque part dans le monde
animé, un point correspondant auquel la mère de
toutes les formes a accoutumé organiquement l'ani-
mal. Il faut qu'il pourvoie à ses propres besoins;
il faut qu'il apprenne à aimer ses petits. La néces-
sité étales saisons l'obligent à se réunir en soâété
avec les individus de son espèce, quand. ce ne
serait que pour avoir des compagnons de voyage.
CHAPITRE T. l55
L'instînét pousse tel animal à Tamour; la nécessité
conduit tel autre au mariage, à une sorte de répu-
blique et d'ordre social. Quelque confus que soit
ce fait intérieur, et quelque courte que soit la
durée de son action, il est empreint dans la nature
de l'animal, il s'y manifeste avec évidence, et ses
retours sont irrésistibles, indestructibles. A mesure
que ses opérations se concentrent davantage dans
la profondeur de l'organisme, qu'elles sont plus
confuses, à mesure qu'il y a moins de pensées en
mouvement, et que la for4| d'impulsion agit plus
rarement, l'instinct a plus d'empire et ses effets
sont plqs parÊûts. Ainsi partout se reproduisent,
dans la sphère où les animaux se développent, des
représentations de certains actes propres à l'espèce
humaine; et s'il est un péché contre nature, c'est
de s'obstiner à les considérer comme des machines,
quand nous voyons de nos yeux leur système ner-
veux , leur constitution , qui ressemblent aux nô-
tres, leurs besoins et leurs genres de vie qtû sont
les méme$.
U ne faut donc pas s'étonner que plus une espèce
ressemble à l'homme, plus son art mécanique di-
minue; car alors elle est déjà dans un cercle pra-
tique de pensées plus conformes à l'humanité. Le
castor, qui n'est autre qu'un rat d'eau, bâtit avec,
art son habitation; le renard, le mulot, et d'autres
animaux semUables, ont leurs constructions arti-
l54 LIVRE in.
ficîelles et souterraines. Le chien, le cheval, le
chameau, l'éléphant, n'ont pas besoin de ces arts
élémentaires; ils ont des idées comme celles de
l'homme. Poussés par la main plastique de la nature,
ils développent leurs penchans comme il le fait
iui-méme.
CHAPITRE VI.
Différence organique entre Vhomme et les
animaux.
#
Cest une grande erreur que de dire à la louange
de l'homme, que les pouvoirs et les capacités de
toutes les autres espèces sont concentrés en lui
avec la perfection la plus achevée : une telle asser-
tion est non-seulement sans preuves, mais elle se
détruit d'elle-même. Comment Thomme pourrait-
il en même temps s'épanouir comme la fleur,
palper comme l'araignée, bâtir comme l'abeille,
sucer comme le papillon, et de plus posséder la
force inusculaire du lion, la trompe de l'éléphant
et l'art du castor? Possède -t- il, je dirai plus,
comprend -il un seul de ces pouvoirs avec cette
intensité que l'animal met à en jouir, et à le dé-
velopper?
D'autre pan, il «n esi qui l'ont, non pas dégradé
jusqu'au rang des animaux, mais entièrement dé-
pouillé du caractère de son espèce; et Us en ont
eRAPITRE YI, 1 55
fait un animal dégénéré, qui, s'efforçant incessam-
ment d'atteindre à un plus haut degré de perfec-
tion» a tout-'à-fait perdu l'individualité de s^n espèce.
C'est ce qui est évidemment contraire à la vérité
et au témoignage de son histoire naturelle* Il a ,
sans aucun doute, des qualités qu aucun autre ani-*
mal ne possède, et il fait des actions dont le bien et
le mal lui appartiennent véritablement en propre.
Aucun animal n'a le langage de l'homme y et encore
moins ses écritures, ses traditions, sa religion, ses
droits et ses lois arbitraires; en un mot, aucun
animal n'a la figure, le vêtement, l'habitation, les
arts, la manière de vivre indépendante, les pen-
chans indomptés et les opinions flottantes qui dis-*
tinguent presque chaque individu du genre humain.
Nous n'examinons point si tout cela est à l'avantage
ou au détriment de nôtre espèce ; il suffit que ce '
soit là son caractère dominant. Puisque tout animal
reste conforme, dans l'ensemble de sa vie, aux
qualités du genre dont il fait partie, et que nous
seuls avons fait un Dieu de notre volonté et non
de la nécessité , cette différence doit être exami-
née comme un fait; car c'en est un incontesta-
blement : que si l'on demande comment Thomme
est arrivé à cette différence; si elle est naturelle,
bu circonstantielle et acquise ? Ces questions sont
d'un autre genre et n'appartiennent qu'à l'histoire..
D'ailleurs la faculté qu'il a de se perfectionner ou de
i56
Lrmz m.
se corrompre, et cfu'aucun atûmal ne partage avec
/lui, est un des caractères 'distinctifs de son espèce.
Laissant donc de côté toute métaphysique, nous
nous bornerons à la physiologie et à l'expérience.
1, L^aitUude de P homme est droite: en cela,
U a sur la terre un caractère distinctif; car, bien
que l'ours ait aussi i;ui pied large, et qu'il se tienne
droit quand il combat; bien que le singe et le
py gmée ^ se mettent quelquefois à marcher et à
courir, le corps dressé, l'espèce humaine est la
seule pour laquelle cette position soit naturelle et
constante. Le. pied de l'homme est plus ferme et
plus large; son orteil est gros et long, tandis que le
singe n'a qu'un pouce opposable; en même temps
son talon est de niveau avec la plante du pied.
Tous les muscles doiut le concours est nécessaire,
sont appropriés à. ce mode de station. Le gras de
la jambe s'arrondit; le bassin se retire en arrière;
l'épine du dos est moins courbée; la poitrine
s'élargit; les épaules ont des clavicules; les mains
ont des doigts exercés au toucher : pour couron-
ner son organisation , la tète, en se retirant, s'élève
sur les muscles du cou. L'homme est ecyOçcûTfeç^i
il regarde au loin, au-dessus et autour de Ijui.
Il Ëiut avouer toutefois que ce mode de station
n'est pas teUement essentiel à l'homme, que le
1. Le simia troglodytes de Linné.
a. De flevA», en haut, et de ^tafitâ^ regarder.
#
CHAPITRE tl. * l57
contraire lui sôit aussi impossible que de voler;
non-seulement cela se voit par les enfans, mais
encore l'expérience la démontré par l'exemple dés
hommes qui ont été élevés' au milieu des animaux.
On connaît onze ou douze exemples de ce genre %
et quoiqu'ils n'aient pas été. tous suffisamment ob-
servés et décrits, pourtant quelques-uns prouvent
évidemment que la démarche la plus incommode
à l'homme n'est pas impraticable à sa nature flexible.
Sa tête et son abdomen font une légère saillie; son
corps peut donc tomber en avant, comme quand
la tète penche dans le sommeil. Nul corps privé
de vie ne peut rester debout Ce n'es^t que par l'exer-
cice combiné d'actions innombrables que notre
manière artificielle de nous tenir droit et de mar-
cher, devient possible.
Ainsi , on peut concevoir aisément qu'en se
prêtant à la démarche des quadrupèdes, plusieurs
membres du corps humain doivent changer de
fomies et de proportions ; c'est ce que l'on voit
par les hommes sauvages. L'enfant irlandais, décrit
par Tulpius, avait le front plat, l'occiput élevé,
le gosier alongé et d'où sortait une espèce de bêle-
ment, la langue épaisse et qui totiçbait presque
au palais, et le creux de l'estomac profondément
enfoncé : c'est précisément ce qui doit arriver dans
1. Voyez le Système naturel de Lionéj le Supplément de
Martini à Baffbn, etc.
•
l58 . LITRE m.
ta marche quadrupède. Là jeune 611e 'flamande, qui
marchait' droite, et qui conservait encore beau-
coup de choses de la nature de la femme, x^omme
de se parer d'un tablier de paille, avait la peau
brune, épaisse et velue, et de longs cheveux épais.
La jeune fiUe trouvée à Songi, en Champagne,
avait Tair ^sombre et hagard ; ses doigts étaient sin-
gulièrement nerveux et ses ongles d'une longueur
démesurée; ses pouces surtout étaient si forts et si
alongés, qu'elle s'élançait d'arbre en arbre comme
un écureuil : son pas rapide n'-était pas celui de
la niarche; elle semblait fuir en sautillant et en
glissant; à peine pouvaitron distinguer le mouve-
ment de ses pieds. Le son de sa voix était faible
et tendre ; son cri , perçant et glacé : elle avait
une force et une agilité extraoïdinaires , et il lui
était si difficile de se priver de sa nourriture accou-
tumée, qiû se composait de chair crue et saignante,
de poisson, de feuilles et de fruits, que noh-^eu-
][ement elle fit tous ses efforts pour échapper à
ses gardiens, maiis qu'elle tomba dangereusement
malade, et qu'elle ne put trouver de soulagement
qu'en suçant du sang, chaud , qui glissait dans ses
veines comme une sorte de baume. Ses dents et
ftes ongles tombèrent à mesure qu elle s'accoutuma
À notre nourriture. Des douleurs insupportables
resserraient son ^estomac et ses entrailles, particu-
lièrement l'œsophage, qui se dessécha et se con-
CHAPITRE VI. iSg
suma; preuve incontestable que la nature flexible
d'un être humain, même quand il est lïé et a été
élevé pendant quelque temps au milieu des hommes,
peut s'habituer en peu d'années au mode inférieur
de la vie des animant^ parmi lesquels il a été jeté
par quelque hasard funeste.
Comment pourrais -je décrire l'odieux spectacle
que l'homme eût présenté, s'il eût été condamné
par le destin à être un fœtus animal dans le sein
d'un quadrupède? Quels sont ceux de ses pou-
voirs qui auraient été fortifiés ou affaiblis ? quelles
seraient la démarche, l'éducation, la manière de
vivre, la structure physique de l'animal humain?
Mais, loin de moi, image impie, image épouvan-
table ! monstre effrayant dont la. Nature s'indigne!
0
tu n'existes pas '^dans le monde; ma plume ne
dessinera pas tes traits.
2. Uattitude droite de Vhùmme n^esi naturelle
qu^à lui; mais cette forme d^ organisation est corn-,
mune à toute son espèce ^ dont elle est le caractère
distinctif.
On n'a trouvé sur là terre aucune nation qui
marchât sur les pieds et sur les mains. Les plus
sauvages, quelque rapprochées qu'elles soient des
animaux dans leurs formes et leur manière de vivre,
en diffèrent toutes par le mode de station. Il n'est
pas jusqu'aux automates de Diodore, et à quelques
autres êtres fabuleux des écrivains de l'antiquité et
l6o UYRE III.
du moyen âge, qui ne soient des êtres bipèdes; et
je ne puis concevoir, comment, l'espèce humaine,
si elle n'a reçu de la nature qu'une attitude abjecte
et horizontale, a pu jamais s'élever à une attitude
si contrainte et si compliquée. Que n'a-t-il pas fallu
pour accoutumer à notre nourriture et à notre
manière de vivre, les hommes sauvages que l'on a
découverts ; pourtant ils n'étaient pas sauvages on-
^nairementr et ne. l'étaient devenus, qu'en demeu-
rant quelques années au milieu des animaux. La
jeune fîUe de la terre de Labl^ador avait quelques
idées de son premier état, et die conservait quel-
ques traces du langage et des instincts de son pays
natal ; mais sa raison ne dépassait pas le cercle de
l'instinct animal : il ne lui restait aucun souyenir
ni de la traversée, ni de la vie , sauvage. Celles
dont nous avons parlé plus haut, non-seulement
étaient privées de la parole , mais semblaient en
être privées pour toujours. — Et lanimal hu-
main y s'il eût été pendant des siècle^ de . siècles
dans cet état abject, et que par des proportions
enlièrement différentes il eût reçu la forme qua-
drupède dans le sein de sa mère, eût abandonné
cet état de son propre mouvement et se fût élevé
à l'attitude droite ! De la condition de l'animal qui
le courbait vers la terre, comment eût-il pu s'élever
k l'état d'homme, et avant qu'il ne fut homme,
inventer la parolle humaine ? Si l'homme eût corn^
CHAPITRE. VI. . l6l
nencé par marcher sur les pieds et sur les mains,
issurément il n'aurait point changé; et il n'y a que
le prodige d'une seconde création qui eût fait de
lui ce qu'il est maintenant, et ce que son histoire
et l'expérience nous attestent à chaque pas»
Pourquoi donc embrasserions -nous des para*
doxes dénués de preuves , et même entièrenient
contradictoires, quand la constitution de l'homme,
l'histoire de son espèce, et, comme je le pense',
toute l'analogie de l'organisation terrestre, nous
conduisent à d'autres résultats. De toutes les Créa-
tures que nous connaissons, aucune ne s'est éloi-
gnée de son or gtinisaiion . originelle, jusqu'à se
prêter à une autre qui soit inconciliable avec la
première. Elles ne peuvent agir qu'avec les pou-
voirs inhérens à leur organisation, et la nature né
manque pas de moyens pour retenir chaque créa-
ture dans la sphère quelle lui a assignée. Tout, dans
rhomme, est approprié à la forme que nous lui
voyons maintenant C'est par elle que tout s'ex-
plique dans son histoire: sans elle.il n'y a plus
qu'obscurité et contradiction ; et puisque toutes les
formes de la création aniinale semblent converger
à la sienne, conune à l'image élevée de la divinité
et à la b^uté la fins achevée, la plus par&ite
que la terre puisse présenter; puisque sans elle le
monde serait privé de son ornement suprême et
de sa couronne, comme si la dokninatton de l'homme
I. Il
l62 LIVRE IIL CHAPITRE TI.
xnanquait à FtimTers; pourquoi abaisserions -nous
dans 1« poussière le diadème de notre destinée, et
Armerions - nous obstinément les yeux à l'édat
dont resplendit ce point central dans lequel pa-
raissent se réunir tous les rayons du cercle.
Quand l'auteur des choses eut achevé son ouvrage
et ^uisé en apparence toutes les formes posnbles
sur notre terre, il s'arrêta et contempla le produit
de ses msôns; et comme il vit que la terre manquait
encore de son principal ornement^ de son souve-
rain, et d'un secoi^d Créateur, il prit conseil en
lui - même y il combina entre elles les formes et
composa son chef-d'œuvre, ]ia beauté humaine
Avec une affection de përe, il tendit la main à
la dernière créature de sa pensée, et liû dit : Sois
débout sur la terre! Abandonné à toi-même, ta
eus été un animal , semblable aux autres animaux;
mais par mon appui et mon amour, marche la
iéte levée y et sois le Dieu des animaux.
Considérons, avec des yeux de reconnaissance,
dans cet acte sacré, le bienfait qui fit de nôtre race
une espèce véritablement humaine; nous remar-
querons avec admiration quel nouvel ordre de pou-
voirs commença avec l'attitude droite de l'homme,
et comment par cela seul l'homme devint Houbie.
LITRE IV. CHAPITRE I. l6S
LIVRE IV.
CHAPITRE PREMIER.
Lhomme est par son organisation 'hn^ être
raisonnable.
L'orang-outang ressemble intérieurement et ex-
térieurement à Thomme; son cerveau a la même
forme; il a d'ailleurs la poitrine large, les épaules
plates j son visage.se rapproche du nôtre, et son
crâne est jeté dans le même moule. Son cœur,
ses poumons, le foie, la rate, Testcmiac et les in-
testins sont semblables à ceux de l'homme. Tyson ^
a distingué qqarante - huit parties dans lesquelles
il ressemble plus à notre espèce qu'à celle du
singe; et les actions que Ton raconte de lui jus-
<{u'à ses vices et ses folies, et probablement aussi
sa menstruation , présentent des similitudes avec
Tespèce humaine.
n est donc incontestable que dans jses actes in-
ternes, dans les opérations de sa pensée, il doit
présenter aussi quelque ressemblance avec l'homme,
et les philosophes qui voudraient ne voir en lui
I. Tjrson^s Anatomy of a pygmy compared with that of a
McnhffTf an ape, and à mo/i. Lond.^ 175 1| pa^i, 99-»^4-
i64 . iivRE ir:
qu'une simple machine animale, manqueraient à
n'en' pas douter de termes de comparaison. Le
castor se bâtit une habitation, mais il n'obât qu'à
l'instinct; tout le mécanisme de son être est com-
biné pour cette opération : mais il ne peut rien
faire de plus, ni s'associer avec l'homme, ni pren-
dre part à ses idées et à ses passions. Le singe,
au contraire, n'a pas un instinct déterminé; son
mode de pensée, qui touche d'une part aux limites
de la raison y ne quitte pas le champ de l'imitatioD.
Il .imite tout, et ainsi il Êiut que son cerveau soit
propre à des milliers de combinaisons d'idées sen-
sibles , dont aucun autre animaf n'est capable ; car
ni le sage éléphant , ni ne chien industrieux, ne
peuvent faire ce que Ëdt le singe. Que serait-ce,
s'il se perfectionnait lui - même I mais c'est ce qui
lui est impossible ; il y trouve un t>bstaclé invin-
cible : son cerveau est incapable de combiner avec
«es propres idées celles d'autrui, et de faire ce qu'il
imite comme une chose qui lui serait propre. La
femelle décrite par Bontius, avait une sorte de
modestie et se voilait de sa main quand un étranger
entrait : elle soupirait , pleurait et semblait accom-
plir des actions humaines. Les ) singes dont parle
Battel, marchent en sociétés, s'arment de massues,
et chassent les éléphans de leur voisinage. Le singe
que de la Brosse mettait à table, se servait d'un
couteau et d'une fourchette; il était susceptible de
CHAPITRE I. .l65
tnstesse, de confiante et de toutes les: passions hu-
maines. L'aihour des mères pour leurs petits, leur
éducation, la manière dont elles leur apprennent
les arts et les ruses de la ^ie des singes, les régle-
mens de leur société j les châtimens qu'ils infligent
aux malfaiteurs , ~ jusqu'à leurs tours plaisans et
leurs malices , prouvent par . un grand nombre
d'exemples incontestables, «.que ces créatures res-
semblent intérieur^nent à l'homme' autant' que
Tindiqué leur extérieur. C'est en vain que Bufibn
prodigue les efforts de son giénie, quand à l'occa-
sioB de ces animaux il combat la ressemblance de
l'organisme interne avec l'organisme externe. Les
&its qu'il a lui'^mème rassemblés suffisent pour le
réfuter; et l'uniformité de l'organisme, au dedans
et au dehors, si elle est bien définie^ est tellement
manifeste qaon la saisit à travers toutes les formes
de l'être animé.
D'où vient donc qu'un être si semblable à
l'homme n'est pas homme? C'est peut-être uni-
<{uement du langage? Mais on a pris la peine d'eu
élever plusieurs; et si cet animal, qui imite tout,
pouvait reproduire la parole, c'est ce qu'il aiu^it
commencé par imiter sans attendre qu'on - l'eût
instruit j n'est-ce que l'organe qui lui manque?
Non, certainement; car, bien qu'il comprenne ce
qu'il y a. de vulgaire dans le langage.de l'homme,
fit qu'il ne cesse de gesticuler, pourtaiit le singe
l66 LIVRE iv.
I
n'a jamais acq[tiis k faculté de converser par la
pamomime avec son maître, et de discourir par
gestes. Il Ëiut donc chercher ailleurs pour quelle
raison l'intelligence humaine a été refusée à cette
créature, qui peut -être m a un obscur pressenti-
ment , sans être pour cela plus en état darriver
jusqu'à elk. ^ •
Or, comment l'eicpliquer ? Il est ranarquable
que presque toute la différence que la dissection
découvre entre ces deux êtres parait consister dps
les pOiriies appropriées à la marche. Le ^inge est
formé comme pour la station droite ; aussi est-il
plus semblable à Thomme que ses frères ; naos il
n'est pas formé en ^itiér pour cela, et cette Mfr
rence semble le priver de tous ses autres avantages.
Suivons cette lueur, et la nature die- même now
guidera dans le sentier où nous devons chercher
les premiers fondemens de la supériorité de rbomme.
L'orang - outang ^ a les bras longs , les mains
grosses, les jambes courtes, et les pieds gros avec
1. Vdyex Camper : Kort Berigt wegens de Ontleding van
versehiedene Orang-Outangs ^ Mémoire abrégé sur la dissection
de quelques orasg-oBjUngs) Amsterdam^ 1786. Xe ne eonsais
ce Mémoire que par le long extrait qui en a été fait dans »
Revue littéraire de Gœttingne (Gœttingisehe geUkrte Jmeigent
Zugabe^ St, 29 j 1780), et il faut espérer que cet ourrage»
ainsi que ITEssaî sur les organes de la parole dans les singes i
seront insérés dans la coUeàion des Traités de ce célèbre ana*
^tomiste. (Leipsic, 1781.}
CHAPITRE I. I&J
des doigts Congés ; mais le pouce dé la niain et
le grand orteil du pied sont comparativement très-
petits. Bufibn , et Tyson avant lui , donnent d'après
cela au ange le nom d'e^èce quadrumane ; et il
est évident que la base qui permet à l'homme de se
tenirdroit, manque au singe, à cause de la petitesse de
ces articulations : la partie postérieure de son corps
est amaigrie; ses genoux sont plus gros que ceux
de l'homme et placés plus haut Les muscles qui
meuvent les genoux partent d.e l'os de la cuisse
plus bias que dans l'hoipme^ de tdle sorte que
ranimai ne peut jamais se tenir parfaiteme;nt droit;
mais^ avec ses genoux arqués, il semble pour ainsi
dire apprendre à se dresser* La tète de l'os de la
cuisse pend dans sa cavité sans aucun ligament»
Les os du bassin sont comme ceux des quadru-
pèdes; les cinq dernières vertèbres du cou ont des
appendices longs et pointus, qui empêchent la tète de
se porter en arrière. Ainsi la créature n'est pas for-
mée pour rester droite, et les conséquences qui en
résultent sont fâcheuses pour elle. Son cou est court
et les clavicules sont si longues que la tête semble
enfoncée entre les épaules ^ Les parties antérieures
prennent beaucoup de développement ; les mâ-
choires sont fortement articulées , et le nez est aplati.
Les yeux sont placés près Tun de l'autre ; la pru-
1. Voyez dans Tyson une figure de face et par derrièf^.
l68 LIVRE IV.
nelle 4e l'œil est si petite qu'on ne vdit aucun blanc ;
au contraire, la bouche est grande , le ventre replet,
la poitrine longue et le dos très-faiblé* Les cavités
orbitaires sont rapprochées l'une de l'autre; l'arti-
culation de la tête est postérieure comme chez les
autres animaux, et non plus centrale et apgulaire
comme dans l'homme. La mâchoire inférieure est
proéminente et l'os intermaxillaire achève de dé^
truire toute ressemblance encre la face du singe et
celle de l'homme ^ Or, de la forme même de la
tète, dont la partie inférieure se projette en aviatnt,
et dont la partie postérieure se rejette en arrière,
de la manière dont elle est placée sur le cou, des
rapports, de situation qu'ont avec elles les vertèbres
du dos, il résulte que le singe n'est qu'un animal,
quelque grande que soit sa ressemblance avec
l'homme.
Pour nous amener à cette conséquence, consi-
dérons l'habitude générale du corps dç l'homme,
laquelle semble se rapprocher, quoique de loin, des
formes de l'animal. Que faut-il pour le rabaissera
nos yeux vers hi brute j pour lui donner un aspect
bas et hideux ? Que les * mâchoires soient proémi-
" " ' ' I ■ ■ *'?■ ■■■INI ■■■ ■ I ■■ < lllllll»! I l|l I ■! I "■
1. Voyez un dessin de cet o« dans Blumenbacli, De generû
humani varietate haiivdy tab. i , fig. a : mais il ne parait pas
que tous les singes aient cet os intermaxillaire au même degré
de développement; car Tyson, dans son mémoire de difsection,
dit positivement (^ull ne Fa, point trouvé.
CHAPITRE I. l6g
nentes, que la tète sqU rejetéé en arrière ; en un
mot, la ressemblance la plus éloignée avec Torga-
DÎsation quadrupède. Au moment où le centre dé
gravité, sur lequel le crâne humain repose sa
voûte âevée, est changé; la tète semble fixée à
l'épine, la mâehoir^ se projette en avant, et lé nez
s'élargit et s'aplatit comme dans les brutes. Au-
dessus^ les cavités orbitaires se rapprochent davsm-
tage Tune de l'autre ; le front se retire en arrière ,
et il présente latéralement cette dépression qui,
daûs le eràioe du singe, marque son infériorité
dans l'échelle animale; la tête se termine en pointe
au-dessus et par derrière; la cavité du crâne se
rétrécit, et tout cela parce que la dirj^ction de la
figure , la forme dégagée de la tête dans l'attitude
droite de l'homme, est changée.
Que ce point seiil soit disposé autrement, et
toute la forme s'embellira et s'ennoblira. Le front
s ■
se produira en avant; rempH de vastes pensées, et
le crâne s'arrondira en voûte avec. un caractère im-
posant de grandeur et de calme ; le nez épaté de
l'animal sie contractera, et sa forme sera mieux des-
sinée et plus délicate; la bouche en se retirant sera
bordée et recouverte d'un tissu plus précieux, et
ainsi se formeront les lèvres de l'homme , qui man-
quent aux espèces les plus remarquables des singes*
Le menton s'abaissera pour s'arrondir en un ovale
perpendiculaire; les joues s'enfleront légèrement.
170 LVTRM IV.
et Tonl considérera les objets de dessous le front ,
qui s'avance comme le temple sacré de ^la liensée.
Et d'où vient tout cela? de ce que Ja tète est formée
pour Tatthude droite ; de ce qu'elle est intérieure-
ment et extérieurement organisée pour un centre
•
particulier de gravités Que celui qui n'en est pas
persuadé examine les crânes du singe etde l'homme,
et il ne lui restera pas l'ombre de son doute.
Toute forme externe dans la nature indique ses
opérations internes; et ainsi, mère suprême de
toutes choses» nous approchons du plus sacré de
tes ouvrages terrestres, du laboratoire de l'inteUi-
gence humaine I
On s'est .donné beaucoiqp de peine pour corn-
, parer la masse du cerveau humain avec celle du
cerveau des autres animaux; et pour avoir les
poids relatifs des cerveaux et des corps. Mais celte
manière de peser et de calcuder ne peut donner
aucun résultat exact pour trois raisons.
1. Parce que Tua des membres de h compa-
raison, la masse du corps, est trop indéterminé et
ne conserve pas un rapport invariable avec l'autre
1. Je n^ai pas lu VEssai de Daubeaton sur les différences de
la situation da grand trou occipital dans rhomme etdansles
animaux (Mémoires de rAcadémie de Paris» i764)- ^« ne saû
pas davantage quelles sont les conséquences que Fauteur en
diduit, ni jusqu^où il pouss^ ses idées. Les miennes me sont
fournies par Fexamen à^un certain nombre de crânes d^homines
et d^aniniaux que j'ai sous les yeux.
CHAPITRE I. ^ 7 ^
4
membre, qui est détenniné avec précision. Qui ignora
combien il y a peu d'homogénéité dans la nature
des choses qui composent le poids d'un corps et
combien les proportions qu'on serait tenté de leur
assigner peuvent changer! Le corps lourd de l'élé-
phant, aussi bien que sa tête massive-, sofit allégés
parle moyen de l'air, et quoique soii cerveau ne smt
pas très- volumineux, il ne laisse pas que d'être le
plus intelligent des animaux. Qu'est-ce qui pèse le
plus dans le corps de l'animal ? ce sont les os ;
or le cerveau ne leur est pas strictement propor-
ûonné.
2. Il est sans doute d'une grande importance
de savoir quelle est la fin à laquelle le cerveau con-
court dans l'économie animale, et la part qui lui
appartient dans les fonctions où il assiste les nerfs.
Si donc le cerveau et le système nerveux étaient
pesés ensemble j on obtiendrait une proportion plus
approximative, sans qu'elle fût encore d'une exac-
titude rigoureuse; d'ailleurs leur poids n'indique-
rait ni la délicatesse des nerfs, ni leur destination.
3. Ainsi, en dernière analyse, tout dépend de
la. perfection de l'élaboration, des rapports de
situation des . parties eilitre elles , de la capacité et
du «développement d'une organisation où les im-
pressions et les perceptions des. nerfs vont se com-
biner avec une grande force , avec une justesse
exquise, avec une liberté et une variété inépui-
> 1
i'J^ LIVRE IV.
sables, et surtout de Ténergie avec ' laquelle elles
s'unissent dans lentité divine et mystérietise que
nous nommons pensée^ et sur laquelle nouis ne
pouvons tirer aucun éclaircissement de l'évalua-
don de la masse du cerveau.
Toutefois les calculs que l'expérience consacre
sont précieux et méritent bien d'être pris en con^
sidération^ S'ils ne nous fournissent aucun ré-
sistât définitif, du moins ils nous^ condûiseùt à
des inductions préliminaires dont l'importance se
fait proihptement sentir; j'en mentionnerai ici
quelques-unes pour montrer l'uniformité ascen-
dante du cours de la nature.
1. C'est dans les animaux les plus petits/ dans
ceux où la circulation et la chaleur organique ne
sont qu'imparfaitement développés , que 4è cerveau
présente , toute proportion gardée , un moindre
volume , et que le système nerveux eslt le plus
incomplet. La nature, conime nous l'avons déjà
remarqué, a fait pour ces derniers en irritabilité
intime ou expansive, ce qu'elle a été obligée de
= — ^ • _ , ^ .
1 . On trouve un grand nomlire de ces données dans le graVid
onvrage de Haller sur la physiologie , et il est bien' à désirer
que le professeiir Wrisberg fasse connaître les nombreuse^ «x-
périences qu'il indique dans ses Notes sur le petit Traité de la
physiologie de Haller 5 car nous verrons bientât que le poids
ftpéci£que du cerveau, tel quHl Ta évalué, est un type plus
«zact €fvkt celui qiii a été employé dans les calculs pirécédeoi.
CHAPITRS I. 1 75
leur refuser en .sensibilité ; car il est probable qud
forganisme de ces créatures ne pouvait, /dans son
élaboration ) ni produire, ni comporter un {dua
grand cerveau.
2. Dans les animaux à sang dhaud , la masse du
cerveau augmente à proporûon que leur organisa^
tioa est plus élaborée; mais ici surviennent d'autres
considérations, qui sont fondées plus spécialement
sur la connaissance des rapports établis entre les
nerfs et les forces musculaires. Dans les animaux
de proie le- cerveau est plus petit : ee qui domine
dans ces derniers, c'est l'irritabilité animale, c'est
la force musculaire , à laquelle, le système nerveux
est presque toujours assujetti Dans les animaux
pacifiques et herbivores, le cerveau est plus déve»
loppé j mais encore il semble être surtout employé
dans les nerfs des sens. Les oiseaux ont beaucoup
de cerveau ; car dans leur élément plus froid , il
leur Êiut un sang plus chaud. La circulation est
confinée, d'ailleurs dans une sphère plus étroite
dans, leur corps, qui e^ en génénd petit. Dans, le
moineau lascif, le cerveau remplit toute la tète,d
est égal en poids à un cinquième du corps. i
3. Dans les créatures jeunes, le cerveau est pluf
volumineux que dans celles qui ont atteint tout
leur développonent; ce qui vient évidemment de
ce qu'il, est plus mou^ plus tendre , qu'il présente
ainsi un plus grand volmne sous un poids égii^
1 76 LIVRE IT*
s'écarte nulle part , pas même dans le moindre yer^
dans le moindre insecte, et qu'elle change d'une
manière presque imperceptible dans chaque espèce,
suivant la variété de l'oi^ani^tion externe; mais
tout en le modifiant, elle le dévdoppe, elle l'agran-
dit, elle le perfectionne, jusqu'à ce qu'à la fin il
atteigne son. plus haut degré d'épuration dam
l'homme. "Le cervelet s'achève avant le cerveau;
«plus étroitement uni à la moelle épinière , dont il
se rapproche davantage par son ori^ne , il établit
des points de ressemblance entre pinceurs, espèces,
qui n'en présentent d'^lleurs aucun dans la con-
figuration du cerveau. Et il ne Êiut pas que ceci
nous étonne , puisque des nerj& d'une grande im-
portance pour l'économie animale partent du. cer-
velet, de telle sorte, que la liature, pour produire
la fleur de la pensée, en jeta les. premiers germes
dans l'épine dorsale eties développa dws les parties
.antérieures.
2. Les lobes du cerveau paraissent sous (ritusieurs
rapports plus achevés dans leurs, plus nobles
parties. Non -seulement leurs circonvolutions sont
plus profondément et plus soigneusement, mar-
quées , plus nombreuses et plus diversifiées dans
l'homme que dans aucun aut,re anin^al ; qipn-seule-
ment la partie corticale du cervçau humain en est
la portion la plus tendre et la plus délicate, puis-
qu'il peut être réduit par la dessiccation au vingt-
CHAPITR£ I. 1^7
cmquième de aon pok}^; osais le trésor 6é la moelle
cérébrale , qui est couvert et entrelacé par cette
partb corticale , est plus délicat , plus déterminé
et, toute proportion gardée^ plus grande dans les
animaux les plus nobles, spécialement dans l'homme,
que dans toutes les autres créatures. ^ Dans l'homme
le cerveau est beaucoup plus pesant que le cervelet,
et ceci indique clairement que le premier est rempli
intérieurement et que son élaboration est plus abon-^
dante.
3. Toutes les eitpériences ra^emblées jusquHci
par Haller, le plus savant physiologiste qu'aucune
nation ait jadiais produit, tendent à montrer com^
bien il serait inutile de chercher le irapaii inpisibh
de la formation des idées en substance et distribué
entre les parties matérielles du cerveau : je suis
persuadé, d'ailleurs, quand aucune de ees expé^
riences n'existerait, qu'eu réfléchissam sur le véri-
table mode de formation àes idées, nous serions
arrivés à la même conséquence. Pourquqji nom-
mons-nous les pouvoirs de la pensée, smvant leurs
différentes relations, imaginatioil et mémoire ^ esprit
et jugement? Pourquoi distinguer l'impulsion du
désir de celle de la volonté simple^ et le pouvoir
de la Sensation de celui du mouvement? La moindre
réflexion impartiale' nous dit que les facultés ne
sont pa^ séparées localement, comme si le juge«f
ment • résidait dans une partie du cerveau ^ la mé-^
I. 1:2
x*jS Livre iv;
moire et rimagination dans une autre, les passions
et les pouvoirs s^isitifs dans une troisième; car
la pensée de notre ame est indivisible ^ et chacun
de ses effets est un. résultat de la pensée. U serait
donc absurde, jusqu'à un certain point, de tenter
de disséquer les relations abstraites, comme autant
de corps , et de morceler l'ame , comme Médée
fit des membres de son fi-ère. & la matière de la
sensation, qui est endèrement distincte du fluide
nerveux. (en admettant qu'il existe), échappe à nos
observations dans les sens les plus grossiers , com-
bien devons-nous être plus incapables de découvrir
la connexion spiritudJe qui est étab&e entre tous
nos sens et nos perceptions , et non-seulement de
les voir et de les sentir, mais.de pouvoir les exciter
à volonté dans les différâites parties du cerveau,
comme les touches d'un clavecin, que nous faisons
résonner quand il nous plaît ! Je suis loin d'entre-
tenir le moins du monde une tdle espérance.
4* ^^ ^^^ encore plus éloigné, quand je con-
âdère la structure du cerveau et celle des ner&
Combien ici l'économie de la nature est différente
de ce que serait tentée de * supposer une physlo*
logie abstraite des sens et des facultés de Tame!
Où est celui qui, d'après des notions purement
métaphysiques, inférerait que les nerfs naissent,
se divisent et se réunissent, comme cela amve
réellement? et encore ces parties du cerveau
/
\
loiit^dles les seules dont nous connaissions les
pouvoirs or^niquesy parce que leurs effets sont
placés sous nos yeux. U ne nous reste donc qu'à
considérer ce kboratoire sacre des idées, le cer->
veau interne , où Tes sens convergent de toutes
parts y comme le sein où l'embryon invisible et
indivisible de la pensée commence à se former.
S'il a atteint son complément , s'il est dans un heu-
reux état de santé, et qu'il fournisse à l'embryon
non - seulement ce qu'il lui faut de chaleur men-
tale et vitale pour naître, mais encore une capacité
assez vaste , une situation assez fixe pour que les
pouvoirs organiques et invisibles , qui s'étendent
ici à toutes cliosés, puissent recueillir les impres-
sions des sens, celles du corps entier, et les com-
biner pour ainsi dire en Un point lumineux qui
approche du sentiment; alors la créature, délicate-
ment organisée, s'élève à la puissance de la raison,
SI elle est aidée par les circonstances externes de .
l'éducation et du développement moral. Que le
contraire ait lieu \ que le cerveau manque de
fluides élaborés, de certaines parties essentielles;
qne les sens les plus grossiers l'occupent; qu'il
>oit resserré dans d'étroites limites ; qu'arrive-t-il ?
Comme elle manque de ce rayonnement subtil,
«c cette convergence intellectuelle qui donnent à •
1 homme sa supériorité , la créature n'est plus qu'un
«nfant des sens.
l80 UTRE IV.
6. CeH aussi <:e que semble démontrer la con«
formation de l'encéphale de divers animaux, et
même en la comparant à l'organisation externe et
au genre de vie de l'animal, nous pouvons recon-
naître pourquoi la nature a été obligée de s'écarter
tantôt d'une manière, tantôt d'une autre, du type
général qu'elle s'est imposé. Dans plusieurs ani-
maux le sens dominant est celui de l'odorat : c'est
le plus nécessaire à leur conservation , et le guide
infaillible de leur instinct Voyez comme le nez
est fortement marqué sur la Êice de ces animaux;
c'est aiiiisi que se prononcent dans le cerveau les
ner& ol&ctifs , comme si le front n'était &it que
pour eux : larges, creux et inédullaires, ils semblent
n'être que la continuation des ventricules du cer-
veau; e't si dans plusieurs espèces l'os frontal reçoit
tant de développement , c'est probablement pour
renforcer le sens de l'odorat, de telle sorte que,
pour ainsi parler, la plus grande partie de Famé
animale est olfactive. Les nerfs optiques tiennent
immédiatement après; le sens de la vue étant le
plus nécessaire à l'animal après celui de Todorat
Us tiennent davantage de la région moyenne àa
cerveau, et concourent à un sens plus délicat Les
autres nerfs, qu'il est inutile d'énumérer ici, suivent
graduellement selon leur, importance dans rorgam-
sation dont ils servent à lier les parties entre elles?
comme ^ par exemple ^ les nçrfs et les muscles àe
cRipmus I. 181.
rocciput qai soatieniient et animebt la bonche , I0
menton, etc. Us terminent pour ainsi dire l'habi-
tude générale du corps et moulent la figure externe
sur un seul tout, de même que la forme interne ré-
sulte des rapports des pouvoirs internes. Toutefois,
dans ce point de vue , il ne faut pas nous borner
seulement à la &ce, mais étendre ces considéra-
tions au corps entier. Il est intéressant d'étudier
les rapports des diverses formes en les comparant
entre elles et en étudiant les principes internes
par lesquels la nature a mis chaque créature en
mouvement. Ce qu'elle a été obligée de refuser >
elle l'a compensé d'une autre manière; ce qu'elle
a été obligée de rendre complexe, elle l'a com-
pliqué avec sagesse, c'est-à-dir^ qu'elle a mis l'or-
ganisation externe de la créature en harmonie avec
son g^re spécial de vie ; cependant elle a toujours
son modèle en vue, et elle ne s'en écarte qu'à
regret; car le grand but qu'elle s'est imposé en
créant toutes les organisations de la terre, est de
distribuer une sensibilité et une intelligence par^
iout analogues dans des corps différens. C'est ce
que Ton peut rebfiarquer, suivant une progression
constante , dans les oiseaux , dans les poissons et
• les animaux terrestres, malgré les variétés presque
infinies qu'ils présentent.
6. Et ainsi nous arrivons à la supériorité de
Fhomme dans la structure du cerveau. Or, d'où
/
l83 .^LIVRE IV.
peut-elle provenir , sînoii de la perfection générale
de son organisation ^ et surtout du mode de station
qui lui est propre ? lie cerveau de clu^que animal
en formé d'après le moule de sa tête; ou plutôt
il Êiudrait retourner la proposition ,'puisqae la
nature travaille du dedans au dehors. Selon Tatti*
tude, le rapport des parties entre elles, et les
Jiabitudes auxquelles elle a destiné la créature , elle
a distribué et approprié différemment les pouvoirs
organiques. D'après pies pouvoirs et les rapports de
leurs actions réciproques , le cerveau est ou grand
ou petit, étroit ou profond, léger ou pesant,
simple ou compliqué, et les sens de la créature sont
faibles ou forts, actifs ou languissans. Les cavités et
les muscles deâ pai^îes antérieures de la tête et de
l'occiput se forment eux-mêmes à mesure que la
lymphe y afflue» en'un mot, suivant V angle de
la direction organique de la tête. Sans multiplier
ici les preuves qui viennent de toutes parts à lap-
pui de CjBtte assertion, il suffira, d'en indiquer
quelques-unes. D'où vient la différence organique
qui distingue la tête de rhommé de celle du singe?
De l'angle de direction. Le singe a toutes les parties
du cerveau qui sont propres à l'homme; mais en
lui, eUes sont rejetées en arrière dans la position
qui est commandée par la forme de son crâne; et
cela, parce que sa têlç est inclinée sous un angle
différent et qu'il n'est pas fait pour marcher droit.
CHAPITRE I. l83
Par là y tous les pouvoirs oi^ganiques agissent d'une
manière difierente. : plus étroite , . la tète n'a ni au-
tant de hauteur, ni autant de profondeur que dans
rhoaime. Les sens d'un degré inférieur dominent
avec les parties basses de la Êice, et déterininent le
caractère de la face de la brute, comme son cer-
Tcau rejeta ea. arrière n'est encore que le cerveau
d'an animal. Aindi , quoiqu'il ait toutes les parties
du cerveau humain, il les a dans une situation,
dans un^ proportion différentes. Les anatomistes
français ont trouvé, dans les singes qu'ils ont dis-
séqués y que les parties antérieures sont e^aotement
paralles à celles de l'homme ; mais que les parties
internes, depuis le cervelet, sont, toute propor-
tion gardée, beaucoup plus massives; que la glande
pinéale est conique, avec sa pointe tournée vers le
deprière de la tète, etc. Ainsi,, il y a un rapport
évident entre l'angle de direction de la tête et le
mode de station , la forme de Fanimal et son genre
de vie. Le singe disséqué par Blumenbach ^ , te-
nait encore plus de la brute; il était probable-
ment d'une espèce inférieure , puisque son cervelet
était plus ^and , et qu'il manquait des parties les
plus importantes. Ces différences n'existent pas
dans l'orang-outang, dont la tête est moins rejetée
en arrière, et dont le cerveau n'est pas si conci-
le Blaménbacfa, De varietf natiw» gen, hum», pa§, la»
l84 LIVRE IV.
j^linë entre les parties de derrière , bien quHl le
soit encore assez^ si on le compare avec la courbe
hardie dû cerveau humain, seule enceinte digne
kle la formation des idées raisonnables. Pourquoi
le cheval n'a «-t* il pas aussi bien que d'autres ani<*
• • • ■
maux le reîe mirabUe? parce que sa tète reste
droite, et que l'artère carotide s'élève en quelque
sorte, comme celle de l'homme, sans empêcher
pour cela le cours du sang, comme dans les ani-
maux qui ont k tète pendante. Aussi est-ce un
animal noble, fi^r, courageux, plein de chalew et
d'un sommeil léger. Au contraire , dans les créar
tures dont la tête pend vers la terrç, la nature a
plusieurs précautions à observer dans la constnic^
tion du cerveau., même en séparant les parties prin*<
cipales par une construction, osseuse. Ainsi, tout
dépend de la direction que la tète a dû prendre
pour se conformer à l'organisation générale dn
• corps. Je mé bornerai à ces exemples , espéraot
que des anatomistes zélés s'appliqueront, surtout en
dis*séquant les animaux qui ressemblent à rhomme,
à étudier les proportions des parû^ entre elles,
« d'après les circonstances de leurs situations com-
parées^ et d^ après la direction de la tUc dans
ses rapports af^ec le système entier d organisation,
Cest la, je crois, que se trouve la différence qui
produit tel on tel instinct , qui élabore une ame
animale pu humaine; car toute créature est dans
CHAPITRE I. l85
diacane de ses parties un Tout vivant coordonné
pour une seule el mèttie fin.
7. Et tnéme il parait que la beauté dé la tète
immaine se détermine et s'apprécie en général par
la loi qui la rend propre à l'attitude droite; car
comme cette configuration de la tête , cette expan*
sion du cerveau dans ses vastes et superbes hémir
sphères, et les dispositions internés qui lui permet-
tent de recueillir la raison et la liberté, ne pouvaient
s'accorder cp'avec la forme droite (ainsi que cela
est démontré par le rapport et le poids dés parties
elles-mêmes, par le degré de chaleur qu'elles po^
sèdent et le mode de circulation du sang), la forme .
humaiDe était le seul résultat que cette proportion
interne pût produire. Pourquoi le haut de la tète
S^que penche -t -il en avant avec tant de grâces?
Cest qu'elle laisse du cerveau un vaste espace pour
se développer en liberté , et qu'elle marque de si
profondes cavités dans l'os frontal, qu'il peut être
considéré comme le sanctuaire sacré où la pensée.
Mit ses sublimes et immortelles apparitions. La
partie postérieure de la tète , au contraire , va en
s amincissant, afin q^e le cervelet qui la remplit
^c domine pas^ Il en est de même des autres por^
tions de la face; organes de sensation, elles in^
diquent les rapports les plus délicats des facultés
«ensibles du cerveau, et la moindre/ déviation de
ces rapports est un pas fait vers la forme animale*
l86 UVRE IV.
Je suis persuadé qu'on élèvera uii jour sur Tsicoorcl
de ces parties entre elles une science estimable, à
jamais supérieure à celle de la physionomie, qui
procède par conjectures. I^ fondemens de la forme
externe reposent dans Tintérieur : car tout a été
Êiçonné, du dedans au dehors, par Tactioa des
^pouvoirs organiques, et la nature a Ëiit de chaque
être un jtont complet, cpmipe si elle n'avait jamais
créé rien autra
Lève les yeux vers le ciel;. 6 homme, et réjouis-
toi, en tremblant , de l'immense supériorité que le
Créateur du monde t'a donnée, et qu'il a établie sur
. un principe, aussi simple que la station droite. Si tu
marchais incliné vers la terre comme l'animal, si ta
tête était grossièrement formée.pour le goût et l'odo-
rat, si la structure.de tes membres répondait à ces
transformations, qiie deviendrait la puissance im-
mortelle de ta pensée ? Combien l'iinage de la divi-
nité en toi ne serait-elle pas dégradée? Le malheu-
reux qui descend au rang des animaux l'a. perdue;
sa raison est égarée y ses facultés sont abruties et les
sens les plus grossiers le confinent ii la terre; mais
en formant tes membres pour i'attiti;ide droite, la
nature a tracé les nobles contours de ta tète; elle
en a marqué dignement la place, et a commandé
au cerveau, ce germe délicat et éthéré du ciel, d'en
remplir les capacités et d'étendre au loin ses bran-
ches. Le front s'élève, riche de pensées et de sou-
I
1
CHAPITRE I. ld7
?eiûrs; les orgues animaux se retirent et font place
à ïfL fofme humaine. A mesure que le cerveau s'é«
lève, l'oreille descend : elle est plus étroitement
unie à Fœil» et ces deux sens ont un accès plus
intime .auprès de l'enceinte sacrée où . se forment
les idées. Le cervelet, la moelle épinière et les
prindpes vitaux des sens qui dominent dans 1 ani«
mal, sont subordonnés à l'encéphale. Les rayons
qui, par leur arrangement merveilleux, forment
les *corps striés,, sont mieux marqués et plus
délicats dans Thomme; ce qui indique qu'une
lumière infiniment plus pure se concentre dans
cette région et part de la en divergeant C'est ainsi,
pour me servir de cette image, que se forme la
plante qui, donnant naissance au bouton de la
moelle épinière, s'épanouit en une jQeur éthérée,
dont le germe ne pouvait se trouver que dans cet
arbre céleste.
Bien phis^ la proportion générale des pouvoirs
organiques dans les animaux .est contraire au déve*
loppement ^e la raison» Leur organisation est sou»
luise à la force musculaire et à l'irritabilité sen-
suelle, qui, distribuées sous des formes diverses,
selou'la destinée de la créature, constituent Tins-
tinct dominant de chaque espèce. Avec la figure ,
droite, de l'homme, »s'élève un arbre fait ' pour
transmettre les fluides les plus délicats et les phis
dbondansau cerveau, celte fleur qui couronne le
l88 LIVRE IT.
U>ut Chaque pulsation du cœur envoie à la tète
seulement plus de la sixième parde du sang que
eontient le corps humain, Le grand ruisseau s'élève,
s'éloigne-, suit une courbe adoucie et se partage
par degrés, de telle sorte que les parties de la
iéce même les plus éloignées tirent de là et des
canaux correspondans leur chaleur et leur nour-
riture. La nature a mis tout, son art à fortifier les
vakseaux qui servent de conduit au fluide, à affai-
blir et à modérer la force du courant, à le. retenir
long- temps dans le cerveau, et à le Êdre redes-
cendre du haut de la tête, quand il a achevé son
cours. U s'élève des régions qui, voisines du cœur,
agissent encore avec toute la force du mouvement
primitif; et dès le commencement de la vie, c'est
sur dies, c'est-à-dire, sur les plus nobles et les plus
sensibles de toutes, que le cœur exerce ses pou-
voirs naissaiis. Les extrémités n'ont pas encore reça
leurs formes, que la tèle et les parties internes
sont déjà entièrement développées. On voit avec
surprise non - seulement que leurs rapports sont
déjà établis et marqués, mais encore que leur
structure est achevée dans les organes des sens de
l'embryon. Vouls diriez que le grand artisan ne Ta
créé que pour le cerveau et pour le principe da
mouvement intérieur , en attendant qu'il ajoute
à ces premières conditions de son existence, des
membres qui semblent n'être plus que des organes
CHAPITRE I. l8()
et des prodoits des parties internes. Ainsi, l'homme
est formé dans le sein de sa mère pour faltitade
droite et pour tout ce qui en dépend. . Il n'est pas
né, comme l'animal, dans tin sein incliné vers la
terre. Une cavité composée avec plus d'artifice et
qui repose sur la base même du sein matemd , a
été préparée pour lui donner sa forme. C'est là que
repose le petit dormeur, et le sang monte à sa tête
josqu'à ce qu'elle retombe par son propre poids. Eft
tmmot; l'homme est ce qu'il devait être, et toutes
les parties concourent à cette fin ; c'est un arbre
qui s'élève, couronné par la plus belle âeur de
toutes, par le siège de la pensée perfectionnée.
CHAPITRE IL
J^t t organisation de Fhomme comparée
à celle des créatures inférieures qui se
rapprochent de lui par la forme de la
tête.
S'il est vrai que nous avons suivi jusqu'à présent
I^ voie la plus sûre, la même analogie des rapports
de la tète; avec la structure générale du corps doit
^paraître dans les créatures inférieures, puisque
1& nature est uniforme dans ses opérations ; et , en
effet, c'est ce qui â lieu de là manière la plus frap-
pante. Comme tout le travail de la plante aboutit
a produire la fleur, de même, dans les créatures
igO LITRE lY.
vivantes , si rorganisation développe ses poturcurs ^
c'est potir nourrir la tète, comme sa^ eouronné^
On pourrait dire» dans un smis, que la natare em-
ploie tout l'organisme des créatures, selon le degré
qu'elles occupent» à préparer«et à épurer de plus
en plus le cei^eau» afin d'y réuiûr, comme dans
i;in point central, les puissances" de la sensibilité et
de l'intelUgence. Pins elle s'élève dans l'échelle ani-
male, plus aussi elle donne d'importance à cette
partie de son œuvre; du moins' autant que cela se
peut, sans rendre la tète de la créature u*op pesante,
et sans mnre aux /acuités physiques. Examinons
quelques anneaux de cette cb»ne ascendante de
sensibilité organique, tant dans la forme externe que
dans la directiop de la tète^
1. Dans les animaux dont la tète conserve une
position horizontale comme le corps » le cerveau
est moins élaboré : la nature a répandu l'irritabilité
et l'instinct plus généralement sur tout l'être. Tels
sont les vers et les zoophytes, les insectes, les pois-
sons et le^ animaux amphibies ; à peine si l'on
aperçoit la marque d'une tête dans l'anneau infé-
rieur de la chaîne organique» dans d'autres ce n'est
qu'un^ point saillant Dans les insectes , elle est
d'une extrême petitesse; dans les poissons» elle
ne &it qu'un ^eul tout avec le corps» et dans les
animaux amphibies elle est le plus souvent hori-*
zontale et attachée à un corps rampant A mesure
CHAPITRE ÏIv 1^1
que là tété se dresse et qu'elle se sépare davantage
de la tbâsse qu'elle domine, la créature sort de
sa stupidité brutale; en même temps la bouche
se retire et ce^e d'occuper toute la partie anté*
rieure de Is^ bonformatidn qui n'est plus horizons-
taie. Si nous comparons le requin, qui ne semble
que bouche et gosier, ou le crocodile yorace et
rampant y à des créatures moins grossièrement or^
ganiséesj nous serons conduits, par de nombreux
exemples, à cette proposition: qu^à mesure que
la tête et le corps de F animal se rapprochent j
dans leurs directions relatives ^ de là Ugne droite
horizontale^ Us région encéphalique se resserre et
iahmsse ; et lés mâchoires^ en dtçermni plus
fortes et plus proéminentes^ tendent à être la partie
dominante du corps. ' •
2. Plus l'animal est parfait, plus il s'élève au-<les-
sus de la surface du sol : ses jambes s'alongent; les
os du cou s'articulent d'une manière appropriée à
Torganisation générale, et la tète prend la position
et la direction qui conviennent au tout Compa-*
rons ici le porc-épic, le rat, le glouton et d'autres
espèces inférieures, aux animaux les plus nobles ;
dans les premiers, les jambes sont courtes, la tète
est «ifoncée; les épaules, les mâchoires s'alon-
gent^ se projettent en avant; dans les derniers,
la démarche est plus libre, la tète plus légère, le
cou plus flexible, les mâchoires sont plus poùrtes;
et par là le cerveau se maintient naturellement dan»
une position plus élevée, et Be développe dans un
plus grand espace. Ainsi, nous pouvons admettre
cette seconde proposition : que la formé de la
créature se perfêciiorme à mesure que i^ corps tend
à s' élever et la tite à se dégager librement du sque-
lette. Toutefois cette proposition, ainsi que la pré^
cédente, ne s'appliquait pas à certains membres
en particulier, mab aux rapports généraux de la
structure animale*
5. Plus la partie inférieure de la &ce ditninue
ou se retire, à mesure que la tête s'élève, plus les
traits sont nobles et plus le front est intellige&t:
comparez le loup et le chien, le chat et le Uoni
le . rhinocéros et l'éléphant^ le cheval et lliif^
potame. Au contraire, plus les -parties basses du
visage sont massives et pesantes , plus elles pen-
chent vers la terre et plus le crâne et le front sont
petits. Sous ce rapport, non-seulement les diverses
espèces d'animaux diffèrent entre dles, mais encore
les animaux de la même espèce, dans différens
climats, y oyez l'ours blanc des régions arctiques
et l'ours des climats chauds, ou 'encore les diffé-
rentes variétés de chiens, ..de cerfs et de chevreuils;
en un mot , moins les mâchoires sont massives,
plus le crdru est profond y et plus Panimal afh
proche de la forme raisonnable. Pour éclairer
davantagis ce sujet, tirons des ligues depiûs k
GHAPITRJË IL 193
dernière v^rièbre cervicale du squelette jusqu'au
sommet >au crâzie, à la partie de devant de l'os
' fromdTet à l'extrémité de la mâchoire supérieure;
nous verrons alors que la grande variété que prér
sente l'angle Ëicial se (fivise en espèce^ et en genres
différens, et en même temps nous reconnaîtrons
qu'elle résulte primitivement de la station plus ou
moins horizontale de l'animal.
Mes remarques s'accordent ici avec les excellentes
observations de Camper sur la figure des singes et
sur celle d'hommes de race différente : en effet, il
tire une ligne droite de l'ouverture de Toreille à
la partie inférieure du nez, et une autre de la pro-
jection la plus reculée de Tos frontal à la partie
la plus. proéQiinente de la mâchoire^ supérieure. ^
U prétend découvrir dans cet angle non-seulement
la différence qui existe ent^e des genres variés d'a-
lûmaux, imis encore ce qui distingue les nations
Tune, de l'autre, et il suppose que la nature s'est
servie de cet angle pour distinguer toutes les va-
riétés de la création animale , et s'élever par degrés
à la. forme la plus parfaite de beauté, dans l'homine.
Les oiseaux décrivent le plus petit angle, et l'angle
s'élargit à mesure que l'animal approche de la forme
humaine. Les têtes des singes atteignent de 42 ^ ^o
*''■»'
1. Cdmper*s kleinere Scfirifieny t. i> p. i5j Essai de Camper
ftar.les rapports dc^ranatomie et de Part da djeasio. ,
I. l5
194 LIVRE nr.
degrés; ces derniers approchent du typé humain.
Chez le Nègre et le Galmouc , cet angle est de 70
degrés; chez TEuropéen de 80 degrés, et les Grecs
portèrent leur beauté idéale jusqu'à gù et même
foc degrés. Tout ce qui dépasse celte. mesure d^
vient monstrueux ; aussi est-ce le point le plus
élevé auquel les anciens aient porté le caractère de
leurs tètes. Comme cette remarque est frappante de
* *
justesse , je prends grand plaisir à la ramener, amsi
que je crois l'avoir fait, à son principe physique,
qui est la tendance progressisme de la criàiion amr
maie à la position et à la forme soit horizontale,
Suit perpendiculaire^ de la tête y d'où l'heureuse
situation du cerveau et la beauté et la proportion
de tous les traits dépendent en dernier résulut
Si donc nous voulions compléter ^la théorie de
Camper, et en même temps développer son prin-
cipe fondamental , nous n'aurions besoin que de
prendre la dernière vertèbre cervicale pour point
central, au lieu de l'oreille, et de tirer de la des
lignes à l'extrémité de l'occiput, au point le plus
élevé du couronnement de la tête, à celui qui se
projette le plus en avant et au plus proéminent de
la mâchoire supérieure. Ainsi , non-seulement nous
montrerions à l'œil cette foule de configurations
diverses que présente la tête , mais encore le prin-
cipe général qui leur sert de fondement; savoir:
que iout^ dans sa forme et sa direction ^ dépend
CHAPITRE II. igS
du mode de station , ou horizontale , ou perpen^
dicuiaire^ de la créature y c'est-à-dire de l'habitude
générale du corps, et ainsi, en vertu d'un principe
unique, l'unité se produit au sein de la variété la
plus grande.
Oh! plût à Dieu qu'un nouveau GaUen suppléât
de nos jours au livre de cet ancien sur les parties
du corps humai^i , en développant d'une manière
spéciale la perfection de notre forme en tant qu'ap*
propriée à l'attitude droite dans toutes ses propor-*
ûoùs et ses mouvemens ! Quel intérêt il exciterait »
si, dès le moment où les fonctions physiques et
morales font leurs premières apparitions, il com-
parait les pouvoirs de l'homme avec ceux des ani-
maux qui s'en rapprochent le plus , s'il suivait les
rapports progressifs des parties, a'il s'élevait avec
l'arbre de vie jusqu'au sommet, le cerveau, et s'il
montrait enfin que l'homme seul réunit les condi-
tions nécessaires à la formation d'un cerveau intel-
ligent I L'attitude droite est la plus belle et la plus
naturelle, de toutes pour les plantes de la terre.
Comme l'arbre pousse ses rejetons vers la cime, et
que la fdalite fleurit à son sommet, il est à croire
que le caractère des plus nobles créatures» est d!a-
Voir un développement analogue,, un pareil mode
de station, sans ramper sur le sol comme un sque-
lette appuyé sur quatre piliers^ mais, dans les pre-
mières périodes de son abjection, il faut que la
196 LIVRE IT. ^
créature développe ses acuités animales, et qu'elle
•
apprenne à exercer ses sens et ses instincts ayant
de parvenir à notre attitude à la fois plus libre et
plus parfaite. Elle en approche par degrés. Le nv
rampant élève autant que possible sa tête hors de
la poussière du sol, et l'amphibie se glisse, en traî-
nant son corps, sur le rivage. Le cerf orgueilleux,
le noble cheval marchent, le cou élancé : 1^ ins-
tincts de l'animal apprivoisé sont amortis; son intel-
ligence est nourrie d'idées qui sont hors de sa portée,
qu'il prend sur parole sans pouvoir les comprendre,
et auxquelles il finit par s'accoutumer aveuglément
D'abord obscure et |iresque inefficace , une loi du
règne invisible de la nature excité par. degrés le
corps affaissé de l'animal à s'élever de lui-même;'
l'arbre organique s'élance en ligne droite, et ses
fleurs s'épanouissent avec plus de liberté. La poi-
trine s'arrondit, les hanches se resserrent, le cou
se détache; les sens se perfectionnent et se con-
centrent dans une conscience plus intime, et bien-
tôt dans le phénomène divin de la pensée : et ces
prodiges quand ont-ils paru dans le mcmde? si ce
n'estau moment où, les pouvoirs organiques étant
suffisamment' développés par le verbe créateur, il
prononça cette parole : Que la créature se Im el
que ses regards corUemphrU le ciel!
cHApmiE 111. ^97
CHAPITRE IIL
L'homme^ doué de sens plus parfaits que
les animaux y est formé par son orga^
msation pour lart et le langage.
Si l'homme eût rampé sur la terre, tous ses sens,
renfermés dans un cercle plus étroit, eussent été
rabaissés sous le domaine des instincts inférieurs,
comme le prouve l'exemple des hommes sauvages ;
Todorat et le goût eussent été, de même que dans
les animaux, ses guides constans. Élevé au-dessus
de la terre et des plantes, ce n'est plus le sens de
l'odorat qui domine en lui, mais celui de la vue.
Ce dernier a un champ plus vaste : îl se développe
depuis l'en&nce dans la géométrie la plus délicate
des lignes et des couleurs. Placée en descendant
sous la projection du cerveau, l'oreille est plus
voisine du réceptacle interne des idées , tandis que
dans les animaux elle se dresse, pour ainsi dire,
comme une ;sentinelle, et que sa forme externe
n'est pas moins délicate que le pouvoir dont elle
est l'organe. '
Le mode de station droite rend l'art naturel à
l'honune; car par cet art, le premier et le plus
difficile que l'homme connaisse, il est initié à la
pratique de la connaissance et devient pour ainsi
igS uvRE IV.
dire un art vivant et actif. Voyez l'animal ! Jusqu'à
un certain point, il a des doigt$ comme ceux de
l'homme^ mais tantôt ils sont enfermés dans un
sabot, tantôt terminés par des griffes, ou toute
autre forme. Destiné à marcher drcfit, l'homme
a les mains libres; instrumens adroits dés opéra-
tions les plus délicates, elles sont toujours prêtes
à recevoir des impressions nouvelles et distinctes;
et ce ne fut pas sans raison qu'Heivédos pré-
tendit qu'elles sont d'un grand secours à la rai-
son de rhomme ; car combien d'idées l'éléphant
n'acquiert-il pas par le moyen de sa trompe?
D'ailleurs , ce tact délicat est répandu sur tout \t
corps, et des hommes privés de leurs bras ont fiit
avec les doigts des pieds des ouvrages d'art aux-
quels les mains ne suffiraient pas toujours; Le pouce
de la main , le grand orteil , qui sont formés dans
leur structure musculaire avec un soin si particu-
lier, quoiqu'ils nous semblent avoir peu d'impor-
tance dans la conformation générale du-coips^ sont
d'une utilité presque indispensable, l'un pour se
lemr droit et pour marcher, l'autre pour saisir les
objets, et en général pour tous les besoins de la
pensée qui exerce un art.
On a souvent répété que l'homme a été créé sans
défense , et qu'un des cai^actères qui le distinguent,
c'est l'impuissance où U est réduit. Rien n'est plus
tkux que cette assertion; il a des armes pour se
CHÀPITRB 111. 199
défendre, /çomaie toutes les autres créatures. Ia
singe marne le bâton ^ U jejtte de la boue et d^
pierre» ; U grioipç «ur les arbres , et il échappe aa
serpent 9 son plus cruel ennemi* U découvre les toits
des maisons et va même jusqu'à tuer des hommes.
La jeune fîUe sauvage de Songi s'était armée çontrf
sa compagne d'un bâton , dont elle l'avait frappée
à la tète, et la force qui lui manquait, s, était bien
compeasée par l'habileté qu'elle avait à courir et
à grimper. Ainsi l'homme, à l'état sauvage» n'e«t
pas, par la nature de son organisation, privé 4^
défense } et quand il esi debaut et civilisé , quel
animal a les instrumens qu'il possédée dans ses bras,
dans ses mains, dans la mobilité de son porps et
dans toutes ses Ëicultés ? L'art est la plus puissante
des armes, et l'homme est un art vivant ,4ane arme
organisée pour la définise* U n'a, il est vmi, ni
griffes , ni dents pour attaquer ; mais il était destiné
à être une créature douce et pacifique, et non pas
à devehir un cannibale.
Combien n'est-il pas de fitcultés qui, cachées
d^ms chacun i^s sen$ de l'homme, ne sont ré^
vélées que par la nécessité^ le besoin, la maladie»
le manque de quelques autres sens, une çonfor^r
mation monstrueuse ou un accident fortuit ! et par
là noœ pouvons conjecturer que nous renfermons
en nous d'autres sens qui ne doivent pas se mani-
fester dans ce monde. Si des aveugles oiit élevé le
aoO LItRE IV.'
sentiment du toucher et de Fouie, là mânoire, le
pouvoir de calculer, à un degré de perfection qui
parait incroyable aux hommes ordinaires, n'est-il
pas à présumer qu'une foule de trésors inconnus,
aussi précieux par leur variété que par leur beauté ,
restent enfouis dans d'autres sens, sans avoir été
développés dans notre constitution présente? Déjà,
à quelle finesse de perception , à qudle exactitude,
à quelle délicatesse , dans les rapports de la vue et
de l'ouïe, l'homme n'est-il pas p&rvenu ! Or, il faut
croire que ce mouvement de perfection augmen-
tera- dans un état supérieur, puisque, selon l'obser-
vation de Berkley , la lumière est le langage de la
divinité , dont nos sens les plus parfaits ne font
qu'épèler ici-has les élémens dans un millier de
formes et de couleurs. La mélodie, que l'oreille
humaine perçoit et que l'art développe, n'est autre
. que la sdence mathématique pure que l'ame ne fait
qu'appliquer par Fentremise des sens, et c^est aussi
ce qui arrive pour les lois de la géométrie la plus
rigoureuse. Sans avoir une conscience nette de ses
théorèmes , elle en fait l'application exacte par le
moyen de l'ceil cpxe frappent les rayons de lumière.
Dans quel étonnement tomberions-notis , si , nous
élevant d'un degré, nous pouvions voir distincte-
ment tout ce que nous exécutons au sein des té-
^ nèbres avec nos sens et nos facultés dans le sys-
tème compliqué de notre machine divine : noble
CHAPITRE II L :i01
destinée ) à laquelle l'animal semble .se préparer
lui-même d'ime manière conforme à son organi-
sation !
Toutefois, ces înstrumens de l'art, le cerveau,
les. sens et les mains, seraient inutiles, même avec
l'attitude droite, si le Créateur ne nous eût pas
accordé, pour les mettre en oeuvre, h don àélesie
de la parole. C'est par elle que s'éveille la raison
endonnie, ou plutôt, la capacité pure de la raison,
qui d'elle-même condamnée à une étemelle oisiveté,
acquiert par la parole une puissance et un& effica-
cité vitales. .Ce n'est que par la parole que l'œil et
1 oreille , en un mot , que les impressions de tous
les sens sont réunies en un seul et même foyer dans
Ja pensée souveraine, dont les mains et les autres
membres ne sont que lès instmmenii serviles.
li exemple des sourds et muets de naissance prouve '
combien il 'est diflfcile à l'homme privé de la pa-
role, d'atteindre à des idées raisonnables , même
en vivant au milieu d'autres hommes, et jusqu'à
quel point l'état animal domine avec tous se^ ins-
tocts les plu» dégradans. Sans s'inquiéter en riem
^e la valeur morale de leurs actes, ils imitœt tout
ce que leur œil aperçoit, mais avec moins de per-
fection que le singe, parce qu'ils n'ont p^ desen-
«onurn interne pour distinguer les objets, ni même
de sympathie pour leur propre espèce. On a des
temples de sourds et muets de naissance qui ont
20^ unuB rr.
égorgé leur frère , parce qu'il» avttent tu égorger
un porc ) et qui sans frémir loi ont arraché les
entrailles, pour mieux imiter ce qui s'était passé
sous leurs yeux 1; prenye effroyable de ce que
peuvent faire d'eux-mêmes Tintelligence si frêle de '^
l'homme et les s^itimens de l'espèce. Il faut donc
considérer les organes délicats de la parole conme
les instrumens qui ont servi à l'éducation d^ notre
raison , et le langage comme l'étincelle céleste qui
enflamme par degrés notra pensée et nos sens.
Dans les animaux, nous apercevons des ess^âsj
des préparations qui ont pour but la parole; et
ici aussi la nature s'élève par degrés dans ses
opérations jusqu'à la perfection de cet art dans
l'homme. La fonction seule de la respiration exige
le concours de la poitrine entière, avec ses os, ses
ligamens et se»* muscles, du diaphragme, d'une
partie de l'abdomen, du cou et de^ épaule»; c'est
pour ce phénomtee organique que la nature a
construit toute la colonne épinière, avec ses liga-
mens et ses côtes , ses muscles et ses vaisseaux.
Elle a donné aux parties du thorax le degré de
fixité et de mobilité nécessaire, et elle s'est élevée
successivement ^es créatures inférieures, jusqu'à
former, avec plus de perfection, des pouinons et
i. Je me rappelle que Ton en cite un exemple dans SackU
vertheidigtem Glauben der Christen : Défense de la foi chré-
tienne', par Sacli:> et j^en ai vu plusienri dans d^antres oavrages*
CHAPITRE III. ' 203
la trachée-arière. L^anîmal qui Tient de naître ;
aspire avidaneni k premier souffle; mais bientôt
après, il semble inquiet, comme s'il était arrivé
quelque accident auquel il n'était pas préparé.
D'innombrables parties sont destinées à concourir
à cette fonction ; car presque toutes les parties du
corps ont besoin d'air pour agir avec efficacité.
Cependant quelque avidité que toutes ies créatures
•
aient pour ce divin souffle de vie, elles ne sont pas
toutes. douées de la voix et de la paroie, qui, en
dernier résultat, est l'effet combiné de l'action du
sommet'de la trachée-artère, de quelques cartilages
et de quelques muscles, et de ce simple membre,
la langue. Cet artisan si varié de toutes les pen-
sées et de toutes les paroles , nous apparaît sous la
forme la plus simple 5 c'est lui qui a mis en mou-
vement non -seulement toute la sphère des Idées
humaines, mais qui a exécuté, par le moyen d'un
peu d'air, que les lèvres mobiles laissent échapper
en s'entr ouvrant à demi, tout ce que Fhomme a
entrepris^sur la terre. Rien n'est plus intéressant que
d'obserter la gradation que la nature a suivie pour
conduire ses créatures , depuis ïe poisson , le ver et
l'insecte muet, au phénomène de la voix et de la
parole. L'oiseau jouit de son chant y comme de l'oc-
cupation la plus heureuse et de la qualité la plus
excellente dont il a été doué par le Créateur. L'ani-
mal qui a de la voix, a recours à elle, quand il suit
'3o4 Limk îT.
quelque penchant, et qu'il cherche à exprimer ou
ses plaisirs ou ses. souffrances ; il fait peu de gestes
et ceux auxquels la nature a refusé, toute propor-
tion gardée, une yoix animée, sont les seuls qui
parient par signes. Par sa conformation , la langue
de quelques animaux est en état de prononcer des
paroles, dont ils ne comprennent pas le sens. L'or-
ganisation externe , surtout quand elle est aidée par
rnomme, hâte le développement de la capacité
interne. Mais,, ici sç trouve un obstacle invincible,
et le singe, malgré toute sa ressemblance avec
l'homme , est évidemment et forcément privé de
la parole, à cause- des masses de chair qui sont
placées sur les côtés de la trachée-artère.^
Pourquoi le père de la nature humaine en a-t-il
agi ainsi? Pourquoi n'avoir pas permis au singe,
imitateur de tout , d'imiter précisément ce critérium
du genre humain , et lui en avoir interdit les moyens
par des obstacles particuliers? Entrez dans un hô-
pital de fous, et prêtez l'oreille à leurs discours;
écoutez les cris inarticulés des monstres et de$
idiots : que leurs accens sont douloureux ; qu'il est
triste d'entendre ainsi le don de la parole proÊné
par eux ! Et combien ne serait-il pas plus pro&né
encore dans la bouche du singe grossier, lascif et
1 *
1 . Voyes PEssai de Camper sur les organes de la parole dani
Im ftinges. (Transaci. philot., 1779» part, i.)
CHAPITRE III. 205
brutal, s'il pouTait imiter le langage humain avec
cette demi - inteUigence que je n'hésiie pas à lui
accorder! Un mélange odieux de paroles combi-
nées avec, les pensées dW singe! Non! la faculté
divine du langage ne devait pas être ainsi désho-
norée; aussi le singe est -il muet, plus muet que
ses compagnons, qui ont chacun, mèmç.la gre-
nouille et le lézard , une voii particulière.
Mais la nature a formé l'homme pour l'usage
de k parole, et c'est pour cela qu'elle lui a donné
une attitude droite, et qu'elle a placé sa poitrine
voûtée sur une colonne. Les hommes qui ont été
par accident élevés parmi les animaux, non-seule-
ment ont perdu l'usage du langage, mais, jusqu'à
nn certain point la puissance de l'acquérir : preuve
évidente que leur gosier s'était défiànné et .que la
parole huixiaine ne peut se rencontrer qu'avec l'at-^
titude droite ; car , bien que plusieurs animaux aient
les organes de la* parole aussi bien que l'homme,
îiucun d'eux n'est capable de fournjr ce ûot con^
iinu qui s'échappe librement de la poitrine de
thomme et des^ douces inflexions de ses lèvres.
L'bonmie, au contraire , peut non seulement imiter
tous leurs sons, tous leurs accens, de telle sorte
Cjuil est, comme dit Monboddo, V oiseau moqueur
des créatures terrestres; mai» lin Dieu lui a en-
seigné l'art d'exprimer ses idées par des articulations
de voix , de peindre des formes par des sons et de
206 LIVRE IV.
gouverner la terre par la puissance de sa parole.
Sa. raison et son perfectionnement viennent du
langage» car c'est par là seulement cpi'il se gou-
verne lui-même et qu'il réalise véritablement la
réflexion et la liberté pour lesquelles son organi-
sation n'avait fait que lui donner des capacités
oisives par elles-mêmes. Il peut^ il doit exister de»
créatures supérieures dont la raison s'explique par
le regard; un caractère visible leur suffit pour
former et distinguer des idées; mais l'homme de
cette terre est instruit par l'oreille à comprendre
le langage de l'oeiL II faut' d'abord que la diflfé-
rence des choses soit gravée dans son ame par la
voix d'un autre ; et par là il apprend à communi-
quer ses. propres pensées, d'abord probablement
par des inflexions fortement accentuées , et ensuite
par le son vocal et par le chant. Les nations orien-
tales ont un mot expressif pour désigner les ani-
maux, qu'elles appellent les enfans muets de h
terre. Au moment où l'homme fut organisé, pour
la parole , il reçut le souffle de la divinité, le germe
de la raison et de réteraelle perfection , l'écho de
cette voix &ite pour gouverner«la terre; en un mot,
Mari céleste des idées ^ le père de tous les arts.
CHAPITRE IT. 207
CHAPITRE IV.
Uhomme est organisé pour des instincts
plus purs que ceux des ajtimauXy et
en conséquence pour la liberté d'action.
On répète incessamment que Tinstinet manque
à i'faomme et que c'^st là le caractère discinctîf de
l'espèce : mais il a tous les instincts que possèdent
les animaux qui l'entourent : seulement , pour qu'ils
soient conformes à son organisation, ils sont or-
donnés en lui suivant des rapports plus délicats.
Il panait que l'enfant, dans le sein de sa mère,
passe par tous les états qui appartiennent à une
créature terrestre. Il nage dans l'eau; il reste pen-
ché, la bouche ouverte : ses mâchoires sont
déjà développées avant d'être recouvertes par les
lèvr€8, qui ne se forment que tard. A peine est-il
veau au monde, qu'il aspire l'air, et le premier
acte qu'il accomplit sans en avoir été instruit , est
de sucer. Tout le procédé de la digestion et de la
nutrition , de la &im et de la soif, se Êit par ins-
tinct, ou par quelque impulsion encore plus ohs-»
cure. Les pouvoirs musculaires et générateurs
tendent également à acquérir leur développement
complet ; et si quelque passion ou quelque maladie
prive l'honttne de sa raison, on remarque aussitôt
3d8 UVRE IV. ;
en lui tous les instincts animaux. Le danger et k
nécessité révèlent dans Thomme, et même dans des
nations entières qui mènent une vie sauvageries
capacités, les sens* et les pouvoirs des animaux.
L'homme n'^t donc pas, à proprement parler,
privé d'instincts; mais. ils sont réprimés e|i lui et
subordonnés à un système plus parfait de nerfs et
de sens ; sans, eux, la créature, qui tient encore en
grande partie de l'animal , ne pourrait pas vivre.
Mais quel est le mode de répression ? comment
la. nature les range -t- elle sous l'empire du genre
nerveux? Considérons leurs progrès . depuis l'en-
fancQ j et cet examen nous montrera sous, un aispeci
très -différent, ce dont les. hommes^e sont affligés
si follement , comme de la faiblesse humaine.
L'homme, dans sa première enfance, est plusiaible
qu'aucun autre animal, et cela pour une raison, évi-
dente; c'est, qu'il est destiné à. recevoir une. figure
qui ne .peut p^ se développer dans, le $an.de sa
mère. Les quadrupèdes reçoivent leur forme avant
de^ venir au jour; et, quoique d'abord la. tète soit
disproportionnée j autant que celle de^ l'honune,
elle atteint bientôt son exacte proportion. Les ani-
maux en qui le genre nerveux prédomine , sont très^
Êiibles aux premiers momens de leur naissance; mais
l'équilibre des pouvoirs s'établit en quelques jours
ou quelques semaines. L'homme seul re^e long-
temps fiiible ; car il s^n^ible que tout so^icorp n'est
CHAt>lTR£ ÏV. ÛOg
fm que pour la tête, qui est d'une grosseur dis*
proportionnée dans le sein et pendant la première
époque de la naissance. Les autres parties, qui ont
besoin d'une nourriture terrestre^ d'air et de mou^
vemeni, mettent plus de temps à atteindre leur
maximum, quoique, durant toute la période de
fenÊmce et de la jeunesse, elles grandissent dans
de justes mesures , sans que la tête continue de
se développer avec elles dans une égale proportion^
L'en&nt, dans la première époque de sa vie, est
donc frappé d'une sorte d'impuissance dans les
parties qui composent le sommet de son organi-^
satîon; aussi les pouvoirs qui en dépendent sont**
ils ceux que la nature s'empresse le plus de perfec-^
tionner. Avant d'apprendre à marcher, il apprend
à voir, à entendre, à toucher, et à se servir du
mécanisme délicat et de la géométrie de ces sens.
U les exerce, comme tous les animaux, d'une ma-
nière instinctive, et seulement dans une sphère plus
élevée, hien que ce ne soit pas toutefois en vertu
d'un art et d'une habileté innée; car toute l'indus-
trie des animaux résulte d'impulsions plus gros-
sières, et si elles dominaient dès l'enfance, l'homme
resterait animaL Capable de tout faire sans avoir
rien appris, il n'apprendrait aucune chose qui lui
appartint en propre. En un mot, ou la raison innée
n'est en lui qu'un instinct, ce qui semble impli-
quer contradiction; ou il iaut^ pour qu^il puisse
aïO LIXRE IV.
apprendre la raison y qu'il viemie au monde dan«
l'état de f^lessë où il h» mpntre à nos yeux.
C'est là d^uis son eipËmce Tolbjet d6 saa étude,
et il (est {pTEûé ps^r l^ait à la raisoB, à la liberté et
^ la p<irole» comme il Test à sa n^anière de marcher.
L'enfant à la ntomelle repose sur le coeur de sa
mare, qui développe, ei^ le caressant) le firuit de ses
entrailles et de sa jeunesse. Les sens les pins déE-
cats, l'oeil et l'oreille, s'éveillent les premiers; le
son et les former leur servent de guides : heureux,
s'ils ne sont point égarés ! Le sens de la vue se dé-
veloppe peu à peu de lui-même; l'en&nt porte at-
tentivement s^ yeux sur. les êtres semblables à lui
qui l'entourent y en mtme temps que son oreiiie
éeoute leur langage , et c'est aii^si qu'il apprend à
distinguer ses pr^ières idéesi De la même masière,
la main apprend peu à peu à palper, et alors ses
membres tendent à se fortifier par l'exercice. U
con^mence par être un élève des deux sens les plus
délicats; car l'instinct scientifique qu^ doit être for-
mé en lui, n'est a\itpe que la Faisan ^ Phumanàé,
im gçnre de vie propre à P homme , et tel qu'aucun
animal ne peut ni le posséder, ni l'acquérir, les
animaux domestiques acquièrent, il est vrai, quel-
ques connaissances par l'entrepiise de Tbomme,
mais seulement en tant qu^imaux, et sans deveuir
foifr cela des hommes.
Bar là, on voit oe qu'est la raison husuose;
CHAPITRE ly. an
ce mpt, si souvent profaBe dans des écrits mo-
dernes, jusquejà qu'on Ta considérée comme tin .
automatisme inné, qoi ne peut conduire qu'à Ter-
reur. Dans la théorie, aussi bien que dans la pra-
tique, la 'raison n'est que le résultat d une étude in-
volontaire, la connaissance acquise du système et
des rapports moraux et intellectuels pour lesquels '
l'homme est formé en vertu de son organisatiopi
et de son genre de vie. Nous ne savons pas ce
que c'est que la raison d'un ange , pas plus que t c
nous ne sommes capables d'avoir une perception
claire de Fétat interne d'une créature qui nous
est inférieure. La raison, de l'homme est une raison
humaine; dès son, enfance il compare les idées et
les impressions de ses sens les plus délicats, et les
résultats de cette opération dépendent de la finesse
et de l'exactitude avec lesquelles il perçoit les ob-
jets, du nombre de ses perceptions et de l'habileté
interne avec laquelle il apprend à les coordonner.
L'unité qui Sort de cet ensemble de choses, est sa
pensée; et les diverses combinaisons de ses sen-
timens pour juger du vrai ou du faux, du bien
ou du mal, dés sources de bonheur ou de mal-^
heur; voilà ce qui compose sa raison, l'œuvre
progressive des divers phénomènes de la vie hu-
n[iaine Admirable puissance , qui fi'èst point innée
en lui, mais qu'il acquiert peu à peu, et c'est
d'après la nature des impressions qu^ a reçues,
«»#
âlS LITRE 1T«
des idées qull s'est formées des objets ; c'esi dV
près la force et l'énergie interne qu'il a dévdop
pées en assimilant ces impressions inverses à ses
Êicultés morales, que sa raison est ou riche ou
pauvre, ou saine ou naïade, ou étroite ou éten-
due, comme son corps même. Si la nature nous
a trompés par de Êiusses percq>tions sensibles, il
&ut nous abandonner à elle, et suivre les images
décevantes qu'elle a placées devant nous. Tant
que les hommes posséderont les mêmes sens,
leurs erreurs seront les mêmes. S'ils nous trom-
pent, et que nous n'ayons ni organes- ni facultés
pour reconnaître la fraude et pour ramener nos
impressions à un type plus exact, notre raison est
attônte dans ses élémens pratiques, et il aVrive
souvent que cet état se prolonge pendant toute
notr^ vie. Comme l'homme ne &it rien sans Favoir
appris, et que c'est là le caractère de sa destinée et
de son instinct; comme il faut qu'il étudie jusqu'à
sa manière de marcher, ce n'est qu'après plusieurs
chutes, qu'il parvient à se tenir debout, et souvent
il n'atteint la vérité qu'à l'aide de l'erreur. L'aninial,
au contraire, se meut en sûreté sur. ses quatre
{Meds; car il à pour guides les impulsions et les
sensations les plus fortement imprimées. L'homme
jouit de la prérogative royale de porter au loin ses
regards dans l'espace, la tête élevée; mais il faut
avouer qu'il voit plus obscurément et moins juste;
CHAPITRE IV. 31 S
sonvent même il s'oublie en marchant , et il n'est
rappdé à lui que par le choc inattendu de l'étroite
base sur laqudle repose tout l'édifice des idées et
des jugemens que son cœur «t sa tête ont rassenb-
blés. Mais il n'en reste pas moins , conformément à
la hauU destination de sa ra/^on, ce qu'il- n'est
donné à aucune autre créature d'être sur la terre,
un fils de Dieu, un souverain du nionde.
Pour mieux reconnaître la prééminence de cette
destinée, examinons ce qui est contenu dans le don
suprême de la nUson et de la t&erté^ et comlnen
la nature a hésité, pour ainsi dire, avant de con^
fier ces puissances. à une créature aussi fidèle, aussi
compliquée, aussi terrestre que l'homme. Les ani-
maux ne sont que des esclaves courbés, bien que
quelques-uns de l'espèce la plus noble portent la
tète droite, ou au moins élèvent librement leur cou.
Mais leurs intelligences, que la raison ne dirige
point ^ sont subordonnées aux impulsions de la
nécessité, et faites pour servir aveuglément les sens
et les appétits. L'homme est de toutes les créatures
la seule qui soit ^restée libre : il marche droit; il
tient la balance du. bien et du mal , du vrai et du
&UX ; il peut examiner et choisir. Comme la nature
lui a donné deux mains libres pour lui servir d'ins-
tnunens, et un œil perçant pour diriger sa marche,
9on* seulement elle lui a donné le. pouvoir de
plaoer les poids' dans la balance, mais encore elle
st4 litB£It;
a permis qufil fut loi-riiiâine, pour aina dîne, un
poids dans le bassin. Il pieut tomber dans les {du$
grandes erreurs et se tromper Tcdontsirenimt: il
peut: apprendre avec le temps à aimer les daines
qui pèsent sor lui' contre le droh de la nature et à
les orner de fleurs. Ce qui a lieu pour sa raison
égarée^ arrive aussi pour sa Hberté^ ou m^onnue
ou effrénée; dans la plupart des hommes, le rap-
port dbs forces et àts pcnchftiis est tel qu'il a été
<taUi par Thabitade ou la donv^^iance. L'homme
&it rarement àcteiiiion^à «es choses, ei il peut tonn
ber aurdessdus de ranimai ^lerfquH est dcttdlBépar
de vils penobans et d^'odieuâes babilades.
C'est un roi^ €ons«*vant encore Papanage de sa
Hberté, inéme quand il en abuse de la mattâèrela
plus détestable. Il peut encore choisir; quand même
c'est pour choisir le mal j il obéit k son popre
commandement, même quanrd, par sa propre vo-
lonté, il se porte aux excds^ les plus méprisables.
Devant celui qui sait tout, et qui lui a cowftre ces
pouvoirs, il est vrai que sa liberté et sa raison ont
des bornes, et il est heureux qrfil en soit ainsi; caf
celui qui a feit surgir la source dbnt elles dérivent,
a sans doute prévu la pente qu'e&es devaient suivre,
et il n'ignore pas qneBè' dîrec«ion il feut leur don*
ner pour qufe le torrent, jusque dans son cours le
jrfus impétueux , ne puisse échapper à ses atteintes.
Mais ceci n'apporte aucun cheoigement ni dans h
CHAPITRE ÎT. 2x6
cliose €lle-mème, ni dans la nature de l'homme;
il est et demeure, en soi,. une créature Kbré, quoi-
que la bontés qui comprend tout, l'émbra^ë jusque
dans ses folies, et les fesse tourner à son biea pAv-
ticulier et au lAtn géiiéral. C!omme le boulet qui
s'élance de la boiicbè du canon, ne peurt s'échappélr
de l'atmosphère té^reëtre, et quç, lorsqu'il tomb^,
c'est en vertu d'une loi unifôrme de la ùatiire, dé
même l'boâ^mle, dailià Tef^rcur et dans la vérité, sok
qu'il tombe où, qtr'îl 6'éfêve, est ràeore f homme;
faible il est frai, Ddais né fibte; il est sinon raison^
nable, dû Étfôins capable d'une raison ëupéi^eure,
sinon formé à Ffaumanité , au moinfs doué du pour-
voir de Taitëindre. Newton, Fén^on, les màlheu^
reux habitans âe k Nouvdle-Zélande et de la: Ter^é
de feu 9 sont toifts des créatures d'une fieule et Inèmç
espèce
U parait^ en effet, que toute la variété possible
dans l'usage de ces nobles attributs* de lat pensée,
devait se présenter stir la terre. Il y à évide^mélit
une éehdle progi^essivé depuis lliômme qui ^ei*t de
limite à l'animal, jusqti'aù gétaié le plus éle^ qin
puisse apparaître sôus ta forme hunlainë Et coni^
ment «'en étonne^, quaïid nous voyons Pi«!iÉcièiise
série des anim^u^s: s'approche^ dé nOus , et lé loâ^
cours qW là nature à été obligée àë prendre poti^
préparer otgaûiquemeht en Aolis la fleur fécondante
de la raison et de la liberté? Il est à croire que toutes
2l8 LIVRE IT.
sociale, de la fraternité et de la fidélité dans la vie
et dans la mort; s'ils ont abdiqué leurs propres
volontés 9 pour se sputnettre à Tempire des iosdr
tutions ; s'ils ont établi et défendu de leur sasg
l'autorité légale de l'homme sur l'homme, quoi-
qu'elle reste encore loin de sa perfection; si des
mortels généreux se sont sacrifiés pour leur pays,
si non-seulement ils ont perdu leur vie dans ub
moment tumultueux, mais, ce qui est bien plus
magnstnime, si le jour et la nuii;, pendant des mois
et des années , ils n'ont pepsé dans le travail Bon
interrompu de toute une Vie, qu'à préparer, au
moins isuivant leur opinion, la paix et le bonheur
d'une multitude arveu^e et ingrate; si des philo-
sophes se sont soumis vplontairemetit à la calqm-
nie et à la persécution, à la pauvreté et aux besoins
par le désir glorieux de propager la vérité, la
liberté et le bonheur dans l'espèce humaine; s'ils
ont mis toute leur féliaité à répandre sur leurs
frères les plus sublimes bien&its dont ils étaient
capables ; tout cela certainement atteste d'immenses
vertus, et la puissance de cette destinée intérieure
qui nous appardent et qui nous est inhérente; car,
à vrai dire, je ne saurais expUquer sans elle ces
phénomènes de l'ordre social II fiiut avouer que
le nombre de ceux qui se sont ainsi distbgués
de la foule , et qui , semblables à^ des niédccins
dévoués, se sont élevés à des actions que le mou-
CHAPITRE T. 219
Tement instinctif ne leur eût point con^nfiandés ,
est tpès-limité : mais ce petit nomj|l)re a été la fleur
de respèee» ils sont les fils libres et immortels
de Dieu sur la terre ; le nom d'un seul de ceux-là
dépasse eii gloire ceux d un million d'autres.
CHAPITRE V.
Quelque délicate que soit la santé de
ïhonime, il est destiné, par son orga-
nisation même, a viçre plus long^temps
qu'aucune autre créature et h se répan--
dre sur toute la surface de la terre.
Par son mode de station , l'homme a alcquis un
degré àe délicatesse , de chaleur et àé force qù'îau^
cun adimal né peut atteindre. Dans Fétàt sauvage
il est presque entièrement couvert de poils, surt<^at
le long du dos; et PEne Fancien a fait un crime
à la nâtnre de ce qu'elle a refusé cette fournlre à
l'homnie civilisé. Dans. sa bienveillance universelle ,
la mère de tous les êtres ne pouvait donner à
Thomnae une enveloppe |dus préciçuse que k pegu
dont elle l'a recouvert, et qui, malgré tou^ sa-
délicatesse , supporte les changemexis de saisons et
la température de tous les climats, quand elle est
aidée d'un peu d'art , qui pour lui est une seconde
nature.
330 LiTKE rr.
Il est conduit à cet art non-seutemént par rim'
pulsion de la nécessité, mais encore par quelcpie '
autre puissance moins sévère et mieux appropriée
à son caractère. Quoi qu'en disent les philosor
phes, il est certain que la pudeur est naturelle à
lespèce humaine , et Ton ne peut nier que Ton
aperçoit dans certains animaux des mouvemens
instinctifs qui ont une sorte, d'analogie avec ce
sentiment La femelle du singe se couvre de sa
main, et Téléphant, pour propager son espèce, se
cache dans quelque bois obscur et non fréquenté.
A peine est-il sar la terre une nation ^ où les fem-
mes ne fassent usage de quelque sorte de voiles,
dès le moment où les passions ' commencent à
s'éveiller : d'ailleurs, la sensibilité qui ^e développe
alors, et d'autres circonstances, obligent rbonun^
à se vêtir. Avant même qu iï cherchât à protéger
son. corps contre la furie des élémens ouïes ai*
guitlons des insectes par des vêtemens ou des
substances onctueuses, une sorte d'instinct naturel
1. On né cite que deux nations entièrement nues, et dont
la Tie soit parement animale : les hab^tans^de la Terre de feu»
il Pestrémite de rAmérîque da sud y et un peuple lauTage entre
Arracan et Pégtt. J^ai peine k croire que ces derniers soient
réduits à nn état anssi grossier qu^on nous le dit, et cela dans
un pays si fayorisé par la nature. Cependant ce fait est con*
firme par un des derniers TOjageurs» ( MackintQsh^0 TravelSi
vol. i| pag. 341 y London, 178a..)
\ CHAPITRE T. 221
le conduisit à la pudeur, dont la nature physique
lui &isait un devoir. Dans les animaux les plus
nobles la femelle ne s'ofire pas elle-même ; il faut
qu'elle soit poursuivie. En cela, elle remplit à son
insu les desseins de la nature : et dans l'espèce
humaine, la femme est la gardienne de l'aimable
pudeur , qui , en vertu du mode de station de
l'espèce, ne pouvait manquer de se dévelo[^er de
bonne heure.
Ainsi l'homme a été conduit à se vêtir lui-même.
A peine eut -il acquis cet art et quelques autres
encore, qu'il fut capable de supporter tous les
climats, et de prendre possession de toutes les
parties de la. terre. Peu d'animaux, si Ton eu
excepte le chien , ont pu le suivie datis toutes les
contrées; et encore combien ce dernier n'a-t-il pas
changé de formes I combien sa constitution native
n'a-t-elle pas été altérée! L'homme seul n'a subi
que de légères modifications, et encore dans des
parties qui ne sont point essentielles. On s'étonne
de son immutabilité, quand on considère quelle»
variétés attendent les. autres animaux dans leurs mi*
grations. Sa nature délicate est si exactement dé»
terminée,^ son organisation est si parfaite*, qu'il
occupe le degré le plus élçVé et qu'il n'est suscep-
tible que de quelques modifications, qui ne sont
point des cfaangemens caractéristiques.
Comment expliquer cette différence? Par sou
f
222 LlYRfi ir.
altitude droite, tt par rien autre. Si nous marchions
fiur les pieds et sur les mains, comme Tours et le
singe, on ne peut douter que les différentes espèces
du genre homme (pour me servir de cette igaoble
expression) ne fussent renfermées daïis des limites
plus étroites , qu'elles ne pourraient dépasser.
L'homme-ours aimerait son climat froid , Thomiiie-
singe son climat chaud. Nous reconnaissons même
maintenant que, plus une nation est grossière, plus
elle est enchaînée , par ses habitudes physiques et
morales, à sa contrée et à son climat
Si la nature a élevé l'homme au-dessus du sol,
c'est pour qu'il règn« sur la terre. S'il se distingue
des autres créatures par une constitution plus
; délicatement organisée, par une circulation du
sang mieux élaborée, par Un mélange plus varié
des fluides; si un degré de chaleur vitale plus
fixe et plus intime lui permet d'habiter la Sibérie
«t la zone torride , c'est à son mode de station qu'il
en est redevable. Composée avec plus d'artifice,
c'est sa structure droite qui lui donne la faculté
de supporter les deux extrêmes de chaleur et de
froid. Nulle autre créature sur la terre ne peut
résister à une température qui pourtant n'opère
en lui que de très-faibles changèmens»
Il feut avouer que la délicatesse même de sa cons-
titution et toutes les conséquences qui en dérivent,
^ ^nt donné lieu à une foule de maladies auxquelles
CHAPITRE V. 5 25
les animaux ne sont point sujets ^ et dotit Moskati*
a &it une éloquente énuméraiion. Le sang qui cir^
cule^ dans une machine perpendiculaire, le coeur
qui est pressé dans une position oblique, et les
entrailles qui accomplissent leurs fonctions dans
une situation droite,, sont elposés à des dangers
plus fréquens que dans le corps des quadrupèdes^
Il semble surtout que la délicatesse excessive des
femmes est un don qu'elles doivent payer bien cher.
Mais ces périls sont diminués et ces maux adoucis
de mille manières par la bienfaisance de la nature.
Wotre santé, notre bien-être, toutes nos percep-
tions et nos impulsions ont un caractère plus élevé
et plus spirituel. Aucun animal ne jouit un seul
instant de la santé et du bonheur de l'homme.
Aucun d'eux ne goûte le nectar que l'homme boit
à longs traits. Considérées même simplement par
rapport au corps, les maladies des animaux sont
moins nombreuses, il est vrai, parce que leur or-
ganisation est plus grossière; mais aussi elles sont
plus obstinées et plus constantes dans leurs effets.
La couche cellulaire de leurs corps, le tissu de
leurs nerfs, leurs artères, leurs os et même leur
cerveau, sont plus solides que les nôtres, et .aussi,
si Ton excepté l'éléphant, dont la vie est presque
I. Vom. kôrperlichen und -wesentlicken Untersehied^ thr
Thi€r€ und ^caschen, Gottingen, 1771-
324 LIVAE IV.
aussi longue que celle de rhomme, tous le&quadni'*
pèdes qui nous, entourent arrivent beaucoup plus
rapidement que nous à la vieillesse et à la mort. Le
Créateur a donc donné à rhomme la vie la plus
longue, et en même temps la santé la mieux éta-
blie, et l'existence la plus féconde en jouissances
que pût comporter une organisation terrestre* Tou^
îours secouru par sa nature mixte et habilement
compliquée, c'est à elle qu'il <i|oit sa force et sa
durée; et si notre organisation est affaiblie et dé-
tériorée, comme un grand nombpe d'exemples em-
pêchent de le nier, il faut l'attribuer à des excès,
à des folies et à des vices dont aucun animal n'est
capable.. Dans chaque climat la nature bienveil-
lante a multiplié les plantes qui guérissent les ma-
ladies dont il est le foyer; mais la confusion de
tous les climats a pu seule changer l'Europe en
un gouffre de maux que ne connaîtront jamais
les peuples qui vivent selon les lois de la nature.
Il est vrai que ces maux, dont nous sommes les
premiers auteurs, ont été suivis d'un bien qui
nous appartient au même titre, de la seule com-
pensation que nous méritions, de cette foule de
médecins qui aident la natui:e, quand ils suivent
^es traces, et qui, s'ils ne peuvent ou s'ils n'osent
obéir à ses avertissemçns, envoient du moins le
malade au repos suivant les règles de l'art
Avec quel soin maternel, avec quelle sagesse
CHAPITRE V. baS
toute divine les périodes de BOtk*e vie et la durée
de notre existence n'ont-^Ues pas été déterminées! '
Toutes les créatures vivantes sur la terre qui dpi<*
vent atteindre brusquement à la periëction dé l'es*
pèce , ont un dévdoppement rapide : elles sont •
mûres de bonne heure > et elles ont bientôt par*
couru la carrière de la moft. Élancé comme un
arbre du cid, l'homme grandit lentement; comme
l'éléphant, il reste long«temps dans le sém qui le
nourrit : sa jeunesse se prolonge beaucoup plus
que ceUe d'aucun autre animàL La nature a ûàt
durer autant que possible l'époque qui est la plus
fiivorable à l'éducation , au développement^ des
idées, au sentiment du bonheur et à l'innocence
des plaisirs. Uii grand nombre d'animaux attei**
gnent leur plein développement aii bout de quel-
ques années ou de quelques jours, et même près*
que au moment de leur naissance; mais ils n'en
sont que plus imparfaits, et leur vie est d'autant
plus courte que' leur croissance est plus rapide :
il faut que l'éducaûon de l'homme aoit longue,
parce qu'il a beaucoup à apprendre. Tout en Ivi
dépend de l'habileté naturelle , de la raison et de
l'aru Si ensuite sa vie est abrégée par les dangers
sans nombre et les àcddens auxquels' il est exposé»
du moins il a joui d'une longue jeunesse, libre
d'ennuis; pendant que son corps* et. sa pensée se
développaient V le monde s'étendait autour de lui$
226 UVRE IV.
pendant qu'il croissait lentement, rhorizon, où se
portaient ses regards, agrandissait le cercle d^ ses
espérances^ et son cœur^ plein de vie et d'amour,
esfiité par tine cxtriosité inquiète , battait dan^ un
impatient enthousiasme po«r tout oe qu'il y a de
gland, de bon et de sublime* Les dé^rs des sexes
9t font, sentir dans lliomme qui smt le cours de
la nalurè^ pkis tard que dans aucun autre animal;
teàr il est desàné à vivre de longues années, et non
pas à prodiguer avant le temps le noble trésor
de ses facultés physiques et morsdes; L'insecte, ({oi
jouit de bonne heure des plaisirs de l'amour, ne
larde pas à mourir. Tous les animaux chastes et
•
monogames vivent plus lonjg-temps que ceux (pi
n'obéissent pas au lien conjugal* Le coq lascif meort
promptement ; le biset * fidèle peut arriver jusqu'à
truquante ans. Le maria^ est donc conuuandé
ici-bas au favori de la nature; sans oette loi, comme
une fleur non édose, il eAt dépensé sans fruit ses
années die vigueur et d'innocence: Après cela yieD-
nent de longues années pendant lesquelles sa rai-
son mûrit sous rinfluence des pouvoirs virik» et
il conserve la &cùlte de reproduction plus long-
temps qu'aucun autre animal. Â la fin il cède a
une mort paisible qui brise une alliance mal cir
nkentée entre la poussière et l'intdligenee. Amsi
hn nature a combiné avec k; structure fragile da
Od«^s humain tous les ai^ qui pôumieni se àk-
CHAPITEETL !i2'J
velopper au sein d'une organisation terrestre ; et
jusque dans ce qui abrège et affaiblit la vie , on
voit qu'eUe a compensé la brièveté delà jouissance
par la plénitude ^ et les pouvoirs destructeurs par
rintensité de la sensation*
î * . ' ^
CHAPITRE VI
L'homme est formé pour rhurnanité et ta
religion, .
Je voudrais pouvoir étendre la signification du
mot humanité y, et comprendre sous cette exprès*
âon umt.ce que j'ai dit ji;Lsqu'à présent de la
nature dfÇ l'homme ^ de l'excellence de sa raison et
de (^ liberté^ de la perfection de ses s^is et de ses
in3tiI|^^f)e la délicatesse de sa sainte qui n'ei^clut
point ^a force ^ et ^fin de* la mission qu'il a reçue
de gouverner la terre; car l'homme n'a pas de mot
plus aiygiutste. pour représenter à la pensée sa desti-
natipn m&^e» que celui q^ii sert à le désigner lui^
mèps^î lui, en qui, l'image du Créateur est aussi
visy^lenjiem emprei^t^ jp^'elle psut l'i^tre ici-b$s : il .
suffit .d'esquisser sfi fprme pour indiquer ses plus
nobl^ devoirs..
1* Tous^ks in^incts d'un être vivant peuvent $tre
ramepés à I0 conservation de soi-même et à des
rapports de participation à une autre destinée que
la ûenne^loi coi^titi^ion or^ique de rhot^me.
/
3^8 LIVRE IT.
I
si on y ajoute une direction supérieure, donne à
ses instincts une extrême délicatesse; son attitude
droite assure sa stabilité; et pour plus de précau-
tions, il présente la circonférence la plus pedte
au dehors et le mouvement le plus varie au de*
dans. Il repose sur une étroite base , et il lui est
ainsi plus . facile de couvrir ses membres ; son
centre de gravité . tombe entre ses hanches, plus
souples et plus fortes que celles d'aucune autre
créature, car il n'est pas d'animal qui déploie
dans ces parties autant de mobilité et de force que
l'homme. La position de ses bras, l'aplatissement
et la force de sa poitrine lui ménagent des moyens
dé défendre sa &ce, son cœur, et de protéger, de-
puis la tête jusqu'aux genoux, les parties vitales
les plus nobles. Il est certain que des homines ont
rencontré des lions' et les ont terrassés : rAfricain,
quand il combine là prudeiice, l'adresse avec la
force, peut lutter contre eux même à nomibi^ iné-
gal. Il faut avouer toutefois que l'homme est 'fiiit
bien moins pour l'attaque que pour la défense:
dans l'une, il a besoin du' secours de l'art; dans
l'autre, il est naturellement là créature la jJas
puissante de la terre. Ainsi, sa forme elle-même
lui commande de vivre en pait, et non point de
verser le sang et de se gorger de rapines : tel est
le premier caractère de l'humanité.
2. Parmi les instincts qui ont rapport à «ntmi.
GHÂPIÎllE TI. :3a9
le .désir de propager son espèce est le plus ptiissam
de tous ; dans l'homme il est subordonné an carae*
tère de rhumanité : ce qui dans les quadrupèdes,
même dans le chaste élépliant, n'est que copula*
tion, est en lui, à cause de sa conformation, baiser
et embrassement. De tous les êtres vivans, l'homme
est le seul dont la bouche soit marquée par le doux
renflement des lèvres, c'est la partie de la face qui
est la plus lente à se former : le contour charmant de
ces lèvres intelligentes^ est comme* la deMière trace
du doigt de l'amour. L'expression la plus modestie
des langues de la haute antiquité,. quHl connut sa
femme y n'est applicable à aucun animal; et si d'an-
ciennes fables disent que les deux sexes, d'abord
formés en hermaphrodites, comme dans les ^eurs,^
furent séparés par la suite, cette fiction expressive,
et d'autres semblables j tendaient à confirmer, sous
une forme allégorique, la supériorité de l'amour de
l'homme sur celui des animaux. Que ce désir dans
l'homme ne soit pas soumis à l'empire des saisons,
comme dans les animaux, quoique l'on n'ait pas fait
sous ce rapport des observations attentives sur les
révolutions du corps humain , c'est ce qui' démontre
évidemment qu'il n'est pas l'esclave de la nécessité ,
mais qu'il e^e à l'attrait de la sympathie* Placé
sous le domaine de la raison , il est fait pour obéir
à une tempérance volontaire, comme tout ;ce qui
appartient à l'homme» Ainsi l'amour dans l'homme
a5o UVREIV-
devait èçre humain , et -pour cela là nature a déter-
miné, indépendamment de ses fonnes, le défvelop-
pement, la durée et la puissance des désirs dans les
deux sexes; d'ailleurs, elle Fa rangé sous la loi d'ii/>«
alliance sociale volontaire et d'une douce commu-
nauté entre deux êtres <jui se sentent unis en un
seul pour ]a vie.
5. €omme toutes les aflEections tendres, excepté
l'amour qui donne et qui reçoit, se contentent de la
participation, la nature, pour rendre l'homme plus
propre qu'aucune autre créature à participer à des
impressions étrangères, a marqué d'*ine part son in*
dividualité de la manière la plus prononcée , et de
l'autre lui a donné une organisation conforme a
iJbaque parue de la création, de. telle sorte quil
peut jouir et souffrir avec chacune d'elles. La struc-
/ture de ses fibres est si délicate, si fine et si élas*
tique, ses nerfs sont répndus avec tant d'fulifice
sur chaque partie de son corps vibrant, que> sem-
blable à une image dé la divinité qui sent tout, il
peut en général se mettre à la place de chaque
créature et sentir avec elle au degré nécessaire pour
•
établir l'harmonie, sans jsfie son organisme soit
dérangé, et même au risque de le déranger- Ainsi
notre machine, en tant qu'elle est un arbre qui
croît et qui fleurit, sent même avec les arbres. Hy
a des hommes qui ne peuvent voir sans douleur
un jeune arbre verdoyant coupé par le pied ou
CHAPITRE VI. ) a54
détruit. On regrette $a ctine élevée; on voit avec
tristesse une fleur £ivorite se fâuer. Ce n'est pa«
avec indifférence que les y^ux s'arrêtent sur un
ver écrasé qui se tord dans tous les sens ; et plus
une créature ^t parfaite , plus son organisation
approche de la n<5tre^ plus ses souffrances exci*
tent en nous de sympathie. Il &ut qu'il ait une
étonnante énergie, celui qui ouvre sans sourcil-
ler une créature vivante^ et qui examine de sang
froid ses mouvemens convulsi& : il n'y a qu'une
soif insatiable de la gloire et de là science qui
puisse amortir par degrés la sensibilité organique
Plus délicates que nous, les femmes ne peuvent
assister à la dissection d'un corps mort ; elles souf-
frent dans diaque membre, à mesure qu'elles sui^
vent la marche du scUpd; et cette souffrance est
plus aiguë à proportion que la partie est plus noble
et plus sensible. lies entrailles, quand eUes sont
arradiées, excitent le dégoût et l'horreur: quand
le cœur est percée quand les poumons sont par^
tagés, le cerveau mis en pièces, nous sentons en
nou&-mèmes la pointe ai^ë de Mustrument, Nous
sympathisons, jusque dans le tombeau, avec le
corps d'un ami mort; nous sentons la froideur
de la fofise qu'il ne sent pas, et nous frissonnons
quand nous, touchons ses os. C'est ainsi que h
mère commune, qui a pris toutes choses d'elle-
même , et qui sent pour tous avec la sympathie la
^33 LIVRE vr.
plus intime y a sympathiquement combiné Forga-
nisme humain. Ses fibres vibrans^ ses nerfs sym-
pathiques, n'ont pas besoin de Tordre de là raison;
ils se précipitent avant elle, souvent ils lui déso-
béissent obstinément Un commerce avec des gens
fous, pour qui nous sentons quelque affection,
excite en nous la folie ; et cet effet est d'autant plus
prompt , qu'il est plus redouté.
Il est remarquable que Toreillel excite et aug-
mente la compassion beaucoup plus puissamment
que l'œiL La vue d'un animal , le cri que lui
airache la douleur, attirent tous ses compagnons,
qui, comme on l'a observé, restent tristement au-
tour de celui qui souffre , et semblent chercher
quel soulagement ils pourraient lui donner. Il est
également certain que l'homme, à l'aspect de ^
douleur y est saisi d'une sorte d'effroi qui précède
la pitié. Mais la voix de celui qui souffre ne se
fait pas plus tôt entendre, que la stupeur cesse et
qu'il accourt vers lui : il est atteint jusqu'au cœur:
serait-ce que le son change le tableau en un être
vivant , et qu'iF concentre ^ eh un seul point le
souvenir de nos sentimens individuels et toutes
les puissances qui sont réveillées en nous par les
affections d'autrui? ou, comme j'incline à le croire,
6ut-il rap^rter ce phénomène à une cause' qui
r^ose dans les lois les plus secrètes et les plus
profondes de l'organisme? U suffit que le tak soit
CHAPITRE TI. ^33
4
yrai , et qu'U démontre que le son et le langage
sont les sources principales de la compassion de
Thommé. Nous sympathisons moins avec une créa-
ture qui ne peut soupirer, et qui, n'ayant pas de
poumons, est plus imparfaite et se rapproche moins
de notre propre organisation. Quelques sourds et
muets de naissance ont montré par des exemples
de la cruauté la plus monstrueuse qu'ils ne sen-
taient ni pitié ni sympathie pour les homiUes et
les animaux^ et il est facile de trouver un grand
nombre de faits pareils dans la vie des peuples
sauvages; c^endant, même parmi ces derniers 5
la loi naturelle n'est pas ^itièrement effacée. Lés
pères qui sont poussés par le besoin et par la faim
à sacrifier leurs enfans, les dévouent à la mort dans
le sein de leurs mères , avant qu'ils aient entendu
le son de leur voix; et plusieurs infanticides ont
déclajré que rien ne fut si cruel pour elles, que rien
n'a laissé des traces si profondes dans leur sou-
venir, que la faible voix, que le premier cri sup-
pliant de leur enfant.
4« ^^^ quels admirables liens la n^ère de toute
affection n'a-t-elle pas uni les sentimens de sympa-
thie qu'elle à répandus entre ses enfans et qu'elle
perfectionne par degrés. Si la créature est assez
grossière et' assez insensible poi^r négliger ses
propres besoins, le soin de ses enfans ne lui est
pas confié. Les oiseaux couvent et élèvent leurs
^34 LiTRc nr.
petits avec one tendresse maternetle. Au contraire,
«t l'aiitrache stupide confie ses oeufs au cable:
ff elle oublie, dit un ancien > livre, qu'un pied peut
« les écraser ou une bête &uve les dévorer ; car
« Dieu l'a privée de sagesse et ne lui a point dé-
„ parti rintelligeUce. » En vertu d'une seule et
même loi organique ^ à mesure que le cerveau de
la créature augmente, elle acquiert une chaleur
plus intense; elle devient plus propre à l'incuba-
tion, ou, si elle s'élève au rang des vivipares, elle
a un lait plus pur et plus abondant pour ses peuts,
qu'elle chérit avec toute la tendresse d'une mère.
La créature qui arrive vivante dans le monde
est pour ainsi dire un plexus des propre» nerft
de sa mère. L'enfant à la mamelle n'est qu*une
branche dWe plante -mère que celle-ci nouml
comme une partie d'elle-même. C'est sur ce senu-
ment réciproque et progressif que sont fondées»
dans l'économie animale, toutes les tendres affec-
tions auxquelles la nature pouvait élever chaque
espèce.
Dans l'espèce humaine l'amour maternel est d un
genre plus élevé; c'est une branche de rhumaniie
de la forme la plus délicate. Le nouve^u-né repose
sous les yeux de sa mère; appuyé sur son sein,
il boit à longs trs^its le fluide le plus doux et le
plus pur de tous; car c'est une coutume barbare, et
qui même tend à déformer le coips, que d'allaiter
CHAPITRE TI.
Si
les enfans en les portant sur le dos , ce cpn , dans
<juelques pays, est une nécessité. L'amour paternel
et domestique adoucit les plus . grands sauvages ;'
il n'est pas jusqu'à la liotine qui n'ait de la ten-
dresse pour ses petits* La première société prit nais-
sance dans l'habitation paternelle , et fut cimentée
par les liens du sang, de la confiance et de l'amoun
Ainsi, pour effacer ce que l'homme a de sauvage,
et pour l'habituer au commerce domestique, il fàl*-.
lait que l'enfance se prolongeât pendant quelques
annéea La nature a enchaîné l'un à l'autre les mem*
bres de la famille par de tendres liens, afin qu'ils
ne pussent pas se séparer et s'oublier, comme les.
animaux, qui arrivent en peu de temps à Fàge mûr.
Le père devient le précepteur de son fils, comme
la mère a été le premier maître de son enfant au
berceau; et c'est ainsi qu'il se forme un nouveau
lien d'humanité. Tel est le fondement nécessaire
de la société humaine; sans elle l'individu ne pour-
rait pas se développer ni l'espèce se multiplier.
L'homme est donc né pour la société; l'affection
de ses parens et la lenteur de son développement
l'empêchent égalemeiS d'en douter.
5. Mais, comme la sympathie de l'homme ne
peut pas s'étendre à l'univers entier, et qu'elle ne
serait souvent pour lui qu'un guide obscur et im-
puissant, un sens borné qui ne transmettrait que
des images confuses de tous les objets qui dépa»-
a56 LITRE rr.
SMÛem sa portée, la nature, toujours prévoyante,
a soumis les divers phénomènes dont se compose
l'édifice merveilleux de son être, à la règle de la
vérité et de la justicei Vhomme est droit par sa
forme, et cOmme dans sa figure tout est sulK)r-
donné à la. tète, comme ses deux yeux ne voient
qu'un objet, que ses deux oreilles n'entendent
qu'un son : comme le Créateur a combiné à l'exté-
rieur la symétrie avec l'unité, et a posé l'anité au
centre où convergent toutes les parties doubles,
de même la grande loi de la justice et de Téqui-
librè est la règle interne de l'homme. Ne faites
pas à un autre ce que vous ne voudriez pas qu^on
vous fit y et faites aux autres ce que vous vour
driez qui .vous fût fait. Cette règle imprescriptible
est écrite jusque dans le cœur du sauvage^ car, s'il
mange la chair de ses ennemis, il s'attend aussi à être
mangé. C'est la règle du vrai et du faux, de \idem
et idem^ fondée sur la structure de tous nos sens,
et même je pourrais dire aur l'attitude droite de
l'homme. Si pous n'apercevions les objets qu'obli-
quement, ou si la lumière nous frappait dans une
direction oblique, nous n'ai|pons pas l'idée de la
ligne droite. Si notre organisation était sans unité,
si nous manquions de jugement^ nos actions sui-
"vraient des courbes qui dévieraient die la règle, et
la vie humaine manquerait de raison et de dessein.
Cest la loi de la vérité et de la justice qui établit
CHAPITRE TI. 387
la sincérité dans les rapports des frères et des alliés :
à peine se confonne-t-on à ses préceptes / qu'elle
change les ennemis en amis. Celui que je presse
sur .mon sein, me presse aussi sur le sien; celui
pour qui j'expose ma vie, expose aussi la sienne
pour moi : ainsi, les lois de l'homme, celles des
nations et des animaux , sont fondées sur la ressem-
blance des sentimens, sur l'unité de dessein dans
une association de divers individus, et sur la vérité
égale pour tous dans toute espèce dé contrat; car
les animaux qui vivent en société, obéissent ausn
aux règles de la justice, et les hommes qui brisent
ses lois saintes par la force ou par la fraude, sont
de tous les êtres les plus dégradés ^ même quand
ils seraient les rois et les monarques de la terre.
On ne peut concevoir ni raison ni humanité sans
la vérité et une stricte justice.
6. La figure élégante et droite de l'homme le
conduit peu à peu à Ficiée des contenances morales
et physiques qui naissent de la vérité et de la
justice, qu'elles répandent en les embellissant Les .
convenances du corps consistent à rester tel qu'il
devait être, et tel que Dieu l'a formé. La vraie
beauté n'est rieh autre que la représentation qui
résulte de l'accord de la perfection interne et de la
santé. Voyez l'image divine de l'homme défigurée
par Tefiet de la négligence et par les précautions
d'tit art fiiux; ses beaux cheveux arraobésou en-
'iS8 UTBE !▼•
tasses en une seule masse; le nez er les oreilles
percés et fortement tendus par le poids qu'ils sup-
portent; le cou et les autres parties du corps clé-
formée ou déguisée sous le vêtement qui le^ couvre.
S'il fallait porter un jugaaaent sévère sur les caprices
de la mode^ comment pourrait^on découvrir à tra-
vers oette variété prodigieuse les convaiances de la
forme humaiâe ? Il ^n. est précisément de même
<jes coutumes, des a<^ons, ^e$ arts et des laiigues.
Une seule et même humanité, se moiitre sous des
a^arences iliverses dans toutes ces choses que
quelques nations sUf: Ift terre ont pj^rfecuonnees,
et que. cent autres opt défigurées par des arts faux
* et grossiers^ Suivre les traces de cette humamté et
en déterminer les lois, tel est, le but de cette vraie
philosophie de^ T homme ^ que le sage a a{^ée du
ciel , et qui s'applique d'elle-mèm(3 dans le com-
tnerce social, dans Féconomie pplitique, dans tous
lés arts et dans toutes .les sciepces.
ËQÊn, la religion est la plus ]baute Inumamtédu
genre Immsûii. Qu'on ne s'étcHine p^ de la votf
occuper ici un', rang si élevé. Si l'intelli^ce est k
plu45 noble présent qui ait été ftit à' Thogmie, ccst
<à eUie qu'il appartient de tracer. la connexion (pi
existe entre ]» cause et Teffety et de la deviner quaud
elle n'est pas a{^rente« Or, c'est ce que l'intelu-
vgeace humaine fait daps chaque action, dans cba-
-quQ occupa;tîan, dans chaque art En e^t^ ^^
CHAPITRE YI. a5Q
qu'elle saive un progrès commieneé, U faut qu'elle
ait été devancée par quelque autre intelligence qui
ait préliminairetnent établi la connexion entre la
cause et l'effet et posé ainsi les fondemens de Tart.
Mais 9 s'il s'agit des opérations de la nature , nous
ne Toyons pas la cause dans ses dernières profon-
deurs, nous ne nous connaissons pas nous-mêmes ,
et nous ne savons pas comment les divers phéno-
mènes de la vie s'opèrent en nous.
Ainsi, tous les effets qui nous environnent se
rédttiseni pour nous à un rêve 9 à une conjecture,
à un nom; mais c'est un rêve qui a sa riéalité, quand
nous apercevons fréquemment et constamment le
même effist uni à Im même cause : tdi est le progrès
de la philosophie; et la première et dernière phi-
losophie a été la reUgion. Les nations! même les
plus sauyages l'ont pratiquée; car il n'est pas sur
la terre ione seule nation qui n'ait une sorte de
cuke, ei^ à {dus forte raison , qui ne soit capable
de s'ékyer à l'intelligence et à la forme humaine,
à l'artifice du langage, ai^x devoirs de l'union con-
jugale, et, en un mot, à certaines coutumes» à cer-
tains modes de vie propres à l'homme. Quand ces
peuples n'ont pu découvrir la cause visible des évé*-
nemena, ils en ont supposé une invisible, et quoi-
qu'ils Eussent dans une fausse Yoie, il n'en est pas
moins vcai qu'ils cherchaient à pénétrcur la f^nd
des choses j seulement ils se spnt arrêtas da^s^ leur
240 LIVRE -IV.
contemplation bien plus aux représentations, qa'à
l'essence de la nature, et les objets effrayaos et
périssables ont agi sur eux avec plus de puissance
que le sentiment du beau et de l'éternel. Quelque-
fois il est arrivé qu'ils ont ramené toutes le» causes
à une seule. Ce premier effort était encore de la
religion, et il est absurde de dire que la crainte a
inventé les dieux chez la plupart des peuples. La
crainte , comme crainte , n'invente rien ; elle port»
seulement l'intelligence à former des lionjectares
et des suppositions vraies ou fausses. Aussitôt donc
que l'homme apprit à se servir de son Intdligence
à l'occasion de la plus légère impulsion, c'^t-à-dre,
aussitôt qu'il vit le monde d'une manière difieiente
de l'animal, il crut à des êtres 'invisibles et tout-
puissans, qui punissent et récoîtnpensent; il, cher-
cha à . se les rendre propices et à conserver lear
bienveillance: et c'est ainsi que la rdi^on vraie
ou fausse, juste, ou erronée, prit naissance au sein
des nations pour instruire l'homme, le fortifier et
le guider à travers le labyrinthe obscur et périlleux
de la vie. .
Non! étemelle source.de toute vie, de tout être
et dé toute forme, tu n'as pas oublié de te inaoi'
festér à tes créatures. L'animal courbé vers h terre
sent obscurément ton pouvoir et ta bonté, pendant
qu'il exerce ses facukés et ses instincts conformé-
ment à son organisation : l'h(Hnme est pour lui la
CHAPITRE VI. 24 1
divinité yisible de là terre. Mais tu as marqué
rhomihe d'un caractère si auguste, que, même
sans les connaître ou les comprendre, il cherche
les causes des phénomènes, il deyine leur enchaî-
nement ' et découvre par là le lien suprême de
toutes choses, l'Etre des êtres! Il ne connaît pas
ta nature secrète, car il ne voit l'essence d'aucun
pouvoir, et quand il a voulu te donner une figure,
il s'est trompé et devait se tromper; car tu es sans
figure, quoique la première et la seule cause de
toutes les formes. Mais dans cette fausse représen-
tation il y a encore des élémens de vérité, et l'au-
tel trompeur qu'il t'a élevé, est un monument qui
atteste avec certitude non -seulement la vérité de
ton existence, mais encore le pouvoir que l'homme
a de te connaître et de t'adorer. Ainsi la religion,
à la çonsidéi'er seulement comme un exercice de
Imtdligence, est la forme la plus noble que Thu-
manité puisse revêtir, et le fruit le plu^ précieux
de la pensée humaine.
Mais bien plus , c'est un exercice du cœur hu-
main 9 et la direction la plus pure de ses capacités
et de ses pouvoirs. Si Thomme est né libre, sans
être soumis, à aucune autre loi terrestre que celle
que le mensonge impose sur lui, il ne peut man-
quer de devenir bientôt la plus sauvage des créa-
tures, lorsqu'il tarde à reconnaître la main de Dieu
dans ses ouvrages, et qu'il ne se hâte pas d'imiter,
I. 16
2^2 LIVRE IV.
comoie un enfant, les perfections de son père. I^s
animaux sont des esclaves dans là grande famille
terrestre, et la crainte servile des lois et des chàti-
mens est dans Thomme le signe le plus certain de
dégradation. Celui qui a conservé la dignité qu'il
a reçue de l'auteur des choses , est libre et n'obéit
qu'à la bonté et k l'amour; car toutes les lois na-
turdles, dont il peut aperce vôîi" la tendance , sont
bonnes; et quand il n'en aperçoit pas le but, il ap-
prend à les suivre avec la simplicité d'un enfant.
C'est là ton devoir, sinon ton bon plaisir, disent
les philosophes : la loi de la nature ne changera
pas pour toi; mais, à mesure que tu en étudieras
la sagesse, la bonté et la perfection, ce modèle
vivant te formera à l'image de Dieu dans ta vie
terrestre. La véritable religion est donc un culte
filial rendu à Dieu j une imitation idéale des formes
humaines, à laquelle se joint la pensée d*un bon-
heur SBXïs bornes , d'une bonté active , et d'un pro-
fond amour pour le genre humain.
On voit par là pourquoi, dans toutes les reli-
gions de la terre, il y a plus où moins de ressem-
blance entre l'homme et la divinité, soit que Ton
ait élevé l'homme juSqu^à Dieu, ou que l'on ait
dégradé le Père du monde jusqu'à l'image de
l'homme. Nous ne connaissons pas de forme supé-
rieure à la nôtre, et rien ne peut développer en
nous de profotides affections , si ce n'est ce que
CBAPITRE VI. 245
nou$ concevons dans la sphère de l'humanité. Ainsi
telle nation sensuelle à élevé la forme humaine jus-
qu'à la beauté divine j telle autre, douée de senti*-
mens plus délicats, a représenté les perfections
d'un être invisible par le moyen de symboles; et
quand la divinité a voulu se révéler au monde,
elle a parlé et a^ à la manière des hommes, et elfo
s'est prêtée aux habitudes contemporaines. Aien n'a
tant ennobli notre forme et notre nature que la
religion, précisément parce qu'elle les a ramenées
à leur destination la plus pure.
Que l'espérance et la croyance de l'immortalité
soient liées à la religion , et qu elles se soient éta-
blies par son moyen au milieu des hommes, c'est
ce qui est dans la nature des choses; car il est
presque impossible de séparer ces idées, de celle
de Dieu et de l'humanité. Mais quoi ? nous sommes
•
des en&n^ de l'Étemel, que nous apprenons ici
par voie d'imitation à connaître et à aimer; que
tout nous excite à connaître, et que nos douleurs
et nos jouissances nous pressent à la fois d'imiter.
Or, puisque la connaissance que nous en avons est
si obscure, puisque nos imitations sont si faibles,
si maladroites, et qu'il nous est impossible de dire
pourquoi nous ne pouvons le connaître et l'imiter
autre^ient dans notre organisation présente, n'est-
il pas dans notre destinée d'atteindre un but moins
imparÊdt? nos facultés les plus précieuses n'admet-
244 LITRE IV.
tent-elles aucun progrès?. Si cela est, nos plus no-
blés pouvoirs sont mal appropriés à ce mondes ik
se répandent par-delà ses bornes , car tous les objets
qu'ils nous présentent, ne sont faits que pour obéir
aux nécessités inférieures de nçtre nature; et nous
sentons que les parties de nous-mêmes les plus nobles
engagent une lutte interminable avec ces besoins:
ainsi, quelle que soit la carrière de Thomme, elle
commence bien, il est vrai v sur la terre; mais il la
quitte sans avoir atteint le but. La divinité a-t-elle
donc brisé le fil de la création en combinant l'or-
ganisation humaine ? a-t-eUe produit hors de saison
un être à qui il est impossible de remplir sa
destinée? La terre ne présente que des fragmens;
resteront- ils toujours impariàits ? et la race hu-^
maine ne sera^t«elle jamais qu'un groupe d'ombres
qui se débattent dans de vidnes ténèbres? Ici la
religion a réuni en faisceau tous les besoins et
toutes les espérances du genre humain dans les
croyances qu'elle a consacrées , , et elle a tressé une
couronne immortelle pour Thumanité.
CHAPITRE TII. 24^
CHAPITRE VIL
L'homme est formé pour T espérance de
rimmortalité.
Que le lecteur ne cherche pas ici une prejuve
métaphysique de rimmortalité de Famé, tirée de
la simplicité de sa nature, de sa spiritualité, ou
d'autres raisons du même genre. La philosophie
naturelle ne sait rioi de cette simplicité , et serait
plutôt portée à la combattre , puisque nous ne
connaissons Tame que par ses opérations, qui sem-
blent naître d'une foule d'objets et de perceptions
aussi compliquées que l'organisation même où elle
a son siège. L'idée la plus simple est le résultat
d'un nombre prodigieux de perceptions, et le chef
de notre corps agit sur la tribu nombreuse des
facultés secondaires, comme s'il était règlement
présent en chacune d'elles.
Nous ne pouvons pas non plus prendre pour
guide la philosophie de Bonnet, que l'on appelle
le système des germes; car sa théorie du renouvel-
lement de l'existence de l'homme, s'appuie de preu-
ves inadmissibles, et d'ailleurs n'est point applicable
à mon sujet Personne que je sache n'a découvert
dans le cerveau un cerveau spirituel, germe d'une
nouvelle existence^ et la structure de cet organe
est loin de donner à cette hypothèse le moindre
^46 LIVRE ly.
caractère de vraîsemblance. Le cerveau de l'homme
mort demeure avec nous sur la terre , et si le
dogme de l'immortalité ne reposait pas sur d'autres
preuves, il serait convaincu de mensonge et tom-
berait en poussière. De plus, ce système me paraît
inapplicable au sujet ; car il ne s'agit pas ici de
jeunes créatures qui descendent de créatures con-
génères, mais d une créature mourante, qui s'éveille
à un nouvel état d'existence. En vérité, si le prin-
cipe de cette théorie était exclusivement juste dans
ce qui a rapport à la génération des êtres terrestres,
et si nos espérances n'avaient pas d'autre fondement,
il s'élèverait contre elles des objections insolubles.
Qu'il soit établi dès l'éternité que la fleur ne produira
qu'une fleur, l'animal qu'un animal, et que tout a
été mécaniquement déposé , dès le commencement
de la création, dans des germes préformés; adieu
l'espérance enchanteresse d'une existence supé-
rieure ! Si de toute éternité j'ai existé en un germe
préformé pour mon existence présente et non pas
j)Our une autre, tout ce qui devait naître de naoi
consiste dans les germes préformés de mes en&ns,
et quand l'arbre meurt, la philosophie des germes
meurt avec lui.
A moins de consentir à nous laisser séduire sur
ce sujet important par le vain charme des paroles,
il faut commencer de plus loin, prendre une sphère
plus étendue et étudier l'analo^e générale de la na-
GIUPITRE VII. 247
iure. Nous ne pouvons pénétrer les secrets abîmes
de ses pouvoirs : il serait donc entièrement inutile
de chercher 9 dès à présent, à poser des consé-
quences et des lois immuables ; mais les modes et
les effets des pouvoirs sont sous nos yeux, il nous
est doi^c possible de les comparer entre eux et de
recueillir des trésors d'espérance de la considéra-
tion des progrès de la nature ici-bas, et de son
caractère général, et daminant
a48 UTRE T.
LIVRE V.
CHAPITRE PREMIEH
ÏJne série ascendante de formes et de
poui^oirs règne dans notre création
terrestre.
1. Des cailloux aux cristaux, des cristaux aux
métaux, de ceux-ci aux plantes, des plantes aux
animaux, et des animaux à l'homme, qous avons
vu s'élever des formes organisées j les pouvoirs et
les penchans de la créature varier avec elles , et
finir tous par se concentrer dans l'organisme hu-
main, au moins autant qu'ils étaient susceptibles
d'y être compris. Ici la série s'arrête. Nous ne con-
naissons pas au-dessus de l'homme de créature
organisée avec plus de diversité et d'art; il semble
être le plus haut point que puisse atteindre For-
ganisation terrestre.
2. Dans cette série d'êtres on reconnaît, autant
que le permet la destination particulière de la
créature, V empreinte du type principal^ qui, variée
de mille manières, approche plus ou moins de
la forme humaine. Elle ne se laisse pas apercevoir
dans le chaos de la matière brute, dans les plantes
et les zoophytes; mais à mesure que l'organisme
devient plus parfait, elle se détermine davantage»
CHAPITRE I. 24g
le nombre des espèces commence à décroître, et
elle va se perdre et se confondre dans les traits
et la nature de Thomme.
3. Comme nous avons vu les formes externes
des créatures s'approcher par degrés de celle de
rhomme, la même observation s'applique à leurs
facultés et à leurs instincts. Depuis la nutrition et
la propagation d^ plantes, ces instincts s'élèvent
jusqu'aux arts mécaniques des insectes, à l'écono-
mie domestique et à la tendresse maternelle des
oiseaux et des quadrupèdes, et enfin à des pensées
presque humaines, et à des capacités naturelles,
qui toutes vont se réunir dans la puissance de la
raison^ dans la liberté et \ humanité de l'homme.
4* La durée de la vie de chaque créature est
déterminée "par le but que la nature lui a assigné.
La plante est prompte à fleurir^ l'arbre grandit avec
lenteur. L'insecte qui apporte ses industries en nais-
sant, et qui multiplie promptement et abondamment
son espèce, ne tarde pas à mourir : quant aux ani-
maux qui sont plus lents à se développer, qui por-
tent peu de petits à la fois , et se soumettent à unis
sorte d'économie domestique dont U raison semble
n'être pas exclue, ils vivent plus long-temps que
les autres. Aussi l'homme est-il de tous les êtres
qui l'entourent, celui qui fournit la plus longue
carrière; .en cela, cependant, la nature ne con-
sidère pas seulement l'intérêt de l'individu, mais
25o LITRE T.
encore la oonseryatîon du genre, auquel il appar-
tient , et en général celle de toutes les espèces qui
occupent une sphère plus éleyée. Non-seulement
^ussi les régions inférieures sont peuplées en abon-
dance, mais les créatures ont une vie plus longue
quand le but de leur existence ne s'y oppose pas.
La mer, source inépuisable- de vie, conserve pen-
dant un temps moins limité ses habitans, dont les
pouvoirs vitaux sont plus tenaces; et rampfaibie,
qui passe dans Feau la moitié de sa vie, approche
de ces derniers en longévité. Les habitans de l'air,
moins appesantis par une nourriture terrestre, qui
endurcit par degrés les quadrupèdes, vivent «i gé-
néral plus long-temps. Il paraît donc que Fair et
l'eau composent le grand réservoir des êtres vivans,
que la terre ensuite consume et détruit par de brus-
ques transitions.
5. A mesure que l'organisation s'élève, eUe em-
prunte aux règnes inférieurs un plus grand nooibrc
d'élémens : cette combinaison commence sous la
terre, et elle se développe à travers les plantes et
les animaux jusqu'à la plus compliquée de toutes
les créatures, l'homme. Son sang, et les diverses
parties qui le composent, sont un abrégé du monde.
la terre et les sels, les acides et les t^erres alcalines,
l'huile et l'eau, les pouvoirs de végétation, d'irn-
tabilité et de sensation , sont organiquement com-
binés dans sa substance.
■^rmM SM. » M MJt ^*^ M I
Il faut ou coti sidérer ces choses comme des jeux
de la nature, et la nature intelligente ne joue jamais
sans dessein, ou admettre un règne de poui^oirs in--
visibles^ qui présente autant de connexité dans la
série des phénomènes, autant de gradations dan^
là progression des faits, que le système des objets
apparens. A mesure que nous faisons plus de pro-
grès dans l'étude de la nature, nous reconnaissons
plus distinctement l'existence de ces pouvoirs inhé--
rens, qui descendent jusqu'au dernier degré de la
création, dans les mousses, les fungus, etc. On ne
peut nier qu'ils n'agissent dans l'animal, qui a une
puissance presque indéfinie de reproduction, dans
le muscle , qui par sa propre irritabilité provoque un
mouvement rapide et varié j et ainsi on retrouve
partout l'action de la Toute-puissance organique.
Nous ne savons ni où elle commence, ni où elle
finit 3 car dans toute la création, là où est un effet,
là est une force; là où la vie se développe d'elle-
niëme , là est une vitalité interne. Ainsi domine
dans le règne invisible de la création, non -seule-
ment une chaîne de connexion, mais encore une
série ascendante de pouvoirîs qui se manifestent danisr
Funivers visible sous des formes organisées.
D'ailleurs, il est certain que dans ce monde invi-
sible la loi de progression est mieux établie que dans
la série des formes externes qui nous sopt révélées par.
les rapports confias de nos sens; car, qu'est-ce qu'une
aSa LIVRE r.
organisation , si ce n'est une niasse de pouvoirs for-
tement condensés» qui, par Fefiet du lien qui les
unit, se limitent ou se détruisent l'un l'autre? Nos
yeux ne peuvent les distinguer, et comme nous
apercevons, sous la forme d un nuage, les gouues
d'eau qui flottent dans l'air , de même, loin de saisir
chaque partie d'un tout, nous ne voyons que la
£gure générale telle qu'elle devait être orgauisée
selon les lois et la nature des choses. Combien
Fomniscience établit Téchelle des créatures d'une
manière différente de Thommel Nous disposons à
notre gré l'arrangement des formes que notre re^
gard peut pénétrer ; et semblables en cela à des en-
Êns, c'est de la- différence des membres et de quel-
ques autres caractères du même genre que nous
partons pour fonder nos classifications. Le Père
suprême voit et tient seul la chaîné des forces qui
se pressent étroitement l'une l'autre:
Que conclure de là pouft* l'immortalité de Famé?
non^seulement ■ pour l'immortalité de l'ame, mais
pour la durée de tous les pouvoirs actifs de k
création. Aucun pouvoir ne peut pçrirj car, que
signifie un pouvoir qui périt? Nous n'en avons
aucun exenjple dans la nature; bien plus, nous i^^
avons aucune idée dans nos âmes. C'est une con-
tradiction de penser que l'être soit ou devienne le
non-être; c'est plus qu'une contradiction d'assurer
•
qu'une activité vivante qui révèle par des pouvoirs
CHAPITRE I. 253
divins la présence même du Créateur, aille se perdre
dans le néant. L'instrument peut être détruit par
des circonstances externes; mais, comme il ne ren-
ferme pas un seul atome qui puisse être perdu ou
anéanti, il en est de même des forces invisibles qui
agissent dans cet atome. Dans toute espèce d'orga-
nisation, nous reconnaissons que ses principes actifs
sont choisis avec sagesse, arrangés avec art, et soi-
gneusement appropriés à la fin commune et à la '
perfection du pouvoir principal; il serait donc
absurdie. de supposer qu'au moment où une combi-
naison de ces principes, qui n'est qu'un accident
extérieur, vient à cesser, la nature renonce aussitôt
à la sagesse et à Tordre qui seuls constituent son
essence divine, et qu'elle tourne contre elle-même
sa Toute-puissance; car il ne faudrait rien moins
que cela pour annuler une seule partie d'un tout
vivant qu'elle anime de sa présence, et où elle a
déposé son élemelle activité. Tout ce que l'Être
qui vivifie les montles, appelle à la vie^ existe;
tout ce qui agit, agit éternellement dans son tout
étemel.
Comme ce n'est pas ici le lieu de poursuivre
plus loin Texamen de ces principes, bornons-nous
à quelques exemples. La fleur s'épanouit et se fane,
c'est-à-dire, cet instrument n'est plus fait pour con-
tinuer les opérations du pouvoir de la végétation.
L'arbre meurt quand il a porté ses fruits : la ma->
354 U?RE V.
chine a péri et les parties élémentaires se sont
séparées;; mais on ne peut nullement condure de
là, que le pouvoir qui animait ces. parties, qui,
doué au suprême degré de la force de végétation
et de reproduction , réglait Texerdce de mille
pouvoirs secondaires qu'il avait attirés, ait péri,
quand l'organisation à laquelle il appartenait s'est
décomposée ; après la destruction de la machine,
chaque atome conserve le pouvoir inférieur qu'il
renferme. N'est - ce pas une preuve évidente de
la survivance du principe suprême qui dirigeait
tous les autres à une fin unique , et dont le mode
d'action était fondé , dans l'étroift sphère où il
l'exerçait, sur des forces naturelles tout -puis-
santes? Eh quoi! une créature possédera Theure ou
je parle, dans chacun de ses membres une sponta-
, néité puissante, irritable, qui veille à sa propre
conservation ; nous la voyons , nous n'en pouvons
douter; et le moment d'après, tous ces poufou^f
preuves vivantes d'une toute-puissance organique
et inhérente, disparaîtraient de la chmne des êtres,
de la sphère de réalité, comjne s'ils n'eussent jan»i8
été! L'intelUgence se révolte à cette idée«
Et cette contradiction ne cesserait- elle pas>
quand il s'agira de la force la plus pure et la pins
active que nous connaissions sur la terre, la puis-
sance de la pensée humaine? Elle qui occupe un rang
si élevé au-dessus de toutes les capacités des orga*
cHAprnus I. !i55
nisations inférieures, qui non -seulement exerce,
avec, une sorte d'omnipotence et d'ubiquité , un
empire souverain sur la foule des pouvoirs orga-
niques de mon corps; mais, oh prodige des pro-
diges! qui est douée de là faculté de s'étudier et de
se gouverner elle-même! U n'est pas de puissance
au monde qui l'emporte sur la pensée humaine en
rapidité, en finesse et en activité. U n'en est point
qui égale la volonté humaine en énergie, en pureté
et en chaleur. Que les pensées de l'homme soient
dépourvues autant que possible de raison, cepen«-
dant toutes les fois qu'il pense, il< iitiite les arran-
gemens de la divinité. Dans tout ce qu'il veut, dans
tous les projets qu'il exécute, il imite la création
de Dieu; cette ressemblance est fondée sm* la na-
ture même' des choses , sur l'essence même de la
pensée. Or, le pouvoir qui est capable de con-
naître 9 d'aimer et d'imiter Dieu , qui a pour loi
rationnelle de le connaître et de l'imiter , même
contre sa propre volonté, puisque ses fautes et ses
erreurs ne naissent que de sa faiblesse et de ses
illusions; ce pouvoir ne serait plus, et le plus
puissant souverain de la terre périrait, parce qu'une
circonstance externe est changéie, et que quelques^
uns de ses sujets se sont révoltés! L'artisan cesse-t-il
d'exister, parce que l'instrument a échappé de sa
main? Si cela est, la chaîne de nos idées n'est-elle
pas brisée pour toujours?
356 LIVRE y.
CHAPITRE IL
Aucun pouvoir dans la nature n'est sans
orgifne} mais dans aucun cas F organe
n'est le pouvoir même qui agit par son
mojren.
Priestley et quelques autres ont objecté aux
spiritualistes que rien dans Funivers ne manifeste
rexisiïence de l'esprit pur, «et que nous ne con-
naissons pas assez la nature de la matière pour être
en droit de lui refuser la faculté de penser, ou
d'autres qualités spirituelles. Selon moi, ils ont
raison sur ces deux points. Nous ne connaissons
pas d'esprit indépendant de la matière et dont Tac-
lion se passe hors d'elle; d'ailleurs le monde phy-
nque présente un si grand nombre de pouvoirs
qui semblent rentrer dans le domaine de la pensée,
qu'il me paraît, sinon impossible, du moins très-
difficile d'établir sur des bases solides un aniO'
gonisme absolu entre l'être matériel et l'être in-
telligent, malgré, les différences qui les séparent:
comment est - il >possible que deux êtres . com-
binent entre eux leurs opérations dans une unité
harmonique, s'ils sont entièrement dissemblables
et essentiellement opposés l'un à 1 autre? et com-
ment pouvons-nous assurer que telle est la nature
J
CHAPITRE it. a57
^es chose&, quand nous ne connaissons dans leur
essence ni la matière , ni la pensée.
Dès que nous apercevons un pouvoir actif, ûous
sommes autorisés à prononcer qu'il agit dans un
organe avec lequel il est en harmonie. Sans ce
dernier, il serait inappréciable à nos sens^ inais il
existe avec uù organe, et s'il faut en <^roire l'ana-
logie universelle, il s'y est lui-même conformé.
Pourtant aucun ceil n'a vu des traces de germes
préformés,. appelés à l'existence depuis l'origine des
choses; tout ce que nous observons dè^ le premier
instant de l'existence d'une créature, c'est l'activité
d'un sSfSième, de poui^oirs organiques. Si rindividi^
les renferme en lui, il. propage son espèce sans
avoir besoin d'aucun secours étranger. Si les sex^
sont séparés , il faut que chacun d'eux contribue ^
l'organisation d^ sa, postérité, c^hacqu à sa manière»
et conformément aux Iqis de sa structure. Les créa-
tures de la nature des plantes, dont Içs pouvoirs
agissent avec plus de simplicité et par conséquent;
avec plus d'én.erg^e, n'ont besoin que d'un contact
rapide pour produire des êtres qui s'appartiennent
en propre et qui se créent eux-mêmes. Il en est
de même des animaux, quapdJe principe vital et
une vie tenace résident dans chacun de leurs mem^-
bres, de telle sorte que le pouvoir de production
et de reproduction s'étend à presque tout leur corps;
dans plusieurs cas l'embryon n'a pas besoin d'être^ ,
I. 17
208 LIVKE y.
animé avant Tépoque de la naissance. Plus l'or-
ganisation est composée, plus il est difficile de
distinguer ce que Pon est convenu d'appeler le
germe, c'est-à-dire, la matière organique^ qui
doit recevoir les pouvoirs vitaux avant tfattcm-
dre à la forme complète de la créature. Voyez la
série progressive de métamorphoses qui s'opèrent
dans tm œuf, jusqu'à ce qpe l'oiseau ait acquis et
complété sa forme. Il faut que les pouvoirs orga-
niques établissent l'ordre sur la destruction, qulb
attirent les parties Fune vers l'autre et qu'ils les
séparent; il paraît même que, si plusieurs potiToirs
étaient en opposition ,. le premier résultat de la lutte
serait un avortemenc , jusqu'à ce que l'équilibre
vint à se rétablir, et que la créature devint ce qu'elle
devait être dans son genre. Si nous considérons ces
cbangémens , ces opérations vivantes , aussi bien
dans l'oeuf de Foiseau que dans ,1e sein du quadru'
pède vivipare , je pense que c'est s'exprimer impro-
prement que dé parler de~ germes qui sont ma^^
ment retournés, ou d'un système à'épigénisu^ sui-
vant lequel les membres sont ajoutés de l'extérieur.
B y a formation (genesis)^ résultat d'un système ae
pouvoirs internes, pour lesquels la nature a prépare
une masse qu'ils doivent façonner en se dévelop-
pant Voilà c^ que nous apprend rexpérience de h
nature, et ce qui est confirmé par F observation des
différentes périodes de formaiion, qui sont plo^
CK-A
CHAPITRE lî. aSg
OU moins rapprochées, selon que Vorgânisme est
plus où moins composé et le pouvoir vital plue
ou moins abondant : par là seulement nous pou^
vons expliquer les difformités des créatures , suitéé
de la maladie, d'un accident, ou du mélange de
diverses espèces^ et c'est le principe constant que
la nature, toujours riche en pouvoir et en vitalité,
dévoile à notre pensée dans l'analogie prôgresisivd
de tous ses ouvrages.
Le lecteur se méprendrait étrangement sur le
sens de mes paroles , s'il m'attribuait l'opinion de
ceux qui prétendent que Famé a ielle-même cons*
truit, par la puissance de la raison, le corps de
Veî^mi dans le sein de la mère.
Nous avons vu combien là faculté de k raison
est lente à se former ; et bien que nous arrivions
dans le monde avec la 43apacité de la recueillir,
nous ne pouvons ni la posséder, ni l'acquérir par
nos propres forces. Et comment la raison de l'honame
même dans toute sa maturité ^ aurait'-elle les moyens
de produire un semblable effet; ^puisque le jeu
de chacune des parties de son corps, soit interne,
soit externe, échappe à -son intelligence, et que lé
plus grand nombre de ses fonctions vitales s'opè-
rent à son iusçu et sans la participation de fea vo-
lonté. Ce n'est pas notre raison qui a construit
notre corps, c'est le doigt de Bieu^ l'action des
forces organiques. If Éternel, après les avoir élevées
aÔO LIVRE V. ,
à uQ haut degré dsan Téchelle àe la nature^ a .fixé
la sphèrç de leur puissance créatrice dans un petit
monde dç matière organique, qu'il a isolé et mar-
qué distinctement pour la formation du jeun^ être.
£lles s'unissent harmoniquement avec la forme où
elles ont été déposées, et tan,t qu'eUe dure, Thar-
monie continue. Quand elle est détruite, le Créateur
les retire çt leur prépare une autre sphère d'action.
Si donc nous suivons le cours de la nature,
il est, évident: . .
i . Que les pouvoirs et les oi^anes -sont inimt'
ment, unis les uns auac autres ^ sans être pourtant
uns et identiques. I^ matière de notre corps était
dans le monde; mais informe et sans vie^il âU^^
qu'elle fut façonnée et animée par les pouvoirs
organiques.
2. Chaque pouvoir opère haimoniquemeotavec
son organe; car ce dernier n'a été formé cpiepour
servir à manifester son essence : il s'assimile les
pâmes que le Tout-puissant lui a destinées, et qui
lui s^ent d'enveloppe.
3. Quand l'enveloppe se hrise, le pouvoir, qi»
existait avant elle, quoiquç dans un état inférieur,
mais pourtant organique, lui survit. Si de sa pre-
mière forme il a pu s'élever à celle qu'il a revêtue
sous cette enveloppe, il ne lui est pas plus impos-
sible de subir une nouvelle/métamorphose., Le nu-
lieu qui lui est nécessaire pour se développer, lui
CHAPITRE II. :i6l
sera fourni par l'Être qui jusque-là a pris soin de
lui et d'un grand nombre d'autres pouvoirs plus
imparfait$ encore.
Et la nature, partout uniforme, ne nous a-t-elle
pas donné une idée du milieu .dans lequel opèrent
tous les pouvoirs de la création ? Dans les profon-
deurs les plus secrètes de Mtre, où l'on commence
à apercevoir les premiers germes de vie, on dé-
couvre l'élément impénétrable et actif que nous dé-
signons par les noms impar&its de lumière, Siéiher,
àt chaleur i)itale, et qui probablement est le seii-
sorium Jwir lequel l'auteur des choses échauffe^ et
vivifie les mondes. Ce rayon de feu céleste , qui se
communique à une foule innombrable d'ofganes,
s'étend et s(e ^perfectionne par degrés. Il esi probable
que tous les pouvoirs d'ici-bas agissent à travers ce
véhicule, et la faculté de reproduction, ce prodige
de la création terrestre, en est inséparable. Notre
corps fut vraisemblablement construit, même dans
ses parties les plus grossières, pour attirer en plus
grande quantité ce ruisseau électrique qu'il doit
élaborer : et dans nos facultés ^es plus nobles, l'ins-
trument de nos perceptions morales et physiques
n'est pas le grossier fluide électrique, mais qu^l^*^^
élément que notre organisation prxîpare, et qui,
infiniment plus par&it: eaâserve avec lui quelques
points de ressemblance. En un mot, ou les opéra-
tions de ma pensée ne reÀconti'em ici-bas rien qui
Sl62 LITRE V-
leur soit analogae ,(et dans ce cas je ne peux com-
prendre ni comment elle agit sur mon cprps , ni
comment d'autres objets sont capables d'a^ sur
elle)j ou elle n'est rien aiitre que cet esprit invisible
de lumière et de feu céleste, qui pépètre tout ce qui
a vie sur là terre et unit entre eux les pouvoirs les
plus variés de la nature. Dans Torg^nisme bumain
il a atteint le plus haut point de pureté dont il est
capable au sein d'une forme terrestre : c'est par son
moyen que Tame agit sur ses org;mes avec une. sorte
d'oipnipotence , et qu'elle réfléchit ses rayons sur
<^lle-mème avec une conscience de l'Être qui l'ébranlé
jusque dans ses fondemens : c'est par lui que l'ame
se remplit d'une; noble chaleur, qu'elle devient
capable, par une libre volonté, de^e tran^M)rter
pour ainsi dire hors du corps^ et même par-delà le
monde^ et de les soumettre l'un et l'autre à sa volonté.
Elle a donc acquis un pouvoir sur eux^ et quand
son heure est vçnue, quand la machine externe est
dissoute, n'est- il pas naturel de penser qu'elle en-
traînera à soi ce qu'elle s'est appi^oprié et qu'elle a
intimement combiné à sa sub^nce? Elle attire ces
élémens dans son nouveau miheu, et elle nous élève,
9u plutôt, c'est toi, pouvoir plastique de Bieu; toi,
ame panent présente; toi, mère de tous les êtres
viyans, qui nous éijbT^ par degrés à cette nouvelle
destination pour laquelle tu nous as formés.
Par là je copçois tçute la f^ussçtp du raisonne-
CHAPITRE 11. a6S
zueiit par lequel les matérialistes combattent la
croyance de l'immortalité. Accordons que nous
n'ayons jgoint la connaissance de notre ame, ea
tant qu'esprit pur; jious n'avons pas besoin de cette
connaissance. Accordons qu'elle n'agit que comme
xm pouvoir organique; elle n'a pas été destinée à
a^ autreKient: je dirai plus^ il était nécessaire
que d'abord elle apprit, dans cet état /à penser
avec un cerveau humain, à sentir avec des nerfs
humain39 et qu'elle s'élevât elle-même à quelque
degré de raison et d'humanité» Enfin, admettons
qu'elle est originairement identique à tous tes
principes matériels d'irritabilité, de mouvement
et de vie, qu'elle n'«^t que dans une sphère plus
élevée, dans une organisation plus pure et plus
élaborée. A-t-on vu jamais périr un seul pouvoir
de mouvement et d'irritabilité? ces pouvoirs infé-
rieurs sont-*ib uns et identiques avec leurs organes?
Celui qui en a d^osé une multitude innombrable
dans mon corps et qui a déterminé leurs formes^
celui qui a élevé mon ame au-dessus d'eux, qui a
marqué le siège de ,ses opérations, et lui a donné,
dans les nerfe,,des Uens par lesquels Us sont unis,
entre eux , ne saura-t-il pas découvrir, dans la grande
chaîne de la nature, quelque milieu où il puisse la
transporter? et le. moyen qu'il en soit autrement,
quand il est évident qu'il l'a introduite avec un art
si merveilleux dans sa demeure organique, afin de
la former à une destination supérieure?
^64 IITRE V.
> « • . : ••.
CHAPITRE Ht
IJ enchaînement despoui^oirs et des formes
n'est jamais rétrograde ni stationnaire,
, mais progressif.
Cette proposition porte avec elle-même sa dc-
monstratioti; car comment concevoir qu'mi pou-
voir actif dans la nature soit immobile ou rétro-
grade , s'il n'est circonscrit ou repoussé par quelque
pouvoir supérieur ennemi. Il agit comme un organe
de la Toute •puissance, comme une idée active de
son plan permanent de création ; et Fexercicc doit
ainsi augmenter ses forces. Toutes les déviations
ne peuvent manquer de finir par le ramener dans
la bonne route; car la suprême bonté a sans doute
des moyens pour repousser dans la lice, par quel-
que impulsion nouvelle , la balle bondissante ; mais
n'allons pas entrer dans la métaphysique, et con-
sidérons les analogies de la nature.
Rien dans la nature ne reste immobile; dhaque
chose se développe elle-même et poursuit sa car-
rière. Si ' nous pouvions contempler les premières
périodes de la création, et voir par quelles grada-
tions tel règne de la nature s'est élevé au-dessus de
tel autre , quelle fouje de pouvoirs actîfe , qut se
sont progressivement développés eux-mêmes, se
présenteraient à nos regards ! Pourquoi rbonamc
CRAPIÏRE IlL 205
ft les animaux pQrtent*ils dans leurs o$ dé la terre
calcaire? parce que c'est une des dernières com-
binaisons de la 'matière, qui, par Tefiet de sa struc^
ture interne, a pu entrer dans l'organisation d'un
corps vivant pour en composer. la partie osseuse.
Il en est de même de tous les autres élémiens de
notre corps.
Quand les portes de la création furent fermées,
les formes d'organisation déjà choisies restèrent
invariables comme autant de voies. et d'issues que
les pouvoirs- inférieurs devaient suivre à l'avenir
pour s'élever et se développer dans les limites de
la nature. De nouvelles formes ne se présentent
plus; mais nos pouvoirs varient incessamment dans
leurs progrès en se revêtant de celles qui existent,
et ce que l'on nomme organisatian, n'est à propre^
ment parler que Véchelle ascendante qui les con-
dùù à un état plus élevé.
La première créature qui se présenta à la lu-
mière, et qui se produisit elle-même aux rayons
du jour, comme une souveraine du royaume sour-
terrain, fut une plante. Quelles sont ses parties
élémentaires? des sels, de l'huile, du fer, du soufre
et: d'autres pouvoirs d'un genre assez délicat pour
être élevés jusqu'à elle. Par quel moyen art -elle
acquis ces parties? par l'effet de son pouvoir oi^ga-
nique interne, qui, aidé des démens, s'est. efforcé
de se les approprier. Et qu'en &it-èll$? dile les
206 UYBIÉ V,
^iuuire, lel i^îmîlé à sa sub^taBce et lt$ purifie.
Ain^i les plantes , à la fois salubres et y^néBÇ^ses ,
ont pour destinée de conduire des particules gros^
sières à une condition plus parfûte : tout le méca-
nisnie d'une plante consiste à élever des substances
inférieures à un état supérietu-.
Au-dessus de la plante est l'aniihal qui se nour-
rit de ses sucs ; l'éléphant seul een le tombeau d'^in
million de plantes : mais c'est un tomb^ vivant
et actif qui les animalise en partie de liui^lBéflie*
Les pouvoirs inférieurs s'élèvent à la foitne la pkis
^fNirée de la vitalité. Il en est de même des aiii-
maux carnivores. Gomme si eUe eut redo^ par-
dessus tout une mort langiiissante, la nature a £ât
la transition rapide f elle l'a. abrégée, et a accéléré
le mode de transformation en formes vUales supé-
neures. L'homme est le plus grand meurtrier de
tous les animaux, c'est-à-dire, la créature qui pos-
sède les organes les plus délicats. U peut s^imiier
à sa nature presque toutes choses , à nooins pour*
tant qu'il ne descende trop loin au-dessous de lui
dans l'organisation vivante.
Pourquoi le Créateur a-t-il chcHsi ce système si
destructif en apparence? Quelque pouvoir hoslile
Sr'est-il ingéré dans son œuvre, pour faire d'une
espèce /la proie d'une autre? ou est-* ce la Ikùte
du Créateur, s'il n'a pu établir quelque autre loi
de^coQservation entre ses mfans? Déchires l'enve-^
CHiPITREIII* 2167
Ipppe extérieure, et, dam toute la création, vous ne
verrez rien qui soit une mort réellfs : toute desiruo^
tion est une métamorphose , Tinstant d un passage, k
une sfdière de vie plus relevée ; et dans sa sagesse
Pauteur des choses a produit les êtres aussitôt et
avec autant de variétés que cpla pouvait s'accorder
avec le bien de l'espèce et le bonheur de la créature
qui, appelée à jouir de son organisation, devait
la dévelo{^r autant que possible. Par une infinité
de manières violentes de terminer la vie, il a pré^
venu des morts languissantes et élevé à des formes
supérieures le germe d/es pouvoirs qui doivent
fleurir un jour. Qu'est-ce que la croissance d'uM
créature, si ce n'est son effort répété pour unir à
sa nature de nouveaux pouvoirs organiques? Les
diverses scènes de sa vie sont réglées pour cette
fin, et quand elle n'est plus capable d'achever cette
o|^ération, elle est à son déçUn et il iàut qu'elle
périsse. La nature renvoie la machine quand elle
ne la trouve plus propre à servir son dessein d'une
saine assimilation, d'un développement actif.;
£n quoi consiste l'art du médecin, si ce n'est
à ^r comme l'esclave de la nature, et à se hâter
de seconder les efforts divers de nos forces orga-
nicpies ? U rétablit les pouvoirjs qui semblent per-
di9s, il fortifie ceux qui sont aflaiblis, il diminue
et restreint ceux qui deviennent nuisibles par lair
siirabondânce. Et. quels sont les moyens qu'il em-
266 ' ' tiVRÊ V.
ploie? rintus-susception et rassimilation de pou*
voirs semblables ou contraires, tirés des règnes
inférieurs.
Il en est de même de l'a propagation de tous les
êtres vîvans; car, quelque diflScultê qu'il y ait à
expliquer ce phénomène, il est certaiii que les
pouvoirs organiques se répandent avec, la plus
grande activité, et tendent incessamnlent à revêtir
de nouvelles formes. Comme chaque corps organisé
a la Ëiculté de s'assimiler des pouvoirs inférieurs,
ainsi, fortifié par eux dans la fleur de la vie, il a
la capacité dé reproduire sa propre image, et de
donner au monde une copie de lui-même, pour
qu'elle prenne sa place avec totis les p6uvôir3 qui
agissent en lui.
Tel est le mouvement de progression dans la
sphère des êtres inférieurs; or, la nature restera-t-
elle immobile, aura-t*^e une marche rétrograde
dans la plus noble et la plus puissante des créa*
tures? Pour satisfaire aux lois de la nutrition, U
ne faut à lanimal que des pouvoirs végétatifs qui
lui servent à vivifier des parties de nature végétale.
Les sucs des muscles et des nerfs ne peuvent servir
qu'une seule fois d'aliment à une créature terrestre;
il nîy a que les bétes féroces qui assouvissent leur
soif dans le sang; et chez les nations qui par indi*
nation ou nécessité ont été conduites à &ire usage
de ce genre d'aliment, 0|n reconnaît' lés penchans des
cràpitre III. 269
animaux dont elles ont. cruellemeiit adopté, la nour^
liture vivante. Aussi le règne de la pensée et de
l'irritabilité ne présentert^il là (et c'est la loi de la
nature) aucun progrès visible^ aucune sorte de
transition , et Fun des premiers sentimens dont les
institutions sociales aient fait un devoir à Thomme,
a été rhorreur qu'excitent en lui les chairs palpi-
tantes d'un animal vivant Tous ces pouvoirs sont
évidemment d'un genre spirituel, et c'est probable-
ment de là que l'on est parti poui^ établir diverses
hypothèses relativement au fluide nerveux en tant
que \eb-icvle perceptible des sensations. Le fluide
nerveux, si tant. est qu'il existe, conserve en santé
le cerveau et les nerfs, de telle sorte que, sans lui»
ils ne seraient plus que des cordes et des vaisseaux
inutiles. Ses. fonctions sont donc toutes matérielles,
tandis que ^opération de la pensée, dans ses per-
ceptions et ses facultés, est entièrement spirituelle,
quels que soient les organes qu'elle puisse employer.
Quelle est donc la transformation que subissent
ces pouvoirs spirituels qui échappent à tous les sens
de l'homme? Ici la nature a sagement tiré un voile
devant nos yeux, et comme nous n'avons pas de sens
approprié à ce nouvel ordre de choses, ell,e ne nous
a donné aucune idée des changemens et des transi-
tions du règne spirituel. Il est probable que cette
connaissance est incompatible avec notre existence
présente et avec les sentijpaens sensuels au;xquels nous
âyO LITRE V.
sommes asservis sur la terre. £Ue n'a exposé à tios
regaiftis «qu'une châdlie ascendante de formes et de
règnes inféneurs; les milliers de voies invisibles
par lesquelles elle les perfectionne, sont autant de
secrets qu'eUe ne nbns a point confiés; et ainsi
le règne des choses qui sont à naître, est le grand
vAff ou Hades > dans lequel aucun crâl ne peut pé-
àëtrer.'iyâilleurs, comme chaque espèce a sa forme
déierminée, qui entraine avec elle celle des moin-
dres détails de l'otg^isation , il semble que cette
loi s'oppose à cet anéantissement , et la râson en
est é^dente. Toute créature ne peut et ne doit être
produite qœ par des créatures de son espèce. Ainsi
l'auteur des choses, dans sa sagesse immuable, a
déterminé avec ordre et précision le- moyen par
lequel un pouvoir organisé, soit donunaut, s(Ht
dépendant, devait atteindre une activité visible, de
teOe sorte que rien ne puisse échapper à ses fomtes
une fois déterminées. L'homme, par exemple, ren-
ferme en lui une si grande variété d'înclinalions et
de capacités, que nous le contemplons souvent
aveo éionnenlent comn/e un être merveilleux et
surnature qu'il nous est impossible de comprendre.
Oir, puisque ces éfiets ne peuvent exister sans fon-
démens organiques, nous Sommes conduits à conr
âdérer l'espèce humaine , si nous pouvons hasarder
une conjecture sur ces secrets abîmes de la nature,
eotnme le confluent universel des pouvoirs org(^
CHAPITRE in. 271
niques inférieurs y qui ont dû s'unir pour concourir
à la fonnadon de la race humaine.
Mais est-ce là tout dire? L'homme est né ici à
IHmage de Dieu, et il a joui de l'organisation la plus
parité que cette terre put lui donner. Retoumera-
t-il en arrière et redeviendra-t-il une tige, une plante,
un éléphaiit? là machine de k création se terminent-
elle en lut? n^y a-t-il aucun autre ressort sur lequel
il puisse agir? C'est ce qu'on ne saurait concevoir^
puisque dans le règne de la sagesse et de la bonté
suprême tout s'enchaîne, et qu'un pouvoir agit sur
un pouvoir dans tme chafné éftemelîe. Maintenant,
si nous regârdon!s en arriéré, et si nous observons
que tous les êtres inférieurs seniblent se diriger,
dans leur marche , vèris la forme humaine ; et de
plus, que nous nie trouvons dans Fhomme que le
premier germe , que la première ébauche de ce
qu'il devrait être, et de ce pourquoi il est formé ,
il ÙCQI choisir : ou l'homme doit s'élever à quelque
destination plus haute, par quelque voie et de
quelque manière que ce sôit,^ ou toute connexion ,
tout plan dans la nature n'est qu'un rève^ une illu-
sion mensongère. Examinons comment l'ensemble
des &its dont se compose la nature humaine nous
conduit à ce l'ésultat-
2J2 UTBE Yé
CHAPITRE IV.
La sphère de f organisation humaine est
un système de poussoirs spirituels i
La plupart des objections que Ton a coutume
d'élever contre rimmortalité des pouvoirs organi-
ques, se tirent de la nature même des instrumens
par lesquels ils agissent ; et je peux me hasarder à
assurer que l'examen de cette objection jettera la
plus grande lumière, je ne dis pas sui: l'espérance,
mais sur la certitude que nous avons de la perma-
nence étemelle de leur activité. La plante ne fleurit
pas, par le moyen de la poussière externe dont se
composent les parties grossières de sa structure,
pas plus que l'animal qui ne cesse de se dévelop-
per, ne se reproduit d'une manière analogue; et à
plus forte raison est-il impossible de concevoir, gu un
pouvoir interne, tel que la pensée, qui unit en soi
tant de pouvoirs divers, soit le résultat des diffé-
rentes parties danfs lesquelles le cerveau peut être
décomposé. Et d'ailleurs la physiologie nous prête
ici son, appui. L'image externe ,. qui se peint dans
l'œil, n'arrive pas jusqu'au cerveau; le son qui frappe
l'oreille ne communique pas à lame un ébranle-
ment mécanique; car les nerfs sont loin d'être assez
tendus pour vibrer à l'unisson. Dans certains ani-
CflAt>lttl£ IV* 275
ma^x, les nerfs optiques ne se concentrent pas en
un seul et même foyer, pas plus que dans aucune
créature les nerfs de tous les sens^ et à plu^ forte
raison ceux du corps entier, ne vont se réunir en
un seul faisceau, quoique Tame se sente présente et
agisse dans ses membres les plus petits. C'est donc
une notion sans base et anti-physiologique, d'ima-
giner que le cerveau pense de lui-même, que le
fluide nerveux sente dé lui-même : il est plus con-
forme à l'expérience générale de croire qu'il y a
des lois physiologiques particulières, en vertu des-
quelles l'ame accomplit ses fonctions et combine
ses idées. Que cela se &s$e conformément à ses
organes et en harmonie avec eux; que, si Tinstru-
ment maiique, l'artisan soit dans l'impossibilité de
continuer son œuvre , c'est ce qui ne peut être
. révoqué en doute : mais la nature du phénomène
n'en reste pas moins la même. Ici le mode d'action
de la pensée et l'essence de ses idées se présentent
à l'examen.
Et d'abord, il est constant que la pensée ^ et
même la première perception par laquelle l'ame se
représente un objet externe, est entièrement distincte
de la chose même dont le sens lui révèle l'existence.
C'est ce que nous appelons image, sans comprendre
par là le point lumineux qui se peint dans l'œil sans
pourtant atteindre jusqu'au cerveau. L'image dans
l'ame n'est qu'un être idéal, qu'elle forme elle-même
274 LIVRE V,
à l'oGCâsion des sens« Du chaos des choses qui Fen-
tourent, elle sépare une figure sur laquelle elle fixe
9on attention, et ainsi par son pouvoir intime elle
compose de plusieurs êtres un tout qui lui appartient
en propre, et qu'elle peut encore faire revivre quand
il a cessé d'exister. Les rêves et Fima ^nation peuvent
le combiner suivant des lois très - différentes de
celles sous lesquelles les sens le présentent réelle-
ment; et c'est ce qu'ils font en effet Les rêves du
malade, que Ton a donnés tant de fois comme des
preuves manifestes du matérialisme , attestent , au
contraire, la spiritualité de Tame. Écoutez les pa-
roles d^un fou et suives les prégrès de sa pensée;
il tourne sur Tidécqui lui a laissé des tfraces si pro-
fondes qu'elle a dérangé ses oignes et brisé toute
liaison avec d'autres sensations; c'est à elle qu'il
rapporte toutes choses, parce que c'est elle qnx
le domine et qu'il ne peut lui échapper: pour
cela, il s'entoure d'un monde qui n'appartient qu'à
lui , il établit dans ses idées une liaison toute par-
ticulière, et les divagations de son ame ont au plus
haut degré un caractère frappant de spiritualité.
Ce n'est ni d'après la situation des cavités du cer-
veau, ni d après ce que lui représentent les sensa-
tions, qu'il combine les images et les choses; mais
selon l'affinité que d'autres idées ont avec celle qui
le domine, et selon qu'il peut les ramener à ce
type immuable. Toutes les associations d*îdées se
CHAPITRE IV. a'jS
forment de la même manière : elles relèvent d'un
être qoi éveille les souvenirs par sa propre énergie»
souvent avec une idéocratie toute spéciale, et qui
lie les idées entre elles en vertu d'une sorte de pen-
chant et d'amour interne» plutôt que de l'action
seule du mécanisme extérieur. Je voudrais que it%
hommes pleins de candeur nous ouvrissent sur ce
point les secrets de leurs cœurs , et que des obser-
vateurs habiles 5 surtout des médecins , fissent con-
naître les phénomènes que leurs malades présen-
tent, et je suis convaincu que nous aurions alors des
preuves manifeste;» de l'existence d'un être, orga-
nique, il est vrai, mais agissant de lui-même, con-
formément aux lois d'une harmonie spirituelle.
C'est d'ailleurs ce qui est démontré par la manière
artificielle dont se forment nos idées depuis l'en-
fance,^ par le cours prolongé que l'ame suit pour
arriver, quand le temps en est venu, à la conscience
d'elle-même, et pour apprendre, après des peines
infinies, à faire usage de ses sens. Plus dun psy-
chologue a été frappé de l'adresse avec laquelle un
enfant acquiert les idées de .couleur, de figure, de
grandeur et de distance, et apprend ainsi à voir.
Le sens corporel n'enseigne rien^ car l'image se
peint dans l'œil au premier moment où il s'ouvre,
ai^si fidèlement qu'à la dernière époque de la vie :
mais lame apprend à mesurer, à comparer et à
percevoir spirituellement par le moyen des sens.
^n6 . LIVRET.
£n cela elle est aidée par rorellle, et le langage
est certainement un moyen spirituel plutôt que
corporel de former des idées. Personne, s^il n'est
vide de sens/ ne peut prendre le son et le mot
pour une seule et même chose; ils différent tous
deux autant que le corps et Famé, autant que For-
gane et le pouvoir. Le mot éveille leL souvenir de
ridée qui lui correspond et la fait passer de l'âme
d'un autre dans la nôtre propre. Mais le mot n'est
pas l'idée , pas plus que forgaire matériel n'est la
pensée. Gomme le dorps se développe par la nour-
riture, de même notre ame s'agrandit par les idées:
nous remarquons même ici la même loi cTassimi-
lâtion^ de croissance et de reproduction» mais dW
manière qui n'est pas corporelle et suivant un mode
particulier. L'ame, qui peut se rassasier d'une
nourriture qu'elle est incapable de s'appropner
et de convertir en sa propre substance, renferme
d'ailleurs en elle un système de pouvoirs spirituels
dont chaque déviation est une maladie sthénique
où asthénique, c'est-à-dire, une dépravation.
•
Elle développe cette vie interne avec un pouvoir
productif, dans lequel Famour et la haine, l'attrait
pour ce qui appartient à sa .nature , et l'aver-
sion contre ce qui lui est contraire, se déploient
comme dans la vie terrestre. En un mot, sans
qu'il y ait en cela aucune illusion poétique, u
6e Conne en nous un homme spirituel et intemt
CHAPITRE IV. 377
qui a une nature propre , ne> se sert du corps que
comme d'un instrument et agit encore selon sa pro-
pre nature , mèm^ quand les organes corporels sont
le plu» dérangés. Plus l'ame est séparée du corps
par la maladie ou quelque état passionné, et con-
trainte , pour ainsi dire , d'errer dans la sphère
idéale de son propre univers, plus les phénomènef
par lesquels se manifeste la puissance spontanée
qu*elle a de créer et dunir des idées, présentent
un caractère étrange. Dans le désespoir, elle s'égare
à travers les scènes de sa vie passée, et comme ,elle
ne peut ni briser sa nature, ni abdiquer la mission
qui lui a été donnée de former des idées, elle se
crée un monde dont elle habite seule les sphères
indéfinies.
La conscience, cette siûAime prérogative de la
pensée humaine , se forme et se développe peu
à peu d'une manière spirituelle et par les voies
de V humanité. L'enfant n'a qu'une conscience en-
core confuse, quoique son ame s'eflPorce incesr
samment d'atteindre au dernier terme et de se
sentir vivante et présente dans chacun de ses sens.
Si eUe tend à acquérir des idées ^ c'est pour se re-
connaître distinctement au miUeu de ce monde de
Dieu et pour jouir de son être avec une énergie
humaine. L'animal ne fait encore qu'errer dans un
fève obscur : sa conscience est partagée entre tant
d'irritations matérielles et tellement 'enveloppée par
H'jS LIVRE V.
elles, qu'il lui est impossible, par son orgànisatloa
^lème , de s'élever à aucune activité féconde et
progressive. "L'homme aussi n'a la conscience de
son état physique que par lé médium des sensr;
et quand ceux-ci souffrent, il n'est pas étonnant
îju'une idée dominante bouleverse son ame et
l'amène à représenter en lui un drame ou gai ou
mélancolique. Mais encore, cet être ainsi jeté dans
tine ré^on idéale plus animée, atteste ïénergie
interne par laquelle lé pouvoir de' sa^ conscience
et de sa spontanéité ne cesse de' se déployer au
sein des mouvemens les plus désordonnés. Rien
•
n'excite tant dans l'homme l'aciivité de son exis-
tence que la connaissance; la connaissance d'une
"Vérité qu'il a acquise de lui-même , qui S*est con-
fondue avec sa nature la plus secrète, et pendant
qu'il la contemple, les objets visibles et environ-
nans s'évanouissent pour luf. Quand une pensée
sublime le saisit, cl qu'il eh poursuit le cours,
il s'oublie lui - même , il perd la cbnscîence du
temps qui s'écoule et de ses forces vitales qo»
s'épuisent. Xa douleur physique la plus aiguë peut
être suspendue par la survénance dans Pâme de
quelque idée féconde. Sous l'influence de la pas*
sion , surtout de la plus pure et dé la plus ardcnw
de toutes, de l'anlour dé Dieu, les hommes onl
méprisé la vie et bravé la mort; et toutes leuri
idées «'étant ainsi concentrées en une seule;
Qnt joui comme dans le ciel. Le travail le plus
ordinaire est diflScile, si le corps seul doit l'entre-
prendre; mais Tamour rend facile roccupation la
plus rude, et charme les travaux les plus longs et
les plus rebutans. Devant lui s'évanouissent le temps
et l'espace , et quoi qu'il &sse, il ne quitte jamais
sa région idéale. Cette nature morale se retrouve
jusque parmi les peuples les plus sauvages. Peu
leur importe de savoir pour quelle cause ils com-
battent; ils combattet^t pour une foule d'idées.
Le cannibale altéré de vengeance, poursuit sous
une forme monstrueuse une jouissance qui relève
de la pensée.
Aucune maladie de l'organe, aucune circons-
tance, aucun phénomène ne peut nous abuser
jusqu'à nous faire considérer comme primitif le
pouvoir qui agit en lui. La mémoire, parexemple^
varie avec les organisations; tatitôt elle se forme
et se développe à l'aide' des images, tsmtot à l'aide
de signes abstraits, de mots ou de nombres. Dans
la jeunesse, pendant que le cerveau est tendre, elle
est douéei d une extrême vivacité; dans la viâllesse,
quand le cerveau se durcit, elle s'appesantit et s'at-
tacha aux idées surannées. Il en est de même des
autres &cultés de l'ame , et il ne peut en étre*^utre-
ment si elles opèrent organiquement A ce sùji^
nous pouvons remarquer ici que les lois relaiwépf^
ou mode de conservation et de renous^ellemenl des
9
28t> tIVRE V. '
idtBâSj sont entièrement spirituelles et nullement
physiques. Des hommes ont perdu le soutenir de
certaines années, même de certaines parties du dis-
cours, des noms ^ des substantifs,' et na^e de cer«
taines lettres et de certains caractères, tout en con-
servant celui des année$ précédentes, et en con-
tinuant à se servir des autres parties du discours;
Famé n'avait été paralysée que dans celui de ses
membres où Torgane avait souffert. Si la c^abe de
ses idées était matérielle, elle devrait, d'après ces
phénomènes, pu se mouvoir dans le cerveau et se
former certaines cases pour certàinesi années, cer^
tàins noms, certains substantifs, ou, si les idées se
durcissent avec le cerveau, aucune ne doit échap-
per à cette ^loi générale; et pourtant combien les
souvenirs de la jeunesse sont encore vivans dans
la vieillesse l Quand Tame, par l'état de se? organes,
ne peut plus combiner ses idées avec vivacité, ou
y réfléchir d'une manière lumineuse, elle s'attacne
plus intimement aux acquisitions de ses belles a^*
nées, dont elle dispose comn^e de sa propriété. Dans
les instâns qui précèdent la raert , et daps toutes
les situations où elle se sent moins enchaînée
par le corps , ces souvenirs s'éveillât avec tow«
vivacité d'un plaisir d'enfance 5 et c'est de. la sur-
• tQ«t que naissent Jes plaisirs du vieillarf «^
.monhevLv du mourant Depuis le comm6ncem«'*
de la vie, notre ame semble n'avoir qu'une nussioï»?
CHAPITRE !▼. 38 1
celle d'acqfdérir une figure interne j la forme de
Vhûmaniii^ et de se sentir par là entière et heu-
reuse comme le corps dans ce qui lui ^appartient- ^
Elle travaille de toutes ses forces dans ce but avec
autant de zèle et de sympathie que le corps pour
3a santé; si quelque partie est atteinte, il le sent
immédiatement dans toutes, .et applique ses sens,
autant qu'il le peut , à réparer la brèche et à guérir
la blessure. C'est de la même manière que Tamé
trayaille pour sa santé toujours précaire et souvent
illusoire, s'eSbrçant de la raffermir et de l'augmen-
ter, tantôt ^ar les moyens véritables, tantôt par des
remèdes trompeurs. L'art qu'elle emploie pour cela
esx merveilleux , et le nombre des ressourcés et des
breuvages qu'elle connaît, est immense. Si les pa^
roxismes de Tame étaient étudiés de la même ma-^
nière que ceux du corps, sa nature propre et spi^
rituelle se manifesterait si évidemment dans toutes
%t% maladies, que les systèmes de$ matérialistes
s'évanouiraient comme les vapeurs devant le soleil.
Qqant à celui qui est convaincu de cette vie inié*
rieurey toutes les circonstances externes dans les*
quelles le corps ^ comme une matière étrangère,
varie incessamment, ne seront pour lui que des
transitions qui n'affectent point son essence. Il
passera de ce monde dans le suivant avec aussi
peu d'attention que de la nuit au jour» ou d'unf
isaisoii de vie à ptîlle (jui la suil;.
a8a . . LIVRE V.
I
Le Créatear nous fait éprouver <jiaque jour dans
le frère de la mort, dans le sommeil rafraîchisç^nt,
^combien les élémens de notre machine sont loin
d'être inséparables les uns des autres > et surtout
combien ils se distinguent du moi de notre con-
science. Le t'oucher gracieux de son doigt délie les
fonctions les pluà importantes de la vie : les nerià
e( les muscles se détendent^ les sens cessent de
percevoir, mais Tame continue de penser dans son
domaine. Elle n'est pas plus séparée du corps que
quand il est éveillé, comme le prouvent les per-
ceptions qui se mêlent souvent à nos sensraucoU'
praire, elle agit suivant ses propres lois, même dans
le sommeil le plus profond , dont les rêves ne nous
laissent aucun souvenir^ à moins d'être éveillés en
sursaut Plusieurs personnes ont observé que d^^
les rêves qui ne sont point troublés , leur ame
poursuit sans interruption la même série d'idées
fj'une manière différente de ce qui se passe dans
VéVàt de veille,. et elle s'être dansxm monde plus
beatu, plus vivant, et en général plus jeune. Dans
un rêve, les perceptions sont plus, vives, les pas^
jsions plus violentes; la liaison des idées plus
facile, le règne du possible plus étendu, notre vue
plus pei'çante » et la lumière qui nous entoure plus
brillante. Dans un heureux sommeil, nous volons
isouvent plutôt que nous ne marchons, nos dimtfi'
sions sont agrançlies, nos résolutions ont fhsàe
CHAPITRE fV. 285
force, nos actions sont moins liaiîlées; et quoique
tous ces phénomènes dépendent du corps^ comme
le mdindre éi>ranlement moral doit être en harmonie
avec Lui , tant que les pouvoirs de la pensée seront
aussi intimement unis à sa structure, cependant
Fensemble des phénomènes du sommeil et des rêves,
qui sont sans dqute singuliers et qui nous jetteraient
dans un profond étonnemént, s\ nous n'y étions
accoutumés, nous montre que chaque partie du
corps ne nous appartient pas de la même manière;
que d'ailleurs certaine organes de notre machine
peuvent être affaiblis, et le pouvoir suprême agir
avec plus dldéalisme^ de vivacité et de liberté, seu-
lement par réminiscence. Or, puisque toutes les
causes qui amènent le sommeil et que tous les
symptômes corporels sont, non pas métaphorique-
ment, mais physioiogiquement et réellement ana-
logues à ceux dé la mort, pourquoi les symptômes
spirituels de Tun et de l-autre ne seraient-ils |)as les
mêmes? Ainsi donc,' quand le sommeil de la mort
is'appesantit sur nous par la fatigue ou la maladie,
l'espérance nous reste, que la niort , semblable au
isommeil, apaisera la fièvre de la vie, en interrom^
pant sans secousse im mouvement uniforme i^t trop
long-temps continue, guérira plusieurs blessures
incurables dans cette vie, et préparera' Tame à un
heureux réveil , à Tabrore d'une jeunesse renou*
velée* Oui , '^comme dans les songes aies pensées
il84 LTVRE T.
s^envolent vers ma jeunesse; comme les inouW
mens de mon cceur sont plus libres et plus spon*
tanés, alors que je ne suis plus qu'à demi eochainé
par quelques organes, de même, ô toi, songe Tivi-
fiant de la mort ! tu ramèneras en souriant là jeu-
nesse de ma vie, les momens les plus heureux et
les plus enivrans de mon existence, jusqu'à ce que
je m'éveille dans la réalité dont ils sont l'image,
ou plutôt dans la forme la plus pure de l'ado*
lescence câeste.
CHAPITRE V.
Notre humanité West qu'un état de prépor
ration, le bouton d'une Jleur qui doit
éclore.
Nous avons vu que le but de l'e^stence pré*
sente est l'éducatÂpn de l'humanité, à laquelle les
moindres circonstances de cette terre concourent
et qu'elles sont toutes appela à provoque» Nos
Êicultés intellectuelles sont appelées à l'exercice de
la raison, nos sens les plus délicats à la pratique
dé l'art', nos penchans à la vraie liberté^ àk re-
cherche du beau; nos pouvoirs actifs à l'amour
du genre humain. Ou nous * ne savons rien de
notre destination, et la divinité , pour dire ce qui
serait une calomnie vide de sens, nous trompe
dans chacun de ses symptÀines internes et externes ^
CHAnniE y* 485.
ou nous pouvons nous regarder comme aussi cer-
tain^ de çejtte fin que de l'existence 4'uB Di^i .on
de celle qui nous. est propre.
Pourtant combien, il est rare d'atteindre ici-bas
ce but éternel, in6ni! Cbex. toutes les nations, la
raisoii porte les chaînes du sens animal; .on cherche
le vrai dans les sentiers les plus trompeurs, et
cette beauté, cette rectitude, pour lesquelles nous
sommes créés par Dieu , sont^ corrompues par la
négligence et la dépravation. Peu d-homintes font
de la céleste humanité, dans le sens du mot le plus
pur et le .plus étendu , l'étude véritable de leur vie; '
la plupart ne commencent quetard à y penser, et
les meilleurs des hommes sont incessamment nn
menés par de vils penchans des plus sublimes trans-
ports^ à la vie animale^ Parmi les mortels, qui peut
dire qu'il atteindra ou qu'il a attânt la pure image
de l'homme qui habite en lui. Ainsi. donc, ou le
Créateur s'est trompé dans le but qu'il a placé de-
vant nous, et dans l'organisation qu'il a ci habile-
ment composée pour servir à le poursuivre; ou ce
but n'est atteint qu'après notre, existence présente,
et la terre n'est <{u'un lieu S exercice^ et cette vie
un état de préparation. D'après cela , il est vrai»
le bas* ne peut manquer de se trouver uni soi%ent
au sublime; ev^ en tout, l'homme n'est élevé que
d'un faible degré âu-*dessus de l'animaL D'ailleurs,
la plus grande variété doit, régner parmi les hom-
a86 uvR£ Y.
mes ; puisque la teire présente une si éiQonatite
diversiié d'obj^, et que dans tant de pays, .sou»
tant de circonstances , l'espèce humaine est si pro^
fondement courbée sous le joug du diqiat et de
la nécessité. La Providence a considéré , dans ses
desseins ) 'd'un seul regard tous, ces degrés ^cest
2ones, ces variétés, et a su développer l'homme
dans chacun d'eux, de même qu'elle a élevé par
degrés les pouvoirs inférieurs, sans qu'ils en eussent,
conscience. Ces tune chose surprenante, quoique
incontestaUe , que de tous les habitans de la terre
l'homme est celui qui est le plus loin d'atteindre
sa destination. Tout animal atteint ce que son
organisation peut atteindre : l'homme seul reste
en arrière, précisément parce que son but est
trop élevé, trop étendu, trop illimité., et qu'il
commence surjette terre à un degré trop infè*
rieur, à/UUis époque trop tardive, et avec trop
d'obstacles externes 'et internes. L'instinct^ ce don
maternel de la nature, est le guide certain de l'anir
mal, qui, fait pour obéir, n'est qu'un esclave dan^
la maison du père souverain. L'homme est. en cela
un véritable enfent; et si l'on excepte quelques,
p^nchan^ nécessaires, il Ëiut qu'il apprenne tout
ce qui appartient à la .raison et à rhumanité. D'ail-
leurs, il apprend imparfaitement, parce qu'avec les
6emences d'intelligence et de \ertu il reçoit en
héritage les préjugés et les mauvaises coutumes^.,
CHAPITRE Y. 287
et dans ce progrès vers la vérité et la liberté , il
est retardé par dés chaînes qui remontent à Torî-
gine de son espèce. Les traces que des hommes
demi*dieux ont imprimées tout autour d^eux, s'unis-
âent et se confondent avçc beaucoup d'autres,
sur les<|uelles . ont erré des animaux et des bri-
gands , et celles-ci » hélas ! sont souvent plus fré-
quentées que le petit nombre de celles qui appar-
tiennent à une nature gi^ande et sublime ; et, comme
plusieurs iTnt fait, ou il faut accuser là Providence
d'avoir con6né l'homme si près de l'animal qull
ne devait point égaler, et de lui avoir refusé ce
degré de lumière, de fermeté et de certitude^ qui
aurait servi sa raison à la place de l'instinct ;^ ou
ce début si imparfait est une preuve de son pro^
grès étemel : car l'homme doit lui-même acquérir
par l'exercice un degré de lumière et de sécurité,
tel qu'il devienne sous la direction de son père
et par ses propres efforts une créature plus noble
et plus libre; et c*tsi ce qui arrii^era. Ainsi l'appa-
rence de l'homme deviendra l'hommie en réalité;
ainsi la fleur dliumanité, engourdie par îe froid
et desséchée par la chaleur, s'épanonira dans sa
vraie forhie, dans toute la plénitude de sa beauté
propre.
De là nous pouvons facilement conclure quelle
est la partie de nous-mêmes qui peut passer à un
autre monde : «Test cette humanité dii^ine^ le bou-
388 LIVRE T.
^%ou non encore éclos de la vraie forme de Thomme.
Toute la corruptiop de cette terre n'a qu'elle pour
objet; nous laissons les parties térr^tres Hé nos
os au règne fosûlei dont elles ont été tirées^etnaus
rendons aux élémens ce que nous leur avons m-
pnmté. Toiis les appétits des sens qui ont servi
en nous, comme dans les animaux, à l'économie
terrestre « ont achevé leur mission : ilsilevaient être
dans l'homme l'occasion des sentimens et des efforts
les plus nobles, et quand ils l'ont ach^ée, ils ont
rempli le but pour lequel ils avaient été destinés.
Le besoin de la nourriture devait exciter l'homme
au travail, à la société, à l'obéiissance aux lois et
aux choses établies^ et le lier à la terre par une
chaîne salutaire et indispensable^ Les désirs des
stTits devaient faire germer, j^usque dans les cceiars
les plus durs, la sociabilité, l'amour inatemél/coti-
jugal et filial, et rendre les efforts prolongés qu'il
ferait pour son espèce, agréables, à l'homme quand
il les entreprendrait pour sa jMropre chair et son
propre sang. Heureux si le germe se développa!
il fleurira sous les rayons d'un soleil plus glorieux.
La vérité, la beauté, l'amour, sont les objets aux-
quels l'homme tend de tous, se& efforts, méme^ans
qu'il en ait la conscience, et souvent par les voies
les moins directes. Les détours du labyrinthe se-
ront reconnus, les formes séduisantes de l'endniH
temei^t s'évanouiront, mais chacun verra plus o^
moms distinctement It centre vers lec[uel se dirige
son sentier; et toi, Providence matenielley sous
la fornte du génie et de Tami dont il a besoin , tu
le conduiras d'une main bienfaisante et prompte
à pardonner.
Ces t pourquoi le Créateur, dans sa bonté ^ nous
a caché la forme de ce monde » afin que nos sens
ne fussent pas éblouis de son éclat , et que nul
désir tmt et prématuré ne vînt troubler nos cœurs*
Si en efiët nous considérons les progrès de la
nature dans lès espèces inférieures, et que nous
observions comment l'être suprême rejette celles
qui appartiennent aux classes les moins nobles et
adoucit par degrés les lois de la. nécessité , en même
temps qu'il perfectionne lespoùvoirs spirituels^ qtfil
purifie la pensée , qu'il orne k beauté d'une parure
céleste , nous pouvons avec confiance nous reposer
sur la science de cet invisible artisan et croire que
le génie captif de Phumanité naissante apparaîtra
un jour, sous la vraie forme de l'homme semblable
à Dieu^ dans un état dont aucun esprit terrestre
ne peut imaginer la grandeur et la majesté. Toute-
fois il est inutile de donner l'essor à notre imagi-^
nation; et quoique je sois convaincu que, comme
touS' les , degrés de la cri&ation sont intimement liés
les uns mx autres, les pouvoirs organiques de
notre ame, dans leurs tendances les plus pures
et les plus spirituelles, préparent ici-bas les fon*
h 19
ago LIVRE Vr
démens die leur destiaée fi2ti;ire; ou qu'au moias,
sans qu'ik en aient la conscience , ils forment le
tissu qui servira à leur enveloppe ^ jusqu'à ce que
les rayons d'un soleil plus brillant éveillent leurs
énergies les plus profondes , qui leur sont ici voilées
à eux-mëme^ : il n'en serait pas moins , téméraire
d'esquisser les lois par lesquelles le Créateur ^Dinne
un monde dont tant de ténèbres nous dérobent les
phénomènes.. Jl suffît que tous les changemens que
npus observons dans lès l^égioiis inféiriem^es de la
nature soient des tendances à la perfection^ et que
nous ayons au moins^ quelques idées d'un sufètdans
lequel d'invî^nciUes obstacles nous empêchent dé pé-
nétrer plus avant. Ia fleur paraat à nos yew d*abord
comme une graine, et ensuitje comme ijm germe:
le germe deviî^nt plante, ^et à la fin se montre la
fleur, qui commence ses (Ëfôrens périodes de vie
dans cette économie terrestre^ Des progrès et des
ehangemcns sembl^les se présentjent dans tous les
êtres animés, et le papillon est en cela si remar-
quable, qu'il est devenu un emblème bien cminiu
Voyez ramper la vile chenille, qui n'obéit qu'au
grossier appétit de la &im : soh heure arrive, et
la langueur de la mort s'appésaaiiî sur elle. £Ue
cherche un point d'apfMu, et s'ei^veloppe . dans
les replis de son linceuil, qudle portait «n die
avec les premiers orgtiïies de son état futur. Ses
anneaux alors se mettent à l'œuvre,, et les pouvoirs
CHAPITRE V. 391
organiques internes se . développent eux-mêmes.
Le changement est d'abord l^it et ressemble à
une dëcomposiiion. Avec la peau, dont il se dé-
pouille, disparaissent dix pieds de Tanimal; peu
à peu les membres de la créature naissante, qui
sont d*abord informes, se débrouillent et atteignent
leurs véritables proportions; mais elle n^ s'i veilie
pas avant d'être complète ; alors elle parait brusr
quement'à là lumière, et le dernier acte s'achève
rapidement En quelques minutes ses tendres ailes
deviennent six ibis plus grandes qu'elles n'étaient
sous le voile de la mort : douées d'élasticité et
ornées de toute la splendeur des couleurs qui
peuvent être produites sous le soleil, elles por^
tent le nouvel être sur Thaleine du zéphyr. Toute
sa nature est changée: au lieu des feuilles gros^
siêres qui autrefois lui fournissaient sa nourri^
ture, il boit le nectar des fleurs dans leurs coupes
d'or. U n'est pas jusqu'à. sa destinée qui ne soit
différente. Au lieu d'obéir à l'appétit machinal de
la faim, il est ému par la passion la plus délicate
de l'amour. Qui pourrait pressentir sous la figure
de la chenille l'éclat fiitui' du ppillon? où est
celui qui voudrait les reconnaître tous deux pour
une seule et même créature, si l'expérience né
l'avait instruit? et puisque ces deux modes d'exis-
tence ne sont que des images différentes d'un même
être sur une seule et même terre , où le cercle or-
JSgs LITRE T.
ganique se répète en toutes choses, quelles sIh
blimes métamorphoses doivent s'opérer dans une
sphère plus vaste, quand les périodes qu'elles par-
[ courent embrassent plus d'un monde! Espère donc,
£ds de rhomme, et ne prophétise pas; la récom-
peiise est devant toi, efforce^toi de l'obtenir. Éloigne
de toi tout ce qui n'a pas un caractère d'humanité;
poursuis la vérité, la bonté et la beauté divine, et
tu ne peux manquer d'atteindre ta destinée.
Ainsi, par ces analogies de créatures qui chan-
gent et passent d'un état à un autre, la nature nous
enseigne pourquoi le sommeil de la mort est admis
dans son système : c'est une sorte de léthargie qui
s'étend sur les sens, pendant que les pouvoirs or-
ganiques tendent à une forme nouvelle. La créature
elle-même, quelle que soit la conscience dont elle
est douée, n'est pas assez pvdssante . pour prévoir
ou: diriger leurs efforts: elle s'endort et ne s'éveille
pas avant que sa forme .ne soit complète. Ainsi la
mort est le présent qu'un tendre père partage entre
ses enfans; c'est un sommeil salutaire, durant le-
quel la nature recueille ses forces , pour que le
Bdalade endormi soit rendu à la santé.
CHAPITRE VI. agS
CHAPITRE VL
Uétat présent de fhomme est probable-^
ment le lien qui unit deux mondes.
Tout se lie dans la nature; un état en pro-
voque et en prépare un autre. Si donc l'homme
est l'anneau le dernier et le plus élevé , qui ferme
la chaîne de l'organisation terrestre, il doit com-
mencer une chaîne de créatures d'un ordre supé-
rieur, dont il est l'anneau inférieur, servant ainsi
de lien entre deux systèmes adjacens de la création.
Il ne peut passer dans quelque autre organisation
sur la terre, sans revenir en arrière et errer dans
un cercle : qu'il reste immobile, c'est ce qui est
impossible , puisque dans les domaines de la bonté
la plus active , il n'est pa^ de pouvoirs qui soient
au repos. Aihsi, de même qu'il a la prééminence'
sur Tanimal, à qui il est en même temps allié de
si près, il doit exister un degré devant lui, caché
pour lui, mais élevé au-dessus de lui. Confirmée
par toutes les lois de la nature, cette théorie nous
donne seule la clef du problème étonnant de
l'homme, et en même temps la seule philosophie
de son histoire; car ainsi ,
1. La contradiction singulière de la condition
de l'honune devient, manifeste. En tant qu'animal^
394 LIVRE V.
il incline à la terre , et y est attaché ainsi qu'à sa
demeure suprême ; comme homme^ il a en lui les
germes de l'immortalité, qui pour se développer
ont besoin d'un autre sol. EIn tant qu animal, il
peut satisfaire ses facultés physiques, et les hom-
mes dont le cœur n'est pas troublé par des désirs
plusardens et moins faciles à contenter, se trouvent
suffisamment heureux ici-bas; mais ceux qui cher-
chent une destination plus élevée ne rencontrent
autour d'eux que l'incomplet et l'imparfait. Ce qu'il
y a de plus noble n'est jamais accompli sur la terre,
ce quil y a de plus pur est rarement solide et du-
rable : ce théâtre n'est qu'un lieu d'exercice et d'é-
preuves pour les puissances de nos coeurs et de
oos âmes. L'hisioire de l'espèce humaine et les ob-
jets qu'elle a recherchés, et ce qu'elle a obtenu,
les efforts qu'elle a faits et les révoluiions qu'elle
a. subies, le prouvent ass»ez. €à et là paraissent des
philosophes, des gens de bien, qui s'élèvent et ré-
pandent leurs opinions, leurs préceptes et leurs
exemples sur le fleuve du temps : quelques vagues
jouent en cercles autour d'eux, mais bientôt le flot
les a emportés et les a effacés ; la perle de leur noble
dessein est tombée au fond de l'abîme. Les fous ont
surpassé les conseils des sages, et des prodigues ont
hérité des trésors de sagesse rassemblés par leurs an-
CiètresL Si la vie de Thomme ici*ba& est4oin d avoir
éié calculée pour fétemité , bette terre, daùs sa ré-
CHAPITRE VL IXqS
Yolution non interrompue, est aussi loin d'être un
moBument indestruclible où l'art se perpétue sans
fin, un jardin de plantes c|ui ne se fanent jamais,
une demeure qui doive être éternellement habitée»
Nous allons et nous venons; chaque moment ap«
porte et enlève au monde des myriades d'étrés ani-
ôiés. La terre est une hôtellerie pour des voyageurs ,
une planète, sur laquelle se reposent des oiseaux de
passage et dont ils se hâtent de s'éloigner. L'animal
vit en dehors de sa vie , et si ses années sont trop
courtes pour attendre un but plus élevé , sa des-
tination secrète est remplie j ses facultés s'exercent ,
et il est ce qu'il devait être. L'homme seul est eT\
contradiction avec lui-même et avec l'univers en-
tier; car , bien qu'il soit la plus parfaite de toutes
les créatures organisées, ses facultés sont loind'at*
tçindre leur perfection, même quand il arrive au
terme le plus long, de la vie. Et la raison en est
évidente: si son état est le dernier sur cette terre,
il est le premier dans une autre sphère d'existence,
par rapport à laquelle il apparaît ici comme un enfant
qui fait son premier essai. Ainsi, il est à la fois le
représentant de deux mondes, et de là, la dualité
apparente de son essence.
2. Par là. on voit clairement quelle partie doit
dominer dans, la plupart des hommes ici -bas.
'L'homme appartient en grande partie au genre ani-
mal. Il n'a apporté dans le monde qu'une capacité
29^ LIVKE V,
{i^our rhutnanité, qui <loit d-abord se former en
lui pav le zèle et le travail. Qull en est peu en
qui elle suit son véritable développement 1 Et même
dans les aines les plus pures, combien la fleur au
vine qui a' été déposée en elles, est frêle et dé-
licate! Dans le cours de la vie , Fanimal domine
rhomme, et le plus souvent il le gouverne à son gré.
Il s'eiTorce incessamment de le rabaisser, pendant
que l'esprit Félève et que le cœur soupire après
Une sphère plus libre- Et comme pour une créa-
ture sensuelle le présent paraît plus' vivant que le
passé, comme le visible agit sur elle plus puissam*
ment que l'invisible^ il n'est pas difficile de con-
jecturer de quel côté la balance doit pencher.' Oh )
combien l'homme est peu capable d'atteindre à la
pureté dans le plaisir , dans la connaissance et dans
la vertu! et en fût-il plus capable, qu'il est rare
qu'il la cherche" et s'y repose? Les plus nobles
compositions ici-bas sont rabaissées par des pen«*
chans terrestres, comme le voyage de la vie est
contrarié par des vents opposés; et le Créateur,
dans sa bienfaisante économie, a mêlé entre elle
deux causes de désordre , afin que l'une pût corriger
l'autre, et que le germe de l'immortalité fût nourri
plutôt par les tempêtes, que par le souffle tempéré
des zéphîrs. L'homme qui a beaucoup d'expérience
sait besaicoup; celui qui vit dans l'indiffereiice et
l'apathie ne sait pas ce qui est en lui; et encore
CHAPITRE VI. 397
xnoins sent-il avec une satis&ction qui porte té-
moignage d'elle-même, jusqu'où s'étendent ses
pouvoirs. Ainsi, la* vie est un combat, et l'on
n'obtient que difficilement la guirlande pure et
immortelle de l'humanité. La carrière est ouverte;
c*est à la mort que la palme sera obtenue par celui
qui combat pour la vertu. •
5. Ainsi, si des créatures supérieures laissent
tombei* leurs yeux sur nous , elles nous voient de la
même manière que nous voyons les espèces moyen^
nés ^ par lesquelles la nature fait une transition
d'un élément à un autre. L'autruche agite ses lourdes
ailes pour courir avec plus de rapidité ; mais elles
ne peuvent lui servir à voler , à cause du poids: de
son corps; qui l'attache à la terre. Cependant l'auteur
de toute organisation en a pris soin aussi bien que
d'aucune autre créature; car en elles-mêmes- elles
sont toutes parfaites et ne paraissent défectueusesl
qu'à nos yeux. Il en est de même de Thomme ici-bas.
Ses défauts importunent et lassent la patience d'uii
génie terrestre; mais un esprit supérieur, qui con-«
temple la structure interne, et voit un plus grand
nombre d'anneaux de la chaîne , peut bieii à la vérité
en prendre pitié, mais non pa$ le mépriser. Il côin^
prend pourquoi l'homme doit quitter le monde dans
tant d'états différens, jeun^ et vieux ^ sage et fou,
dans le sein de sa mère, ou dans une seconde enfance
atteinte en cheveux blancs. La bonté toutp^puisswte
29^ LIVRE V.
embrasse la folîe et la difformité, tous les degrés de
civilisation, toutes les erreurs de TiatelligeDce; et
elle ne manque pas de baume pour adoucir les bles-
sures c|ue la mort seule peut, guérir. Puisque pro-
bablement l'état futur est le fruit du présent, comme
notre organisation est le .produit des règnes mfè-
rieurs, sa destinée est liée sans doute à l'existence
présente plus- étroitement que nous ne pouvons
l'imaginen Le jardin du ciel ne fait éclore que des
plantes dont les semences jetées ici-bas, ont à percer
une grossière envelo{^e. Si donc , comme nous l'a-
vons vu , la sociabilité , l'amitié ou la participation
active aux peines et aux plaisirs d'autrui composent
le but auquel tend l'hiunanité, arrivé à sa matu^
rite, l'arbre delà vie humaine doit nécesssiirement
atteindre alors ia forme vivifiante que son germe
reèélait, et répandre partout, avec son ombre sainte,
les biens pour lesquels notre cœur soupire en vain
dans toutes les situations terrestres. Au-dessus de
nous, nos frères nous aiment donc assuranent avec
fdiis de chaleur et de pureté que nous ne pouvons
leur en rendre, car ils voient notre état plus claire-
ment : le moment du temps n'est plus pour eux ,
toutes les différences sont réglées , et , dans leur in-
visible majesté, il est probable qu'ils préparent en
BOUS des émules de leurs travaux et des compagnons
de leur bonheur. Un pas de plus, et l'esprit oj^ressé
peut re^rer plus librement, le cœur blessé peut se
CHAPÏtREVI. 299
guérir : ils voient approcher le passager , et rassurent
d'une main afiermie sa marche chancelante.
4. Puisque nous sommes d'une espèce moyenne
entre deux ordres que nous partageons pour ainsi
dire, je ne puis croire que l'état futur soit si éloi-
gné du présent et ait avec lui si peu de com-
munication que la partie animale de l'homme est
inclinée à le supposer j et à dire vrai, l'histoire de
Tespèce humaine présente un grand nombre d'acci-
dens et d'événemens qu'il m'est impossible de com-
prendre sans le concours d'une influence supérieure.
Par exemple, il me paraît inexplicable que l'homme
ait pu commencer la carrière du perfectionnement,
et inventer le langage et la première science sans
un guide supérieur, et plus il a tardé à recevoir
cet appui tutélaire, plus il faut supposer qu'il est
resté long-temps dans un état grossier et sauvage
On ne' peut nier qu'une économie divine ait régné
sur l'espèce humaine depuis son origine, pour di-
riger sa course dans les voies les plus sûres ; mais,
plus les facultés humaines se sont exercées , moins
dles ont eu besoin de cette assistance supérieure,
ou moins elles ont été capables d'en profiter,
quoique cependant dans la succéi^sion des âges
de très- grands effets soient nés, au du moins
aient été fçcompagnfés de circonstances inexpli-
cables. Les m^adies même leur ont souvent servi
^'instrmnensj car, lorsqu'un organe perd sa prp-
SOO JLIVRE V.
portion »avec les autres, et qu'il devient ainsi inu-
tile dans le système général des fonctions physiques,
il'paraît naturel que le principe vital s'ouvre quel-
que autre voie, et reçoive des impressions dont
ïine organisation complète ne serait pas susceptible
et qu'elle ne réclamerait pas. Quoi qu'il en soit,
c'est certainement un voile bien&isant qui sépare
ce monde dé cdui qui le suit; et ce n'est pas sams
raison que la tombe de l'homme mort est si muette
^et si immobile. Les hommes en général sont pré-
servés, dans le cours de leur vie^ des impressions
dont une seule briserait pour jamais la chaîne en-
tière de leurs idées. Fait pour la liberté, l'homme
n'a pas été destiné à être' le singe d'imitation d'êtres
supérieurs j maiç partout il est conduit à retenir
cette heureuse opinion qu'il agit de lui-même.
Pour qu'il conservât le repos de son ame et ce
noble orgueil qui* soutient sa destinée, il a été
privé de la vue d'êtres plus élevés que lui ; car
il est probable qu'en les connaissant. il apprendrait
a se 'm.épriser. L'homme ne devait donc pas con-
templer un état futur, mais seulement y donner
ça croyance. '
5. Ainsi, il ^t certain que chacun de ses pou-
voir^ enferme une infinité de &ciiltés qui. ne peuvent
se développer ici-bas, où elles sont réprimées par
d'autres pouvoirs, combattues par les sens et les ins-^
tincts aniaia^ux y et pour ainsi dire bornées à la sphère
CHAPITRE \1. 5&1
de la vie terrestre. Certains prodiges de mémoire ,
d'imagination, de pressentimens prophétiques , ont
révélé des" merveilles de ce trésor caché qui repose
dans la pensée de l'homme ; et il ne faut pas exclure
les sens de la part qu'ils ont à ces phénomènes. Que
de9 maladies locales et des défauts partiels aient été
les principales occasions qui ont servi à découvrir
ce trésor, cela ne change pas la nature des choses;
puisque la disproportion même qui s'étabUt alors
est nécessaire pour rendre, parla rupture de Téqm-
libre , sa puissance et sa liberté à une &culté captive
et enchaînée. L'expression de Leibnitz, que l'ame est
un miroir de l'univers , contient peut-être une vérité
plus profonde que celle qu'on en déduit ordinaire-*
ment ; car on dirait que les pouvoirs de ' l'univers
entier sont enfouis dans ses profondeurs, et ne
demandent pour se déployer quç le secours d'une
autre organisation, ou d'une série d'organisations
progressives. La suprême bonté ne lui refusera pas
cette organisation, mais elle la guidera comme un
enËint en lisière, pour la préparer graduellement à
la plénitude d'une jouissance croissante, avec la
persuasion qu'elle acquiert d'elle-même ses pou-
voirs et ses sens ; et même dans^ sa constitution
présente, V espace et le temps ne sont pour, elle
que de vains mots. Ils mesurent et expriment les
relations du corps, ^ non pas celles de sa ca--
pacité interne , qui s'étend par delà l'espace, et la
durée, quand elle s'élève jusqu'à jouir d'eUe-mème
avec toute la plénitude d'une volupté intérieure*
ise t'inquiète pas de la place et de l'heure de ion
»istience future: le soleil, qui éclaire tes jours,
t'est nécessaire durant ton séjour sur la terre, et
aussi long-temps qu'il obscurcit toutes les étoiles
célestes. Quand il sera à son couchant , l'univers
paraîtra dans une grandeur plus imposante. La
nviit sacrée qui un jour t'enveloppa ^ et qui t'en^
veloppera de nouveau, couvrira la :terre de ténè*
bres, et t'ouvrira dans le ciel les pages resplendis^
santés de l'immortalité. « Là, sont des habitations,
« des mondes et des espaces , qui fleurissent dans
« Une jeunesse toujours nouvelle; quoique des
ic âges aient roulé sur des âges, ils bravent les
« changemens des temps et des saisons ; mais tout
« ce qui se montre à nos yeux , défaille , périt et
CE disparait; et tout le bonheur et l'orgudl de la terre
ff sont exposés à une .inévitable destruction. ^
. Cette terre ne sera plus, quand tu seras encore,
et que tu jouiras de Dieu ei de sa création dans
d'autres demeures, différemment organisées. Dans
celle-ci, tu as joui de beaucoup de bien; sur celle-
ci , tu as atteint une organisation qui t'a permis
d'appraidre à regarder autour et au-dessus de toi
comme un enfant du cieL Efforçe>toi donc de la
qjuitter sans te plaindre, et bénis -la, comme le
champ où, fib de l'immortalité, tu as joué dans
CHAPrrRETTI.
5o5
ton enfance, comme Técole où tu as été conduit ,
à travers la joie et le chagrin , à l'âge viril. Tu
n'as plus de droit sur elle; elle n'a plus de droit
sur toi : recois la couronne de la liberté et la
ceinture du ciel, et dépose sans regret ton bâton
de voyage.
De même que la plante s'élève et ferme le règne
de la création inanimée et souterraine, afin de
jouir d'un commencement de vie dans la région
du jour, ainsi l'homme domine toutes les créatures
courbées vers la terre. Les yeux levés et les mains
étendues , c'est un fils bien-aimé qui attend le signal
de son père.
5o4 LimS.TJr
LIVRE VI.
Nous avons considéré jusqu^à présent la terre
comme la demeure de Tespèce humaine , et nous
avons essayé de déterminer le rang que Thomme
occupe parmi les créatures animées qui l'habitent
Après nous être ainsi formé une idée de sa nature
en général, il reste à examiner comment ce type a
été modifié sur le globe terrestre*
Mais qui nous donnera un fil au milieu de ce
labyrinthe ? où sont les traces que nous pourrons
suivre aVec sécurité? Ce qu'il y a de certain, c'est
que nous ne cacherons pas sous le voile d'un dog-
matisme hautain les erreurs auxquelles celui qui
écrit rhistoîre de l'homme, et surtout celui qui
cherche une philosophie de cette histoire , sont
nécessairement exposés; car il n'y a que le génie
même de l'humanité qui puisse saisir sous un point
de vue complet l'histoire entière du genre humain.
Si nous commençons par les variétés d'organisation
des diverses races, c'est principalement parce que
ces variétés ont déjà été décrites dans des Traités
élémentaires d'histoire naturelle.
CHAPITRE I. 5o5
CHAPITRE PREMIER.
Organisation des peuples qui habitent
près du pôle nord.
Aucun navigateur n'a encore pu atteindre à Taxe
même du globe^ et. rapporter du pôle nord des no-
tions probablement Indispensables pour connaître
avec précision la structure générale de notre terre ;
maàs plusieurs voyageurs, qui se sont avancés au-
delà des parties habitables du globe, ont décrit ces
lieux dépouillés et déserts, que l'on pourrait nom-
mil* les palais de glace de la nature. C'est là que
se découvrent d'étonnantes merveilles, que jamais
n'imaginera un habitant de l'équateur ; d'énormes
montagnes de glaces , où les couleurs les plus écla-
tantes se heurtent, se nuancent, se brisent de mille
manières; des gerbes ondoyantes de lumière et de
feu, poétiques illusions que font naître 1 élasticité
de l'atmosphère et la chaleur qui se concentre dans
les cavernes, malgré le froid glacial de la surface
du sol ^ Il parait que le granité étend en ces lieux
beaucoup plus loin que dans le pôle sud ses masses
escaipées et déchirées; et en général la plus grande
partie de la terre habitable se déploie sur l'hémi-
1. Yoyes les Voyages de Phipps, PHistoire des Groênlandais
de Crans. '
1. ao
3o6 LIVRE YI.
sphère septentrional. Puisque la mer a été l'asile des
premières créatures viy^UiS , l'océan septentrional
peut encore être considéré , avec les habitans qui y
foBrmillent , comme im véritable foyer de vitalité ,
et c'est sur ses rivages qqe l'org^misation des créa-
tures terrestres a commencé à se développer dans
les mousses , les insectes et les vers. L'épervier de mer
fréquente la terre qui ne produit qu'un petit nom-
bre d'oiseaux. Les animaux aquatiques et les am-
phibies rampent sur la grève pour se réchauffer aux
rayons du soleil dont ces côtes ne jouissent que
rarement. Les points extrêmes de la création animée
vont se perdis au milieu des flots déchaînés ^ur le
rivage. X
Et pourtant l'organisation de l'homme est restée
intacte sur ces confins du monde! Tout ce que le
froid a pu faire , a été de resserrer son corps, et
pour ainsi dire de contracter la circulation du sang.
Le Groënlandais a rarement cinq pieds ; et l'Ësqui-
maux, son frère, qui vit plus au nord, est encore
plus petit 1; mais le principe vital, agissant du
dedans au dehors, a compensé la hauteur par la
grosseur, et l'élégance de la taille par la chaleur
intime du corps. La tète est d'une grosseur dis-
proportionnée ; la face est large et aplatie: car la
1. Voyez les Relations de Cranz^ d^Ellisy dllgéde, de ftoçcr
Curtis sur les côtes de Labrador.
cHAPiniE i. 507
nature» qui ne produit la beauté qu'en agissant
avec mesure et en choisissant un moyen terme
entre deux extrêmes 9 ne pouvait pas tracer ici le
contour savant de Tovale grec , ni détacher le nez
en saillie pour en faire Tomement de la figure ^
et si j'ose me servir de cette image 9 le point cen*
tral qui .fixe la balance. Comme les joues occu-
pent toute la largeur du visage , la bouche est
petite et arrondie , Us cheveux sont roides , parce
qu'ils ne renferment point assez de ces sucs pé-
nétrans qui les rendent doux aii toucher; les
yeux semblent éteints et sans vie ; les gaules sont
aplaties, les membres épais, le corps massif et san-
guin ; mais les mains et les pieds sont minces et
faibles, comme les rejetons et les extrémités du
sujet organique. Le caractère de la forme extérieur^
se retrouve dans l'irritabilité et Téconomie des
fluides internes. L^e sang circule plus lentement;
le cœur bat avec plus de langueur : de là , les désirs
des sexes , les passions , qui augmentent avec la
cbaleur vivifiante des autres contrées, sont très-
faibles parmi ces peuples et ne s'éveillent que tard.
Celui qui n'est pas marié, vit avec une grande chas«
tetéf et ce n'est pas «ans répugnance et quelquefois
sans y être contraintes par la violence , que hs fem-
mes #e chargent des soucis de la vie conjugale. Ils
n'ont que peu d'enfans ; aussi la fécondité des Euro-
péens leur semble-t-elle un caractère de dégradation.
508 LIVRE VI.
Dans rimérieur de leur famille , aussi bien que dans
toute la conduite de leur vie, règ^e une p|âx {Pro-
fonde , dont aucune passion ne trouble le cours ;
insensibles à ces désirs que font naître un climat
plus chaud et des esprits animaux plus volatilisés,
heureux par apathie , actifs par nécessité seulement ,
ils vivent et meurent dans la paix et la patience ;
le père instruit son fils à cette indolence qui est
pour lui la première vertu et le bonheur suprêm%,
et la mère allaite long-t$mp$ son enfant avec la
tendresse de l'instinct animal. Si la nature leur a
refusé un degré élevé d'irritabilité et d'élasticité
fibreuse, elle leur a donné en retour une force
infatigable: elle les a enveloppés d'ailleurs d'une
masse charnue , et le sang, qu'ils ont en abondance,
échauffe tellement leur organisation, que leur ha»
leine suffit pour rendre la chaleur étouffante dans
le fond de leurs huttes.
Personne ici, je le jcrois , ne pourra s'empêcher
de remarquer quelle uniformité la main du Créa-
teur a répandue sur toutes ses œuvres. Si la taille
de l'homme est moins haute dans ces contrées, la
végétation n'est pas moins arrêtée dans ses déve-
loppemens. Quelques arbres rabougris, quelques
mousses, et des arbrisseaux qui rampent [sur le
sol , sont les seules productions de ces lieux. La
gelée condense le filon de fer; ne raccourci ra-t*
elle pas la fibre humaine , malgré la vie^ organique
CHAPITRE I. S09
qui lui est inhérente ? Toutefois elle ne peut que
la coniptimer et la circonscrire dans une sphère
plus étroite: cette analogie se retrouve dans chaque
genre d'organisation. Les extrémités des animaux
marins et des autres créatures de la zone glaciale
sont minces et déliées : autant que possible la na-
ture, pour tout réunir, a partout répandu et conservé
la chaleur interne. Elle a recouvert les oiseaux d'un
épais plumage, les quadrupèdes d'une enveloppe
charnue, et a donné aux hommes , pour les garantir
du froid , une masse compacte et sanguine. Il est
vrai que par un seul et même principe d'organi-
sation elle a été obligée de leur refuser , dans les
objets externes, ce qui ne pouvait convenir à leur
constitution. Des légumes auraient été nuisibles à
leurs corps disposés à une sorte de corruption
intérieure, et plusieurs d'entre eux ont été victimes
des Uqueurs fortes que d'insensés aventuriers ont
introduites dans leurs pays; aussi le climat les leur
avait- il refusées : d'une autre part, quel que soit
leur goût pour le repos, et quoique leurs dispo-
sitions physiques les portent à Finaction, ils sont
forcés , par la nature même de la contrée qu'ils
habitent, de se livrer aux exercices du corps les
plus violens; et c'est sur cela que reposent leurs
iois et leurs mœurs. Le petit nombre de plantes qui
croissent dans leur voisinage , purifient le sang et
sont ainsi 'précisément «appropriées à leurs besoins.
Slô LITRE
L'atmomb^e' est leUeiBttit dégagée de pnncipes
morbifiques , qu'elle s'oppose à la putréÊic^on même
dans les corps morts, et qu'elle prolonge la vie de
tous les èttes. Les ammaux venimeux ne peuvent
supporter un froid si rigoureux , et les hommes
oiKt, pour se défmére dea insectes qui les entou«-
rent, la fumée de .leurs, foyers ^ un long hiver et
leur insensibilité naturelle. Cest ainsi que la nature
départit ses compenâalions et qu'elle agît avec sa-
gesse dans ses œuvres.
Après avoir décrit ces premiers peuples, il
n'est pas nécessaire d'enti'er dans de semblahles
détails pour ceux qiii leur ressémbleiat Les Esqui-
maux de l'Amérique sont les frères des Groenlan-
dais, tant par leur langage que par leurs mœurs;
mais) comme ils languissent sous l'oppression des
AmérîcailiiS imberbes , qui les traitent en étrangers
à cause de leur barbe, leur genre de vie est en
général plus difficile et plus précaire; et même leur
sort est si rigoureux qu'en hiver ils sont quelque-
fois obligés, pour se nourrir au fond de leurs ca-
vernes^ de sucer leur propre sang 2. C'est là vérita-
blement, aindi que dans un petit nombre d'autres
parties de la terre, que l'implacable nécessité repose
sur son trône de fer, et qu'elle obUge l'homme de
1. Wilsoiiy De rinflaence du climat sur les plantes et les
animanx, et rHistoire des GroCnlandais par Crans , toI. XI.
ai. Yoj. le Relation de Roger Curtk sar les côtes de Iiabrador.
CHAPltAÊ 1.
3ll
meiiét la vie» dHih ours. Pourtant, quoi qu'il fa^^,
c'est encore rhomme; car, dans ce qui semble porter
pamii ces peuplés là phis profoiïcie etnpreinte de dé-
gradation , dH peut encore apercevoir un caractèi^e
dliaiûâotiité , si OU lés eiâmiiie âtuetilivement : la na-
ture a voulu essayer quel degré de utisère Fespèce hu-
maine pourrait suppoflet, et elle Fa mise à Fépreuve.
Les Lapons habitent Un cHmat tempéré en ôom-*
paraison de^ peuples d^ônt HôUs venoiis de parler. '
Aussi ont-ils des usages moins grossiers. La taillé^
de rhoiiime gagne en hauteur; le visage est mpi^s
rond et les traits commencent a pàrsutre plus en
saillie; les joues ^alongent; Tceil est d'un gris
foncé; lés cheveux, droits et noirs, devieûnent
roux , et Torgaàisatidn interne de l'homme prend
de fexpâiision en méine temps que sa forme externe
se devdoppe, comme le bouton d'une fteiir qui
s'épainotdt aux rayons d'un soleil plus vivifiant.^
Le montagnard de Laponie conckiit sa renne aux
pâturages , ce que ne peuvent faire ni rEsquiiûaux ,
ni le Croënlândais. C'est d'elle quil tire sa nour-
riture et sôû vêtement, la toiture de sa hutte, les
hardeë de son lit, toutes les choses qui lui sont
1.. Oit H'igiKiîé pas qae Sainô-viô a trouvé que la lai^gno des
Lapons ressemble à ceUe'deb Hongrois. Voj. Sainovio, Demenir-
tratioy idioma Ungarorum et LapponUm id^m esse, HaTn., 1770.
a. Voyez, sar les Lapons, Hœchstrœm, Leem, Klîngstedt;
dréorgi. Description des peuples de Tempire russe, etc.
5l3 LIVRE VI,
nécessaires, et la plupart de ses plaisirs; pendant
que le Groënlandais , à l'extrémité de la terre, est
réduit à tout chercher au sein de la mer. Ainsi,
rhomme acquiert un ami et un domestique dans
un animal, et par là il apprend quelques arts, et
il s'élève à une manière de vivre moins grossière.
Il s'habitue a la course, il apprend à conduire son
chariot, il reçoit Vidée de propriété et commence
à prendre goût à la possession d une chose qu'il
peut augmenter et conserver ; en même temps la
liberté lui devient plus chère, et son oreille s'ac-
coutume à cette vigilance inquiète qui est un des
caractères de la plupart des peuples de pareiUe
condition. Aijissi timide que sa renne, le Lapon est
toujours aux aguets pour fuir au moindre bruit :
ce genre de vie lui plaît, et comme l'animal qu'il
a apprivoisé , il épie sur le sommet des montagnes
le retour du soleil. Il parle à sa renne, et il en est
compris : il en prend soin comme de son -bien
et d'un membre de sa famille. Ainsi la nature a
donné à l'homme, dans le premier animal do-
mestique qu'elle pouvait faire naître dans ces con-
trées , un guide pour l'élever à un genre de vie
plus humain.
Quant aux peuples qui habitent près de la mer
glapiale , dans les déserts de la Russie , nous avons ,
sans parler de plusieurs voyages modernes assez
connus^ ime collection de dessins plus précieux
CHAPI131E I. 3l3
•
peut-être qu'aucune description*. Quoiqtie plu-
sieurs de ces peuples ée soient mêlés et presque
c(mfondus, on trouve pourtant encore une foule
de races très^iverses, toutes marquées du caractère
septentrional , et enfermant, pour ainsi dire, le pôle
nord d'une seule et même chaîne où mille nuances
VOTt se perdre. Le Samoïède a le visage rond , large
et plat, les. cheveux noirs et roides, lé corps ramassé
et sanguin du type septentrional; mais ses lèvres
sont plus épaisses, son nez est plus large et plus
saillant , et sa barbe moins touffue ; nous verrons
même qu'elle continue à diminuer dans une im-*
mense étendue de pays à l'est. Ainsi , les Samoïèdes
sont en quelque sorte les Nègres du Nord ; et quelque
froid que soit leur climat, leur extrême irritabilité
nerveuse , l'âge de puberté dans les femmes, dès
la onzième et la douzième année ^, et, s'il faut en
croire les voyageurs, la couleur noire de leurs poi-
trines et quelques autres analogies augmentent cette
ressemblance. Cependant, malgré la délicatesse et la
chaleur de leur constitution, qui est probablement
un caractère national qu'ils ont appçrté avec eux et
que le climat n'a point altéré dans son principe , ils
ont entièrement la forme septentrionale. Les Ton-
gouses, qui habitent plus au Midi, présentent
1. Georgi, Descriptioxt des peuples de Tempire de Rossief
Pétersbonrg, 1776.
3. Klingstedt, Mémoires sur les Sampïèdes et les Lapons.
5l6 LIVRE VI.
CHAPITRE IL
Organisation dés peuples qui habitent 7^
plateau de F Asie.
Comme il est vraisemblable que cette contrée
de la terre a été le berceau du genre humain, on
est naturellement disposé à y chercher la plus belle
race d'hommes. Mais combien on est trompé dans
cette atteïLte ! Les traits des Calmouks et des habitans
du Mogol sont bien connus; leur taille moyenne,
leur visage encore aplati , leur barbe claire et leur
couleur brune rappellent les peuples du Nord ; mais
ils s'en distinguent par Tangle interne de l'oeil , qui
est aigu , charnu et dans nine direction oblique
au nez; par des sourcils minces, noirs ei à peine
arqués ; par un nez court, écrasé et dUine largeur
disproportionnée dans sa partie supérieure; des
oreilles larges et proéminentes; des jambes et des
cuisses courbées ^ des deats saillantes et blanches ' ,
qui semblent, avec le reste des traits, caractériser
une béte de proie au milieu de la race humaine.
— - •
1. Voyez Pallasy sur les nations mongoles, toI. I, pag. 98,
171 ^ Georgi, vol. IV; la Relation de Schnitscher sur les Cal-
mouks d^Asie dans la Collection de Muller pour Fhistoire de
Bussîe; Schlœtzer, Extrait du Memorabilihus Russico^^tiatic.
de Schober, dans la même collection.
cHApmtE n* S 1 7
Et d'où cettô forme provient-elle? Celle de leurs
jambes s'explique par leur manière de vivre. Dèst
leur enfance, ils glissent sur leurs jambes ou se
cramponnent sur le dos d'un cheval. Us passent
leur viç, soit assis ^ soit à cheval, et ne conser-^
vent que peu de temps l'attitude de la marche,
qui seule donne au pied de l'homme sa forme
droite et élégante. Leur genre de vie ne déter-*
mine*t-il pas encore d'autres traits de leur figure?
ne faut-il pas d'ailleurs regarder comme des traits
fondamentaux 9 comme des traits caractéristiques
de leur manière de vivre, cette oreille sablante,
sentinelle toujours éveillée; cet œil petit et perçant,
qui distingue à la plus grande^ distance un grain de
poussière ou un atome de fumée; ces dents blan^
ches , aiguës; ce cou ramassé, et cette tète qui se
rejette en arrière? Si nous nous rappelons que
leurs enfans, d'après le récit de Pallas, ont fré-
quemment le visage enflé et hvide , depuis l'âge de
dix ans^ et qu'ils présentent un aspect cacochyme,
jusqu'à ce que le temps et la croissance iipportent
en eux quelques changemens favorables ; que d'ail*
leurs leur pays dans son immense étendue n'est
point arrosé par la pluie, qu'il s'y trouve peu d'eau
limpide, et qu'ainsi ils sont privés depuis leur en-
fance-dé Tusage des bains; si nous faisons entrer
en considération le nombre des lacs et des marais
salés d'un sol qui est lui-même chargé de principes
5l8 .l-ITEKTI..
acides» son ;goAt d'alcaJU par lequel ils rdèTent
oelui de leurs aliment, fit même ces flots de thé
<}ui aSaibUs^ept tchaqme jour leurs forces vitales;
si à tout cela nous ajoutons l'élévaûoa du pays
où ils demeurent, une atmosphère plus raréfiée ,
des vents secs, des exhalaisons alcalines, et de
longs hivers passés dans la fomée de leurs huttes
et au milieu de la neige que leurs yeux ne cessent
de rencontrer 1, n*est-on pas fondé à attribuer leur
figure et tous leurs traita à ces causes qui peut-être
agissaient, il y a des milhers d'années, plus puis*
sammént encore , et à penser qu'ils ont hérité par
degrés de cette nature di^tinctive 1 Rien ne donne
au corps plus de force , rien ne contribue' plus à
sa croissance et a sa vigueur, que l'habitude de
se baigner et de nager, sui^out si l'on y joint la
marche , la lutte » la course et d'autres exercices de
ce genre. Rien n'est plus propre à rafiàibUr qu$
les hqiieurs spiritueuses, dont ils font un usage
d'autant plus nuisible , qu'ils y mêlent des sels
dévorans où l'alcali domine. De là, comme Pallas
l'a remarqué^ les figures fidbl^ des Mongols et
des Burattes, qui peuvent à peine faire, entre cinq
ou six , ce qu'un Russe fait à lui seul : de là l'ex-
trême légèreté de leur corps , puisqu'ils semblent
voler sur leurs petits chevaux et naviguer sur la sur-
face du ^obe ; de là , enfin , l'habitude cacochyme
qu'ils transmettent à leurs en&ns. Quelques • unes
CHAPITHE IL 519
même des raciç$ tartares du voi^Uiaga apportent en
jialssam des traita de la farme mongole , qui dispa-
raissent avec rage» et cela parait confirmer que la
plupart des altérations qui dépendent du climat
sont plus ou moin^ enipreinte$ dans l'organisme
du peuple par son mode de vie, son origine, et
transmises ainsi héréditairement* Du mélange des
Russes ou des Tartares avec les Mongols naissent
des enfans sains et bien proportionnés , mais selon
le type mongole Ici donc la nature reste aussi
conforme à elle * même dans leur organisation :
sOus ce ciel , sur ce plateau du globe et avec de
tels genres de vie» devait se rencontrer una race
de Nomades semblables à' d'audacieux vautours.
Et les empreintes de leurs formes $e répandent
tout autour d'eux; car où ces oiseaux de proie
q' ont-ils pas porte leur vol? plus d'une fois leurs
ailes conquérantes se sont déployées sur une vaste
partie du globe. Ainsi les Mongols se sont établis
dans différentes contrées de l'Asie, et leurs traits se
sont adoucis par leur mélange avec d'autres nations.
D'ailleurs, ces expéditions guerrières ont été pré^
cédées de migrations plus anciennes, qui, de
CjQ plateau, se dirigeaient sur les terre» voisines.
Il ^9t donc probable que la partie orientale du
^ii<it i«intf«iw *^ii< mi
■
1 é PaUas , Recueils pour Pbistoire dc$ peuples mongols ;
VpjF»8«| , I , ,$o4 5 .II , çtc. '
globe jusqu'au Kamtschatkà , et en redescendant
jusqu'au Tibet et à la péninsule au-delà du
Gange y a été marquée d'abord de l'empreinte du
type mongol. Prenons une idée de cette contrée,
qui présente plusieurs phénomènes dignes de re-
marque.
La manière dont les Chinois altèreut, pour les
«mbellir, certaine^ parties de leurs corps, tient en
général du caractère mongol. Nous avons parlé de
)a difformité des pieds et des oreilles de ces peuples;
il est probable que c'est ce défaut naturel qui , aug-
menté par un goût faux et grossier, a donné à la
plupart des peuples ide ces contrées Vidée de resserrer
les pieds, et de distendre les oreilles outre mesure.
Honteux d'abord de la laideur de leurs formes, ils
tentèrent de les changer peu à peu , et assez heu-
reux pour réussir sur les parties qui cèdent a la
, fraction , ils finirent par se faire à eux-mêmes un
type hideux de beauté , qu'ils transmirent à leurs
descendans. Autant que cela peut s'accorder avec
l'extrême variété de leurs provinces et avec leur
mode de vie, les Chinois ont tous les traits de la
forme orientale, qui n'est nulle part plus pronon-
cée que sur les hauteurs du Mogol. SeuleiAent un
climat différent a donné des formes moins heur-
tées et des courbes plus adoucies à un visage plat,
a des yeux petits et noirs, à un nez massif, à une
barbe hérissée, clair-sémée^ et le goût des Chinois
CHAPITRE 11, 5a l
résulte sans doute de rimperfection de leurs organes
et de leurs traits, de même que la servitude et Fétat
grossier dans lequel il$ vivent, sont des consé^
quences de la forme de leur gouvernement et de
l'ensemble de leurs doctrines morales. Les Japo-
nais, qui doivent leur culture à la Chine, mais qui,
selon toute apparence, sont d'origine mongole*,
sont presque tous mal faits , et ont la tète grosse,
les yeux petits, le nez épaté, les joues plates, peu
de barbe , et généralement les jambes arquées. Le
système de leurs institutions politiques et morales
repose sur Une foule de liens et d'entraves que ne
pourrait supporter tout autre pays que le leur.
Une troisième espèce de despotisme règne sur le
Tibet ^ dont la religion s'étend au loin dans le fond
des déserts.
' Dans la péninsule^ au-delà du Gange la forme
orientale suit la chaîne dès montagnes, comme les
peuples en ont probablement aussi suivi les con-
— i— — — t— — ^^1 ■ Il I I p.l ■ Il» I 111 !■ i— — ,*
1. AUgtm,, Samml. dtr Reisen , vol. II, pag, SqS } Char*
leyoix. Voyez sur les Chinois le Voyage d'Octave Torée à
Surate et en Chine , pag. 68 j jillgem, Samml. der Reisen ^
Toi. VI , pag. i3o.
3« Dans les relations les plas anciennes on représente les
Tibétains comme des peuples difformes; Toyez All^» Reisen,
-roi. VII, pag. 399. Suivant les descriptions plus récentes
(Pallas, Nord, Beitr&^e^ B, /^f S. 380), iU sont mieux pro-
portionnés dans la partie de leur pays où le diniat. est plus
faTorahle, et paraisssat se rapprocher d« la forme IndoiM.
I. ai
i:24 liTRE rt
Ainsi c'est dans une immense étendue de pays
que se développe la forme orientale , partiellement
modifiée, défigurée, mais partout plus ou mmns
dépourvue de barbe, et la diversité que l'on remar-
que dans les usages et les langues des peuples de
cette contrée suffît pour attester qu'ils ne descen-
dent pas d'une seule et même souche. A quoi donc
attribuer ce type bizarre? Qui a pu, par exemple,
amener tant de nations à trouver dans la barbe un
sujet de querelle, ou à étendre outre mesure la lon-
gueur de leurs oreilles , ou à sç percer le nez et les
lèvres? Je crois qu'il faut en chercher la première
cause dans une difformité originelle , qui , pour se
déguiser^ emprunta le secours d'un art encore gros-
sier, et finit par établir^ une coutume héréditaire»
Cette dégénération commença par attaquer les che-
veux et les oreilles, avant d'atteindre la structure
même du corps ; de là elle s'étendit aux pieds , de
même qu'elle avait altéré d'abord les derniers con-
tours du visage. Quand. la généalogie des nations,
l'état et les propriétés de cette immense contrée,
Joamftl d^nn Tojage de découvertes , traduit en allemand par
•
Forster, pag. 33 1. A cela on peut ajouter les anciennes re-
lations sur les lies situées entre PAsie et TAmérique. Vojes
Belations nouTcUes sur les lies dernièrement découTertes j
Hambourg et Leipsig, 1776 (en allemand). Les observations
de Pallas sur le Nord, la Collection de MoUer et les £ssais
«nr les pajs 9% Iss pciaples» etA.
eHAPIfRE 111. 525
et plus parllbalîèreineiit lés phénomènes physio-
logiques que présentent ces peuples, auront été
l'objet de recherches plus attentives, nous aurons
infailliblement quelques idées nouvelles sur le sujet
qui nous occupe ; et Pallas , à qui les traits dis«
tinctifs de tant de nations sont si bien connus, ne
sera-t-il pas le premier a nous donner un SpecUe-'
gium anthropologicum?.
CHAPITRE m.
*
Régions des nations bien organisées.
Aux pieds des hautes montagnes qui l'enferment
de toutes parts , s'étend , comme un paradis caché ,
le délicieux royaume de Cachemire. Non moins
fertiles que riantes, ses collines sont adossées à des
montagnes qui s'élèvent en édielons , et dont les
sommets, couverts d'une neige étemelle, vont par
degrés se perdre dans les nuages. Là coulent à flots
limpides une foule de ruisseaux et de rivières : la
terre, parée d'arbrisseaux, offre partout des fruits
savoureux qu'aucune main n'a semés ; revêtus d'un
manteau de verdure, les jardins et les îles sont ani-
més par les troupeaux des bergers qui s'étendent
sur une immense pelouse ; et pas un animal veni-
meux, pas une béte féroce ne troublent cet Éden.
Ces lieux, que l'on peut^ comme dit Bemier, àp-
526 Ll\KE Yh
peler les montagnes de rinnbcence,^ portent avec
eux le liait et le miel ; et les hommes qui les ha-
bitent ne sont point indignes d*un tel séjour, puis-
que les peuples de Cachemire passent pour les plus
sages et les plus ingénieux des peuples de Tlnde;
également &its pour exceller dans la poésie, dans
les sciences, dans les arts et les manufactures, les
hommes se distinguent par Télégance de leurs
formes, et les femmes sont le plus souvent des
modèles de beauté. ^
De quel bonheur eût pu jouir Tlndostan, si les
peuples étrangers ne s'étaient pas accordés pour
désoler ses délicieuses retraites , et pour courber les
plus innocons des êtres sous le poids de la. tyrannie
et de la superstition ? Les Indous sont les pliis bien-
veillans dés hommes : ils ne font volontairement de
mal à rien qui respire ; et leurs innoeens repas ne se
composent que de lait, de riz, de plantes et de fruits
indigènes. Leur taille, dit un voyageur moderne',
est élancée, svelte, élégante; leurs membres sont
bien proportionnés , leurs doigts longs et doués
d'une grande délicatesse ; ils ont l'air doux et ouvert
Les courbes les plus harmonieuses s'unissent dans
les traits des fenimes; ceux des hompies ont un
caractère à la fois mâle et tendte : leur attitude et
I. j^llgem, Eeisen^ vol. XI, pag. 116 et 117) Bemier.
9. Maddntoslk^ Travels^ yoL I.*', paç. %%i.
CHAPITRE III. 537
tous leurs mouvemens sont pleins de grâces et
d'altraks. Difformes ou raccourcies comme celles
des singes dans toutes les contrées du Nord, les
jambes et les cuisses sont marquées chez ces'
peuples du caractère de la beauté humaine. Et
même la forme mongole^ dont ils dérivent, dis-
parait pour faire place à une figure plus noUe et
d'une expression moins grossièi^ Le caractère de
Jeurs Ê[g)altés morales s'accorde avec la conforma-
tion de leur corps , lorsqu'ils échappent au joug de
l'cssclavage ou de la superstition. Mais toujours ils
se distinguent par la modération et la patience quils
conservent sous diverses tyrannies, par les seniipsens
affectueux et les douqes méditations qui^ mêlés k
leurs travaux et à leurs plaisirs , font le charme de
leur Qiorale, de leur mythologie et de leurs arts.
Heureuses contrées! pourquoi vos haHtans ne vi-
vent-ils plus sans inquiétude et sans douleur, au
milieu de vos plaines riantes?
Les anciens Persans étaient de hideux monta-
gnards , dont on peut voir les débris dans les tribus
des Gaures ^ Mais comme il ne se trouve peut-être
. — ;.: ^ —
i- Chardia, Voyage en Perse, toI. III, chap. XI. Dans
Lebrun, Voyage en Perse, vol. I.*% chap. XLII, n.** 86 — 88,
on trouve des dessins de Persans que Ton pent comparer avec
ceux des Noirs qui suivent immédiatement, n.^* 89 et 90 ^
Avec les Samoi'édes encore barbares, chap. Il, n.** 7 et 8, avec
les liègres sauvages du Midi, n.^ 197» et les Benjous, n.^ 109.
5a8 ; • LITRE VI.
en Asie aucune contrée qui soit plus exposée que
la Perse aux irruptions , et qu'elle eat entourée de
peuples bien organisés, les m^anges que cette si*
tuation favorisait ont produit une noble race de
Persans, qui réunissent en eux la force et la beauté.
D'un côté est 'la Circassie, où la beauté même semble
avoir fixé son séjour. Sur la rive opposée-de 'la« mer
Caspienne habitent des peuplades tartares, dont les
formés déjà perfectionnées par oet heureux climâi,
se répandent en foule dans le Midi. Sur k droite
est rindosun, d'où sortent les femmes qui, avec les
Gircassiennes, ont épuré le. sang des Perses. Leurs
«entimetis même ont pris la teinte de cette bontrée
£dte pour ennoblir ses habitans ; car l'intelligence
prompte et pénétrante des Persans, leur imagination
vive et fertile, la souplesyse et la courtoisie de leurs
•manières , leurs penchant à l'oisiveté , à k magnîr
ficence et aux plaisirs , leur disposition à l'amour
romanesque, telles sont peut-être les qualités prin«
cipMes qui établissent l'équilibre dans le caractère
et la physionomie. Au lieu de ces orneûiens bar-
bares que des nations grossières ont inventés pour
cacher leurs difformités qrfils augmentent, d'aima-
bles coutumes relèvent la beauté de leurs formes.
Le manque d'eau oblige lés Mongols de négliger
la propreté du corps : Tlndou s'amollit dans les
bains; le Persan s'entoure de voluptueux parfums.
Le Mongol s'assied sur ses talons , quand il ne se
chàmtre iil 339
précipité pas sût son cheval : Ilnclûa se repose avec
langueur S«r de riches tapis. Le Persan romanesque
pai^age son tettips entre le jeu et les plaisirs; il teint
ses sourcils, et s'enveloppe d'un vêtement qui sem-
ble favoriser le développement de la taille. Formes
dégantes f doux équilibre des passions et des facul-
tés morales! que- ne vous répandez-vous sur toute
la surface du globe? ,
Déjà nous avons fait cette observation , que quel-^
ques races tartares^ appartenant originairement aux
nations bien organisées de la terre, n'ont dégénéré
que dans les contrées septentrionales , ou dans les
déserts. C'est sur les deux bords opposés de la mer
Caspienne que l'on trouve les plus belles formes.
Suivant les descriptions, les femmes Usbecks^ ont
de. la grâce et une taille élégante ; elles accompag)aent
leurs époux au combat: leurs yeux, disent les voya^ v
geurs, sont grands, noirs et pleins de charmes;
leurs cheveux noirs et ondoyans : les hommes ont
dans la* figure une sorte de dignité imposante. On
.dit les mêmes choses des Bukhares; et la beauté des
Circasstennes , leurs sourcils épais et arqués, leurs
yeux noirs et brillans, leurs fronts unis , leurs petites
baudies, leurs mentons arrondis sont généralement
connus et vantés 2. Nous pouvons supposer que c'est
1. jéUgem. Reisen, vol. VII, pag. 3i6 — 3iB.
3. YoyeK- quelques dessins par I^ebrun, Voyage au Lerant,
Tol. L", chap. X, ».•• 34 — 37.
35o LITRE yu
là que repose, comme s^r son centre, latiakuce de
la figure humaine, dont les bassins s'étendent à l'est
et à Touest, à Tlndôstan et dans la Grèce, fleureu-
sement pour nous, l^EurOpe n'est pas à une trop
grande distance de ce centre d^ formes élégantes ;
et la plupart des nations qui liabitent cette partie
du globe, ont habité ou lemement traversé les pays
situés entre la mer Caspienne et le Pont-Euxin* Ce
qu'il y a de certain, du moins, c'est que nous ne
sommes pas les antipodes de la région des beUes
fin*mes.
Toutes les nations qui ont fait des irruptions
dans cette contrée, et qui s'y sont arrêtées, ont
adouci leurs traits. Hideux et contreËiîts dans leur
origine , les Turcs ont peu à peu perdu leurs diffor-
mités et se spnt rapprochés d'un type plus régulier,
quand, après avoir conquis dans leur voisinage
d'immenses territoires , ils ont eu pour esclaves des
peuples dont l'élégance a modifié par degrés leur
nature. A cette influence il faut ajouter celle du Ko-
ran, qui leur fit une loi desablution3, de la propreté,
de la sobriété, et autorisa la volupté et la mollesse
de le^rs amours. Les Hébreux, dont les ancêtres
descendirent également des hauteurs del'Asie et qui
menèrept une vie errante, soit en Egypte, soit
dans les déserts d'Afrique, semblent conserver
l'empreinte de la forme asiatique jusque dans ces
débris dispersés qui étonnent encore nos régies;
CHAPITRE III. 35 1
€t pourtant dans les étroites limites de leur patrie
et sous le joug d'une loi oppressive, ils n'ont jamais
atteint ce type idéal de beauté qui, pour se dé-
"velopper, exigé une vie plus libre et plus facile.
Les Arabes ne font pas exception à ce que nous
venons de dire ; car bien que la nature ait »plus
fidt dans leur contrée pour la liberté que pour la
beauté, et que ce ne soient ni le séjour des dé-
serts ni les habitudes nomades qui produisent les
meilleures ibnnes^ toutefois ce peuple brave et
intrépide est en même temps bien conformé.*
Nous aurons bientôt occasion d'examiner quelle
fut l'influence qu'il exerça sur trois parties du
monde.
Enfin, la perfection de la forme humaine a trouvé
6ur les côtes de la Méditerranée ^ un asile où elle
a pu s'unir à Tintelligence et révéler à la pensée
aussi bien qu'au regard, tous les charmes du ciel
et de la terre. N'est-ce pas nommer la Grèce, dans
ses trois divisions, l'Asie et les iles, là Grèce pro»
prement dite et les rivages de l'Occident ? Le doux
souffle des zéphyrs caresse la tige transplantée par
degrés des hauteurs de l'Asie, et partout c'est la
■"■■'"■ ■' ■ . . ■ Il I ■ . ■ ■ ' ■
I. Voyez-en des dessins dans Niebuhr, vol. Il j et dans les
Voyages de Lebrun dans le Levant, n^^' 90 et 91.
a. Lebrun, Voyages dans le Levant; Choisenl - Gouffier ,
Voyafe pittoresque , et surtout les Débris antiques de IVrt
grec.
552 UVRE TI.
yne qu'il répand. Le temps et les circonstances la
fevorisent, ils Taident à développer ses sucs, et la
marquent d'une empreinte de perfection qui au-
jourd'hui encore excite une admiration - univer-
êelle pour les chefs-d'œuvre de l'antiquité grec-
que. C'est là que l'on imagina et que l'on réalisa
des figures que jamais n'eût inventées ni l'ad-
inirateur des beautés de Circassie, ni l'arûste des
empires de l'Inde et de Cachemire. La forme
humaine s'est élevée sur le sommet du mont
Olympe, et elle s'est elle-même revêtue de la
beauté divine.
Je ne continuerai pas à errer plus long-temps a
travers l'Europe ; tant de formes , tant de mélanges
s'y rencontrent ; elle a modifié de tant de manièreî
sa nature par l'art et la culture , que je ne sais oà
puiser quelques remarques générales sur les naûons
bien organisées qui se sont mêlées et confondues
Mr son sol. Il eSt plus à propos de rejeter un coup
d'oeil en arrière sur les confins de cette partie da
globe que nous avons visitée , et de nous disposer ,
après une ou deux observations , à l'étude du Nègre
d'Afrique.
Et d'abord, ce qui frappe ici tous les esprits,
c'est que le pays des peuples remarquables p^r la
beauté de leurs formes , est situé dans la partie qui
occupe le milieu de la terre , comme ime beauté
harmonique également éloignée de deux extrémeSb
CHAPITRE m, Si 35
■
iiliomme n'a pas à endurer le froid perçant des
Samoièdes, ni les vents brûlans et chargés de sels
du Mogol. D'une autre part, il n'est pas non 'plus
exposé à la chaleur dévorante des déserts et des
sables d'Afrique , ni à Thumidité ou aux change*
mens rapides du climat américain; ce. ne sont nî«
les montagnes énormes de réquateur, ni les pics
glacés des régions polaires. D'un côté, cette con-
trée est aéfendue comme par un mur, par les
hauteurs de la Tartane et du Mogol, pendant'
que de l'autre elle est rafraîchie par la brise de la
mer. Les révolutions des saisons sont régulières ,
sans être brusques comme aux terres equinoxiales :
et si Hippocraie a observé dans son temps, qu'une
heureuse régularité dans les saisons parait avoir une
très-grande influence sur les passions physiques ^
qu'elle tempère, il est certain qu'elle n'en a pas moins
sur les idées et les impressions morales. Le Tur-^
coman , fameux par le pillage , prend dans les dé-
serts et les montagnes , où il se plaît à errer , un
aspect hideux qu'il conserve sous le climat le plus
doux : quand il vient se reposer en paix , et qu'il
partage sa vie entre de plus doux plaisirs et dés
occupations qui le mettent en rapport avec des
nations mieux civilisées, ses trai^ et ses habitudes
reçoivent peu à peu la même empreinte que celle'
de ces peuples , et il finit par leur ressembler isn«
ûèrement. Les harmonies du globe terrestre n'opt
554. LIVRE Tl,
été calculées que pour de paisil^Ies jouissances ; et
c'est par elles seulement que la beauté se commu-
niqué à l'homme et s'incorpore à lui.
En second lieu, ce ne fut pas un fiable avantage
pour l'espèce humaine , que d'avoir commencé sa
carrière dans la région la plus remarquable par la
perfection des formes, «t surtout d'en avoir tiré
les élémens principaux de sa culture; comme la
divinité nt pouvait pas établir sur toute la terre
une beauté partout égale , elle a permis du moins
que le genre humain à son début reçût en passant
l'influence lente et profonde d'un climat Êivorable ,
avant de paraître dans quelque autre contréje. Ce fiit
en vertu d'un seul et même principe que les nations
qui/ont excellé par leur forme , ont eu une action
extérieure à la fois si puissante et si heureuse; car
k nature donnait à leur pensée cette activité et
cette vigueur native propres également à embellir
leurs corps par l'exercice et à concourir au bien
des peuples étrangers. Les Tungouses et les Es-
quimaux restent éternellement assis dans leurs-
tanières 9 sans s'inquiéter en rien des nations voi-
sines, amies ou ennemies. Le Nègre n'a rien in-
venté pour l'Européen ; jamais l'idée ne lui est
venue de perfectidnner ou de conquérir l'Europe.
C'est de la région des peuples bien conformés
qu&nous avons tiré notre religion, nos arts, nos
sciences, tout l'ensemble de notre culture et de
CHAPITRE lY. 555
notre humanité, quelle qu'elle puisse être. C'est
dans ses étroites limites que tout ce que rhomme
est capable de faire et de créer en quelque sorte,
a été inventé et exécuté, au moins dans ses pre-
miers commencemens ; l'histoire de la civilisation
prouve suffisamment cette vérité, que d'ailleurs
notre propre expérience confirme. Habitans du
nord de l'Europe, nous serions encore incultes
et barbares, si le souffle du destin ne nous eut
envoyé quelques fleurs de ces climats , pour par-
fumer nos plantes sauvages et pour embellir la
tige qu'elles protègent.
CHAPITRE IV.
Organisation des peuples de F Afrique.
Au moment d'entrer dans le pays des Noirs^^
c'est un devoir pour nous de laisser de ooté nos
orgueilleux préjugés, et de considérer l'organisa-
tion de celte partie du monde avec autant d'im-
partialité, que s'il n'en existait pas d'autre. Gomine
la blancheur est une marque de dégénération dans
plusieurs animaux voisins du pôle, le Nègre n'a
pas moins de droits à traiter ses sauvages oppres-
seurs des noms flétrissans d'Albinos et de démons
blancs, que notis, à le prendre pour l'emblème du
mal, et pour un descendant de dbam, déshonoré
S56 LIVRE VI.
par la malédiction de son père. C'est moi, pour*
rait-il dire, c'est moi, qui suis Thomme ori^el.
J'ai recueilli à là source de vie, au foyer du so-
leil^ ces empreintes profondes; c'est sur moi et
sur tout ce qui m'entoure, qu'il a agi avec le plus
d'énergie et d'intensité. Voyez mon pays 1 que ses
fruits sont savoureux, que son or est précieux et
abondant ! Voyez la hauteur de nos arf)res , la Sorce
de nos animaux ! Ici la vie fourmille dans chaque
élément, et le centre de cette activité vitale repose
en moi. Voilà ce que le Nègre pourrait dire. Péné-
trons donc sans aucim sentiment d^orgueil dans la
contrée qui lui a été destinée.
Près de l'isthme qui joint l'Afrique et l'Asie, je
découvre un peuple singuUer, les Égyptiens. Gros,
forts , massifs (car il faut rapporter à l'influence du
Nil leur corps replet et charnu), lé teint cuivré,
ils sont sains et robustes , tempérans et remarqua-
bles par leur longévité. Tout indolens qu'ils soient
de nos jours, ils ont été jadis diligeiis et laborieux;
car il n'y a qu'un peuple ainsi organisé^ qui ait pu
donner à ses arts et à ses établissemens ce caractère
gigantesque qui nous fmppe d'étonnement diez le»
anciens Égyptiens, et qu'une nation d'une nature plus
délicate ne pourrait que diflScilement reproduire.
1. Voyez leurs statues antiques, leurs momies et les pein-
tures dont ils les ornaient.
Nous n'avons ' que très-peu de données sur les
habitans de la Nubie et des pays qui se prolongent
au-delà dans l'intéiieur de l'Afrique : si cependant
nous |>ouvons ajouter foi aux communications pré-
liminaires de Bruce', on ne trouve pas une seule'
irace de Nègres dans toute l'étendue de ce vaste
plateau; ils se retirent vers les côtes orientale et
occidentale de cotte partie du monde, là où le sol
est moins élevé et la chaleur plus forte; et même,
dit-il, les montagnes tempérées et pluvieuses qui
bprdent l'équateur ne sont peuplées que d^hommes
Jbkncs ou cuivrés. Quelque digne de remarque que
ce fait puisse être pour expliquer la couleur des
noirs, il prouve surtout que la forme de ces tribus
(et ceci rentre dans notre pensée) va se perdre par
degrés dans celle des Nègres. On sait que les Âbys^
siniens descendent des Arabes, et que ces deux
nations but eu entre elles defréquéntes et delongues
relations : pourtant, si nous pouvons en juger par
les Caisses de Ludolf et d'autres^ , combien les
traits des premiers ne sônt^ils pas plus grossiers
que ceux des AraJies, ou des' peuples de la haute
I. Bnfibn, StippUmcns k rhinoire naturelle*, t. IV, p. i^^^,
JLiobo assure que les Noirs de ces pays» loin à^étte hideux et
stupidesy sont au contraire industrieux, délicats, et ne man-
quent pas d'aune sorte de goût. (Kelation historique d^Ahysstnie,
p. 85.)
3. Ludolf, Hist. Mifyùp,
I. 33
y
3S8 LlFItE;TI* .
Aàie. Ils se napproahBiu ^flè ceux des Nègres, qaol"
que de icm, et la grande VJiriélé -d'un âol' que
partage une suiiie de moMUgnes ei de plaines, de
brusques alternatives de chaleur ^ de froid 9 1'^^*
deur du soleil , la violence des tempêtes, tout cela ,
si on y ajoute uiie foule de^ causes dîfiirent^ de
ces premières,' panât suffire .pour expliquer les
traits rudes et mélangés des habitans. Dans une
contrée ainsi variée on ne peut manquer de ren-
contrer une race d'hommes égalemenc variée, et
dont les caractère, principaux s'ont une extrême
sepsualtté, une vie longue, et je ne sais quoi d'exa-
géré et de dégradé dans le caractère de chacune
des parties de la figure. Mébnge barbare de pga-
nismé et de chiîstiani^me, de douceur et de ru-
desse, de liberté et d'esclavage, le gouvernement
des Abyssinien! et l'état de leur civilisation sont
en harmonie avec leur figure et arec la nature du
pays quiis habitent.
Dte même , nous n'avons qu'um idée trop impar-
finte des Bérébères ou Brébères, pour pouvoir nous
en foitner une opinion, arrêtée. C«st à leur séjour
sur le mont Atlas, et à leur vie intrépide et active^
qu'il Ëiut attribuer ces belles proportions, cette
légèreté et cette ôexibilhé qui les distinguetit des
Arabes ^ Us n'appartiennent donc pas plus à la race
y ■■*
1. Hœst, JYachrichten von MarokOf p. iSa» ^4* > ^^
nègre , <|Uç ks Matur/te » ^qui ont &k6ré le ty|ie arab«
doDt ils descendettt » p^r jkiH: inélange avec d'autre»
muons. Sctob h& observations récentes d'un voya-t
geiir>,:ce p^pltf eit reniarquaMe par sa beauté»
la ^déUcfttesss de ses. traits , son nsagB ovale, ses
grands yew iétincelasifs , son nés alongé et bieà
dessiné, et ses longs cheveux noirs <}ui tombent
m nombre«ix anneaux ; ainsi y bien que situés wa
milieu /de l'Afrique, ib reproduisent la forme asîa*-
tique.
La race nègre commence ^ a proprèmient parler,
sur les boicdsdes fleuves d^ Gambie et du Sénégal:
mais elle passe par des transiûoos ghiduées^ Les
. Jaloles ouYolofs n'ont point» comme lëKègre ordi^
saire, les lèvres épaisses et le neziépaié. En eom**
pctraison* des Mandingues et des Nègres placés fkl^s
au sud, ils sont, avec le peuple plus petit et plus
^^le des . Fonlahs^ qui, suivant quelques récicS)
passent leur vie dans la plus douce insouciance ^
au miUeudes danses et des jeux, de vi!^b modèles
de beauté. Rien. ne manque aux proportions de
leur corps; leurs cheveux sont {dutôt lisses que
cotonneux } leur air ouvert n'est pas sans élégances
Ainsi , les lèvre» épaisses et le nez épaté du Nègre,
qui se retrouvent dans une immense variété db
■■■'■■■■ ■ I ■ I ■'! ■ ■ ■- ■< Il ■—
1. Relatioa de Schott sur le Séoégal dans les Beitrà^e xur
lyôtktr^ und Lunderkunde, i." part. , pag. 47- "
^ 1» Idem, p. 5o.
B4o UTKR yit
petites Batibos de la Guinée ^ duLoangOy <la Congo
et de l'Angola, ne commencent à paraître qu'au-
delà dn Sénégal. Dans le Congo et TAngola, par
exemple, la couleur noire de la peau s'éclaircît
et devient olivâtre, les cheveux crépus roussissent,
l'iris de l'œil prend une teinte grise, les lèvres sont
moins épaisses et la taille diminue de hauteur. Dans
le Zanguebar, sur la côte opposée dé l'Afiique,
nous retrouvons avec la même couleur ôHvâtre
des hommes d'une taille plus élevée et mieux pror
portionnée. Enfin , lès Hottentots et les Cafres sont
placés entre la forme nègre et une autre à laquelle
ils servent de transition. Déjà leur, nez n^est plus
aussi épaté, leurs lèvre$ ne sont plus aussi saillantes;
leurs cheveux tiennent le milieu entre la laine da
Nè^e et les cheveux des autres peuples : leur teint
est cuivré; ils ont à peu près l^ même iaiUe que
Ub Eun^>éens, mais les mains et. les pieds plus
petits ^ Si nous connaissions celte fqvle de nations
qui, répandues au-^elà de ces régions arides , dans
l'intérieur du pays jusqu'à l'Abyssinie , « habitent ces
eontr^s favorisées où il parait que la force, la
fertilité, la beauté, les arts et la civilisation sont
réunis, nous pourrions remplir, dans' cette partie
du monde, le tableau de l'homme, sans y laisser
probablement un seul. vide.
t. Voyages de Spannann.
CHAPITRE IT. S4 1
Mais , qae nous sommes loin de posséder un
nombre suffisant de rensêignemens authentiques
coneernani cette contrée! à peine connsissons-nous
ses côtes; le plus souvent nous ne nous sommes
avancés qu'à «me portée 'de canon. On ne cite pas
un stvl Européen moderne qui ait traversé Tinté-
liéur dé l'Afrique ^ ce que font fféquemment les
caravanes arabes ' ; et tout ce que nous en savons,
nous le tenons de la bouché dés N^res ou des
récits surannés de quelques avratiiriers^. Quant
auxr nations que nous p^nirrions connaître, lès
Europiéens lea regardent avec trop d'indiâerence
et de dédain), pour étudier dans de malheureux
esclaves les variations de la forme nationale. Il|
les iraheht - co'çime de viles hétes de sommé, et
quaind ils lès afebitent^ c'est à leurs dents qulU
les distinguent. Un missiopnaire Morave^nefos a
transmis à lui seul d'nné autre pai^tie du monde des
rensêignemens plus exacts sur les Nègres,. que tous
les voyageurs qui ont infesté les côtes d'Afrique.
Si une société de voyageurs doués de la pénétra-
tion de Forster, ^ la patien<ie de iS^rmann et
1. Schoit, JUUtioa do Sénégal» p. 49 et So.
• a. Vojez ZimmermaiiB , Gomparaisoïi des pays coni^as et
inconnua dans l^histoire géographique de ThommSi. Uv^JH»
pag. io4*
3. Oldendorp, Histoire • det mtMions d4 Salat-TbomM.»
pag. 37^0 et sair.
/
I
de Téi^iditMfi de l'îui et.de l'auuref «eoon^ri&m
k vmtev ce pays à peine découwit, quelles heu-
relises eaiH|ttèica ne &rmt 'po& k science de l'homsGie
et de la salure l Sans- doute le ppemijer résidftat se*
faîi de démontrer que ce' que Vem. irkeome.dbs
JKiigda ei des Aufiocapod^caniiibal^a est esagéré;» quand
m retend à t^mlis les xrihw de Tuitâ^t de l-^U&i*
qiue. Il parait que lés lagas* sont un peuple misteet
pillard, miioitaitific^Uey c^i». cdsnpMée des. rebuts
de celles qui rentoureni^ ne vit que de Jmgandage
etdepuis Icong^teaspsi s!est|faiteii des usage&bairbafts. ^
Jjes Aûsîeioiis sont de& moniagnards & prcAatA^nrat
les Mottgob etlesr'Calmoiufcs deiocMie ^ooiitrée; mais
|jlfut^etre CQsnlnen de naéona Vivent heiirenses et
pacifiqme an' pied^^desi œonbgnes do la lotte} Les
Bnrppéens ne. sânt>pi»'digpes dd ooi^ëmpler-leiir
jboidicut; /car it est impjœdônnaUe.k cnrûnequ^ils
suit éonntis et qu'ils eonttBiaênt à^coniHiettre de^
¥aat cette partie du. globe; ii^Arabe; eotmnerçant
tmi^èrké en>pnix eei pays indeacmiis^ et^y aibndé
axt loin des cblontes^ ' '
.' Mmi j'oublie ^ps ^^m à pèrl^d&t la fibrine nègre»
eiv. tant qu'une des organisationsoe la race humaine;
et il serait à^sirer qpoies^'mt«iralii»tés»' eussent étu-<
cfiê toutes les variétés dé liotre espèce avec autant
«I • *f i - ./ Il « •■■ »■ j
1. Histoire de Loango, du Congo, par Proyart ;-Xfc4pttCt
%^e. iÀ i««d«Gtl6o »)l«Biârtfd« «fit H-flgifteBtée^xDm BecàeH do
rd» tiens préciçuçes $^r I«s Jagoa. v .•■* " •
CHAPITRE W. 543
d'aiteftriôn <{ue <:elie qui 9011s' occupe.- J^âudique
ici quelques-uns de$ résultais <JU leurs observa**
lions. .
i«.La couleiH*' noir^ du Nègre n'a rien en elk^
même qui soitfl^lus éionilant <)ue la teinte blanche »
|)ritiie^ jaiâie c^ti rouslse <)es autres p^isiplesk Ce n'est
ni. le éSLJB^j xi le e^l^y^aut^ ni le fluide. séminal du
Ifègre qui eét noirj c'est le^réseai;^ mnqUeuK é^tk*
du sous la peau^ <|ui ]{io«ts e^t commuli ^tpus^
et qj blême es! n<>us est plus ou moins doloré^
au moins dans queIq«KS parties, et dans cerlainee
circonstanees. C'est c^ que Camper a démotitréS
et selon lui nous avans tous la capaeité de devenNf
noirs. Au milieu même des glaces des SîimaLjède^
nous avons remarqué lâ^ teinte noirâtre du sein> deis
femmes; le g.ermê de la noii^ceUr du Nègre ne poi*-
vait pas se développer davantage .sous ce climatir .
2. Tout dépend donc des causés qui peuvent le
produire au dehors, et l'analogie nous apptenid
que le soleil et la température doiveiit y entrer
pour beaucoup; car, <|u'est-ce qui brunit notre
teint, qui établit dans les sexes une si grande diffé-*
retice dans presque tous les pays? qu'est-ce qui a
rendu , après un séjour de quelques siècles en Afrir
que , les Portugais si semblables au^ Nègres par la
couleur? et, d ailleurs ^ qu'esl^ce qui distingue par
i.CattpetV hleiAe Sehrifibn i t. I.'V p* ^4*
344 trvRE tï.
tant de nuances les races nègres dans l' Afrique
même? C'est le climat, dans là plus grande accep-
tion du mot, quand on y co^nprend la manière
de vivre et de se nourrie Les Nègres les plus noirs
vivent précisément dans le pâjs où le vent d'est ,
après avoir traversé toute Tétendue des terres,
apporte la chaleur la pluis bràlaïue. Là où la cha*
leur est diminuée ou suspendue par les brises de
la mer, le noip va se perdre dans un$ teinte cui-
vrée. Les montagnes le^ plus froides sont habitées
par des peuples blancs pti seulement hâlés; tandis*
que dans les contrées plus basses^ la couche co-
lorante de la peau est desséchée par l'action du
soleil. Maintenant y $i nous réfléchissons que ces
peuples habitent depuis des siècles cette . partie
du monde, et qu'ils s'y sont entièreo^ent satura-
lises par leur manière de vivre ^ si nous faisons
entrer en considération dîfiërentes causes dont
l'influence est moins puissante aujourd'hui, mais
qui dans leur première période, quand.vtous les
élémens étaient encore dans leur force primitive,
ont dû agîr avec une plus grande intensité; si à
cela nbus ajoutons que tant de milliers d'années
ont, pour ainsi dire, fait faire une révolution
complète à la sphère des phénomènes, qui tôt
ou tard entraîne, dans son cours, tout ce qui peut
apparaître sur la terre , nous cesserons de nous
étoimer de la couleur noire de quelques nations.
»
La nature, dans Ja progression ck ses secrètes opé*.
rations, a produit de beaucoup plus grands chan-
gemens que celui4à. ■ *
3. Et de quels moyens. s'est- elle servie pour
effectuer cette Êtible altération? il me semble que^
la chose parle d'elle^méine. C'est un suc qui colore
le réseau muqueux. Or, la sueur des Nègres, et
même des Européens , a fréquemment dans cette
contrée une couleur jaune ; la peau des Noirs est.
un tissu doux et velouté, qui n'est point aussi
compacte ni aussi sec que celui des Blancs. Ainsi ,
la chaleur solaire a tiré des parties internes un suc
qui, porté aussi près que possible de la surface du
coips, adoucit la peau et colore la membrane qu'elle
recQ.uvFe. Les maladies de ces pays appartiennent
pour la plupart au gçnre bilieux, et quand. on en,
lit les descriptions v, on ne doit plus s'étonner du
teint noir ou cuivré des habitans.
4« C'est à des causes toutes semblables qu'il faut
rapporter les cheveux, crépus des Nègres. Comme
les cheveux ne se nourrissent qu^ des sucs les plus
délicats de la peau, et qti'ils se propagent , pour
ainsi pailler, contre les lois ordinaires de la nature,
ils sont plus ou moins arrondis en anneaux, sui-.
vantJa quaniité de nourriture qu'ils reçoivent, et
quand elle leur manque, il faut qu'ils tombent.
^— ^ ■ ■ ■ ' ^■^r— — ^i^»—*- ■ I ■ I I ■ I ——1 II M»i— M^»»»—— a>— ■,
ip Schott, Obseryation» on the, fjrnockus ùiraMiosa,
•
34^ MTRE TK
Ainsi, dans TorgaÂisiition {dus grossière des ani-
maux, nous voyons leur laine se c^ngçr en pqik
crépus, dans les contrées auxquelles leur nature
n'est point appropriée, et où il leur est impossible
m
d ehborer le» snc^ €fsiïls renfermem. Fane :pour
tous* les climats, l'organôsatiou de l^omme^ an
contraire, peut c^ianger les dieveuz eu laine,
quand il y a une surabondance de cette btiile qui
donne ^ la peau sa moiteur.
5. Mais la ccmfoUnalion particulière du corps
humain en apprend plus que tout cela: c'^t ce
qui me parait évident par Fexame». de l'organisa-
tion africaine. Suivant diverses obsinratiôns phy-
siologiques, les lèvres, la poitrine et- les parties
génitales, ont entre elles des rapports intimes : et
comme la nature , d'après un seul et même prin-
cipe, a conféré » ces peuples, pour Us dédommager
des dons plus nobles qu'elle a été obligée de leur
refuser, une plus grande somme de^ plaisirs sensuels,
ceci ne pouvait manquer de fi^pper l'observateur.
D'après toutes les règles^ de la physionomie, £épsàs-
seur des lèvres indique un tempérament sensuel;
de même que des^ lèvres minces, doucem^u: €Ùn-
trées, et nucincées de termes vermeilles , passent
pour les earactèi^e» extérieurs de la chasteté et de
la délicatesse du goik> Pourquoi donc s^étosiner
qu'une naliou qui naet le suprême bonheur dans
les plaisirs des sens^ conserve dans ses formes la
CHAPITRE IT. 547
marque de cette di^osttîon? Le Nègre vient au
monde aire<^ la pcsau blanche* : les parties qui sont
les plus pixHâpies à se colorer, sont celles qui
ârvoisinent les ongles, le sein et les organes de la
génération, et Ton peut observer dans d'autres
nations, k mènîe dispositiem de ces parties à se
recribmnir. CeîB?t peu peur tfti Nègre d'avoir une
eentaine d'en&ns, et le vieillard qui n'en a que
soixant»-^ enviroiî , verse des larmes sur sa triste
destinée.
' 6. tJne <M*ganîsation si abondante en sucs et des
peB^[iah$m effténés^ pour les plaisirs sensuels ne
pouvaient n^anque» rfaltérer le profil et de défor-
mer le corps tout?tïrtier. La bouche, en s'avançant,
rend te nea: plus petit et plus écrasé, le front se
retire en Arrière, et la faee doit présenter à quelque
dÎ6f*Me* une veosémblimce mâfrquée avec celle du^
siiige. Cette conformité se retrouve dans la position
du cou, dans les parties^ voisines de Focciput et
dans la structure Ai corps, qui est fait tout entier,
liiéme le nez et 1» peau , pour une sensualité gros-
sie ^ Puisque cette partie du monde produit,
comme la région native de la chaleur solaire, les
arbres les plus touffus etle^plus abohdans en fruits^
«O»^*— ■ ' p ■ .11 I i.r ■■»■ ■ . I .,111 I ■ < «..iifi I ^ III I ' ' I ^ I I .1 I w
1. Camper a àémp-aXréy dans les Transactions de Harlem ,
que les centres de mouvement sont plus rapprochés d^^ns la,
rîégre que dans PEuropéen , et qu'yen conséquence il doil avoir
pins de souplesse çt d'àgUité,
^
\
548 ' LIVRE VI.
puisque «'est là que s'agitent en ^onle les aBÎmaux
les plus gros , les plus forts , les plus 9tcù& , et clans
certains lieux des multitudes innombrables- de sin~
ges f si bien que , dans Fair et le$ eaux , datis ' les
sables et les mers, partout fourmillent la vie et la
fécondité, U était impossible que l'organisation de
Thomme ne suivit pas, au moins datis ses parues
animales, le principe général et sim)ple dés pouvoirs
plastiques. L'intelligafice sublime qui, sous ks feux
d'un soleil dévorant, devait être refusée à. la dréa*
ture dont le sein n- enfermé que des passions bouil-
lantes, fut enchaînée par une constitution physique
qui la repousse et la méconnak» Puisque dans un
tel climat il était impossible que le. Nè^re • teçût
une plus noble empreinte , loin de le mépriser,
sachons le plaindre^ et rendre gra^é à TAutéur
de toutes choses , des compensations ^u'il^ donne
h ses enfans pour les biens qu'il leur refilée. Lé
Noir passe ses yours , exempts dé soucis , dans
une contrée qui lui distribue sa nourriture aveè
une libéralité toujoiu's nouvelle. Son corps s^e meut
avec souplesse au sein des eaux , comnf e s'il ' était
né pour cet élément Courir, gKsserV bondir n'est
qu'un jeu pouf lui. Non moins forte toi robuste,
qu'ardente et active, sa constitution supporte sans
danger les accidens et les fléaux d'un cKmat sous
lesquels succombent tant d'Européens. Que lin
font ces joies de l'ame, ces joies inquiètes dans
CHAPITRE r. 549
leur nature supérieure? elles ne ; sont point, faîles
pour lui. Celles qu'il trouve en abondance à chaque
pas, sont celles de la; matière: ainsi la nature Ta
pris sous, sa garde et a fait de lui ce qui convenait
le mieùiç tout à la fois à son pays et au J)pnheur
•de sa vie. U allait ou que l'Afrique ne sortît pas
de la création y. ou qu'il se trouvât des j^fègres pour
liabiter l'Afrique.
CHAPITRE V.
Organisation de Vhomme dans les îles
de la zone torride.
. RietL n'est plus difi^cile que de caractériser par
des traits frappans les contrées situées au sein de
l'Océan; car» comme elles sont éloignées les unes
des autres, et qu'elles ont été peuplées en grande
•partie par diverses émigrations venues de pays plus
ou moins distans , et à des époques plus ou oioins
lointaines , dles présentent à la pensée dans le ta*-
bleau de l'histoire des nations, une bigarrure toute
{Mireille à celle dont elles frappent les regards dans
une mappemonde. Cependant , ici encore, les traits
principaux ne se démentent point, au moins dans
ce .que l'on peut nommer l'organisation naturelle.
1 . Dans la plupart des îles asiatiques on rencontre
une sorte de race nègre que l'on est autorisé à
iregarder comiixe les h^^bitans les plus anciens du
S5b LIVRE VI.
pajs^ Cependant 9 suivant 1^ variétés des terreî
qu'ils occupent, ils sont plus. ou moins basamiês,
avec des cheveux crépus et cotonneux: ça el là re^
paraissent les lèvres fisses , )e ne2 é|Mité ^-ies dent»
bknches, et, ce qu'il y a de remarquabfe , la cou-»
leur même du Nègre. On trouve dans les Négril<-
Ions des îles la m^ne force, des corps aussi sains
et aussi robustes , la même apathie morale, le même
amour des plaisirs bruyans que parmi les Noirs du
continent; mais partout en proportion de la cba«
leur du climat et de leur manière de vivre.* Con-^
fines au milieu des montagnes par les invasions des
peuples étrangers, qui occi^pent aujourd'hui les
rivages et les plaines, plusieurs des indigènes sont
encore au premier degré de civilisalâon : aùssî n'â^
vons-nous sur ce qui les concerne qn'un petit
nombre de données certaines et authentiques^ ^
Maintenant, à quoi &ut-il attribuer cette ressem"
blanqe avec la forme nègre y dans des Ues si- ékH^
gûées ? Inutilement dirait - on que dans l'origine
elles ont été peuplées par des cokMiies d'Afrique;
la vraie cause est dans l'uniformité que la nature md
I *■»■•■
1^ Sprengél, Histoire des lies Pliiltppiites ; Voyage de Foiv-
Hier à Bornéo et dans, d>atres Ues,, dans les £asa» sur Les pajs
et les peuples, toI. II, pag. 67 ; Voyage de Legentîl» dans la
Collection d^Ebeling, vol. IV, pag. 70.
9. Voyages autour du monde, vol. I/% pag. 554? Leipsic,
'1775. '
I
9
CSAPITRE V- ' 5^1,
ioujourd dafl^ ses œuvres. Elles sont situées dans les
régions de rextréme chaleur, «tne sont rafraîchies
que par la bri/se des mers : pourquoi, donc les Né-
grillons ne iKFaient-îk pas dans les 41âs ce que les
IMègres sont sur le continent? Puisqu'ils sont les
plus anciens habitans de ces îles, ils doivent con-
server plus qu'aucun autre peuple l'empreinte et le
caractère du climat Parmi eux il faut compter les
Ygolotis des Philippines, un grand nombre de
tribus noires exactement semblables dans la plupart
des autres iles, et de j^us, les sauvages de la côte
occidentale de la Nouvelle -HoUande. Selon Bam-
pier, ces derniers sont les plus malheureux des
êtres; ils habitent une des contrées les plus stériles
du globe , et semblait être le dernier degré de Tes*-
pèce humaine. ^
^.,{)ans des temps postérieurs, ces îles ont été
occupées par d'autres peuples, dont ]a forme est
moins frappante ; tels sont , suivant Forster ^ , les
Béajous de Bornéo , . les Âlfores dans quelques-
unes des Mbluques , les Subanosde Mindanao et les
habitans des îles Marianes, des Carolines et d'autres
îles plus au sud dans l'Océan pacifique. On dit
qu'ib se ressemblent beaucoup par le langage , la
couleur, la figure et les usages: leurs cheveux sont
longs et lisses , et Ijss voyageurs les plus récens nous
I, Beitrûge %ur VolkerkundCf t. II » p* 238.
55a LITRE VI.
ont appris à quel degré de beauté et de grâce cette
race. est parvenue à Otahiti et dans quelques !Ies
voisines. Mais cette beauté est encore toute sei^-
suelle, et Ton peut apercevoir les dernières traces
dé rinfluence du climat sur le nez a demi épaté de
rOtahitien.
3. LesMalaysy les Arabes, lesChinois, les Japonais
et quelques autres sont venus plus tard dans plusieurs
de ces îles, et ils conservent des traces plus fr&ppantes
encore de leur origine. En un mot, de ce groupe
d'îles, comme d'une source inépuisable, sortent
une foule de formes diversement modifiées suivant
le caractère des peuples, le pays qu'ils habitent,
la durée de^leur séjour et la manière de vivre qu'ils
ont adoptée. Ainsi l'on trouve fréquemment que les
variétés les plus frappantes se touchent Tune l'autre.
Il paraît que les Nouveaux- Hollandais^ vus pr
Dampier,, et que les habitans de Mallicollo présen-
tent l'aspect le plus grossier, et qu'au-dessus d'eux
s'élèvent par degrés les peuples des Nouvelles-Hé-
brides, de la Nouvelle-Calédonie, de la Nouvelle-
Zélande , etc. L'Ulysse de ces contrées , Heinhold
Forstér^, nous a donné sur les différentes races
d'hommes qui les habitent , des renseignemens si
exacts et si précieux , qu'il ne nous reste qu'à désirer
Jmm^
I, Forster, Remarques sur son voyage autour du monde »
tooi. VI; Berlin, 1787.
CHAPITRE TI. 553
de semblables matériaux pour une géographie
philosophique et physique des autres parties du
monde ; elle servirait de fondement a l'histoire de
l'homme. Je reviens maintenant à la partie du
monde à la fois la dernière et la plus difficile.
CHAPITRE VI.
Organisation des Américains.
Il est reconnu que l'Amérique s'étend sous toutes
le zones , et subit non-seulement tous les degrés
de chaleur et de froid , mais encore les plus violens
chan'gemens de température; et cela, parce que sa
surface présente à la fois les montagnes les plus
hautes et les plus escarpées, et les plaines les plus
unies et les plus étendues. On n'ignore pas davan-
tage que, profondément morcelée par de larges
baies sur la côte orientale, cette vaste partie du
monde est partagée du Nord au Midi par une
chaîne de montagnes, et que cette disposition ex-
phque en partie, pourquoi son climat et ses ani-
maux présentent, si peu de ressemblance avec ceux
de l'anden continent. Aussi l'attention se dirige-t-
elle vers ces peuples avec cette curiosité qui s'attache
à une race d'bommes d'un hémisphère opposé.
D'une autre part, il résulte de la situation même
de l'Amérique, que celle contrée que de si puis-
I. a3
554 tIVMTI-
santés barrières séparent du reste du monde , ne
pouvait recevoir sa population de plusieurs points
difTérens. Les tempêtes et les mers brisent ses com-
munications avec l'Europe, l'Afrique et les parties
méridionales de l'Asie; et elle ne se rapproche du
vieux monde que dans' sa partie nord-ouest. Il ne
faut donc pas chercher dans les indigènes une aussi
grande diversité que celle que nous aurions d'abord
été disposés à attendre; si, en effet c'est d'une seule
et même contrée que sont venus la plupart de ses
habitans, et surtout tous ceux qui l'ont peuplée ori-
ginairement en se répandant par degrés et presque
sans mélange dans l'intérieur du pays , il est certain
que l'on doit reconnaître dans les formes et les dis-
positions des indigènes un caractère de ressemblance
presque général, malgré les variétés de climat et de
lieu. C'est ce que confirment les diverses relations
que nous avons sur l'Aniérique méridionale et sep
tentrionale; puisqu'elles s'accordent à dire que,
quels que soient la différence des climats, et les
efforts de certaines nations pour se distinguer les
unes des autres par des précautions artificielles qui
font violence à la nature, on découvre pourtant
dans la figure des peuples en général une unifor-
mité qui ne se retrouve nulle part, pas même en
Nigritie , avec des traits si frappans. La question de
l'organisation des habitans est donc, jusqu'à un
certain point , beaucoup plus facile à résoudre pour
I
CHAPITRE YI- 355
r Amérique que pour une contrée qui présenterait
plus de mélanges ; et ce sera un moyen d'en hâter
la solution , que de commencer par la partie .où il
est probable que le passage s'est effectué.
Les nations américaines que Cook ^ a visitées,
avaient, taille moyenne ^ six pieds de h^t. Elles
étaient presque cuivrées , et leur visage se rappro-?
chait de la forme carrée. Les os des joues étaient
saillaps; la barbe claire; les cheveux longs et noirs;
les membres forts et robustes; des pieds difformes^
et le coi;ps bien proportionné. Celui à qui les peu«»
plades de l'est de l'Asie' et des Ues voisines sont bien
connues, suivra sans intervalles les difierens degrés
de transition; et cette observation n'est pas fondée
sur une nation seulement, car il est probable que
plusieurs nations, et même des tribus de races
différentes, ont tenté le passage; mais on ne peut
douter qu'elles ne fussent d'origine orientale, à en
juger par leur figure, par leurs difformités même,
et surtout par leurs ornemens et leurs coutumes.
Si on explorait attentivement les côtes nord-ouest
de l'Amérique, dont nous ne connaissons que deux
ou trois ports, et si nous avions des esquisses
d'habitans aussi exactes que celles que Cook nouS
a données des chefs de Ounalaska et d'autres lieux,
1 . EIlîs , Relation da troisième voyage dé Cook , pag. 1 1 4
et suivantes.
556 LITRE VI.
il faut croire qu'il en rejaillirait beaucoup de liv
' mières sur ce sujet. On saurait si les Chinois et le»
Japonais n'ont point aussi opéré plus bas leur pas-
sage sur cette côte si étendue y et que nous con-
naissons si imparfaitement , et Ton verrait quelles
^ont les traditions qu'une nation civilisée et dis-
tinguée extérieurement par la barbe peut y avoir
apportées; que les Espagnols se joignent aux deux
plus grandes nations maritimes de l'Europe , aux
Anglais et aux Français, pour partager leur hono-
rable esprit de découvertes ^ et ils auront , par le
moyen du Mexique, les occasions les plus favo-
rables d'éclaircir ces doutes. Dans tons les cas il
faut espérer que le voyage de Laxmann aux côtes
septentrionales et que les tentatives faites du Canada
par les Anglais, nous fourniront des renseignement
aussi neufs qu'importans.
Il est singulier que tant de récits s'accordent à
représenter les nations occidentales du nord de
l'Amérique comme les plus avancées dans la civi-
lisation. Les Assinibouds sont renommés par la
beauté de leur taille, par leur force et leur agilité ;
les Kristinaux par leur vivacité et leur intarissable
babils Toutefois les meilleurs documens que nous
ayons sur ces nations et sur les Shavrenèses en gé-
néral, ne sont encore, pour la plupart, que des
I. Allgem, Eeisen, jo\, XVI > pag. 646.
CHAPITRE TI, 557
&]^es; nos renseignemens positiâ ne commencent
<[u'avec les Nadow^as. Carver> nous a tait connaître
ces derniers, ainsi que les Chepewhians et les'Wi-
nebagos ; Âdair ^, les Cliérokées , les Chicachas et
les Muskogées; nous devons à Golden, Roger et
Timberlake, la description des cinq nations t comme
on les appelle, et aux missionnaires français, celle
des tribus des contrées septentrionales. Mais au
milieu de toutes ces variétés, n'est-on pas frappé
de l'idée d'une forme dominante , qui a pour traits
principaux un tempérament sain et robuste, l'amour
sauvage de la liberté et des combats, que nourris-
sent également la manière de vivre de ces peuples,
leur économie domestique, leur éducation, leur
gouvernement, leurs coutumes et leurs occupa-
tions tant dans la -paix que dans la guerre : caractère
unique sur la terre par ses bonnes ou ses mauvaises
qualités.
D'où leur vint ce caractère? Il me parût que
cette question se résout par l'examen -des migra-
tions successives de l'Asie septentrionale et par la
nature même de la contrée où eUes ont fixé leurs
demeures. A leur arrivée, elles étaient planes d'une
intrépidité sauvage et d'une rudesse primitive à la-
quelle te séjour des montagnes, lés rochers et les
I . Voyage de Carrer dans Vintédeiit de l'Ainérique Eepteo-
trioDale.
3. Adair, HUtoîie des Indisnt américaiiu.
35i8 LIVRE VI.
tempêtes les avaient accoutumées. Après avoir passé
les côtes, quand elles eurent enfin rencontré un pays
mieux tempéré, qui se déroulait au loin devant
elles , n'est-il pas naturel que leur caractère se soit
conformé à la longue à celui de leur nouvelle patrie.
Les nations qui se formèrent au milieu de ces lacs
immenses, de ces fieuves, de ces forêts, de ces
savanûes, furent différentes de celles qui occu-
pèrent les terres nues et glacées qui vont en s'abais-
sant vers la mer. Une guerre étemelle divisa les
tribus; Les peuples se partagèrent de la même ma-
nière que les lacs, les montagnes et les fieuves
partageaient le territoire; et de là un des traits
qui caractérisent ces peuples, sous d'autres rap-
ports si paisibles et si doux , est cette haine invé-
térée qu'ils se sont vouée les uns aux autnes. De
là vint que leur éducation fut toute guerrière, et
quils recherchèrent avidement les occasions de
dévelppper leur bravoure. Leur religion est le sha-
manisme de l'Asie septentrionale, qu'ils n'ont fait
qu'approprier à leurs mœurs. L*air pur, la ver-
dure des champs et des forêts, les eaux vives des
lacs et des fleuves, ont contribué à répandre parmi
eux l'esprit de liberté et de propriété. Quelques
vils troupeaux de Russes n'ont-ils pas suffi pour
subjuguer tous les peuples de la Sibérie et du
Kamtschatka? Plus courageux, ces barbares ont cé-
dé le terrain; mais esclaves! jamais ils ne font été.
GIfAPITREYL ' 3 69
Gomme on peut ramener leur caractère à cette
cause, il en est de. même de l'habitude qu'ils ont
d'altérer certaines parties de leUr corps. Tous les
peuples de l'Amérique s'arrachent la barbe : il faut
donc qu'ils aient émigré de quelque pays où elle
croissait difficilement; car cette coutume ne leur
vient que du désir de ressembler à leurs ancêtres :
or, la partie orientale de l'Asie est précisément ce
pays. Ainsi, dans une contrée qui aurait pu lui
fournir des sucs plus nourrissans , ils avaient contre
la barbe une aversion naturelle que le temps n'a pas
diminuée, puisqu'ils en arrachent la racine aussitôt
qu'elle commence à paraître. Les peuples du nord
de l'Asie ont la tète ronde, et, en se dirigeant à l'est,
les figures se rapprochent de la forme carrée: quoi
donc de plus naturel parmi les nations américaines,
que de chercher à ne pas dégénérer, en perdant toute
ressemblance avec leurs ancêtres, et de mouler au
contraire leurs têtes sur le type originel dont elles
sont descendues? Il est probable qu'elles dédaigné^
rent la forme plus harmonieuse de l'ellipse comme
trop efféminée, et qu'elles s'efforcèrent de conserver
artificiellement l'a-spect rude et guerrier de leurs
aïeux. Chez les peuples septentrionaux on donna
à-la tête la forme sphérique, telle qu'elle se trouve
naturellement dans la partie la plus élevée du Nord«
Les uns la moulèrent en carré , d'autres la serrèrent
entre les épaules, et ainsi le climat ne put y opérer
56o LIVRE VI.
aucun changement caractéristique. Si Ton excepte
l'orient de l'Asie , dans aucune autre contrée Thom*
me n'a fait tant d'efforts pour changer ses formes,
et probablement aussi, comme nous l'avons vu,
pour conserver l'empreinte de son origine dans des
pa.ys étrangers : il est même vraisemblable que ces
nations ont apporté en Amérique ce goût artificiel.
Enfin, la couleur rouge cuivrée des Américains
peut moins que tout le reste nous induire enerreur;
car déjà les habitans de l'orient de l'Asie sont rouge-
brun, et il est probable que la température d'une
autre partie du monde, que l'usage dès parfums et
d'autres causes ont concouru à rembrunir la cou-
leur; que le Nègre soit noir et l'Américain rouge,
après avoir passé quelques milliers d'années dans
des climats différens , c'est ce qui m'étonne beau-
coup moins que si tous les peuples de la terre
étaient ou blancs ou bruns. Et même ne voyons-
nous pas, dans les animaux les plus grossièrement
organisés , les parties solides céder elles-mêmes aux
altérations qu'apportent les climats ? Or, les chan-
gemens que subissent les membres du corps dans
leurs proportions générales, sont-ils des phéno-
mènes moins étonnans que les dégradations des
teintes de la membrane colorante que recouvre le
tissu de la peau.
Après ces préliminaires , suivons dans leur route
les peuples d'Amérique, et examinons comment
' CHAPITRE VI. 36 1.
runîformité de leur caractère primitif a pu, sans se
perdre jamais , recevoir diverses modifications.
On voit par les descriptions que les américains
du Nord sont en général petits , .mais forts : les
parties intérieures du pays . sont habitées par les
tribus les plus belles et les plus courageuses. Celles
qui sont plus au Midi, dans les plaines de la
Floride, leur cèdent en force et en courage. Ce
qu'il y a. de remarquable ^ dit George Forster ^ , c'est
qu'au milieu de toutes les variétés caractéristiques
que présentent.les peuplades américaines du Nord,
dessinées dans l'ouvrage de Coot, on voit dominer
partout un type général qui m'a fr^ippé, et que
même, si ma n^émoire ne me trompe pas^ j'ai
retrouvé dans les Pécherais de la Terre de feu.
Nous n'avons. que très- peu de relations çur. le
Nouveau -Mexique. Les Espagnols ont trouvé les
habitans de ce pays bien vêtus, industrieux , pro-
pres, ^eurs terres cultivées avec soin et leurs villes
bâties en pierre. Peuples infortunés! qu'êtes vous
devenus , depuis que vous ne vous êtes pas défen-
dus sur vos montagnes comme los brai^os génies.
Les Indiens Âpaches se. sont conduits en hommes
courageux, que les Espagnols n'ont- jamais pu sou-
mettre; et avec quels éloges Pagès^ ne parle-t-il pas
des Chactas et des Tégas !
1. Gœtting. Magaziiif l'jSS f^S. gag.
a. Pages, Voyage autour durmoudej Paris, 1783, pag. 17»
18 /a6, etc.
\
/
562 LIVBE VI.
Comparé à ce qu'il était sous ses monarques
indigènes , le Mexique n'offre qu'un triste spectacle.
A peine retrouve^t-on la dixième partie de ses ha-
lïitans^ Et encore, combien leur caractère n'a-t*il
pas été changé par la plus injuste des tyrannies?
Je n'imagine pas qu'il y ait sur la face de la terre
une haine plus profonde , que celle que l'Âçiéricain
nourrit dans son désespoir contre les Espagnols;
éar, par exemple, bien que Pages vante l'extrême
douceur avec laquelle les colons de nos jours
traitent leurs esclaves, il ne peut, dans d'autres
endroits, s'empêcher de déplorer rabattement de
ces êtres infortunés, la rigueur dui}Oug sous lequel
ils gémissent, et les cruautés que lion exerce contre
ceux qui ont conservé leur liberté. Les Mexicains,
d après les descriptions , sont d'une couleur o£ve
foncée, bien proportionnés; ils ont l'air doux
et tendre, les yeux grands et étincelans; ils sont
adroits et actifs : mais leur ame est flétrie par
l'esclavage. *
Au centre de l'Amérique, dans ces lieux où tout
est pénétré d'une chaleur humide , et où les Euro-
péens mteent la vie la plus misérable, la nature
flexible des Américains se conserve sans altération.
Waffer^, qui, après avoir échappé aux pirates,
«
1. Storia antica dd Messico.
^%» yiU^em. Reiseriy vol. XV, pag. a 63.
CHAPITRE VI. 365
fit un séjour de quelque temps chez les sauvages
du continent, raconte l'accueil bienveillant qu'il
reçut de ces derniers, et décrit, dans les termes
suivans, leurs figures et leurs manières de vivre.
iK Les hommes ont cinq ou six pieds de haut , les
« os fortement prononcés, la poitrine large, l^s
n ntembres bien proportionnés. Aucun d'eux n'était
« ni difforme ni estropié. Souples et adroits, ils
(t sont actifs et courent avec une grandç vitesse.
«t Ils ont les yeux gris et vifs, le visage rond , les
« lèvres minces, }a bouche petite et le menton
a bien dessiné j leurs cheveux sont longs et noirs,
« ils aiment à les peigner fréquemment; leurs dents
« sont blanches et régulières , et ils sont dans Tu-
ce sage déteindre et d'omèr leur corps comme tous
« les autres Indiens. ^* Voilà les peuples que Ton
nous représente comme une race d'hommes énervés
et dégradés! Et dans quelle contrée? dans la partie
de l'isthme qui tend le plus à amollir -ses habitans.
Fermin, observateur exact, parle des Indiens
de Surinam* comme d'une race d'hommes bien
proportionnés dans leur corps, et remarquables
surtout par leur propreté. « Dès qu'ils sont levés ,
(c il se baignent, et leurs femmes répandent sur
« eux des huiles pour préserver leur peau de l'ar-
« deur du soleil et des piqûres des insectes. Us sont
1. Fermin, l^escription de Surinam, toL I,", pag. 39, 4'-
564 LIVRE VI.
t( d'une couleur cuivrée, quoiqu'ils soient aussi
« blancs que les Européens en venant au monde.
« On ne trouve parmi eux aucun homme estropié
« ou difforme. Leurs longs cheveux , d'un' noir
(( d'ébëne, ne blanchissent jamais, pas même dans
„ la vieillesse la plus avancée. Leurs yeux sont
(( noirs, leur visage alongé; ils ont peu de barbe,
(( et ils l'arrachent aussitôt qu'elle paraît. Leurs
ce dents, qui sont d'une beauté' et d'une blancheur
c( remarquables, ne se gâtent jamais;. et les femmes,
c( quelque délicates qu'elles semblent, jouissent
,< d'une santé presque inaltérable. ^* Que l'on lise
là description que Bancroft * fait des braves Ca-
raïbes, de l'indolent Worrows, du grave Accavais,
du sociable Arauques , ete., et je suis persuadé que
Ton. regardera comme un préjugé insoutenable ce
que l'on dit de la faiblesse d'organisation et de la
méchanceté de caractère de ces peuples indiens,
quoique leur'climat soit le plusdévorant de la terre.
Si nous avançons plus au Midi, vers les tribus
innombrables du Brésil, combien ne rencontrons-
nous pas de nations, de langues et de caractères,
qui ont été confondus par les voyageurs anciens
et modernes ^. « Jamais leurs cheveux ne blanchis-
se sent, dit Léry; ils sont toujours gais et actifs,
\
1 . Bancroft , Essai sur Thistoire naturelle de la Guyane.
2. Acanha , Gomilla , I^éry , Marggraf , Gojidainine , etc.
CHAPITRE TI. S65
(c comme leurs champs sont toujours veris. ^^ Pour
se soustraire au joug des Portugais, les braves To-
pinambous, imitant l'exemple d'autres nations guer-
rières, se' sont réfugié^ dans des forêts inconnues
et impénétrables. Plus dociles, d'autres peuplades,
que les missionnaires du Paraguay ont exhortées à
se soumettre , ont dégénéré jusqu'à retomber darïs
une soite d'enfance. Mais une pareille conséquence
ne doit pas étonner, et ce n'est point sur cela que
Ton peut les prendre, eux et leurs voisins, comme
le rebut du genre humain. *
Enfin nous approchons du trône même de la
nature et tout à la fois de la plus barbare tyrannie,
du royaume du Pérou, riche en or et en malheurs:
c'est là que les pauvres Indiens sont traités avec le
plus de cruauté, sous le joug de quelques moines
ou d'Européens plus efféminés que des femmes.
Tout ce que peuvent aujourd'hui ces enfans de la
nature ^ qui ont vécu jadis si heureux sous le règne
de leurs Incas, est de nourrir leur haine en silence*
« A la première vue , ^* dit Pinto ^ , gouverneur d u
Brésil, „ l'Américain du Sud paraît doux et paci-
(c fique; mais, après un examen plus attentif, vous
« découvrez en lui quelque chose de sauvage, de
I. Dobrit^offer , Histoire des Abipons ^ Vienne, i783«
Voyez la description de diverses nations dans le Père Gamilla^
Orinoco ill stradj.
a. Robertson, Histoire d^Amériqtte , Tol. I.*% pag. SS?.
566 LIVRE Xh
« méfiant, de sombre et de chagrin. ? Et cela ne
s'explique-t-il pas par sa destinée même? Oui, ils
étaient doux et innocens quand vous êtes allés les
irisiter; et ce qu'il y avait de sauvage et d'hostile
dans une race jusque-là bienveillante, n'a pas tardé
à se développer à votre approche. Sous le poids
de la défiance et de la crainte , pouvaient-ils man-
quer d'entretenir dans leur cœur l'exécration la
plus implacable, la plus invétérée? Misérables vers
de terre, que nous accusons de se tourner contre
nous, après que nous les avons foulés aux pieds!
L^esclave nègre est au Pérou un être privilégié , en
comparaison des victimes infortunées à qui le pays
appartient de droit.
. Pourtant tout n'est pas perdu encore, car heu-
reusement les Cordillères et les déserts du Chili
sont là pour veiller sur la liberté de tant de braves
nations.* Ainsi , par exemple, ils ne sont pas con-
quisses Moluches, les Puelches, les Araucans et
des Patagons que la hauteur de leur taille^ leur
grosseur et leur force ont fait nommer les géans
du Midi. Leur aspect n'est point désagréable ; leurs
visages sont ronds, un peu plats; leurs yeux vifs,
leurs dents blanches et leurs cheveux longs et noirs.
a J'en ai vu quelques-uns , dit Commerson ^, avec
— - 1 -'■ — - — - ■ » ■ - — . — —
- 1. Journal encyclopédique, 1772. Zimmermann-^ réuDÎ les
témoignages des divers voyageurs dans son Histoire de rhomme,
vol. I.*', p. 59. Kobertson, Histoire d^Amérique, toI. I.") p. 54o.
CHAPITRE VL S67
^ des moustaches Içngues, mais peu épaisses: iU
(( sont cuivrés, comme la plupart des Américains.
((Ils vont errer et faire des incursions dans les
« plaines immenses de TAmérique méridionale
« avec leurs femmes et leurs enfans, qui les suivent
n à cheval. ^ Nous devons à Falkener et à Vidaure *
les meilleurs renseignemens que nous ayons sur
ces peuples, au-delà desquels on ne trouve sur les
confins glaces de la Terre de feu, que les Péche-
rais, c'est-à-dire, selon toute vraisemblance, Tes-
pèce. la plus dégradée du genre humain^. Pfetits,
hideux y d'une odeur insupportable, ils se nour-
rissent de poissons à coquilles, se couvrent de
la peau du veau marin, et passent leur vie au
• milieu d'un hiver affreux : bien qu'ils aient autour
d'eux des forets immenses, ils ne construisent
point d'habitations solides et ne connaissent pas
la chaleur artificielle du feu. Il est heureux que
la nature dans sa sagesse n'ait pas . prolongé la
terre plus au loin vers le pôle sud. S'il en eût
été autrement, quelles ébauches monstrueuses de
l'homme ces glaces étemelles n'eussent- elles pas
recelées dans leurs abîmes!
Voilà quelques-uns des traits principaux des
1. Falkener, Description de la Patagonie. Vidaure, Histoire
du royaume de Chili, dans la Collection d'Ebeling.
a . Voyer le Voyage de Forster , vol. II 5 Cayendisb , Bovtr
gaioyiUe, etc.
^
568 LIVRE Yl.
nations de l'Amérique. Que peut-il s'ensuivre pour
cette contrée en général ? ^
La première conséquence est, qu'il faudrait éviter,
autant que possible, de comprendre dans'un seul et
même tableau les nations d'une partie du monde qui
se prolonge sous toutes les a^nes. En disant de l'A-
mérique qu'elle est chaude, saine, humide, basse,
fertile, on dit une vérité, et si on aflSrmait le con-
traire, on aurait encore raison, à cause de la diffé-
rence des climats et des lieux. Il en est de même
des peuples, car l'hémisphère est habité en entier
sous chacune des zones. Aux deux extrémités sont
des nains, et ceux-ci ont pour voisins des géans ;
au milieu se trouvent des nations dont les formes
plus ou moins bien proportionnées, les dispositions
pacifiques ou guerrières, indolentes ou actives, ser-
vent naturellement de transitions ; et qui, en un mot,
parcourent tous les modes de vie et tous les types
de caractère.
En second lieu, rien n'empêche que l'arbre du
gânre humain avec les nombreux rameaux qui s'en
détachent ne soit sorti d'un seul et même germe,
et ne porte en conséquence des fruits partout
uniformes; et c'est ce que l'on entend quand on
paiie du caractère dominant des traits et de la figure
des Américains. Ulloa remarqua particulièrement
dans la partie du centre que les fronts étaient étroits
et couverts de cheveux^les yeux petits, le nez mince
CHAPITRE VI. 569
et recourbé sur la lèvre supérieure , le visage large»
les oreilles grosses, les jambes bien faites, le pied
petit et la taille massive : ces formes s'étendent au-
delà du Mexique. Selon Pinto,le nez est médiofcre-
ment épaté, les yeux sont noirs ou bruns, petits
etperçans, les oreilles placées très-loin du visage:
or, ces mêmes traits se retrouvent chez des peuples
fort éloignés. Ce caractère général de physionomie ,
qui établit une ressemblance de famille même entre
les nations qui diSièrent le plus, annonce une uni-
formité d'origine. Si de toutes les parties du monde,
des. peuples sont arrivés en Amérique à diverses
époques , qu'ils se soient ou non mêlés entre eux,
l'espèce humaine doit présenter , dans le nouveau
continent, plus de diversité que partout ailleurs.
Dans totttc^^étendue de cette contrée, c'est un phé-
nomène presque sans exemple que de trouver des
yeux bleus, ou des cheveux blonds. Les tribus
du Chili et les Akansas des Florides, que l'on re-
marquait à cause de leurs yeux bleus, ont disparu
récemment.
' Troisièmement Si après nous être arrêtés à cette
forme, nous cherchons à attribuer au caractère amè-
rtcain les traits principaux qui le distinguent, la
bonté de cœur et l'innocence primitive, sont les
premières qualités à remarquer, comme le prouvent
l'antiquité de leurs établissemens , leurs habitudes,
le petit? nombre et l'imperfection de leurs arts, et
I. 34
370* UVRE VI.
par-dessu9 tout , la conduite qu'ils ont tenue avec
les Européens. Sortis d'un sol sauvage, auquel man-
quait le secours du monde civilisé, tous les progrès
qu'ils faisaient, leur appartenaient en propre, et les
premiers débuts de leur culture offrent le tableau
le plus instructif de l'humanité naissante.
CHAPITRE VIL
Conclusion.
Que ne pouvons-nous ici , à l'aide d'un talisman
qui transformerait en table;aux fidèles les contours
indéfinis de la parole et le vague des descriptions,
faire apparaître une galerie de formes et de figures
humaines! mais nous sommes loin de voir se
réaliser un vœu si philanthropique. Pendant des
siècles la terre a été traversée dans tous les sens
par l'épée et par la croix, par des marchands de
liqueurs et de corail : personne ne songeait alors au
paisible pinceau, et jamais il n'était entré dans la
pensée d'un seul de cette foule de voyageurs, que
les mots ne peignent pas les formes, surtout celle
qui est la plus délicate, la plus variée, la plus
changeante de toutes. Long-temps le merveilleux
tint la place de la réalité; car même les figures
que l'on traçait çà et là étaient idéales , sans
considérer que le vrai zoologbte n'imagine pas
les formes des aDÏmaux étrangers qu'il dessine :
or, )a nature humaine est- elle indigne d'exciter
cette attention rigoureuse dont les plantes et les
animaux sont l'objet? Cependant, comme dans les
derniers temps le génie d'observation s'est appliqué
à classer les variétés de notre espèce, comme nous
avons, quoiqu'en petit nombre, des esquisses de
quelques peuples, avec lesquelles celles des Debry,
des Lebrun , surtout celtes des missionnaires , ne
peuvent entrer en comparaison >, ce serait rendre
xm service éminent au monde savant , que de les
recueillir avec soin pour donner ainsi des bases à
l'étude de la physionomie et de Fhistoire naturelle
de rhumanité. Difficilement ferait-on servir l'art
du dessin à un but plus philosophique; et une
I. Je suis loin de clierEheT à déprécier ces essais; mais les
fibres de Lebrun me semblent toutes avoir ud air français :
celles de Debry, qui ont été mal copiées dans des pubUca-
tîons plus récentes, ne paraissent pas être anthentiques. Selon
Forster, Hodges a aussi donn£ des formes idéales à ses Ûla.
hiiieus. Après ces premières tentatires, il est hautement 11
désirer que les applications dn dessin k TbisUiire nanirelle
de Tespéce humaine s'étendent i toutes les contrées de la.
terre. Parmi les premiers qui ont tenté cette carrière , IVie-
bnhr, Parkinson, Cooli , Hoest , Georgi, Marion et quelques
autres occupent le premier rang. On dit que le dernier
Toyage de Cool, dont on loue les grainres, commence une
période nouTelle. Puisse-t'Clle par la suite comprendre d'au-
tres parties du monde , et, plus d^eloppée, servir k une utilité
plus générale \
5^3
HK 1>C TDKE
TABLE
DU TOME PREMIER.
blTRODUGTI01!l« 7
Etudes sur Herder. . 67
Préface de l'auteur j
Livre I." 1
Chapitre I." Notre terre est un astre parmi des
astres ' /i.
Qiapitre IL Notre terre est une des planètes
moyennes 6
Chapitre IlL Notre terre a subi plusieurs récolu-'
tions ai/ant de dei^emr ce quelle est maintenant . 1 4
Chapitre IV. Notre terre est un globe qui tourne
sur son axe dans une direction oblique au
soleil. 20
Chapitre V. Notre terre est em^eloppée dune
atmosphère et est en conflit av^ec plusieurs
corps célestes 28
Chapitre VI. La planète que nous habitons est
une sphère montagneuse qui s'e'lèi^e au^^essus
de la surface des eaux 35
Chapitre VII. La direction de nos montagnes fait
de nos deux hémisphères le théâtre des variétés
et des changemens les plus remarquables. ... 6 a
$73 LIVRE VI. CHAPITRE VII.
mappemonde anthrc^ologique, sur le plan de celle
dont Zimmermann a enrichi la zoologie, et dans
laquelle on n'indiquerait que les variétés réelles de
l'espèce humaine dans ses formes et ses attitudes
principales, achèverait dignement cette œuvre de
philanthropie*
FIN DU TOME PREMIER,
/
J
TABLÇ
OME PREMIER.
67
)
1
•e est un astre parmi des
Ib.
re est une des planètes
6
a subi plusieurs rét^lu-
'. qu'elle est maintenant . 1 4
'st un globe ^ui tourne
direction oblique aa
ao
•st ent>eloppée d'une
mflit avec plusieurs
28
nous habitons est
1 s'élève au-dessus
35
os montagnes fait
édtre des variétés
imarquables. , , . Sa
(
574 TABLE DU TOME I.
Livre II Sg
Chapiti*e I." Notre terre est un immense labora-
toire où, se prépare Vorgcf^nisation d! êtres très-
différehs les uns des autres Ih.
Chapitre II. Le règne végétal de notre terre ^
considéré dans ses rapports av>ec l'histoire de
Vhumanité^ 66
Chapitre III. Du règne animal dans ses rapports
ai^ec l'histoire de t homme 79
Chapitre IV. L'homme est une créature centrale
au milieu des animaux terrestres 88
/
Livre III 197
Chapitre I." De la structure des plantes et de
celle des animaux ^ considérées dans leurs
rapports omcc l'organisation de l'homme* . . . /t.
Chapitre IL Comparaison des divers pou$H)irs
organiques qui agissent dans les animaux. . 112
Chapitre III. Exemples de la structure physiolo-
gique de quelques animaux. 128
Chapitre IV. Des instincts des animaux i36
Chapitre V. Par quelle progression la créature
s'élèi^e jusqu'à combiner plusieurs idées entre
elles y et à faire, un usage, plus libre de ses
sens et de ses membres,, , .............. • 14^
Chapitre VI. Différence organique entre l'homme
et les animaux. 164
, TABLE DD TOME I. 5'jS
Pign.
Livre IV i63
Chapitre I." L'homme est par son organisation
un être raisonnable .- - . . /i.
Chapitre II. De l'organisation de l'homme com-
parée à celle des créatures inférieures qui se
rapprochent de lui par la forme de la fête. . 189.
Chapitre III. L'homme^ doué de sens plus par-
faits t^ue les animaux, est formé par son or-
ganisation pour fart, et le langage i^j
Chapitre IV. L'homme est organisé pour des ins-
tincts plus purs que ceux des animaux, et en
conséquence pour la liberté d'action. 207
Chapitre V. Quelque délicate que soit la santé de
l'homme, il est destiné, par son organisation
même, à vivre plus long-temps qu'aucune autre
créature, et à se répandre sur toute la surface
de la terre. a i^
Chapitre VI. L'homme est formé pour l'humanité
et là religion 337
Chapitre VIL L'homme est formé pour l'espérance
de Vimmortalité. 34$
Livre V 248
Chapitre I." Vne série ascendante déformes et de "
poufoirs règne dans notre création terrestre. Ib.
Chapitre II. ^ucun pouvoir dans la nature n'est
sans organe; mais dans aucun cas l'organe
« est le pouvoir même qui agit par son mtyyen . î S 6
)
376 TABLE DU TOBCE I.
Chapitre III. Uenchaînement des pouvoirs et des
formes neist jamais rétrograde ni stattonrutire^
mais progressif. 264
Chapitre IV. La sphère de T organisation humaine
est un système de pouvoirs spirituels^ ...... 27a
Chapitre V« Notre humanité n'est (juun état de
préparation^ le bouton dune fleur (jui doit
éclore 3^4
Chapitre VI. Vétat présent de V homme est proha^
hlement le lien (jui unit deux mondes., 293
Livre VI _. 304
Chapitre I.*' Organisatiçn des peuples tfui habi^
tent près du pôle nord 3o5
Chapitre II. Organisation des peuples qui habitent
le plateau de l'Asie 3i6
Chapitre ni. Régions des nations bien organisées . 32 5
Chapitre IV. Organisation des peuples de TAfri-
ifue 335
Chapitre V. Organisation de F homme dans les îles
de la zone torrid^ 349
Chapitre VI. Organisation des Américains 353
Chapitre VII. Conclusion 370
FIN DE XA TASLE DU TOME PlÛËMIER.
^ • «1 *:
/ ^/ 1
f J
\-. —
''^^?:^i
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